Le 05/04/2018 www.republicain-lorrain.fr/*
Pour quelle raison le suicide est-il une priorité de santé publique ?
Isabelle MOURIC, psychiatre à l’hôpital de Jury :
« C’est une priorité de santé publique depuis plus de dix ans. Le
suicide touche toutes les populations. C’est la deuxième cause de
mortalité chez les adolescents de 15 à 24 ans. »
Concerne-t-il plutôt les hommes ou les femmes ?
« Nous
n’avons pas de réponse formelle. Mais les moyens utilisés par les
hommes sont plus violents. En général, ils portent encore l’image
culturelle d’être solide et de toujours faire face à toutes les
situations. Du coup, il y a des choses plus difficiles à supporter. Ne
dit-on pas encore Sois fort mon fils. »
Comment expliquer ces gestes ?
« Il
n’y a pas de cause unique. C’est une accumulation d’événements. La
personne est dans une telle souffrance, qu’elle veut que ça s’arrête. »
Le suicide est-il une conséquence de certaines pathologies ?
« Il
intervient fréquemment dans des épisodes dépressifs. On sait aussi que
les maladies psychiatriques augmentent les risques. »
Qu’est-ce qu’une dépression ?
« Ce
n’est pas être triste suite à une mauvaise nouvelle. C’est la tristesse
dans sa durée, liée à des troubles du sommeil, la perte d’appétit. Les
personnes dépressives perdent le plaisir à faire les choses. »
Peut-on prévenir ?
« Il
faut connaître les facteurs de risques. La vigilance revient à tout un
chacun, dans le domaine familial, professionnel, des loisirs. Ne pas
négliger des phrases anodines du genre « Si je partais, ce serait une
bonne chose ». Prêter attention aux personnes en situation de rupture :
perte d’emploi, d’un conjoint, rupture amoureuse. »
Il paraît difficile d’évaluer les risques ?
« Difficile
quand on ne sait pas évaluer. D’où l’importance d’une formation à la
prévention du suicide, qui s’adresse aux professionnels de santé, de
l’éducation, de la gendarmerie, de la police à l’administration
pénitentiaire. »
En quoi consiste cette formation ?
« À
repérer et gérer la crise suicidaire. On apprend les facteurs de
risques et le processus de suicide, à dépister des scénarios établis. On
met en place des stratégies pour prévenir. »
Comment repérer les souffrances ?
« Ce
sont des changements de comportements. Une personne calme qui devient
subitement agressive ou triste alors qu’elle est habituellement
enjouée. »
Si on dépiste, comment agir ?
« Écoute
et soutien sont fondamentaux. On peut conseiller un professionnel de
santé, voire un médecin généraliste qui oriente la personne vers un
psychiatre. L’entourage familial, le milieu associatif peut être un
soutien. »
Les médecins généralistes sont-ils assez formés ?
« Ils
ont besoin de formation car les prises en charge tout comme les
traitements médicamenteux ont évolué. C’est d’autant plus important que
les médecins généralistes sont les premières personnes à qui on évoque
ses soucis. »
Comment agir face à une tentative de suicide ?
« Ce
n’est pas un acte anodin, il impose donc une prise en charge médicale
et une hospitalisation d’au moins 24 heures. Il ne faut jamais banaliser
un geste suicidaire. »
Des populations plus fragiles
La France présente, parmi les pays européens, un des taux de
suicide les plus importants derrière les pays de l’Est, la Finlande et
la Belgique. Qui sont les personnes les plus vulnérables ?• Personnes âgées : « Elles sont particulièrement touchées par la volonté de mettre fin à leur jour », précise Isabelle Mouric, psychiatre. Maladie, perte d’autonomie ou simple désir de rejoindre un conjoint peuvent être à l’origine de cette décision. Pour l’année 2014, le taux de suicide chez les plus de 74 ans s’élève à 59,4 cas pour 100 000 hommes.
• Les jeunes : le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans (7,5 pour 100 000). Le nombre de tentatives est nettement supérieur. L’Observatoire national des suicides (ONS) constate que les pratiques numériques peuvent jouer « dans l’amplification du phénomène » pour les plus fragiles.
• Les agriculteurs et le personnel pénitentiaire sont les professions les plus à risque (plus de 20 % de la moyenne nationale). Pour la seconde catégorie, de gros efforts ont été faits pour la formation à la prévention du suicide.
Stopblues, une application pour reconnaître les signes de la dépression
L’application Stopblues est disponible depuis le mois de février. Elle permet à toute personne majeure en souffrance psychique ou présentant un risque suicidaire à rechercher de l’aide.
En effet, Stopblues permet de définir le blues, la déprime, le mal-être, la dépression. Des vidéos informent sur les signes et les causes. Des quiz permettent d’évaluer l’état psychologique de la personne qui consulte. Comment en parler ? À qui ? L’application évoque des solutions et renvoie par le biais d’une carte vers des structures d’aide sur le bassin messin. Elle fournit encore des outils pour que chacun puisse créer son propre plan d’action, gérer son moment d’angoisse par des exercices de relaxation, voire appeler les urgences. « Ce programme d’études sera disponible jusqu’en juillet 2019 », précise Catherine Morel. Les élus estimeront ensuite s’il sera pérennisé. Ou non.
Le chiffre : 8 885
C’est le nombre de décès par suicide et par an en France. Le
nombre de tentatives de suicide est bien supérieur : 78 000 personnes
hospitalisées. Et on ne parle pas des personnes qui n’ont pas recours
aux soins.