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jeudi 3 novembre 2022

AUTOUR DE LA QUESTION "Je ne veux pas mourir": en soins palliatifs, l'envie de vivre prend le dessus

"Je ne veux pas mourir": en soins palliatifs, l'envie de vivre prend le dessus

Publié le : 07/10/2022  https://www.france24.com*
  Paris (AFP) – "On est un service associé à la mort, mais plein de vie": en soins palliatifs, le confort, la relaxation et l'accompagnement des patients en fin de vie sont les priorités des soignants. Jusqu'à ce que la mort s'invite.

Derrière les portes rouges du service de soins palliatifs de l'hôpital Bretonneau, dans le nord de Paris, des patients, le plus souvent atteints de maladies incurables et en arrêt de traitement, se réveillent, regardent la télévision ou appellent leurs proches, en attendant leurs soins.

"Il faut prendre la vie du bon côté, tant qu'il en reste", sourit timidement Gisèle (qui a souhaité taire son nom), patiente de 85 ans atteinte d'une leucémie.

Fraîchement arrivée dans le service, elle s'y sent "très bien". "On s'occupe tout de suite de nous", confie-t-elle à l'AFP. "J'accepte toutes les activités, si ça peut me faire du bien".

Ce mercredi, elle s'initie avec deux soignantes à l'aromathérapie, qui lui rappelle les moments partagés avec sa petite-fille de 13 ans, "quand on comparait les odeurs des parfums" en boutique.

Après avoir senti plusieurs mélanges d'huiles essentielles, elle fabriquera, avec les soignants, son "stick" qui pourra calmer ses nausées et qu'elle conservera près d'elle toute la journée. "La différence avec les médicaments, c'est qu'elle peut s'en servir dès qu'elle en ressent le besoin", détaille son infirmière, Sandrine Monot.
Une infirmière soigne un homme âgé au service des soins palliatifs de l'hôpital Bretonneau, à Paris, le 5 octobre 2022 Thomas SAMSON AFP
"Toujours un projet de vie"

D'autres activités, comme la musicothérapie, des massages de relaxation ou encore des "repas thérapeutiques" --partagés entre soignants qui ont ôté leur blouse, patients et familles-- ont été développées. "On est un service associé à la mort, mais plein de vie", souligne Marie-Ange Filopon, infirmière.

Les soins palliatifs sont "le champ des possibles" pour les patients, l'objectif étant d'accéder "à toutes (leurs) demandes" et de créer des "moments privilégiés". "Il y a toujours un projet de vie, même à court terme", témoigne Catia Da Silva, cadre de santé.

Les soignants côtoient régulièrement la mort: 80% des patients admis n'en ressortent pas, explique Virginie Fossey-Diaz, médecin cheffe de service.

En moyenne, les personnes admises y séjournent 18 jours. "Mais cela peut varier, de quelques heures à trois mois", explique-t-elle. Pour l'équipe, l'idéal est d'avoir "le temps d'accompagner les patients" mais aussi leur famille.
Un homme âgé au service des soins palliatifs de l'hôpital Bretonneau, à Paris, le 5 octobre 2022 Thomas SAMSON AFP

"Je ne veux pas mourir moi, je ne me considère pas comme une mourante", soupire Gisèle. Auparavant toujours en bonne santé, elle n'a jamais réfléchi à sa mort. "J'attends", dit-elle simplement.

Le service, géré par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, compte normalement 20 lits, mais faute de médecins formés à la pratique des soins palliatifs, la moitié est temporairement fermée.
Savoir entendre

Le débat sur la fin de vie en France a été relancé en septembre, par un avis du Comité consultatif d'éthique ouvrant la voie à la mise en place d'une "aide active à mourir". L'euthanasie et le suicide assisté sont légaux dans des pays voisins comme la Belgique ou la Suisse.

Pour Virginie Fossey-Diaz, la loi Claeys-Leonetti (2016) a "fait énormément avancer" la prise en charge et les possibilités d'accompagnements en fin de vie "mais reste méconnue". Cette médecin appelle à "développer davantage les unités de soins palliatifs", les accompagnements seraient alors "plus nombreux et de meilleure qualité".

Il est "très rare" que des personnes "en très grande souffrance réclament l'euthanasie" mais "il faut savoir les entendre", explique Jelena Rosic, psychologue au sein de l'unité. Souvent, "on n'a pas épuisé toutes les solutions possibles" pour le bien-être du patient.

Une convention citoyenne, composée de 150 personnes, va se réunir du 9 décembre à la mi-mars pour réfléchir à un éventuel changement de la loi.

"Pour mieux appréhender les réalités de la fin de vie", la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) propose de prévoir pour chacun des membres de cette convention une immersion d'un ou deux jours en soins palliatifs.

https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20221007-je-ne-veux-pas-mourir-en-soins-palliatifs-l-envie-de-vivre-prend-le-dessus

jeudi 6 octobre 2022

Fin de vie Allemagne : le Conseil d’éthique entre prévention du suicide et “autodétermination”

 Fin de vie

Allemagne : le Conseil d’éthique entre prévention du suicide et “autodétermination”

Publié le 4 Oct, 2022

Synthèses de presse https://www.genethique.org*

Le 22 septembre 2022, le Conseil d’éthique allemand a publié un avis pour « renforcer la prévention du suicide et l’autodétermination » (cf. Le Parlement allemand se penche sur la dépénalisation du suicide assistéAllemagne : débat sur le suicide assisté au Bundestag).

Alors que la Cour constitutionnelle allemande a déclaré, le 26 février 2020, que « l’infraction d’assistance au suicide dans le cadre d’une activité commerciale était inconstitutionnelle et nulle » (cf. Allemagne : l’interdiction du suicide assisté remise en cause , Suicide assisté en Allemagne : quand « le droit à la mort devient la mort du droit »), le Conseil d’éthique développe trois objectifs autour de la prévention du suicide. Il souhaite créer une « prise de conscience », préciser « les contours préalables aux décisions de suicide » et mettre en évidence les responsabilités de chacun.

Selon Alena Buyx, présidente du Conseil, « quiconque se préoccupe de savoir si et, le cas échéant, comment l’assistance au suicide doit être réglementée en Allemagne, doit en même temps se pencher sur les conditions et les responsabilités d’une prévention du suicide réelle et globale ».

L’influence de la société ?

Les motifs du suicide vont « des troubles psychiques, notamment dépressifs, aux souffrances physiques, en passant par l’isolement et la solitude, jusqu’à la lassitude de la vie », rappelle le Conseil d’éthique. Mais « outre les facteurs individuels, l’environnement social et sociétal a également une influence sur les pensées suicidaires et leur développement ».

Le Conseil estime qu’une « décision librement assumée doit être respectée juridiquement et éthiquement en tant qu’expression du droit à l’autodétermination, même lorsqu’il s’agit de mettre fin à sa propre vie ». Ainsi, « si le désir de suicide d’une personne se concrétise en une volonté ferme et librement responsable, une assistance au suicide peut être proposée », considère-t-il.

Toutefois, selon Helmut Frister, porte-parole du groupe de travail interne du Conseil d’éthique, « le droit à l’autodétermination (…) ne décharge en aucun cas l’Etat et la société de la responsabilité de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les personnes ne se retrouvent pas et ne restent pas dans des situations dans lesquelles elles se voient contraintes de préférer la mort à la vie ». L’organisme considère d’ailleurs que « la responsabilité des institutions consiste avant tout à orienter leurs offres de manière conséquente vers les objectifs de la prévention du suicide et à renforcer les liens de vie ».  

https://www.genethique.org/allemagne-le-conseil-dethique-entre-prevention-du-suicide-et-autodetermination/

vendredi 12 août 2022

SUISSE ETUDE RECHERCHE Le psychiatre comme « gatekeeper » : une étude qualitative sur le rôle du psychiatre dans les demandes de suicide assisté

Le psychiatre comme « gatekeeper » : une étude qualitative sur le rôle du psychiatre dans les demandes de suicide assisté
Anne-Laure Serra Friedrich Stiefel 2 C É line Bourquin 2
1
Service universitaire de psychiatrie de l’âge avancé, Centre hospitalier universitaire Vaudois (CHUV)et Université de Lausanne, Suisse  <Anne-Laure.Serra@chuv.ch>
2 Service de psychiatrie de liaison, Centre hospitalier universitaire Vaudois et Université de Lausanne, Suisse
Correspondance : A.-L. Serra
Gériatrie et Psychologie Neuropsychiatrie du Vieillissement Volume 20, numéro 1, Mars 2022

Contexte

En Suisse, dans les situations de demandes de suicide assisté, le psychiatre est mis dans une position de « gatekeeper » lorsqu’on lui demande de se prononcer sur la capacité de discernement et sur l’existence d’un éventuel trouble psychiatrique interférant avec cette capacité et qui empêcherait les patients d’accéder à cet acte.

Objectif

L’étude explore les motifs des demandes de suicide assisté formulées par des patients hospitalisés dans un service somatique du Centre hospitalier universitaire Vaudois ainsi que les enjeux auxquels le psychiatre fait face.

Méthode

L’étude se base sur une analyse rétrospective des rapports psychiatriques, concernant 18 patients de 65 ans ou plus qui ont fait une demande de suicide assisté. Nous avons identifié dans le matériel des motifs manifestes mais aussi des éléments latents, en prenant pour cadre la théorie de l’attachement et une lecture psychodynamique orientée autour des concepts de Moi idéal, Idéal du moi et Surmoi.

Résultats

Différentes catégories de motifs de recours au suicide assisté ont été identifiées dans les demandes des patients. Au niveau latent, des indices d’attachement sécure et insécure, de sentiments sous-jacents de honte et d’abandon et plus rarement de culpabilité ont été relevés. Outre des limites liées à l’état du patient, le rôle de gatekeeper a un impact sur les possibilités d’aborder ou d’utiliser ces éléments de manière thérapeutique avec le patient.

Conclusion

Le psychiatre mis dans un rôle de gatekeeper face au suicide assisté est dans une position peu confortable. Il est amené à penser comment tenir ce rôle tout en demeurant psychiatre de liaison.
accès étude https://www.jle.com/fr/revues/gpn/e-docs/le_psychiatre_comme_gatekeeper_une_etude_qualitative_sur_le_role_du_psychiatre_dans_les_demandes_de_suicide_assiste_321854/article.phtml?tab=texte

jeudi 17 mars 2022

DEBAT CRITIQUE VIDEO de l'Académie Nationale de Médecine : Suicide assisté des patients souffrants de troubles psychiatriques

Suicide assisté des malades mentaux par Philippe COURTET

Les débats sur l’euthanasie et le suicide assisté (ESA) sont d’actualité en Europe. L’élargissement de l’ESA pour motif psychiatrique, déjà autorisé dans certains pays, interroge tant sur le plan éthique que clinique étant donné la proximité entre les patients suicidaires et les patients demandant ou ayant accédé à l’ESA. Comment concilier l’ESA avec la promotion de la prévention du suicide, qui tue près de 10000 personnes par an en France ? Plusieurs questions clés méritent une réponse claire avant d’envisager d’aller plus loin dans les débats sociaux : comment s’assurer de l’irréversibilité de la souffrance psychologique ? comment s’assurer que les patients demandeurs d’ESA disposent d’une totale capacité de prise de décision ? comment juger de la futilité thérapeutique ? Il semble capital de protéger les patients les plus vulnérables en faisant en sorte que la psychiatrie bénéficie des progrès de la science et puisse offrir de nouvelles solutions aux patients en souffrance. Vous pouvez suivre l'actualité de l'Académie nationale de médecine sur son site et Twitter : ➡️ www.academie-medecine.fr ➡️ @acadmed

 

15 mars 2022
Académie Nationale de Médecine

 

mardi 2 novembre 2021

AUTOUR DE LA QUESTION ETUDE RECHERCHE Peut-on ne plus vouloir vivre, sans vouloir mourir ? : ou comment accompagner les revirements d’une patiente en phase palliative

Peut-on ne plus vouloir vivre, sans vouloir mourir ? : ou comment accompagner les revirements d’une patiente en phase palliative
Margaux Frejoux 1
1 SU FM - Sorbonne Université - Faculté de Médecine
Par Margaux Frejoux
Infirmière Diplômée d’Etat
Mémoire pour le DU Soins Palliatifs et Accompagnement
Année universitaire : 2020-2021 Sorbonne Université Faculté de Médecine

Résumé : Face à une demande de mort, les soignants se doivent d’être à l'écoute et d’entendre pleinement la demande. Elle est souvent portée par de multiples enjeux très propres à chaque individu. Le patient en fin de vie est confronté à la peur, la perte, la souffrance de ses proches, l’angoisse, le deuil, l’ambivalence... Et, il est indispensable de recueillir et d’entendre les difficultés du patient pour tenter de l’accompagner au mieux. L’important lorsqu’une demande émane, n’est pas forcément d’y répondre, mais de comprendre et d’entendre d’où vient cette demande et ce qu’elle comporte réellement.
Une demande de mort n’est pas nécessairement l’expression d’un souhait de mourir, mais bien l’expression d’une demande qui est-elle même un signe de vie. Et si l’on ne choisit pas de mourir, que reste-t-il au patient si ce n’est l’expression de ses volontés, comme demander la mort pour garder le contrôle sur le temps de vie qu’il lui reste ?
https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03409461
Contributeur : Nadège Leray Connectez-vous pour contacter le contributeur
Soumis le : vendredi 29 octobre 2021 - 16:51:34
Fichier 8_MEM_SOINS_PALLIATIFS_2021_FR...

Source https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03409461

jeudi 22 avril 2021

Le cabinet de réflexions d'Infosuicide.org : suicide assisté, euthanasie, fin de vie, mort volontaire et prévention du suicide

Le cabinet de réflexions d'Infosuicide.org
La rubrique " Le cabinet de réflexions d'Infosuicide.org " : c'est un dossier sur un sujet spécifique avec ses actualités, débats, articles,tribunes, points de vue, etc. qui nous questionnent et nous interpellent...
Nous les relayons essentiellement comme matière à penser et à débattre.
Aidez nous à alimenter une réflexion..
      
 

 «La pratique de l’euthanasie sous l’œil des chercheurs». La chronique d’Anaïs Maréchal

Anaïs Maréchal 21 Avril 2021 https://www.lopinion.fr/*

L’aide à mourir alimente une controverse, même dans les pays l’ayant dépénalisée, soulignant la difficulté à poser un cadre législatif. En médecine, santé publique ou encore sociologie, des travaux scientifiques éclairent les enjeux et pratiques de la mort assistée
 
Début avril, les députés débattaient d’une proposition de loi pour « le droit à une fin de vie libre et choisie ». Non adoptée, elle s’inscrit dans une longue liste de propositions visant à dépénaliser l’aide à mourir, c’est-à-dire l’euthanasie et le suicide assisté. Aujourd’hui dans le monde, plus de 200 millions de personnes peuvent y recourir. Mais le débat ne s’éteint pas, même dans les pays ayant dépénalisé la pratique. Si le cadre légal est entre les mains des politiques, la communauté scientifique (médecins, sociologues...) cherche à apporter des éclairages factuels.

Dans un contexte législatif similaire – où l’aide active à mourir est dépénalisée – les pratiques observées sont variables. Par exemple, elle est sensiblement plus répandue chez les hommes que chez les femmes en Belgique et aux Pays-Bas, contrairement à la Suisse. Et si 79 % des Néerlandais décident de mourir à domicile, seuls un tiers des patients suisses font le même choix. Concernant les motivations, la douleur n’est pas la principale raison évoquée, mais plus souvent la perte d’autonomie, de dignité et de qualité de vie.

En France, plusieurs études épidémiologiques se sont penchées sur les demandes d’aide à mourir, notamment dans les unités de soins palliatifs. « Elles témoignent d’un désir d’être acteur de sa propre fin de vie. Ces requêtes perdurent, même avec les soins palliatifs », détaille Régis Aubry, enseignant-chercheur en médecine palliative et président de la plateforme nationale de recherche sur la fin de vie. Créée en 2018, cette plateforme fédère les acteurs de la recherche française. « L’un des objectifs est d’éclairer le débat, souvent peu argumenté », explique Régis Aubry.

Tabou. Mais caractériser les enjeux et les pratiques est complexe. « Il existe très peu de travaux transdisciplinaires et il y a un vide en médecine où ce sujet est tabou », constate Régis Aubry. La multiplication des approches est pourtant fondamentale et peut éclairer les soignants. « Une demande de mort peut revêtir une multitude de significations : certains l’analysent comme une souffrance psychique ou physique non soulagée, d’autres y voient l’expression de la souveraineté d’une personne qui doit être respectée », illustrent Cherry Schrecker et Frédéric Balard, respectivement sociologues aux universités de Lorraine et Grenoble-Alpes.

Difficile également de s’affranchir des biais inhérents à la recherche. « La majorité des travaux s’intéresse aux unités de soins palliatifs, souligne Laurena Toupet, doctorante en sociologie à l’Université de Lorraine. C’est un environnement important à étudier, mais il en faut d’autres car les contextes de fin de vie sont multiples : à domicile, en Ehpad… » Autre obstacle : l’opinion des chercheurs. « Derrière les articles scientifiques, il peut y avoir des formes plus ou moins conscientes de militantisme ou d’idéologie, rapportent Frédéric Balard et Cherry Schrecker. Notre rôle n’est pas de trancher la question du droit à la mort assistée mais de montrer les difficultés pratiques derrière les lois. »

La communauté scientifique s’accorde sur la nécessité de plus investir le sujet. Dans un éditorial, deux chercheurs pointent des axes de recherche à privilégier, comme la compréhension du processus de décision ou de la fréquence et des caractéristiques des décès assistés. Il ne faut cependant pas en attendre une réponse législative toute prête, conclut Frédéric Balard : « Il y a un écart entre les valeurs et pratiques que nous analysons, et l’application de la demande de mort assistée qui relève, elle, de la politique. »
https://www.lopinion.fr/edition/politique/pratique-l-euthanasie-l-oeil-chercheurs-chronique-d-anais-marechal-242194

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TRIBUNE S’ils savaient la réalité des suicides
Tous ceux qui plaident pour les soins palliatifs tranquillement assis dans leur fauteuil ignorent ce qu’est une mort par suicide lorsqu’elle n’est pas accompagnée dans des conditions correctes. Sans quoi ils rejoindraient les partisans du suicide assisté dans un même élan d’humanité.
par François Michaud-Nérard, membre du Conseil national des opérations funéraires, ancien directeur général de la SEM des Services funéraires-ville de Paris
publié le 13 avril 2021 à 16h09

Les adversaires résolus de toute forme d’assistance à la fin de vie et a fortiori d’acte pouvant provoquer la mort mettent en avant l’euthanasie, faisant référence aux pratiques de l’Allemagne nazie. Ils décrédibilisent ainsi par avance toute proposition de ceux qui promeuvent des solutions pour mourir dans la dignité.

Inversement, les militants de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) promeuvent un droit absolu lié à une volonté individuelle. Ils réclament de pouvoir mourir en reportant sur un support médical cette responsabilité plutôt que de les laisser mourir.

Faute de connaître la réalité de ce qu’est le moment de la mort, surtout par suicide, les personnes qui débattent de la fin de vie et du suicide assisté racontent parfois des horreurs.
«Ils ont le droit de se suicider»

J’ai bondi dernièrement en entendant une journaliste, dans une émission du soir sur LCI, réduire la proposition de loi du député Falorni – proposition de loi numéro 3 755 visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France – à de l’euthanasie. Son principal argument fut de déclarer qu’après tout, si les gens veulent en finir, ils ont le droit de se suicider, ce qui n’est pas interdit en France.

Pour avoir dirigé pendant plus de vingt ans les services funéraires de la ville de Paris, la société municipale qui a notamment en charge de relever, sur réquisition de police, les cadavres des personnes décédées de mort violente, je voudrais expliquer à cette journaliste, et à tous ceux qui débattent de ce sujet tranquillement assis dans leur fauteuil, ce qu’est une mort par suicide lorsqu’elle n’est pas assistée dans des conditions correctes.

Les personnels funéraires sont en première ligne pour toucher de près ce que sont les suicides violents. Les défenestrés qui s’explosent sur le trottoir au petit matin, à l’heure où les enfants partent à l’école. Les pendus que leurs proches retrouvent dans le grenier. Les suicidés par arme à feu, dont la moitié du visage a été emportée par le tir. Les noyés, que les passants vont retrouver au bord d’un canal.

Et ne croyons pas que les suicides par des médicaments accessibles au grand public soient plus anodins. Le médicament le plus utilisé pour les suicides dans les pays du nord de l’Europe, le paracétamol, détruit le foie et provoque une longue agonie.
Acte désespéré

Non, contrairement à ce que croit cette journaliste, se suicider n’est pas facile. Ce n’est pas une liberté, c’est l’acte désespéré de celui ou celle que personne ne veut entendre avec compassion. Il est extrêmement difficile de se suicider sans imposer à ses proches, ses voisins, les passants, aux policiers qui vont constater le décès, aux opérateurs funéraires qui vont relever et transporter les corps, des visions horribles.

Il est indigne et inhumain, dans un pays «civilisé», de laisser les personnes désespérées en arriver à ces extrémités. Il existe bien chez nos voisins des solutions plus dignes. Mais ce sont des solutions réservées aux plus riches et aux plus agiles intellectuellement.

Alors réfléchissons de façon humaine à cette fin de vie que la pandémie met en avant. Bien sûr, il faut développer les soins palliatifs. Que de nombreux départements en France ne disposent pas de centres adaptés est un scandale. La priorité est l’accompagnement de nos concitoyens pour qu’ils puissent achever leur vie dans ce cadre humain formidable qu’est le système de soin palliatif.

Mais il y a également des cas où les souffrances ne peuvent être réduites. Parce que la douleur ne peut être traitée, parce que la dignité de la personne en fin de vie ne peut être assurée du fait de la déliquescence du corps, parce que l’agonie sera inévitablement abominable lorsque, par exemple, les muscles respiratoires défaillent jusqu’à provoquer l’étouffement. Dans ces cas-là, il est de notre devoir de permettre aux personnes placées devant cette échéance inéluctable d’abréger une vie qui n’a plus de sens.
Un vrai débat parlementaire

Paulette Guinchard nous a laissé de Suisse un testament important que nous a transmis son compagnon. C’est elle-même qui a déclenché le dispositif qui a mis fin à sa vie. Une vie qui devenait intenable, avec ses muscles qui l’avaient lâchée depuis longtemps pour sa mobilité, son élocution, et qui défaillaient jusqu’à l’empêcher même de respirer. Elle a été accompagnée, elle a choisi, elle a pu agir, elle a été digne et fidèle à une vie d’engagement pour les autres.

Je suis sûr que, s’ils savaient la réalité des suicides dans la «vraie vie», les partisans des soins palliatifs rejoindraient les partisans du suicide assisté dans un même élan d’humanité.

Quant à l’euthanasie qui, ne nous voilons pas la face, pose des questions éthiques fondamentales, discutons-en de façon apaisée. Il est urgent de débattre du sujet de la fin de vie au travers d’un vrai débat parlementaire, après consultation du Comité consultatif national d’éthique et après des auditions parlementaires approfondies. Cela permettra d’éviter des débats bâclés, des interventions abruptes et simplificatrices sur les plateaux de télévision.

Notre fin de vie, notre humanité méritent mieux.
François Michaud-Nérard a notamment signé la Révolution de la mort (Vuibert, 2007), une Révolution rituelle, accompagner la crémation (l’Atelier, 2012) et Les cimetières, que vont-ils devenir ? (Hermann, 2019).

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/sils-savaient-la-realite-des-suicides-20210413_KTQIATE5QJGXXONIWWKIS2ZY7I/



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Euthanasie : l'inspirateur d' "intouchables" est contre
Article paru dans Le télégramme le 12 avril 2021, signalé sur association-entractes.blogspot.com*





*https://association-entractes.blogspot.com/

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A Puteaux, les soins palliatifs se veulent « un vivoir », pas un « mouroir »

Béatrice Jérôme, Lemonde.fr, 9/04/2021

L’unité du centre hospitalier Rives-de-Seine soulage la douleur des malades en fin de vie. Les soignants s’assurent aussi et surtout qu’en dépit de la maladie, les patients aient la meilleure vie possible.

« Alors monsieur G., c’est fini ! » : la docteure Nathalie de Soultrait s’avance lentement et d’une voix douce s’adresse au défunt : « Monsieur G., on va vous enlever votre pacemaker. » Elle fait le tour du lit, s’approche et répète : « Monsieur G. On va vous enlever votre pacemaker. » La chambre plongée dans la pénombre est décorée d’une orchidée blanche et d’un bromélia rouge. Elle sort. La porte restera entrouverte. Le corps ne sera pas soustrait au regard des visiteurs ou des patients qui passent dans le couloir. Ils verront son visage apaisé à la lueur d’une bougie blanche.

La mort n’est pas cachée à l’unité de soins palliatifs du centre hospitalier Rives-de-Seine à Puteaux (Hauts-de-Seine). « On ne la combat pas. On ne la fuit pas non plus. On la considère comme un processus naturel qui fait partie de la vie », confie Ségolène Perruchio, chef de ce service de douze lits où 250 patients entrent chaque année et dont seul un sur cinq ressort vivant. Deux cents y meurent, soit deux décès tous les trois jours.

Ici, l’ennemie n’est pas la mort mais la douleur. Atteints d’un cancer en phase terminale, d’une maladie incurable, bien des patients requièrent des doses de morphine qui feraient frémir la plupart des services hospitaliers. Malgré l’arsenal de stupéfiants à sa disposition, chaque soignant du service a entendu une fois au moins dans la bouche d’un patient : « Je veux que vous m’aidiez à partir. » « La demande est formulée, observe Marie Simian, psychologue au sein de l’unité. Mais, pour l’immense majorité des patients, elle disparaît dès que la douleur s’apaise. »

Etienne Prache, bénévole aux Petits Frères des pauvres, recueille depuis vingt ans les confidences des patients du lieu : « S’il n’y a plus de souffrance physique, la demande d’euthanasie s’arrête », confirme ce publicitaire à la retraite. « Vous savez que l’unité est un cinq-étoiles des soins palliatifs, s’exclame-t-il. Ici, les malades sont cocoonnés, choyés, entourés. Ils se sentent en sécurité. Dès lors qu’ils n’ont plus mal, ils deviennent comme vous et moi, et même joyeux parfois ! »

Souffrance psychique

Ségolène Perruchio reconnaît qu’« une infime minorité persistent à demander l’euthanasie ». Le plus souvent, ce sont des patients qui ne supportent pas l’idée de la déchéance de leur corps. Certains souffrent de la maladie de Charcot, d’autres de cancers. « Mais dès qu’on leur dit qu’on ne va pas les tuer, que la loi l’interdit, notre réponse provoque paradoxalement un regain d’envie de vivre chez certains », observe-t-elle.

Se fondant sur ces expériences, Edith De Sa Moreira, médecin à l’unité de soins palliatifs, récuse l’idée que « beaucoup de personnes en fin de vie voudraient être endormies pour ne pas avoir à supporter la mort. Ce n’est pas une réalité à partir du moment où on est disponibles et où on les accompagne ». Toute loi qui créerait le droit au « suicide assisté » supprimerait, soutient-elle, « l’espace qui existe aujourd’hui pour permettre au médecin d’aider le patient à surmonter la peur de mourir, crainte inhérente à toute fin de vie ».

« L’objectif n’est pas que les patients vivent le plus longtemps possible, mais que leur vie soit la meilleure possible », Séglène Perruchio, chef de service

La « sédation profonde et continue jusqu’au décès », autorisée par la loi Claeys-Leonetti de 2016 est-elle davantage demandée ? Pas plus que « deux fois par an », révèle Mme Perruchio. « On ne laisse pas les gens arriver au stade où ils la demandent. On a le plus souvent les moyens de les soulager avec des antalgiques ou des sédations proportionnées pour leur permettre de se réveiller en étant plus confortables. »

Si « l’envie d’en finir » est indexée sur la douleur physique, reste la souffrance psychique. Comment « raccrocher à la vie des gens qui sont morts dans leur tête avant d’être morts dans leur corps ? C’est là notre grand challenge », reconnaît la chef de service. « L’objectif n’est pas que les patients vivent le plus longtemps possible, précise-t-elle, mais que leur vie, malgré la maladie, soit la meilleure possible. » A Puteaux, le défi se relève de plusieurs façons.

D’abord, il y a le décor des lieux : la teinte taupe des portes des chambres, les chambranles framboise, les fauteuils club en cuir du salon des familles font qu’une fois franchi le seuil la déréliction tend à disparaître. Chaque mercredi, l’odeur du clafoutis ou de la tarte aux pommes contribue aussi à chasser toute idée morbide.

« Non-réponses »

Dans la cuisine, ce 31 mars, une patiente a posé ses cannes de marche pour éplucher les fruits. La fille d’un autre patient prépare un gâteau surprise. Monsieur M. a pris son déambulateur pour aller jeter un œil à l’atelier pâtisserie. « J’en ai fait des hôpitaux, soupire ce Nanterrien. Jamais je n’ai vu une telle disponibilité, une telle gentillesse. Il y a chez les soignants une humanité impressionnante. Cela a forcément un impact positif sur mon état. »

La tarte aux pommes encore chaude circule de chambre en chambre. Les assiettes sur le chariot sont en porcelaine. « On mange avec les yeux », sourit Malika Ourdi, agent des services hospitaliers. A l’office, elle montre fièrement les plats, verres, ramequins qui permettent de dresser le couvert des patients « comme à la maison ». Chacun déjeune ou dîne à l’heure de son choix. Les repas sont à la carte.

« Ici, on n’accueille pas des malades mais des personnes », insiste Nathalie de Soultrait. « Les gens se rendent compte au bout de quelque temps que l’unité de soins palliatifs n’est pas un mouroir mais au contraire un “vivoir”, presque un endroit gai… » , sourit Mme Perruchio. « Parmi tous les services où j’ai travaillé, assure Juliette Isla, psychomotricienne, l’unité de soins palliatifs de Puteaux est celui où j’ai ressenti le plus de vie. Dans la plupart des services, la mort n’existe pas, du coup, il n’y a pas de vie. Ici, la mort est présente, du coup, il y a de la vie aussi. »

Ce mercredi 31 mars, après sa tournée des chambres, Marie Simian prend le temps d’une pause avec quelques soignants dans le petit local autour d’un café. « En soins palliatifs, confie la psychologue, on est confrontés aux pires angoisses d’abandon, de solitude, de déliaison. On est face à l’impensable, à la catastrophe qui peut survenir à tout instant. Face à cela, on est souvent dans des non-réponses. L’objectif n’est pas de trouver la meilleure solution, c’est d’appliquer la moins mauvaise. » Pour y parvenir, « on se réunit beaucoup, on discute entre nous. On réfléchit tout le temps ».

Travail en binôme

Vendredi 2 avril, la pendule indique 9 heures dans la salle de soins, l’heure des transmissions. Douze blouses blanches font le bilan de la veille et de la nuit, préparent les admissions. Monsieur F., 69 ans, est attendu en fin de matinée. Il arrive sur un brancard. Mme de Soultrait l’accompagne dans sa chambre. « Je vais défaillir », dit soudain le nouvel arrivant, 48 kilos pour 1,72 mètre, avant de demander un jus d’orange ou de pomme avec une paille. Dans l’unité, les pailles sont proscrites pour éviter les fausses routes, mais que faire si cela rassure ce patient ? Avec une aide-soignante, Caroline Sanpaio, l’infirmière, fabrique pour lui une paille avec un tube de plastique. « D’habitude, nous sommes toujours deux ou trois pour accueillir les patients », glisse Mme de Soultrait.

« Dans la plupart des services, la mort n’existe pas, du coup, il n’y a pas de vie. Ici, la mort est présente, du coup, il y a de la vie », Juliette Isla, psychomotricienne

Accueil, toilette, soins : chaque acte s’accomplit en « binôme » pour « croiser les regards » entre différents corps de métier. « Quand elles sont deux, elles arrivent aussi à rire. Quand elles sont seules, c’est plus difficile », observe Françoise Philippe, l’autre bénévole au sein de l’unité de soins palliatifs.

Noémie, une infirmière, s’est aperçue que chanter Dalida et Céline Dion avec une patiente rendait sa toilette plus facile à réaliser. Grâce à l’hypnose, la médecin Mélanie Monribot aide les infirmières à manipuler des patients « douloureux ». Masser les corps pour qu’ils retrouvent des sensations est un art que pratique Juliette Isla, la psychomotricienne.

Le travail en binôme implique près de deux fois plus de personnels que dans un service de gériatrie aiguë : l’unité de soins palliatifs de Puteaux compte une aide-soignante et une infirmière pour six patients. Un encadrement qui a un coût et qui explique le faible nombre de ces services spécialisés en France. Le pays compte 164 unités de soins palliatifs pour un total de 1880 lits. Pourtant, bien des services gagneraient à s’inspirer de la « culture des soins palliatifs », estime la chef de service, Ségolène Perruchio, qui intervient à la tête d’une antenne mobile au sein des hôpitaux alentour.

Un immense sourire

Outre le travail en binôme, les soins palliatifs consistent à « écouter ». « On pose le moins de questions possible aux malades. En revanche, on prend le temps de s’asseoir avec eux et avec leur famille », résume la médecin.

A 15 h 30 ce vendredi, Sonia B. et sa fille Laura ont rendez-vous avec Mélanie Monribot et Marie Simian. Lorsqu’elle retrace les étapes de la maladie de son mari, jusqu’à son arrivée dans le service, Sonia laisse couler ses larmes. « On est là pour s’occuper de votre mari et de ton papa, dit d’une voix posée Mme Monribot, pour lui apporter ce qu’il faut pour le soulager. Et vous permettre de passer du temps avec lui. »

Après cet entretien, Laura échange un « check » avec son père. « De quoi as-tu besoin ? », demande Sonia à son mari, 74 ans, ex-chanteur et grand amateur de rock. « Tu veux que je ramène ta guitare ? » « Non », répond-il d’un air triste. La conversation roule pourtant sur la musique. Marie Simian quitte alors la chambre. La psychologue revient avec sa propre guitare basse. Elle pose l’instrument sur le lit. Il caresse les cordes de l’instrument. Son visage s’illumine d’un immense sourire. Celui que Marie Simian guettait depuis son arrivée dans le service.

La journée s’achève. Ce jour-là, l’équipe n’a pas réussi à organiser un « temps bonsaï », cette réunion hebdomadaire qui permet aux soignants de parler des patients décédés, de faire le deuil. « Ici, glisse Marie Simian, on est dans l’éphémère. Quand on rentre le soir chez nous, on ne sait pas qui on va retrouver le lendemain. » Le bonsaï est symbole d’éternité pour les Japonais. Il est l’arbre que le service a pour habitude de placer dans la chambre de chaque défunt. Cet article est paru dans Le Monde (site web)

https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/09/a-puteaux-les-soins-palliatifs-se-veulent-un-vivoir-pas-un-mouroir_6076145_3224.html

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'actualité en France

Euthanasie : "C’est la possibilité de quitter la vie qui nous fait l’aimer"


Instruments pour se suicider à Liestal en Suisse, où le scientifique australien David Goodall, 104 ans, a mis fin à ses jours le 10 mai 2018 en s'injectant du pentobarbitol.
(Photo AP / Philipp Jenne)

07 avr 2021
Mise à jour 07.04.2021 par
Oumy Diallo


Le 8 avril, une proposition de loi pour “donner le droit à une fin de vie libre et choisie” aux personnes souffrant d’une pathologie incurable, sera débattue à l’Assemblée nationale. Pour le philosophe François Galichet, militant du droit à la “mort délibérée”, la crise sanitaire nous rappelle que si nous n’avons qu’une vie et qu’il faut en profiter, nous n’avons aussi qu’une mort et il faut la préparer.


Quelle est la différence entre l’euthanasie active et le suicide médicalement assisté ? Qu’en est-il du projet de loi pour “donner le droit à une fin de vie libre et choisie” ?


Membre de l’association Ultime Liberté, François Galichet a été mis en examen en mars 2021, soupçonné d'avoir aidé des personnes à se procurer du Pentobarbital (interdit en France), pour mettre fin à leurs jours.
DRFP / Odile Jacob

François Galichet, philosophe : L’euthanasie c’est quand une personne, généralement un médecin, donne la mort à une autre personne volontaire, bien évidemment. La personne peut être inconsciente au moment de la piqûre létale, mais a donné son accord quand elle était lucide. Lors du suicide assisté, la personne est consciente et c’est elle-même qui se donne la mort par voie orale ou en appuyant sur un bouton qui déclenche une perfusion. Jusqu’au bout, la personne est libre d’accomplir le geste ou non. Le projet de loi présenté ce jeudi concerne uniquement l’euthanasie.

N’est-ce pas une responsabilité trop lourde à faire porter aux médecins ?

François Galichet : C’est vrai… Les médecins opposés à l’euthanasie évoquent le serment d’Hippocrate à la base de la déontologie médicale ("Tu ne tueras pas". "Je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion", Ndlr). Mais dans ce même serment le respect de la volonté du malade est aussi très important.

Beaucoup de médecins estiment que cela fait partie de leur devoir d’aider le patient jusqu’au bout, quand il n’y a plus d’espoir et que la fin de vie est certaine. Quoi qu’il en soit, la proposition de loi prévoit une clause de conscience qui permet à tous médecins opposés à un geste létal de se récuser.

Les défenseurs de l’euthanasie mettent en avant la “dignité” du malade. Qu’est-ce que la dignité ?

François Galichet : Pour mon dernier livre, Qu’est-ce qu’une vie accomplie ?, paru chez Odile Jacob, j’ai mené une enquête auprès d’une cinquantaine de personnes qui avaient pu se procurer de manière illégale du pentobarbital (puissant somnifère et anesthésiant interdit en France et utilisé dans le cadre du suicide assisté, Ndlr), non pas pour l’utiliser tout de suite mais pour avoir la certitude de pouvoir quitter la vie le moment venu si c’était nécessaire.

Certains craignent d‘être accablés par une douleur atroce, d’autres de devenir dépendants et de ne plus pouvoir accomplir les gestes élémentaires comme manger, d’aller aux toilettes ou de se laver seuls. La peur d’être une charge pour l’entourage, généralement les enfants, revient beaucoup.

En 2005, la loi Leonetti permettait de prévenir l’acharnement thérapeutique et en 2016 s’y est ajouté le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès du patient (loi Clayes-Leonetti), appelée euthanasie passive. Pourquoi jugez-vous cela insuffisant ?

François Galichet : Ce dispositif permet d’endormir le patient, de ne plus le nourrir ni de l'hydrater et d’attendre qu’il meurt. Mais a-t-on la preuve qu’il ne ressent rien ? Rien ne prouve que le sommeil prévient les souffrances. D’autre part, cela se pratique à l’hôpital, le patient n’est pas conscient et ne peut pas dire au revoir à ses proches.

Beaucoup de gens que j’ai aidés à partir, de manière clandestine, le font avant d’entrer à l’hôpital précisément pour pouvoir mourir chez eux avec leurs proches et quitter la vie entourés d’affection plutôt qu’entourés de tuyaux dans un état semi-comateux. Il s’agit d’anticiper un état de dégradation irréversible. Dans le cas de la maladie de Charcot par exemple qui mène progressivement à une paralysie totale… Les victimes refusent cette prison et c’est leur droit.

Pourquoi faudrait-il absolument légiférer ? Le suicide est après tout une affaire personnelle...

François Galichet : Rien n’empêche de mettre fin à ses jours mais de façon très violente. Il est normal de donner aux gens qui manifestent une volonté claire, lucide, calme et réfléchie, les moyens de mourir doucement et non de manière brutale en se jetant sous un train ou par la fenêtre. L’Etat doit encadrer, organiser et réguler cet acte. Pour ma part, je n’emploie pas le mot suicide que je trouve trop lié à l’idée de meurtre. Je préfère “mort délibérée” qui contient la notion de volonté et de réflexion, ce n’est pas un geste impulsif.

La Suisse autorise le suicide médicalement assisté et la Belgique a dépénalisé l’euthanasie active en 2002. Comment qualifieriez-vous le débat en France ?

François Galichet : La France est en retard sur nombre de pays européens. Plus récemment, l'Espagne et le Portugal ont légiféré. J’espère que les députés français vont faire un pas dans cette direction. L’aide à mourir doit vérifier que le demandeur ne le fait pas de manière impulsive. La loi doit prévoir des procédures pour permettre à la personne de clarifier sa volonté, de l’affirmer et de la justifier. En Belgique et en Suisse il se passe parfois un mois entre le dépôt de la demande et son acceptation. Cela permet aux accompagnants de vérifier qu’il n’y a pas de manipulations de l’entourage.

(Re)voir : L'Espagne légalise l'euthanasie et le suicide assisté, sous conditions

Comment expliquez-vous que l’interdiction perdure en France ?

François Galichet : Même si selon un sondage Ifop 96% des Français sont favorables à l’euthanasie, il y a deux groupes de pression extrêmement puissants. D’abord le lobby médical. Le gouvernement compte beaucoup de médecins à commencer par le ministre de la Santé Olivier Véran qui considèrent qu’il est trop tôt pour légiférer. Il y a aussi le lobby religieux. Le 5 avril, Monseigneur Aupetit, l’archevêque de Paris était sur France Inter et a pris publiquement position contre toute idée d’aide à mourir.

La mort est-elle tabou en Occident ?

François Galichet : Tout à fait ! Jusqu’au début du XXe siècle on mourait chez soi et la mort était quelque chose de familier qu’on apprenait à apprivoiser. Aujourd’hui, la mort est invisible, cachée dans les hôpitaux ou les Ehpads. Elle fait peur car on ne la voit plus.

Depuis un an, la mort a brutalement ressurgi dans notre quotidien…

François Galichet : La crise sanitaire a mis la mort au centre de nos préoccupations. Nous nous sommes rappelés notre condition de simples mortels. Il faut regarder la mort en face et savoir comment la préparer. Les détracteurs de l’euthanasie active et du suicide assisté défendent le caractère sacré de la vie, mais de quelle vie parlent-ils ? La vie biologique ou la vie humaine ?

En ce moment, au nom de la vie biologique, on impose des mesures extrêmement contraignantes et dommageables à la vie humaine. Comme l’a dit le Christ, l’Homme ne vit pas seulement de pain, mais d’amour, de culture, de joie partagée, de recherche artistique… En fin de vie, la vie biologique peut devenir atroce et c’est au nom de la vie humaine, que l’on peut vouloir partir.


Qu’est-ce que la philosophie dit du suicide ?


François Galichet : Les philosophes sont partagés. Un premier courant affirme que la vie est sacrée et qu’il ne faut y mettre un terme sous aucun prétexte comme Kant, Hegel et Spinoza. De l’autre côté, Sénèque, Montaigne, Rousseau ou même Platon considèrent que cela fait partie de la liberté humaine, comme on choisit ou non de se marier ou d’avoir des enfants. Nietzsche disait “Mourir fièrement quand on ne peut plus vivre fièrement”, j’aime beaucoup cette citation.

Je pourrais vous citer une phrase du philosophe Cioran : “Sans l’idée de suicide, je me serais tué depuis longtemps”, c’est la possibilité de quitter la vie qui nous fait l’aimer. On ne peut aimer qu’une chose qu’on a la liberté de choisir. J’adore les tableaux de Van Gogh mais si on me forçait à les regarder toute la journée, je finirais par les détester… Mais peut-on comparer la vie à un objet, aussi beau soit-il ? On ne choisit pas de naître comme on choisit d’acquérir une œuvre…


François Galichet : Vous avez raison, mais je ne vois pas pourquoi ce serait un argument contre la liberté de mourir. Si on ne choisit pas de naître, qu’on nous laisse au moins la liberté de mourir, puisque celle-ci nous l’avons.


Qu’est-ce qu’une vie accomplie ?, paru chez Odile Jacob en 2020.
https://information.tv5monde.com/info/euthanasie-c-est-la-possibilite-de-quitter-la-vie-qui-nous-fait-l-aimer-403637

samedi 3 avril 2021

ETUDE RECHERCHE La pratique de l’euthanasie et du suicide assisté pour motif psychiatrique

La pratique de l’euthanasie et du suicide assisté pour motif psychiatrique :
Encephale
L. Guerinet
Marie Tournier 1
1
BPH - Bordeaux population health

Résumé : OBJECTIFS: L’aide médicale à mourir est discutée depuis des dizaines d’années en médecine. Dix pays sont favorables à l’euthanasie et/ou au suicide assisté. La fréquence et les pratiques sont assez différentes d’un pays à l’autre. L’intégration des souffrances psychiques liées aux pathologies psychiatriques comme condition légale suffisante à leur accès dans quatre pays a rendu cette question d’autant plus complexe. Pour ces troubles, il ne s’agit plus de choisir les modalités du décès mais bien la survenue de ce décès. Ce travail est une revue de la littérature narrative s’intéressant au profil des patients souffrant d’un trouble psychiatrique qui entreprennent une telle démarche. METHODES: Ont été abordés des articles scientifiques, des rapports et des textes de loi. RESULTATS: Les diagnostics les plus fréquemment retrouvés étaient les troubles dépressifs et les troubles de la personnalité. Il s’agissait le plus souvent de femmes, à la différence du suicide, et de personnes d’âge moyen. CONCLUSIONS: Les questions de l’intrication de symptômes thymiques, de biais de raisonnement et de perturbations cognitives entravant le jugement, de l’accès et du consentement aux soins, de l’évaluation de la souffrance psychique et de la définition de l’incurabilité des troubles psychiatriques font particulièrement débat. À ce jour, les connaissances médicales et les outils d’évaluation ne semblent pas assez satisfaisants pour définir les indications éventuelles et accompagner au mieux des demandes d’assistance médicale à la fin de vie pour motifs psychiatriques.

jeudi 11 mars 2021

ETUDE ET RECHERCHE Euthanasia and assisted suicide in psychiatric patients: A systematic review of the literature

Review article Euthanasia and assisted suicide in psychiatric patients: A systematic review of the literature
Raffaella Calati abcde Emilie Olié cde Déborah Dassa cd Carla Gramaglia fg Sébastien Guillaume cde Fabio Madeddu a Philippe Courtetcde
Journal of Psychiatric Research

a
Department of Psychology, University of Milan-Bicocca, Milan, Italy
b
Department of Adult Psychiatry, Nîmes University Hospital, Nîmes, France
c
PSNREC, University of Montpellier, INSERM, CHU Montpellier, Montpellier, France
d
Department of Emergency Psychiatry and Acute Care, Lapeyronie Hospital, CHU Montpellier, Montpellier, France
e
FondaMental Foundation, Créteil, France
f
Department of Translational Medicine, Institute of Psychiatry, University of Eastern Piedmont, Novara, Italy
g
Psychiatry Ward, Maggiore della Carità University Hospital, Novara, Italy

Highlights

• Features of psychiatric patients having received Euthanasia or Assisted Suicide (pEAS) were different across countries.
• In the Netherlands the percentage of pEAS cases increased from 0% to 1.1% (from 0 to 68) in 2009–2019.
• In Belgium the percentage of pEAS cases increased from 0% to 2.2% (from 0 to 40) in 2002–2013.
• Mood disorders were mainly represented.
• Cases of pEAS seem to be very similar to ‘traditional suicides’.

Abstract

The number of psychiatric patients requesting Euthanasia or Assisted Suicide (EAS) continues to increase. The aims of this systematic review were to: 1) describe the available data related to psychiatric patients having received or requesting EAS (pEAS) for each country in which is allowed; 2) and describe the ethically salient points that arise.

PubMed, PsycINFO, and Scopus databases were searched to identify articles published up to September 2020. Among the retrieved publications, only studies on pEAS cases (pEAS-C), pEAS requests, or physician reports/attitude towards pEAS reporting some quantitative data on patients having received or requesting pEAS were retained. Among the 24 included studies, thirteen (54%) were about pEAS in the Netherlands, four (17%) in Belgium, and seven (29%) in Switzerland. Results were different across different countries. In the Netherlands, pEAS-C were mostly women (70–77%) and often had at least two psychiatric disorders (56–97%). Mood disorders were mainly represented (55–70%) together with personality disorders (52–54%). History of suicide attempts was present in 34–52%. Moreover, 37–62% of them had at least one comorbid medical condition. In Belgium pEAS-C were mostly women (75%), but the majority (71%) had a single diagnosis, mood disorder. In Switzerland available data were less detailed.

As pEAS-C seem to be very similar to ‘traditional suicides’, pEAS procedures should be carefully revised to establish specific criteria of access and guidelines of evaluation of the request. A deeper focus on unbearable suffering, decision capacity and possibilities of improvements is warranted as well as the involvement of mental health professionals.

Keywords Euthanasia Assisted suicide End-of-life care Psychiatric disorders Depression

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022395620311146?via%3Dihub

samedi 6 mars 2021

« La vie, la mort… On en parle ? » – Un portail pour parler de la fin de vie, de la mort et du deuil aux enfants et adolescents.

« Comment accueillir avec sensibilité, mais sans sensiblerie, les émotions de tout un chacun après un décès ? Que faire concrètement pour un jeune venant de perdre un parent d’un cancer métastatique ? Comment « gérer » l’état de torpeur lorsqu’un suicide vient affecter la communauté scolaire ? Comment préparer l’après, et, après l’après, comment continuer de parler d’un élève décédé avec ses camarades et sa famille ? Au sein du cercle familial justement, comment aborder avec l’enfant les préoccupations existentielles qui le taraudent, ou évoquer avec lui l’euthanasie de son animal de compagnie ? Comment trouver des mots qui restituent avec justesse et sincérité l’évènement, sans angoisser outre mesure le jeune ? A l’adolescence, comment accompagner un jeune venant de perdre un camarade par suicide, et se trouvant en situation de double deuil, deuil de l’enfance et deuil d’un être aimé ? »

Lancé en février 2021, « La vie, la mort… On en parle ? »  est « un portail pour parler de la fin de vie, de la mort et du deuil aux enfants et adolescents et accompagner les situations auxquelles ils peuvent être confrontés. Ces thématiques sont complexes et difficiles à aborder parce qu’elles font appel à l’intime et à notre vécu individuel et collectif. Il est possible de se sentir vulnérable, impréparé, mal outillé et d’être traversé par des émotions multiples et contrastées. Les ressources et outils proposés constituent des pistes de réflexion généralistes, qu’il convient d’adapter à la singularité de chaque situation ».

 « Les ressources que vous trouverez sur ce portail, que vous soyez professionnel de l’éducation, personnel de santé ou d’action sociale, ou parent d’élève, ont plutôt vocation à vous aider à mieux comprendre certains processus socio-psychologiques et la source de certaines questions des jeunes, à mieux identifier certaines réactions de l’enfant et de l’adolescent, ainsi que l’impact psychique, cognitif, social ou sur l’investissement scolaire que peut avoir la fin de vie, la mort et le deuil d’un jeune ou d’un proche sur un jeune. »

 Pour avoir accès au portail, cliquez ici : https://lavielamortonenparle.fr

(i) « Les Amis de Zippy », « Les Amis de Pomme » et « Passeport : s’équiper pour la vie » sont des programmes qui favorisent le bien-être émotionnel des enfants via le renforcement des compétences psychosociales dont les habilités d’adaptation.  Ils ont pour objectif d’enseigner aux enfants comment s’ajuster aux difficultés quotidiennes, identifier leurs sentiments, en parler et explorer différentes manières de composer avec eux. Parmi les 6 modules qui composent ces programmes, un module est dédié aux changements et aux pertes.

 

https://www.educasante.org/lu-et-vu/la-vie-la-mort-on-en-parle-un-portail-pour-parler-de-la-fin-de-vie-de-la-mort-et-du-deuil-aux-enfants-et-adolescents/

Vous avez envie d’en savoir plus sur ces programmes qui sont dispensés en classe par les enseignant.e.s titulaires ?

>> Cliquez ici pour regarder une vidéo de présentation  

>> Cliquez ici pour consulter la brochure qui présente le programme « Les Amis de Zippy »

>> Cliquez ici pour consulter la brochure qui présente le programme « Les Amis de Pomme »

>> Cliquez ici pour consulter la brochure qui présente le programme « Passeport : s’équiper pour la vie »

samedi 13 février 2021

ETUDE RECHERCHE Demande d'euthanasie ou de suicide assisté à l'étranger pour motif de trouble psychiatrique : expériences et positionnements de psychiatres français, une étude exploratoire

Demande d'euthanasie ou de suicide assisté à l'étranger pour motif de trouble psychiatrique : expériences et positionnements de psychiatres français, une étude exploratoire

Lucie Gallé 1, 2
1 UPD5 Médecine - Université Paris Descartes - Faculté de Médecine
2 EA 4569 - Laboratoire Ethique Politique et Santé
Résumé : L’euthanasie et le suicide assisté sont accessibles, dans les pays qui l’autorisent, aux personnes présentant un trouble psychiatrique grave au motif que la souffrance psychique engendrée par ce trouble est jugée intolérable et son soulagement inatteignable. Bien que persiste une interdiction française d’une assistance active à la mort, et ce pour toute situation médicale, certains ressortissants français réalisent pour ce motif psychiatrique une démarche à l’étranger. Ces situations sont rares mais confrontent les médecins psychiatres français à différents enjeux nouveaux, à la fois d’ordre éthique et médical face à la responsabilité qu’ils ont dans la prise en charge de la maladie mentale et du suicide. Afin d’explorer pour la première fois l’expérience et le positionnement de professionnels de santé mentale face à ces situations de demande de mort assistée, nous avons réalisé, dans le cadre d’une recherche en éthique, des entretiens semi-dirigés auprès de psychiatres français. Les entretiens ont été analysés selon une méthode d’analyse qualitative de type thématique. Cette étude a été menée sur l’ensemble de la France et a recueilli le discours de huit psychiatres. Les résultats ont permis de mettre en évidence une manière hétérogène d’aborder la description des situations rencontrées, la réaction et le positionnement des psychiatres face à la situation ainsi que les valeurs et les représentations sous-tendant ces prises de positions. Finalement, les arguments des psychiatres étaient avant tout d’ordres médicaux. Ils relevaient de la spécificité de la maladie psychiatrique et du respect de la déontologie, qu’ils trouvent la démarche du patient acceptable ou non à leurs yeux. Il existait de fréquents conflits moraux entre la position professionnelle et les convictions personnelles des participants. La prise en compte du patient en tant que sujet avait une place mineure. Elle renvoyait à celle accordée plus généralement au patient dans les soins psychiatriques mais aussi aux représentations sociétales de la maladie mentale, de la souffrance psychique et du suicide et au difficultés à concilier l’individuel au collectif. Cette étude originale, bien que présentant plusieurs limites d’ordre méthodologique, encourage, face aux évolutions sociétales, à poursuivre l’exploration de ce sujet encore mal connu.

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02511167
Soumis le : lundi 30 novembre 2020 - 14:58:49
Dernière modification le : samedi 13 février 2021 - 03:27:19
 
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vendredi 21 juin 2019

SUISSE DEBAT CRITIQUES REFLEXIONS Le suicide assisté et sa médiatisation: un risque pour la prévention?

Le suicide assisté et sa médiatisation: un risque pour la prévention?

Ayant pour mission la prévention du suicide des jeunes de 15 à 29 ans, l’association STOP SUICIDE ne remet pas en question la légalité du suicide assisté et le travail des associations actives dans ce domaine, qui ne concerne pas le même public. Cependant, en raison de la place importante du débat sur le suicide assisté dans les médias, STOP SUICIDE s’inquiète des valeurs positives (dignité et auto-détermination notamment) qui y sont fréquemment associées et de l’influence qu’elles peuvent avoir tant sur les personnes âgées que sur les plus jeunes.

En Suisse, le suicide assisté est autorisé depuis 1942. L’article 115 du Code Pénal en définit les conditions : l’incitation au suicide reste interdite, et l’aide au suicide ne doit pas relever d’un motif égoïste. Les critères d’accès sont réglementés par les directives de l’Association suisse des sciences médicales (ASSM) et leur assouplissement en 2018 est largement contesté par les médecins eux-mêmes. En ajoutant à cela un traitement médiatique souvent favorable et positif, un effet de contagion est-il à craindre ? Léonore Dupanloup, chargée de prévention média à STOP SUICIDE, fait le point sur la question.

Du critère de « fin de vie » à celui de « souffrances insupportables »
Le suicide assisté est inscrit dans la loi suisse depuis plus de 75 ans, mais sa pratique et son éthique ne cessent d’évoluer et divisent le monde médical. Longtemps considéré, par principe, comme « contraire aux buts de la médecine », l’ASSM a remis en 2004 la responsabilité aux médecins de déterminer au cas par cas si « cette assistance est conforme aux objectifs de la médecine ». Dès lors la pratique du suicide assisté est devenue de plus en plus courante, attirant des personnes souhaitant mettre fin à leur jour bien au-delà des frontières helvètes. Avec 928 décès de résidents suisses en 2016, le nombre de suicides assistés tend à rejoindre le nombre de suicides non-assistés (1016 décès sur l’ensemble de la population).
En 2018, une nouvelle révision des directives a suscité une vague de contestation. Principal point de discorde : l’abandon du critère de « fin de vie imminente » au profit de celui de « souffrances insupportables », bien plus subjectif et difficile à définir. Pour le médecin, comment estimer que ces souffrances sont insupportables ? Et s’agit-il de souffrances physiques uniquement, ou doit-on craindre que des personnes en détresse psychologique demandent accès au suicide assisté ? En Belgique, où l’euthanasie par un médecin est autorisée, les personnes atteintes de troubles psychiques peuvent demander à y avoir accès et une cinquantaine d’entre elles décèdent ainsi chaque année (1).

Jacqueline Jencquel et la médiatisation de son “projet”
L’année dernière un cas a marqué les esprits. Jacqueline Jencquel, une Française de 74 ans, a annoncé planifier son suicide assisté pour 2020. Bien portante, elle craint les effets négatifs du vieillissement : perte d’autonomie, dégradation de la santé et de l’aspect physique, peur d’être un fardeau pour l’entourage et pour la société de manière générale… Elle milite donc pour ce qu’elle appelle le « suicide de bilan » et a décidé de médiatiser son projet. Si les « raisons » sur lesquelles se base sa décision ont de quoi interpeller et ont parfois choqué, ce sont des arguments très répandus dans le débat sur le suicide assisté. Il faut s’interroger sur les effets que de tels arguments peuvent avoir sur des personnes vulnérables. Pourraient-ils encourager une dérive de l’aide au suicide ? Et après tout, si une personne de 74 ans en bonne santé a le droit de se suicider, pourquoi l’interdire, par principe, à des personnes plus jeunes ?

La dépénalisation du suicide assisté fait-elle augmenter le suicide ?
Un des arguments-clés en faveur de la dépénalisation du suicide assisté est que celui-ci permettrait de faire baisser le taux de suicide en proposant une alternative médicalement encadrée, qui laisse plus de temps à la réflexion. Aux Etats-Unis, où l’aide au suicide est autorisée dans certains états, des chercheurs se sont penchés sur les effets de la légalisation du suicide assisté sur le taux de suicide (2).
En comparant le taux de suicide de différents états américains avant et après la légalisation, et en excluant les autres facteurs qui peuvent l’influencer, l’étude a montré qu’en réalité le taux de suicides « non-assistés » n’a pas diminué. Il n’y a donc pas eu de report significatif de l’un vers l’autre, et au final le taux de suicide global a augmenté dans ces états, du fait de l’augmentation des suicides assistés.

Evolution des suicides et des suicides assistés en Suisse
La situation de la Suisse est-elle comparable ? Les statistiques montrent une progression constante du suicide assisté, qui s’est accentuée depuis 2008 (voir graphique). Parallèlement, le nombre de suicides non-assistés est en baisse, ce qui pourrait indiquer un phénomène de report. Mais en incluant les suicides assistés dans le calcul du taux de suicide, on constate le même résultat que l’étude américaine : celui-ci augmente de manière significative, revenant au taux de 2002 pour les hommes, et dépassant celui du début des années nonante pour les femmes (3).


La contagion d’un double-suicide assisté à Bâle
Du suicide de Marilyn Monroe à celui de Robin Williams, de nombreuses études se sont intéressées aux effets de la médiatisation des suicides non-assistés. Face au risque avéré de contagion (dit effet Werther, lire à ce sujet notre article précédent), l’OMS a édicté une série de recommandations pour traiter du suicide de façon responsable : éviter de mentionner la méthode, ne pas présenter le suicide comme un geste courageux, glamour ou romantique, ou en encore parler des solutions et des ressources d’aide (4).
Au milieu des années 90, dans le canton de Bâle, la médiatisation du suicide assisté d’un couple de notables de la région a marqué les esprits et a été suivie d’une explosion des demandes d’aide au suicide auprès d’Exit (5). En partant de ce cas particulier, des chercheurs ont mis en évidence les caractéristiques des articles relatant ce double suicide et ont pu identifier plusieurs aspects problématiques au regard des recommandations de l’OMS. Tout d’abord, le couple en question étant connu et très apprécié dans la région, leur suicide a donné lieu a un grand nombre d’articles, jusque dans les médias nationaux. Or plus la couverture d’un cas individuel de suicide est importante, plus le risque d’effet Werther augmente : la manière dont le sujet est traité est donc d’autant plus cruciale pour limiter la contagion.

l’exemple de Romeo et Juliette: le fait de mourir pour « rester ensemble » est mis en avant et valorisé
Malgré ce risque important, pratiquement aucune précaution n’a été prise pour traiter ce double suicide. Aucune des publications ne présentaient de solutions alternatives au suicide : ce geste était présenté comme la décision de personnes déterminées, et le fait de mourir pour « rester ensemble » était largement mis en avant et valorisé. Certains articles ont aussi mis l’accent sur la « paisibilité » des personnes avant d’effectuer leur suicide, renforçant davantage une vision positive de ce geste.
En comparant les chiffres du suicide assisté dans la région avant et après la diffusion de ces articles, on constate que les suicides réalisés par Exit ont quadruplé, passant de 7 à 28. Difficile de prouver directement que toutes les personnes concernées ont lu les articles en question, mais un collaborateur d’Exit a confirmé qu’une femme avait motivé sa demande en mentionnant explicitement le suicide du couple. Dans sa lettre de suicide (non-assisté), une autre femme dont le mari venait de décéder de maladie y a également fait référence.
Dans les 2 ans qui ont suivi la médiatisation de ce double suicide, il y a eu 29 suicides de plus par rapport aux 2 années précédentes, dont 28 effectués par Exit. L’étude conclut donc à un effet Werther provoqué par les articles sur le suicide du couple bâlois.

Prévenir le suicide… assisté ou non !
De nombreuses notions associées au suicide assisté ont de quoi inquiéter les milieux de la prévention. Dans le débat sur l’aide au suicide, la question de la « dignité » et du droit à l’auto-détermination sont centrales, avec une tendance risquée : celle de valider d’emblée que la vie des seniors ne mérite pas d’être vécue, sans chercher à répondre au mal-être exprimé à travers la demande de suicide.

Redonner aux aîné.e.s la valeur et la place qu’ils méritent
Il existe des facteurs de risque suicidaire propres au grand âge : le sentiment d’isolement ou celui d’être un poids pour les autres, le refus de son propre affaiblissement, le veuvage… Le manuel très complet édité par le Groupe Romand Prévention Suicide (GRPS) explique que la perception négative de l’individu vis-à-vis de ces éléments pèse plus sur les pensées suicidaires que ces éléments eux-mêmes (6). Or ces aspects sont rarement investigués par les professionnels de santé car les envies suicidaires chez une personne âgée sont interprétées comme le fruit d’une réflexion rationnelle, en raison des idées reçues souvent véhiculées dans les articles sur le suicide assisté.
Qu’un individu préfère le suicide assisté à la perte d’autonomie et d’indépendance peut se comprendre, mais lorsque de tels points de vue sont diffusés dans les médias il faut s’interroger sur le message implicitement renvoyé non seulement aux personnes âgées mais également à toutes les personnes ou de handicap. Sans parler des aspects économiques qui sont parfois mis en avant : un suicide assisté coûte moins cher qu’une année en maison de retraite. Comment ne pas ressentir une forme de pression sous-jacente pour les personnes en situation de dépendance ou atteintes d’une maladie chronique ?
Face aux dérives potentielles de l’aide au suicide, des acteurs se mobilisent et investissent le champ de la prévention pour les personnes âgées. Claude Mermod, qui a fait appel à la justice pour annuler le suicide assisté par Exit de son frère en 2016, a fondé l’association Stop Dérives Suicide Assisté. Son but est de lutter contre cette pratique lorsqu’elle est « accordée prématurément à des personnes qui ne sont pas en fin de vie » et que le protocole actuel soit remis sur la table. Il raconte aussi son combat dans un livre, paru ce printemps aux éditions l’Harmattan : Je vais mourir mardi 18 (7).
D’autres s’interrogent sur la question de la capacité de discernement des personnes qui demandent le suicide assisté. Comme l’explique Anna Lietti, dans un article publié par Bon Pour La Tête, la capacité de discernement est un critère nécessaire pour accéder au suicide assisté. Pour cela les associations d’aide au suicide demandent un certificat médical au médecin traitant du demandeur, mais aucun diagnostic psychiatrique n’est obligatoire. Or les envies suicidaires sont l’expression typique de certains troubles psychiatriques comme la dépression ou la bipolarité, il semble donc aberrant que ces diagnostics ne soient pas explorés avant d’accepter la demande de suicide assisté (8).
Il reste donc un gros travail de réflexion à accomplir sur la place du suicide assisté dans notre société. Rappelons qu’il a été pensé, à l’origine, comme une alternative à l’acharnement thérapeutique. Où en est-on aujourd’hui ? Des personnes qui ne sont ni en fin de vie ni atteintes d’une maladie mortelle, comme Jacqueline Jencquel, prônent le droit au suicide assisté « de bilan », validant au passage l’idée que le suicide est l’aboutissement digne, courageux et romantique de toute une vie. Remettre la bienveillance au centre, repenser le bien-vieillir et redonner aux aîné.e.s la valeur et la place qu’ils méritent, sont plus que jamais urgents et nécessaires.

Définitions
  • Suicide assisté : fournir à une personne le moyen de mettre fin à ses jours. Il faut que la personne décide librement de mourir et qu’elle accomplisse elle-même le geste suicidaire. L’assistance au suicide n’est pas punissable, pour autant qu’elle ne réponde pas à un mobile égoïste (art 115 du Code pénal suisse).
  • L’euthanasie active directe : provoquer la mort d’un malade à sa demande pour lui épargner des souffrances. En Suisse, elle est interdite et punissable par la loi.
  • L’euthanasie active indirecte : soulager les souffrances du patient en ayant comme effet secondaire, possible ou prévisible, de hâter la mort. Elle est admise et pratiquée dans le monde entier.
  • L’euthanasie passive : arrêt d’un traitement vital lorsque celui-ci est refusé par le patient ou qu’il correspond à un fardeau disproportionné par rapport au but visé (acharnement thérapeutique). Cette forme d’euthanasie est légale.


Liens


Références
  1. Droit de mourir : un tabou français. Dossier tabou, M6, 22 mai 2019.
  2. Jones & Paton. How Does Legalization of Physician-Assisted Suicide Affect Rates of Suicide ? The Southern Medical Journal, 2015 : 108 (10)
  3. Statistiques des causes de décès 2014 : Suicide et suicide assisté en Suisse. Office fédéral de la statistique, 2016. Disponible sur le site de l’OFS : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante/mortalite-causes-deces/specifiques.assetdetail.3902306.html
  4. Preventing suicide : a resource for media professionals. Organisation mondiale de la santé, 2017. Disponible en anglais et en français : https://www.who.int/mental_health/suicide-prevention/resource_booklet_2017/en/
  5. Frei et. al. The Werther Effect and Assisted Suicide. Suicide and Life-Threatening Behavior, 2003 : 33(2), 192-200
  6. Michaud, L., Bonsack, C. Prévention du suicide. Rencontrer, évaluer, intervenir. Médecine et hygiène, Chêne-Bourg, 2017.
  7. Je vais mourir mardi 18. Le suicide assisté au paradis helvète. Claude Mermod, L’Harmattan, 2019
  8. Mon suicide lave plus blanc. Anna Lietti, Bon pour la Tête, 01.11.2017
https://blogs.letemps.ch/lisa-dubin/2019/06/20/le-suicide-assiste-et-sa-mediatisation-un-risque-pour-la-prevention