Festival d’Angoulême : Comment la BD s’est emparée des maladies psychiques
LVIRES A l’occasion du 47e festival d’Angoulême, « 20 Minutes » s’est penché sur l’intérêt récent des auteurs et autrices de BD pour dessiner et décrire les maladies psychiques
Oihana Gabriel
20minutes.fr*
Illustration du festival d'Angoulême qui s'ouvre le jeudi 30 janvier 2020.
Illustration du festival d'Angoulême qui s'ouvre le jeudi 30 janvier 2020. — AFP
  • Comment parler de la dépression avec légèreté ? Des troubles bipolaires avec clarté et délicatesse ? La BD semble être devenue un outil particulièrement propice pour dessiner les contours de ces maladies psychiques méconnues et qui font peur.
  • Depuis quelques années, et particulièrement ces derniers mois, on a vu fleurir, dans les librairies, des romans graphiques et des BD qui abordent ces troubles de l’esprit.
  • Ils participent au fait que ces maladies, que les patients comme leurs proches ont du mal à aborder, ne soient plus un tabou.
C’est comme ça que je disparais*. La nouvelle bande dessinée de Mirion Malle, parue le 17 janvier, aborde une maladie aussi mystérieuse que stigmatisante : la dépression. Et elle n’est pas la seule à s’intéresser aux troubles de l’esprit. A l’occasion du festival d’Angoulême (qui avait d’ailleurs décerné en 2019 son prix Fauve Révélation à Ted, drôle de coco, sur l’autisme), 20 Minutes a plongé dans les maladies psychiques vues par le 9e art.
Car loin des clichés d’une BD cantonnée aux sujets légers, on a vu fleurir ces dernières années des ouvrages qui mettent en bulles les troubles bipolaires (Goupil ou face**), la dépression (Chute libre***, Tout va bien**** et Je vais mieux, merci*****), la schizophrénie (Ces jours qui disparaissent******), ou encore les addictions avec les planches quotidiennes de Lisa Mandel sur Instagram. « C’est sûr qu’il y a de plus en plus de BD sur les maladies psychiques », confirme Alan, vendeur à Bulles de salon, librairie de BD à Paris. Un intérêt particulièrement bénéfique pour les patients et leur entourage.
Couverture de la dernière BD sortie sur la dépression: C'est comme ça que je disparais de Mirion Malle.
Couverture de la dernière BD sortie sur la dépression: C'est comme ça que je disparais de Mirion Malle. - Mirion Malle/ La ville brûle

Lever un tabou
Parler de ces maladies, qui en général ne se devinent pas et ne préviennent pas de leur arrivée, c’est bien sûr faire tomber un tabou. Si nombre de films, romans, pièces de théâtre mettent en lumière ces maux répandus, dont on parle de plus en plus, le 9e art présente une large palette d’atouts.
« Ce n’est pas la BD qui vient sortir la maladie psychiatrique de l’ignorance, mais elle y participe et se montre très compétente », introduit Grégoire Seguin, éditeur de Mademoiselle Caroline (Chute libre).
Planche de la BD sur la dépression Chute Libre, de Mademoiselle Caroline.
Planche de la BD sur la dépression Chute Libre, de Mademoiselle Caroline. - Mademoiselle Caroline / Delcourt
Chaque ouvrage apporte sa pierre pour améliorer la compréhension de ces maux. Mirion Malle décrit ainsi le manque d’envie, la fatigue omniprésente, l’isolement de Clara qui traverse un épisode dépressif. Lisa Mandel, qui s’attelle à combattre ses addictions, raconte ses découvertes inattendues : « Je pensais me libérer de toutes mes addictions, tabac, alcool, sucre, jeux. En fait, j’ai développé une nouvelle addiction aux réseaux sociaux », soupire l’autrice.
Souvent ludiques, concis, poignants, ces récits, autobiographiques ou de fiction, permettent aux patients de se renseigner via un média plus accessible qu’un essai de 500 pages. « D’autant que les troubles bipolaires interviennent souvent à la fin de l’adolescence », rappelle Jean-Michel Delile, psychiatre. Une période où la BD est un loisir répandu, quel que soit le milieu socioculturel.
Par ailleurs, par le dessin, on peut décrire et transmettre énormément d’émotions. « Il est plus facile de décrire ce qu’un patient imagine ou éprouve avec des dessins qu’avec des mots », appuie Alan, le vendeur de BD.

Lutter contre les clichés

Les lecteurs peuvent s’identifier facilement à ces femmes et hommes, et rompre ainsi leur isolement, caractéristique des maladies psychiques. « Goupil ou Face, c’est robuste au plan scientifique et élégant sur le plan artistique, salue Jean-Michel Delile. Et cela décrit bien comment s’aider soi-même… et se faire aider. De temps en temps, des patients nous apportent des BD qui ont pu les aider parce que ça leur rappelait leur situation, mais de manière positive, avec une issue. »
Un point primordial pour Mirion Malle. « Dès le début, je n’avais pas envie de parler de suicide, mais de faire une fiction sur le quotidien, montrer que l’intensité de la dépression ne mène pas toujours à la chute. » Pour Lisa Mandel, ces ouvrages « montrent qu’on peut travailler, avoir une famille et être atteint d’une maladie psychique. Avant, on était un peu condamné… »
« Un des problèmes majeurs des personnes qui souffrent de troubles psychiatriques, quels qu’ils soient, c’est qu’elles n’identifient pas le problème comme étant une maladie, mais une tare personnelle, complète le psychiatre. Ce genre de BD peut aider à sortir de ce cliché. » En plus de déculpabiliser, cela signifie qu’on peut combattre la maladie. « C’est parfaitement en harmonie avec ce qu’on développe en psychiatrie : une coconstruction pour que les personnes soient les acteurs de leur traitement », se félicite Jean-Michel Delille.
Souligner les difficultés
Ces récits dessinés peuvent également aider les proches, souvent démunis et maladroits, à mieux comprendre ces troubles. « Je voulais insister sur les difficultés qu’on rencontre avec ses proches, sans manichéisme, avoue Mirion Malle. Comme on ne parle pas de ces maladies, on ne sait pas en parler. » Et le psychiatre de confirmer que l’entourage n’est pas toujours une aide. « Quand on dit "c’est une question de volonté", cela ne fait qu’empirer les choses… »
Planche de la BD sur la dépression C'est comme ça que je disparais.
Planche de la BD sur la dépression C'est comme ça que je disparais. - Mirion Malle/ La ville brûle
Mirion Malle insiste aussi sur son souhait de pointer les difficultés du milieu psychiatrique aujourd’hui. « Pour se soigner, ce n’est pas qu’une question de volonté, il y a un coût et les listes d’attente sont longues… Etre en dépression, c’est aussi handicapant que de se briser la jambe, mais on n’est pas pris au sérieux ! Je ne dis pas que la BD va faire changer le système. Mais en parlant sur les réseaux sociaux, dans les films, dans les BD, j’espère que ce manque de moyens va être pointé du doigt. »
Cet intérêt récent du 9e art s’inscrit dans un phénomène plus global. Loin de l’image caricaturale d’un art mineur réservé aux plus jeunes, la bande dessinée s’impose de plus en plus comme incontournable pour comprendre notre société. « Depuis quelques années, la bande dessinée s’est emparée du réel et se penche sur des préoccupations sociétales (santé, migrants…), qui étaient auparavant réservées au journalisme ou au documentaire », analyse Lisa Mandel. Une tendance que confirme Grégoire Seguin, éditeur : « la BD n’était pas considérée comme un élément pédagogique, alors qu’elle a toujours été utilisée pour cela, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Un bon croquis vaut mieux qu’un long discours ! On n’en est qu’au début de l’exploitation de cette vertu… »
* C’est comme ça que je disparais, Mirion Malle, La ville Brûle, janvier 2020.
** Goupil ou Face, de Lou Lubie, Warum Editions, 2016
*** Chute libre, carnet du gouffre, de Mademoiselle Caroline, Delcourt, 2013
**** Tout va bien, de Charlie Genmor, Delcourt Mars 2019
***** Je vais mieux, merci, vaincre la dépression, édition Tchou juin 2018
****** Ces jours qui disparaissent, Timothée Le Boucher, Glénat, 2017.