Actualités Santé ; Santé publique
Addictions, dépression : les étudiants en psychiatrie particulièrement touchés
Le Figaro.fr
Santé, vendredi 29 juin 2018
Terrien, Sarah
Selon
une nouvelle étude, de tous les internes en médecine, ceux de
psychiatrie consommeraient le plus d’alcool, de tabac et de drogues.
Les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés. Et les futurs
psychiatres ne semblent pas échapper à l’adage. Selon une étude
Française récemment publiée dans le Journal of Affective Disorders ,
les internes en psychiatrie seraient plus nombreux à fumer, à boire de
l’alcool, à consommer des drogues ou encore à prendre des antidépresseurs et des anxiolytiques
que leurs jeunes collègues des autres spécialités. Comble de l’ironie:
de tous les internes en médecine, ce sont eux qui fréquentent le plus
les cabinets de psychiatres.
Pour en arriver à ces conclusions, les auteurs de l’étude - des psychiatres et spécialistes en santé publique Français - ont fait remplir des questionnaires anonymes sur internet à plus de 2000 internes de toute la France métropolitaine entre décembre 2016 et mai 2017. Les chercheurs se sont intéressés à quatre spécialités: la chirurgie, l’anesthésie-réanimation, la médecine générale et la psychiatrie. Pour cette dernière spécialité, l’internat dure quatre ans, de la septième à la dixième année d’étude.
Prise de drogues et d’alcool
«C’est une très bonne chose d’avoir enfin des chiffres en France», s’enthousiasme Yannick Morvan, psychologue à l’hôpital Saint-Anne (Paris) et membre de l’Observatoire Nationale de la Vie Étudiante (OVE). Mais ceux-ci ne sont pas très rassurants. Amphétamines, LSD, champignons hallucinogènes...Les jeunes psychiatres interrogés sont plus nombreux que les étudiants des autres spécialités à avoir expérimenté de façon plus ou moins occasionnelle l’une ou l’autre de ces substances. La tendance est particulièrement marquée pour l’ecstasy: 24% en consommeraient occasionnellement ou régulièrement. C’est un plus que leurs confrères (17% sont dans ce cas) et trois fois plus que chez les 26-34 ans, selon une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies de 2014.
En outre, une part non négligeable des futurs psychiatres interrogés s’est déclarée dépendante au cannabis (12%). Un chiffre divisé par deux pour les autres spécialités. Quant à l’alcool, 40% en ont une consommation inquiétante.
À ces consommations à risque s’ajoute une santé mentale plus fragile. Ainsi, un tiers des étudiants en psychiatrie interrogé a indiqué avoir consulté un psychiatre. Une part plus de deux fois supérieure à celle de leurs jeunes confrères. Et ces prises en charge s’accompagnent d’une plus forte consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
Reste que la psychiatre est un milieu particulièrement hostile. «Cette spécialité expose à davantage de violences physiques et sexuelles, et c’est la seule où l’on enferme des patients, poursuit Guillaume Fond. Autre argument avancé par le psychiatre: la psychiatrie attirerait davantage d’étudiants avec des vulnérabilités psychiques. «Certains ne choisissent pas cette spécialité par hasard», souligne-t-il. Une hypothèse remise en question par une étude franco-britannique publiée en 2013, qui a montré qu’il n’y avait pas de différence d’état psychologique entre les étudiants avant le choix de la spécialité.
Enfin, le Dr Fond suggère que «la fréquence plus importante de consultations et de consommations d’antidépresseurs pourrait être le reflet d’une meilleure connaissance des problèmes psychiques et d’un auto diagnostic conduisant à une prise en charge».
Selon deux études récentes, l’une du Conseil National de l’Ordre des Médecins et l’autre publiée dans leJournal of the American Medical Association , un peu plus d’un quart des étudiants en médecines et des jeunes médecins souffrent de dépression dans le monde. «Ce type d’études est salutaire car il contribue à établir un état des lieux de la santé des soignants auquel on a difficilement accès», reconnaît le Dr Loeb. Et ces données reflètent un malaise bien visible qui n’est pas seulement propre à la psychiatrie. «Il y a un suicide au moins tous les deux mois chez les jeunes médecins, s’inquiète Guillaume Fond. Et on sait que ces gestes sont la conséquence de conditions de travail difficiles comme des privations de sommeil, des rythmes de travail intenses ou encore des humiliations», poursuit-il.
À l’avenir, le médecin prévoit de mener de nouvelles investigations où il s’intéressera à la santé mentale d’un plus grand nombre d’étudiants, pas seulement en médecine. Des données indispensables pour confirmer et compléter les résultats de cette étude préliminaire.
Pour en arriver à ces conclusions, les auteurs de l’étude - des psychiatres et spécialistes en santé publique Français - ont fait remplir des questionnaires anonymes sur internet à plus de 2000 internes de toute la France métropolitaine entre décembre 2016 et mai 2017. Les chercheurs se sont intéressés à quatre spécialités: la chirurgie, l’anesthésie-réanimation, la médecine générale et la psychiatrie. Pour cette dernière spécialité, l’internat dure quatre ans, de la septième à la dixième année d’étude.
«C’est une très bonne chose d’avoir enfin des chiffres en France», s’enthousiasme Yannick Morvan, psychologue à l’hôpital Saint-Anne (Paris) et membre de l’Observatoire Nationale de la Vie Étudiante (OVE). Mais ceux-ci ne sont pas très rassurants. Amphétamines, LSD, champignons hallucinogènes...Les jeunes psychiatres interrogés sont plus nombreux que les étudiants des autres spécialités à avoir expérimenté de façon plus ou moins occasionnelle l’une ou l’autre de ces substances. La tendance est particulièrement marquée pour l’ecstasy: 24% en consommeraient occasionnellement ou régulièrement. C’est un plus que leurs confrères (17% sont dans ce cas) et trois fois plus que chez les 26-34 ans, selon une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies de 2014.
En outre, une part non négligeable des futurs psychiatres interrogés s’est déclarée dépendante au cannabis (12%). Un chiffre divisé par deux pour les autres spécialités. Quant à l’alcool, 40% en ont une consommation inquiétante.
À ces consommations à risque s’ajoute une santé mentale plus fragile. Ainsi, un tiers des étudiants en psychiatrie interrogé a indiqué avoir consulté un psychiatre. Une part plus de deux fois supérieure à celle de leurs jeunes confrères. Et ces prises en charge s’accompagnent d’une plus forte consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
Des explications diverses
La pression, les responsabilités, le stress ou encore les difficultés liées au manque de moyens dans les établissements de santé expliquent en partie ces résultats. Mais pour les auteurs de l’étude, ils sont tout de même surprenants. «Je ne m’attendais pas à ce que les internes en psychiatrie soient en moins bonne santé mentale que leurs confrères, explique le Dr Guillaume Fond, psychiatre et premier auteur de l’étude. Ils sont moins directement confrontés à la mort que les réanimateurs par exemple ou moins exposés à la fatigue que certains chirurgiens. Et ils devraient être théoriquement plus outillés pour faire face aux situations de stress».Reste que la psychiatre est un milieu particulièrement hostile. «Cette spécialité expose à davantage de violences physiques et sexuelles, et c’est la seule où l’on enferme des patients, poursuit Guillaume Fond. Autre argument avancé par le psychiatre: la psychiatrie attirerait davantage d’étudiants avec des vulnérabilités psychiques. «Certains ne choisissent pas cette spécialité par hasard», souligne-t-il. Une hypothèse remise en question par une étude franco-britannique publiée en 2013, qui a montré qu’il n’y avait pas de différence d’état psychologique entre les étudiants avant le choix de la spécialité.
Enfin, le Dr Fond suggère que «la fréquence plus importante de consultations et de consommations d’antidépresseurs pourrait être le reflet d’une meilleure connaissance des problèmes psychiques et d’un auto diagnostic conduisant à une prise en charge».
Un malaise qui n’est pas propre à la psychiatrie
Cette première étude n’a pas pour objectif de figer ou de stigmatiser la situation des internes en psychiatrie. D’autant que, d’après le Dr Emanuel Loeb, psychiatre à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre à Paris, «il y a probablement un sous-diagnostic des consommations abusives et des troubles dépressifs dans les autres spécialités et, à l’inverse, un surdiagnostic en psychiatrie».Selon deux études récentes, l’une du Conseil National de l’Ordre des Médecins et l’autre publiée dans leJournal of the American Medical Association , un peu plus d’un quart des étudiants en médecines et des jeunes médecins souffrent de dépression dans le monde. «Ce type d’études est salutaire car il contribue à établir un état des lieux de la santé des soignants auquel on a difficilement accès», reconnaît le Dr Loeb. Et ces données reflètent un malaise bien visible qui n’est pas seulement propre à la psychiatrie. «Il y a un suicide au moins tous les deux mois chez les jeunes médecins, s’inquiète Guillaume Fond. Et on sait que ces gestes sont la conséquence de conditions de travail difficiles comme des privations de sommeil, des rythmes de travail intenses ou encore des humiliations», poursuit-il.
À l’avenir, le médecin prévoit de mener de nouvelles investigations où il s’intéressera à la santé mentale d’un plus grand nombre d’étudiants, pas seulement en médecine. Des données indispensables pour confirmer et compléter les résultats de cette étude préliminaire.
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Suicides des jeunes médecins : la liste s’allonge encore - Medscape - 28 juin 2018.
Jean-Bernard Gervais Auteurs et déclarations
28 juin 2018
France – Deux nouveaux suicides rappellent que le mal-être des tout jeunes médecins, internes ou pendant leurs premières années d’exercice, reste un problème prégnant. Après l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), c’est au tour de l'Intersyndicat national des chefs de clinique et assistants (ISNCAA) d’interpeller les Autorités. Mais les réponses du ministère tardent à venir.
Immense tristesse
« C’est avec une immense tristesse que l’ISNCCA a appris le décès par suicide d’un jeune assistant orthopédiste qui exerçait au CH de Castres » pouvait-on lire le 20 juin dernier dans un communiqué daté du 20 juin dernier. Et l'Intersyndicat national des chefs de clinique et assistants (ISNCAA) de poursuivre : « Ce décès brutal vient malheureusement s’ajouter à celui d’une jeune gynécologue oncologue exerçant au Centre de Lutte Contre le Cancer (CLCC) Paul Strauss à Strasbourg il y a moins d’une dizaine de jours ». Et, en effet, le 8 juin dernier, le Dr Stéphanie Jost, chirurgienne se donnait la mort dans son bureau à l'âge de 34 ans. Les raisons de ces suicides ne sont pour l'heure pas connues. Il n'empêche : pour l'ISNCAA, « il n’est plus possible de voir s’égrainer de telles tragédies sans s’assurer que tous les facteurs précipitants n’ont pu être évités. Parmi ceux-ci, on retrouve entre autres la fatigue accumulée, le manque de soutien de la hiérarchie et un encadrement insuffisant. De plus, en participant à l’enquête santé mentale des Jeunes Médecins, l’ISNCCA a montré que cette population était particulièrement vulnérable avec notamment la présence d’une symptomatologie dépressive avec idéation suicidaire chez près de 25% des interrogés ».
Il n’est plus possible de voir s’égrainer de telles tragédies sans s’assurer que tous les facteurs précipitants n’ont pu être évités ISNCCA
Echec collectif
Ces deux suicides récents ne sont pas sans rappeler la « vague » de décès en 2017 chez les internes. L'Isni comptabilisait une dizaine d'internes qui se seraient supprimés entre janvier 2017 et janvier 2018. A cela il faut ajouter des morts inexpliquées, comme le titrait Libération fin janvier. En décembre, un interne s'endort au volant de sa voiture, sur l'autoroute, après une garde difficile. En janvier, un interne de médecine générale succombe à une crise cardiaque dans un service de gériatrie à Strasbourg.
L’un de ces suicides, celui de Marine, jeune interne en dermatologie, avait d’ailleurs conduit l'Isni à adresser une lettre ouverte à la ministre de la santé, Agnès Buzyn. « Le suicide de Marine, dernier d’une trop longue série ne fait que révéler une fois de plus, chaque fois de trop, l’échec de notre rôle de protection », déplorait le syndicat. En regrettant l'échec "collectif" du système de prévention : « Cet échec collectif est celui du système de prévention qui ne fonctionne pas suffisamment, celui de l’administration qui n’a pas les ressources pour maintenir des conditions de travail humainement tenables, celui de la grande famille de la santé dont les membres, déjà tous à bout, n’ont pas su ou pu percevoir la souffrance à temps ». Et l’Isni d’ébaucher un plan de prévention pour prévenir tout nouveau drame : « Nous devons instiller l’idée que le bien-être est possible dans notre exercice [...] Nous devons anticiper les risques avant que le mal-être ne survienne [...] Nous devons contrôler les abus sur le temps de travail, tant dans sa qualité que sa quantité [...] Nous devons repérer les premiers signes de mal-être ».
Un constat mais quelles initiatives ?
Comme pour circonscrire le mal, les études, enquêtes sur le sujet s'accumulent. En 2017, quatre syndicats de jeunes médecins (ANEMF, ISNI, ISNAR-IMG et ISNCCA) rendaient publique une étude sur leurs conditions de travail aux résultats consternants : 27,7% des répondants souffrent de dépression et 23,7% ont des idées suicidaires.
https://francais.medscape.com/voirarticle/3604248?nlid=123539_2401&src=WNL_mdplsnews_180702_MSCPEDIT_FR&uac=216098SN&faf=1
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Une étude du professeur Donata Marra sur la qualité de vie des étudiants en santé avait, quant à elle, confirmé que « le secteur de la santé et de l’action sociale présente le taux de mortalité par suicide le plus élevé (34,3/100000) » et fait état de prise d'initiatives pour prévenir le suicide chez les jeunes médecins comme la mise en place d’un dispositif d’écoute et d’aide à l’adressage pour une prise en charge pour les internes en difficulté (SOS SHIPS).
Tout dernièrement, le ministère de la santé a édicté un plan d'actions pour le bien-être des étudiants en santé. Qu’il faudrait, semble-t-il, élargir aux jeunes professionnels de santé en poste…
Même malaise outre-Atlantique
Une étude présentée au congrès annuel de l'American psychiatric association révélait que les Etats-Unis enregistrent un suicide de médecin par jour. Avec un nombre de suicides de 28 à 40 pour 100 000 habitants, le taux de suicide chez les médecins est le double de celui de la population générale. 12% des hommes médecins seraient dépressifs et 19,5% des femmes médecins. Chez les étudiants en médecine, la dépression concernerait entre 15% et 30% d'entre eux. Voir aussi Dépression, comportements autodestructeurs et suicide des médecins : témoignages
Liens
Tentative de suicide d'un médecin au CHU de Besançon
Dépression : un quart des étudiants en médecine laissés en souffrance
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HISTORIQUE DU POST
Dr Sayaka Oguchi :« Les professions de soins ne savent pas demander d’aide ! »
Publiée le 15/03/2018 par Sophie Cousin
Elue présidente du Syndicat national
des jeunes médecins généralistes en décembre dernier, le Dr Oguchi
raconte à Remede ses études de médecine, son ressenti en tant que jeune
femme médecin, sa spécialisation complémentaire en acupuncture et
médecine chinoise et son engagement syndical. Et revient sur la vague de
suicides qui a frappé les étudiants en santé ces derniers mois.
Comment s’est passé votre choix de la médecine ?
J’ai grandi à Maison-Alfort (94) et j’avais un médecin de famille que j’appréciais beaucoup, un ancien anesthésiste devenu généraliste… Un parcours atypique ! Il avait une relation très humaine avec ses patients et de grandes compétences techniques. On pouvait parler de tout avec lui, sans se poser de questions. Dès le collège, j’ai su que je voulais faire médecine. J’ai choisi la filière scientifique et j’ai avancé pendant tout mon cursus avec cet objectif. Je ne me suis pas laissée décourager par certains professeurs qui me disaient « ce sont des études longues et difficiles, tu es sûre ? ». C’est parfois dur de garder le cap dans ces conditions ! Heureusement, dans ma famille, j’ai été très encouragée.
Quel ressenti gardez-vous de vos études de médecine ?
Il y a une énorme pression, liée au concours. Suivant les facultés, la première année n’est pas du tout la même. A la fac de Créteil, il y avait un corporatisme assez fort des anciens, qui avaient à cœur qu’il n’y ait pas de différences de traitement entre les primants et les doublants. Il était par exemple interdit aux doublants de saccager un cours, comme cela existe malheureusement dans certaines facs… J’ai eu la chance de rencontrer des personnes avec qui nous avons pu travailler en équipe et nous motiver pour continuer à apprendre.
Est-ce que le fait d’être une jeune femme vous a pesé lors de vos études ?
J’ai subi quelques réflexions déplacées de certaines personnes, comme toutes les femmes travaillant dans le milieu médical ! Un exemple : quand j’étais externe en chirurgie plastique, on m’a proposé une chirurgie mammaire à bas prix ! Mais sinon, globalement, être une femme ne m’a pas posé de problème, sûrement en raison de la personne que je suis. Je pense que j’ai un sacré caractère (rires) ! Je répondais du tac au tac et je coupais court très vite aux remarques. Ensuite, on me laissait tranquille …
Au SNJMG, comment concevez-vous la lutte contre le sexisme au cours des études de santé ?
D’abord, il faut faire attention à ne pas trop généraliser ces comportements. Et bien garder à l’esprit que ces réflexions parfois très crues s’expliquent en partie par les situations souvent très difficiles que doivent affronter les étudiants lors de leurs stages. Cette manière de s’exprimer peut choquer certaines personnes. Je pense que les professionnels de santé doivent d’abord apprendre à respecter la personne qui se trouve en face d’eux : si elle a l’air gênée, il faut savoir changer de registre ! Lors des prochaines assises du SNJMG, l’association « Pour une Meuf » organise un atelier pour identifier ce qui pose problème dans la relation médecin/patient, et comment modifier la façon de se comporter.
Vous avez un DU en Médecine traditionnelle chinoise et un DIU d’acupuncture : pourquoi cette spécialisation complémentaire et avez-vous cette pratique aujourd’hui ?
Dans l’histoire de la médecine chinoise, la prévention est première. A une époque, le médecin chinois était payé quand ses patients allaient bien et ne l’était pas quand ses patients étaient malades… Dans mes stages, je me suis vite rendue compte que la prévention n’était pas assez présente dans notre système, qui consiste à prendre en charge la personne une fois malade. Là où je me suis installée (dans le Val-de-Marne), il y avait un besoin urgent de médecins généralistes et, pour le moment, je n’ai pas de pratique en acupuncture mais j’essaie d’accompagner mes patients vers une réflexion de prévention globale sur ce qu’ils mangent, leur sommeil, etc… Lorsque j’aurai plus de temps, je souhaite bien sûr développer cette pratique.
Vous êtes présidente du SNJMG depuis décembre dernier : depuis quand et pourquoi avez-vous un engagement syndical ? Comment conciliez-vous cela avec votre pratique médicale ?
J’étais déjà au SNJMG en tant qu’interne. J’aimais bien les idées de ce syndicat, très indépendant et proche des jeunes. Au fur et à mesure, le syndicat m’a proposé de participer à ses réflexions et petit-à-petit, j’ai mis un pied dans le bureau. Nous avons un bureau 100% féminin, avec néanmoins des attachés masculins (rires). Je ne sais pas encore trop ce qu’on évoque sous le mot syndicalisme. J’avais juste à cœur de comprendre pourquoi le système avait évolué ainsi et si l’on pouvait agir pour qu’il s’améliore ou ne se détériore pas. Et aussi de pouvoir soutenir d’une manière ou d’une autre les étudiants et collègues pour fluidifier la vie d’un jeune médecin généraliste. La conciliation n’est pas simple mais possible, je suis à trois-quart de temps sur mon cabinet avec une remplaçante et il est vrai qu’en tant que présidente, j’ai beaucoup de réunions. Je garde du temps personnel car, comme le disaient mes profs de secourisme, un bon secouriste est avant tout un secouriste vivant ! Si je le transpose à mon métier, un bon médecin généraliste est un médecin capable de voir ses limites physiques, psychiques et d’entretenir l’amour de son métier tel qu’il le conçoit.
Quelles sont les analyses et réflexions menées au sein du SNJMG concernant la récente vague de suicides parmi les étudiants en médecine ?
Le risque psycho-social est plus élevé parmi les étudiants en médecine que chez les autres étudiants. A l’hôpital, le rôle dévolu aux internes est parfois trop flou et la pression trop élevée. Avec en toile de fond des injonctions contradictoires : on demande aux internes de continuer à apprendre, mais aussi d’être déjà responsables des patients et donc de ne pas faire d’erreurs ! Par ailleurs, je pense que dans les professions de soins en général, nous ne savons pas demander d’aide. Dans ma propre expérience, j’ai eu des moments extrêmement difficiles à traverser, comme par exemple, lors mon premier stage d’interne aux urgences, la prise en charge d’une patiente cancéreuse en palliatif décompensant au niveau digestif avec une suspicion d’occlusion. Sur le plan technique, je savais gérer mais humainement ça a été difficile d’expliquer à la famille et d’être à l’écoute alors qu’à côté, nous étions submergés par le travail nécessaire pour les autres patients. Si je n’avais pas eu un bon entourage, je n’aurais pas forcément réussi à tenir. Quand vous êtes à 100% dans le travail et que vous n’avez même plus le temps de voir des amis, cela devient inquiétant… Nous n’avons aucune formation là-dessus lors de nos études. Au contraire, la faculté dans son ensemble et nos enseignants en particulier, nous renvoient cette impression que nous devons être parfaits !
Comment remédier à cette situation ?
Il faudrait des formations sur la gestion du stress, qui ne soient pas gérées par la faculté mais par des structures plus neutres, car il arrive que les étudiants aient des difficultés relationnelles au sein de leur propre faculté. En tant qu’interne, dans toute ma scolarité, j’ai vu une seule fois un médecin du travail ! Il faudrait que ces consultations soient plus fréquentes car les médecins du travail ont l’œil pour détecter si un interne va mal. Tous les 6 mois, les internes changent de stage, il faudrait voir comment mettre en place ces consultations.
Quelles sont vos autres priorités en tant que présidente du SNJMG ?
Comment passer les dix prochaines années avec si peu de médecins généralistes et maintenir une qualité d’accès aux soins ? C’est ma première préoccupation. Il faut mener une réflexion globale sur cette question car les déserts médicaux sont d’abord des déserts économiques et sociaux. Une réflexion en amont doit être menée dans les territoires et les professionnels de santé de terrain doivent avoir les moyens de faire émerger les solutions adéquates. Autre priorité : nous attendons les décrets d’application qui débloqueront la situation des étudiants privés de thèse. Cela concerne les étudiants formés avant la réforme de l’internat en 2004 et qui ont fait un résidanat. Avec la suppression du résidanat, certains n’ont pas eu le temps de passer leur thèse et aujourd’hui, ils ne peuvent pas exercer la médecine ! Ils sont environ 120 à avoir demandé qu’on les aide à régulariser leur situation, mais sont sûrement plus nombreux.
Bio express- novembre 2017 : installation en tant que médecin généraliste dans le Val-de-Marne, après 4 ans de remplacements
- 2009-2017 : troisième cycle des études médicales
- 2015 : soutenance de thèse « Etude observationnelle rétrospective sur la poursuite à un an des traitements anticholinestérasiques prescrits par les gériatres en HDJ diagnostique de l’hôpital Albert Chenevier et Emile Roux dans le Val de Marne »
- 2014-2015 : DIU d’acupuncture et douleur à la faculté René Descartes
- 2010-2011 équivalent Master 1 Biologie santé
J’ai grandi à Maison-Alfort (94) et j’avais un médecin de famille que j’appréciais beaucoup, un ancien anesthésiste devenu généraliste… Un parcours atypique ! Il avait une relation très humaine avec ses patients et de grandes compétences techniques. On pouvait parler de tout avec lui, sans se poser de questions. Dès le collège, j’ai su que je voulais faire médecine. J’ai choisi la filière scientifique et j’ai avancé pendant tout mon cursus avec cet objectif. Je ne me suis pas laissée décourager par certains professeurs qui me disaient « ce sont des études longues et difficiles, tu es sûre ? ». C’est parfois dur de garder le cap dans ces conditions ! Heureusement, dans ma famille, j’ai été très encouragée.
Quel ressenti gardez-vous de vos études de médecine ?
Il y a une énorme pression, liée au concours. Suivant les facultés, la première année n’est pas du tout la même. A la fac de Créteil, il y avait un corporatisme assez fort des anciens, qui avaient à cœur qu’il n’y ait pas de différences de traitement entre les primants et les doublants. Il était par exemple interdit aux doublants de saccager un cours, comme cela existe malheureusement dans certaines facs… J’ai eu la chance de rencontrer des personnes avec qui nous avons pu travailler en équipe et nous motiver pour continuer à apprendre.
Est-ce que le fait d’être une jeune femme vous a pesé lors de vos études ?
J’ai subi quelques réflexions déplacées de certaines personnes, comme toutes les femmes travaillant dans le milieu médical ! Un exemple : quand j’étais externe en chirurgie plastique, on m’a proposé une chirurgie mammaire à bas prix ! Mais sinon, globalement, être une femme ne m’a pas posé de problème, sûrement en raison de la personne que je suis. Je pense que j’ai un sacré caractère (rires) ! Je répondais du tac au tac et je coupais court très vite aux remarques. Ensuite, on me laissait tranquille …
Au SNJMG, comment concevez-vous la lutte contre le sexisme au cours des études de santé ?
D’abord, il faut faire attention à ne pas trop généraliser ces comportements. Et bien garder à l’esprit que ces réflexions parfois très crues s’expliquent en partie par les situations souvent très difficiles que doivent affronter les étudiants lors de leurs stages. Cette manière de s’exprimer peut choquer certaines personnes. Je pense que les professionnels de santé doivent d’abord apprendre à respecter la personne qui se trouve en face d’eux : si elle a l’air gênée, il faut savoir changer de registre ! Lors des prochaines assises du SNJMG, l’association « Pour une Meuf » organise un atelier pour identifier ce qui pose problème dans la relation médecin/patient, et comment modifier la façon de se comporter.
Vous avez un DU en Médecine traditionnelle chinoise et un DIU d’acupuncture : pourquoi cette spécialisation complémentaire et avez-vous cette pratique aujourd’hui ?
Dans l’histoire de la médecine chinoise, la prévention est première. A une époque, le médecin chinois était payé quand ses patients allaient bien et ne l’était pas quand ses patients étaient malades… Dans mes stages, je me suis vite rendue compte que la prévention n’était pas assez présente dans notre système, qui consiste à prendre en charge la personne une fois malade. Là où je me suis installée (dans le Val-de-Marne), il y avait un besoin urgent de médecins généralistes et, pour le moment, je n’ai pas de pratique en acupuncture mais j’essaie d’accompagner mes patients vers une réflexion de prévention globale sur ce qu’ils mangent, leur sommeil, etc… Lorsque j’aurai plus de temps, je souhaite bien sûr développer cette pratique.
Vous êtes présidente du SNJMG depuis décembre dernier : depuis quand et pourquoi avez-vous un engagement syndical ? Comment conciliez-vous cela avec votre pratique médicale ?
J’étais déjà au SNJMG en tant qu’interne. J’aimais bien les idées de ce syndicat, très indépendant et proche des jeunes. Au fur et à mesure, le syndicat m’a proposé de participer à ses réflexions et petit-à-petit, j’ai mis un pied dans le bureau. Nous avons un bureau 100% féminin, avec néanmoins des attachés masculins (rires). Je ne sais pas encore trop ce qu’on évoque sous le mot syndicalisme. J’avais juste à cœur de comprendre pourquoi le système avait évolué ainsi et si l’on pouvait agir pour qu’il s’améliore ou ne se détériore pas. Et aussi de pouvoir soutenir d’une manière ou d’une autre les étudiants et collègues pour fluidifier la vie d’un jeune médecin généraliste. La conciliation n’est pas simple mais possible, je suis à trois-quart de temps sur mon cabinet avec une remplaçante et il est vrai qu’en tant que présidente, j’ai beaucoup de réunions. Je garde du temps personnel car, comme le disaient mes profs de secourisme, un bon secouriste est avant tout un secouriste vivant ! Si je le transpose à mon métier, un bon médecin généraliste est un médecin capable de voir ses limites physiques, psychiques et d’entretenir l’amour de son métier tel qu’il le conçoit.
Quelles sont les analyses et réflexions menées au sein du SNJMG concernant la récente vague de suicides parmi les étudiants en médecine ?
Le risque psycho-social est plus élevé parmi les étudiants en médecine que chez les autres étudiants. A l’hôpital, le rôle dévolu aux internes est parfois trop flou et la pression trop élevée. Avec en toile de fond des injonctions contradictoires : on demande aux internes de continuer à apprendre, mais aussi d’être déjà responsables des patients et donc de ne pas faire d’erreurs ! Par ailleurs, je pense que dans les professions de soins en général, nous ne savons pas demander d’aide. Dans ma propre expérience, j’ai eu des moments extrêmement difficiles à traverser, comme par exemple, lors mon premier stage d’interne aux urgences, la prise en charge d’une patiente cancéreuse en palliatif décompensant au niveau digestif avec une suspicion d’occlusion. Sur le plan technique, je savais gérer mais humainement ça a été difficile d’expliquer à la famille et d’être à l’écoute alors qu’à côté, nous étions submergés par le travail nécessaire pour les autres patients. Si je n’avais pas eu un bon entourage, je n’aurais pas forcément réussi à tenir. Quand vous êtes à 100% dans le travail et que vous n’avez même plus le temps de voir des amis, cela devient inquiétant… Nous n’avons aucune formation là-dessus lors de nos études. Au contraire, la faculté dans son ensemble et nos enseignants en particulier, nous renvoient cette impression que nous devons être parfaits !
Comment remédier à cette situation ?
Il faudrait des formations sur la gestion du stress, qui ne soient pas gérées par la faculté mais par des structures plus neutres, car il arrive que les étudiants aient des difficultés relationnelles au sein de leur propre faculté. En tant qu’interne, dans toute ma scolarité, j’ai vu une seule fois un médecin du travail ! Il faudrait que ces consultations soient plus fréquentes car les médecins du travail ont l’œil pour détecter si un interne va mal. Tous les 6 mois, les internes changent de stage, il faudrait voir comment mettre en place ces consultations.
Quelles sont vos autres priorités en tant que présidente du SNJMG ?
Comment passer les dix prochaines années avec si peu de médecins généralistes et maintenir une qualité d’accès aux soins ? C’est ma première préoccupation. Il faut mener une réflexion globale sur cette question car les déserts médicaux sont d’abord des déserts économiques et sociaux. Une réflexion en amont doit être menée dans les territoires et les professionnels de santé de terrain doivent avoir les moyens de faire émerger les solutions adéquates. Autre priorité : nous attendons les décrets d’application qui débloqueront la situation des étudiants privés de thèse. Cela concerne les étudiants formés avant la réforme de l’internat en 2004 et qui ont fait un résidanat. Avec la suppression du résidanat, certains n’ont pas eu le temps de passer leur thèse et aujourd’hui, ils ne peuvent pas exercer la médecine ! Ils sont environ 120 à avoir demandé qu’on les aide à régulariser leur situation, mais sont sûrement plus nombreux.
Bio express- novembre 2017 : installation en tant que médecin généraliste dans le Val-de-Marne, après 4 ans de remplacements
- 2009-2017 : troisième cycle des études médicales
- 2015 : soutenance de thèse « Etude observationnelle rétrospective sur la poursuite à un an des traitements anticholinestérasiques prescrits par les gériatres en HDJ diagnostique de l’hôpital Albert Chenevier et Emile Roux dans le Val de Marne »
- 2014-2015 : DIU d’acupuncture et douleur à la faculté René Descartes
- 2010-2011 équivalent Master 1 Biologie santé
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Santé : un professeur s'insurge contre les suicides des personnels hospitaliers
Franceinfo a rencontré le Professeur Bernard Granger qui soulève les problèmes du système de santé français.
Franceinfo
Publié le 09/03/2018 | 18:19
Un suicide et une tentative en une semaine au sein de l'hôpital public... Le Professeur Bernard Granger est psychiatre à l'hôpital Tarnier, à Paris. Il dénonce un système qui maltraite les personnels soignants. "Trop souvent le réflexe est de dire 'c'était un faible, il avait des problèmes personnels...'", explique-t-il. Selon lui, "les méthodes de management actuelles sont déshumanisées, car orientées sur la rentabilité et le chiffre".
Un culte de l'impunité
Il ajoute que "beaucoup d'agents doivent être polyvalents" et sont déplacés de service en service. Le professeur ajoute que "le harcèlement est presque une méthode de gestion pour se débarrasser de quelqu'un. Il y a récemment eu à Grenoble (Isère) des faits très graves, décrits dans un rapport officiel qui met en cause les responsables de l'hôpital. Il y a des cas de harcèlement", et les responsables ne sont pas atteints. "En France, il y a une culture de l'impunité qui ne fait qu'entretenir le phénomène", conclut-il.
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Suicide des étudiants en médecine : le doyen des doyens met les choses au clair
Par Fanny Napolier le 14-02-2018 www.egora.fr*
Tout juste élu, le nouveau Président de la Conférence des doyens avait fait hurler les étudiants en médecine la semaine dernière en assurant que les idées noires n'étaient pas spécifiques aux carabins. Pour Egora, le Pr Jean Sibilia s'explique, appelle à écouter la souffrance des étudiants et assure qu'il en fera une priorité de son mandat.
Egora.fr : Vous avez tenu des propos qui ont choqué, au sujet du suicide des étudiants en médecine la semaine dernière dans une interview à What's up Doc…
Pr Jean Sibilia : Oui, j'ai trouvé ça curieux… Soit je me suis mal exprimé, soit on n'a pas compris mes propos. Mon seul message, c'est de ne pas être dans le déni. Je le dis d'ailleurs dans l'interview, et je le répète, il ne faut pas être dans le déni. Le décès de ces jeunes est ce qu'on peut vivre de plus terrible. On n'a pas le droit d'instrumentaliser ces drames, mais il est de notre responsabilité d'aborder la question et c'est ce que nous faisons. J'ai été très étonné de la présentation de mes propos qui ne correspond absolument pas à ce que j'ai dit ni à ce que je pense.
Mais ce qui a surpris, c'est que vous disiez que les troubles dépressifs n'étaient pas spécifiques aux étudiants en médecine, alors même qu'une étude des structures d'étudiants et d'internes en juin dernier a montré qu'ils étaient plus à risque que la population générale…
Oui, mais ça n'est pas spécifique. Aujourd'hui, il y a une problématique de mal-être sociétal qui traverse notre société. Je rappelle que malheureusement les soignants se suicident aussi, que malheureusement les chefs d'établissements se suicident aussi...Lire la suite
C'est un problème grave. Quand vous êtes médecin, vous avez une vision humaniste du monde, en tout cas, moi je l'ai. Je suis un médecin humaniste qui aime ses étudiants.
Je suis frappé et désolé que notre société soit traversée par un tel mouvement de désarroi. Mais il ne touche pas que les métiers de la santé, regardez les policiers, gendarmes et militaires qui se suicident… Rappelez-vous de ce qu'il s'est passé à Orange. Evidemment c'est plus compliqué dans le monde de la santé. Et il faut se poser les bonnes questions. Si d'emblée vous dites que c'est uniquement à cause des études de médecine qui sont difficiles et compliquées qu'on se suicide, on est à côté de la plaque.
Tout le monde admet qu'un suicide n'est jamais unifactoriel, mais n'y a-t-il pas des facteurs particuliers aux soignants ?
Absolument. Les soignants sont soumis à une confrontation philosophique avec la question fondamentale de la mort et de la maladie. Quand vous êtes soignant, vous êtes confrontés assez brutalement à ça. C'est un choc psychanalytique complexe. Je l'ai moi-même vécu, quand j'étais étudiant, j'avais trouvé ça très compliqué. Mais il faut s'y préparer puisque c'est notre métier. Demandons-nous collectivement comment affronter cette question profonde.
Vous convenez tout de même que les études de médecine et la manière dont elles sont organisées aujourd'hui induisent une souffrance et qu'il y a là un problème de fond ?
Oui, tout à fait ! Il y a là un vrai problème et il faut se mettre autour de la table pour aborder les vraies questions. L'analyse est faite depuis un certain temps. Sur le premier cycle, on travaille sur l'accès à la Paces sur les passerelles, la diversification… Sur le second cycle, on a travaillé sur une réforme pour que nos étudiants ne soient plus coincés entre la Paces et les ECN.
Pour la réforme du troisième cycle, qui s'applique aujourd'hui, la problématique est différente. Vous êtes dans un développement professionnel tout à fait différent et la souffrance au travail est d'un autre type, plutôt liée aux conditions de travail. La souffrance que peut éprouver un chirurgien par exemple n'est pas la même que celle d'un biologiste dans un laboratoire… Il va falloir une analyse qualitative. Dire que 30% des internes ont des idées noires, oui… And so what ? On fait quoi ? Où est le nœud ? Notre responsabilité collective est de répondre à ces questions. Je le clame haut et fort. C'est dans ma profession de foi. Parmi mes douze travaux, il y en a un sur le bien être des étudiants. Il n'y a pas de déni. Il y a un travail à faire avec une vision bienveillante. Dans notre métier, on ne peut pas s'exprimer publiquement et ni agir sans bienveillance mutuelle. Il faut que le regard qu'on ait sur les autres soit bienveillant. La souffrance, c'est un ressenti. Il ne faut pas le nier. Il y a peut-être des tas de souffrances qu'on n'a pas bien identifiées. Ecoutons cette souffrance avec bienveillance.
Concrètement, comment va se traduire cette préoccupation durant vos deux ans de mandat ?
On a déjà mis en place beaucoup de choses. Dans toutes nos UFR, nous avons mis en place des commissions d'accueil et d'écoute des étudiants et internes en difficultés. C'est concret et c'est mis en place. Nationalement, on porte aussi une réflexion sur la souffrance au travail des étudiants. Il n'est pas acceptable de laisser souffrir nos étudiants. J'ai trouvé que les critiques envers moi étaient très dures et profondément injustes, quand on sait l'implication de la Conférence des doyens et mon implication personnelle sur le sujet. J'ai d'ailleurs été très heureux d'avoir de multiples messages de soutien de la part de mes étudiants.
Ensuite, cela passe par la mise en place de la réforme du troisième cycle. Avec une vigilance sur les points clés que sont les repos de garde, le respect des heures de travail, de l'investissement dans le projet pédagogique… Cette réforme du troisième cycle considère vraiment les internes comme des étudiants et leur donne du temps. Elle pourra d'ailleurs être améliorée au fil de l'eau.
Sur le deuxième cycle, on verra ce que l'on peut garder des propositions de réforme pour éviter d'être dans l'écrasement entre la Paces et les ECN qui sont deux stress consécutifs. Il faut atténuer ce stress pour que les étudiants se forment correctement, et abordent la phase de projet professionnel autrement que par un classement sec et brut. Il faut leur libérer du temps et les former plus à la compétence qu'à la connaissance.
Justement, votre prédécesseur, auquel vous étiez étroitement lié, plaidait pour une suppression des ECN. Est-ce aussi votre position ?
Oui. On partage totalement le concept. Mais le diable se cache dans les détails. On sortira du tout ECN, j'en suis convaincu. On doit y arriver. Existera-t-il tout de même une barre de régulation partielle à la fin ? Notamment pour les étudiants étrangers, venus de l'UE ? Il va falloir
trouver concrètement et juridiquement une formule adaptée au droit européen et à nos souhaits de bien former nos étudiants. On va sortir du tout ECN, mais dire sous quelle forme, c'est encore prématuré. On va sortir d'un classement brut pour favoriser les projets professionnels des uns et des autres en les accompagnant. Ça pourrait décrisper l'enclume des deux concours et donner un peu de bien être aux étudiants.
Hier, Edouard Philippe a annoncé la fin de la concertation sur la première année et le numerus clausus pour la fin de l'année 2018 et une loi dès 2019. Quelle est votre position sur ce sujet ?
La réflexion est en cours. Il y a des courants de pensée assez différents sur la question. On va d'une disparition totale du numerus clausus à la Olivier Véran, jusqu'à un numerus clausus conservé comme le prône la ministre. Au sein de la Conférence des doyens, c'est la même chose. La tendance est de trouver de toute façon quelque chose d'autre que le numerus clausus. L'accès à l'université pose problème, on le voit bien, mais une dérégulation complète n'est pas envisageable. On ne peut pas imaginer un accès aux études médicales sans contingent. J'aimerai d'ailleurs qu'on n'emploie plus le terme de numerus clausus, mais celui de régulation démographique et qu'elle se fasse région par région pour être adaptée aux besoins. Il faut assouplir les choses. Le tout dans une vision de la médecine de demain. Les étudiants que vous formez aujourd'hui vont exercer dans quinze ans, et la médecine ne sera pas la même qu'aujourd'hui. Elle sera plus ambulatoire, probablement avec plus d'auxiliaires de soins… S'adapter à la médecine de demain, et penser une régulation pour une offre de soins adaptée à demain, c'est ça qui est difficile mais c'est de notre responsabilité.
https://www.egora.fr/actus-pro/etudes-de-medecine/36259-suicide-des-etudiants-en-medecine-le-doyen-des-doyens-met-les
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Suicide des étudiants en médecine : le doyen des doyens met les choses au clair
Par Fanny Napolier le 14-02-2018 www.egora.fr*
Tout juste élu, le nouveau Président de la Conférence des doyens avait fait hurler les étudiants en médecine la semaine dernière en assurant que les idées noires n'étaient pas spécifiques aux carabins. Pour Egora, le Pr Jean Sibilia s'explique, appelle à écouter la souffrance des étudiants et assure qu'il en fera une priorité de son mandat.
Egora.fr : Vous avez tenu des propos qui ont choqué, au sujet du suicide des étudiants en médecine la semaine dernière dans une interview à What's up Doc…
Pr Jean Sibilia : Oui, j'ai trouvé ça curieux… Soit je me suis mal exprimé, soit on n'a pas compris mes propos. Mon seul message, c'est de ne pas être dans le déni. Je le dis d'ailleurs dans l'interview, et je le répète, il ne faut pas être dans le déni. Le décès de ces jeunes est ce qu'on peut vivre de plus terrible. On n'a pas le droit d'instrumentaliser ces drames, mais il est de notre responsabilité d'aborder la question et c'est ce que nous faisons. J'ai été très étonné de la présentation de mes propos qui ne correspond absolument pas à ce que j'ai dit ni à ce que je pense.
Mais ce qui a surpris, c'est que vous disiez que les troubles dépressifs n'étaient pas spécifiques aux étudiants en médecine, alors même qu'une étude des structures d'étudiants et d'internes en juin dernier a montré qu'ils étaient plus à risque que la population générale…
Oui, mais ça n'est pas spécifique. Aujourd'hui, il y a une problématique de mal-être sociétal qui traverse notre société. Je rappelle que malheureusement les soignants se suicident aussi, que malheureusement les chefs d'établissements se suicident aussi...Lire la suite
C'est un problème grave. Quand vous êtes médecin, vous avez une vision humaniste du monde, en tout cas, moi je l'ai. Je suis un médecin humaniste qui aime ses étudiants.
Je suis frappé et désolé que notre société soit traversée par un tel mouvement de désarroi. Mais il ne touche pas que les métiers de la santé, regardez les policiers, gendarmes et militaires qui se suicident… Rappelez-vous de ce qu'il s'est passé à Orange. Evidemment c'est plus compliqué dans le monde de la santé. Et il faut se poser les bonnes questions. Si d'emblée vous dites que c'est uniquement à cause des études de médecine qui sont difficiles et compliquées qu'on se suicide, on est à côté de la plaque.
Tout le monde admet qu'un suicide n'est jamais unifactoriel, mais n'y a-t-il pas des facteurs particuliers aux soignants ?
Absolument. Les soignants sont soumis à une confrontation philosophique avec la question fondamentale de la mort et de la maladie. Quand vous êtes soignant, vous êtes confrontés assez brutalement à ça. C'est un choc psychanalytique complexe. Je l'ai moi-même vécu, quand j'étais étudiant, j'avais trouvé ça très compliqué. Mais il faut s'y préparer puisque c'est notre métier. Demandons-nous collectivement comment affronter cette question profonde.
Vous convenez tout de même que les études de médecine et la manière dont elles sont organisées aujourd'hui induisent une souffrance et qu'il y a là un problème de fond ?
Oui, tout à fait ! Il y a là un vrai problème et il faut se mettre autour de la table pour aborder les vraies questions. L'analyse est faite depuis un certain temps. Sur le premier cycle, on travaille sur l'accès à la Paces sur les passerelles, la diversification… Sur le second cycle, on a travaillé sur une réforme pour que nos étudiants ne soient plus coincés entre la Paces et les ECN.
Pour la réforme du troisième cycle, qui s'applique aujourd'hui, la problématique est différente. Vous êtes dans un développement professionnel tout à fait différent et la souffrance au travail est d'un autre type, plutôt liée aux conditions de travail. La souffrance que peut éprouver un chirurgien par exemple n'est pas la même que celle d'un biologiste dans un laboratoire… Il va falloir une analyse qualitative. Dire que 30% des internes ont des idées noires, oui… And so what ? On fait quoi ? Où est le nœud ? Notre responsabilité collective est de répondre à ces questions. Je le clame haut et fort. C'est dans ma profession de foi. Parmi mes douze travaux, il y en a un sur le bien être des étudiants. Il n'y a pas de déni. Il y a un travail à faire avec une vision bienveillante. Dans notre métier, on ne peut pas s'exprimer publiquement et ni agir sans bienveillance mutuelle. Il faut que le regard qu'on ait sur les autres soit bienveillant. La souffrance, c'est un ressenti. Il ne faut pas le nier. Il y a peut-être des tas de souffrances qu'on n'a pas bien identifiées. Ecoutons cette souffrance avec bienveillance.
Concrètement, comment va se traduire cette préoccupation durant vos deux ans de mandat ?
On a déjà mis en place beaucoup de choses. Dans toutes nos UFR, nous avons mis en place des commissions d'accueil et d'écoute des étudiants et internes en difficultés. C'est concret et c'est mis en place. Nationalement, on porte aussi une réflexion sur la souffrance au travail des étudiants. Il n'est pas acceptable de laisser souffrir nos étudiants. J'ai trouvé que les critiques envers moi étaient très dures et profondément injustes, quand on sait l'implication de la Conférence des doyens et mon implication personnelle sur le sujet. J'ai d'ailleurs été très heureux d'avoir de multiples messages de soutien de la part de mes étudiants.
Ensuite, cela passe par la mise en place de la réforme du troisième cycle. Avec une vigilance sur les points clés que sont les repos de garde, le respect des heures de travail, de l'investissement dans le projet pédagogique… Cette réforme du troisième cycle considère vraiment les internes comme des étudiants et leur donne du temps. Elle pourra d'ailleurs être améliorée au fil de l'eau.
Sur le deuxième cycle, on verra ce que l'on peut garder des propositions de réforme pour éviter d'être dans l'écrasement entre la Paces et les ECN qui sont deux stress consécutifs. Il faut atténuer ce stress pour que les étudiants se forment correctement, et abordent la phase de projet professionnel autrement que par un classement sec et brut. Il faut leur libérer du temps et les former plus à la compétence qu'à la connaissance.
Justement, votre prédécesseur, auquel vous étiez étroitement lié, plaidait pour une suppression des ECN. Est-ce aussi votre position ?
Oui. On partage totalement le concept. Mais le diable se cache dans les détails. On sortira du tout ECN, j'en suis convaincu. On doit y arriver. Existera-t-il tout de même une barre de régulation partielle à la fin ? Notamment pour les étudiants étrangers, venus de l'UE ? Il va falloir
trouver concrètement et juridiquement une formule adaptée au droit européen et à nos souhaits de bien former nos étudiants. On va sortir du tout ECN, mais dire sous quelle forme, c'est encore prématuré. On va sortir d'un classement brut pour favoriser les projets professionnels des uns et des autres en les accompagnant. Ça pourrait décrisper l'enclume des deux concours et donner un peu de bien être aux étudiants.
Hier, Edouard Philippe a annoncé la fin de la concertation sur la première année et le numerus clausus pour la fin de l'année 2018 et une loi dès 2019. Quelle est votre position sur ce sujet ?
La réflexion est en cours. Il y a des courants de pensée assez différents sur la question. On va d'une disparition totale du numerus clausus à la Olivier Véran, jusqu'à un numerus clausus conservé comme le prône la ministre. Au sein de la Conférence des doyens, c'est la même chose. La tendance est de trouver de toute façon quelque chose d'autre que le numerus clausus. L'accès à l'université pose problème, on le voit bien, mais une dérégulation complète n'est pas envisageable. On ne peut pas imaginer un accès aux études médicales sans contingent. J'aimerai d'ailleurs qu'on n'emploie plus le terme de numerus clausus, mais celui de régulation démographique et qu'elle se fasse région par région pour être adaptée aux besoins. Il faut assouplir les choses. Le tout dans une vision de la médecine de demain. Les étudiants que vous formez aujourd'hui vont exercer dans quinze ans, et la médecine ne sera pas la même qu'aujourd'hui. Elle sera plus ambulatoire, probablement avec plus d'auxiliaires de soins… S'adapter à la médecine de demain, et penser une régulation pour une offre de soins adaptée à demain, c'est ça qui est difficile mais c'est de notre responsabilité.
https://www.egora.fr/actus-pro/etudes-de-medecine/36259-suicide-des-etudiants-en-medecine-le-doyen-des-doyens-met-les
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Brève Les chefs de clinique veulent un observatoire du suicide
Sophie Martos | 08.02.2018 www.lequotidiendumedecin.fr*
L'Intersyndicat national des chefs de clinique et assistants (ISNCCA) souhaite la création d'un observatoire national du suicide et morts brutales spécifiques aux professions de santé.
Cette proposition intervient au lendemain de l'annonce par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, de rencontrer dans les prochaines semaines les structures jeunes pour évoquer la souffrance au travail.
Les chefs de clinique saluent la démarche et demandent à être associés à cette réflexion.
Après avoir dévoilé avec les autres syndicats d'étudiants et d'internes l'enquête sur la santé mentale, les structures jeunes avaient initialement proposé un plan d'action qui comportait déjà la création d'un registre des suicides spécifique pour les étudiants et jeunes médecins.
Ce ne sont pas les seuls à vouloir mettre sur pied un tel système. En 2017, le Dr Valérie Auslender, généraliste attachée à Sciences Po et auteure d’« Omerta à l'hôpital » (mars 2017), proposait aussi d'étendre l'observatoire des violences pour les professionnels de santé en exercice aux étudiants et internes.
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Souffrance au travail, suicides : Buzyn juge « impératif » de recevoir les carabins et les internes
Sophie Martos | 07.02.2018
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a annoncé ce mercredi sur « LCI » qu'elle rencontrerait « dans les semaines qui viennent » les carabins et internes « en souffrance », après leur lettre ouverte dénonçant une « trop longue série » de suicides. « Il est impératif que je rencontre les étudiants en médecine (...) et les internes qui sont également en souffrance. J'ai prévu de les voir dans les semaines qui viennent », a précisé la ministre.
La ministre réagissait notamment à la lettre ouverte de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI), publiée sur le site Internet du magazine « Elle ». Ce courrier a fait suite au suicide, en janvier, d'une jeune femme de 26 ans, interne en dermatologie à l'hôpital Cochin, à Paris. Le « dernier d'une trop longue série », selon l'ISNI qui y voit le symptôme d'un « échec collectif » et appelle Agnès Buzyn à « mettre sans délai en action les mesures concrètes et nécessaires pour qu'un autre drame ne survienne pas ».
Accès à la médecine du travail
Une mission sur les facteurs relatifs à la qualité de vie au travail des étudiants en santé a été confiée à l'automne 2017 au Dr Donata Marra, psychiatre et fondatrice du BIPE (bureau interface professeurs étudiants).
Joint ce mercredi, Jean-Baptiste Bonnet, président de l'ISNI, s'est réjoui de cette future rencontre. « Il faut passer à la vitesse supérieure », commente-t-il.
L'ISNI priorise trois axes de travail. Il souhaite que soit facilité l'accès à la médecine du travail pour les internes et la médecine universitaire pour les étudiants en santé. Le syndicat réclame aussi un « système de détection » des jeunes en souffrance ou en échec (universitaire, personnel, professionnel) afin de les accompagner au mieux avec des professionnels universitaires et/ou de l'extérieur à l'Université.
Gestion du stress, temps de travail…
Deuxième axe : réapprendre à « être heureux ». « Nous sommes souvent confrontés à la souffrance, à la mort, à un environnement managérial parfois difficile, à l'hôpital en tension… Il faut nous former », revendique le jeune patron de l'ISNI, citant l'exemple des formations à gestion du stress pour les pilotes de chasse.
Enfin, l'ISNI souhaite aborde l'épineux dossier du temps de travail à l'hôpital. « Nous savons que travailler plus de 60 heures semaine augmente les risques psychosociaux. Il faut faire appliquer plus sereinement la réglementation », rappelle-t-il. L'ISNI suggère qu'un audit sur les conditions de travail soit réalisé auprès des jeunes mais aussi des autres professionnels de santé.
Au micro de LCI, Agnès Buzyn a pointé « une vraie souffrance au travail dans la profession ». Elle a expliqué que « les médecins ont de plus en plus de mal à trouver du sens dans leur métier (car) on leur demande énormément de tâches annexes, administratives ». Ce malaise général est aussi lié à « la gestion de l'hôpital qui a été très budgétaire », sur laquelle Agnès Buzyn a affirmé être « en train de travailler » afin de « réformer l'hôpital public ».
Les autres structures ont également été conviées au rendez-vous.
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BLOUSES BLANCHES
Dépression, suicide...Comment protéger les étudiants en médecine ?
Par Boris Chaumette, psychiatre et Yannick Morvan, psychologue | 07/02/2018 à 19:49, mis à jour le 07/02/2018
Chaque année, des étudiants en médecine se donnent la mort. Comment prévenir ces drames à répétition ? Deux experts, un psychiatre et un psychologue, donnent des pistes de réflexion sur le site de The Conversation.*
Une étudiante en médecine, interne en dermatologie à Paris, s'est donné la mort en ce début d'année. Ce nouveau drame, annoncé le 25 janvier, est venu s'ajouter à d'autres suicides et tentatives de suicide commis par des internes – ces étudiants ayant déjà au moins six années d’études derrière eux – inscrits dans des facultés partout en France.
En une année, dix d'entre eux ont mis fin à leurs jours, selon le recensement implacable réalisé par l’Intersyndicat national des internes (Isni). L'organisation, principal représentant d'un corps social plutôt discret comptant quand même quelques 30 000 personnes, ne cesse d'alerter sur la santé mentale des jeunes médecins.
Le ton est monté d'un cran, à la suite des propos tenus par le président de la conférence des doyens des facultés de médecine. Dans l'interview publiée le 1er février, le journaliste de What’s up Doc, site d'information destiné aux médecins, l'interroge : "En France, des internes se suicident, qu’allez-vous faire pour améliorer leur qualité de vie au travail ?" Le Pr Jean Sibilia répond : " Il y a intrinsèquement dans le métier de médecin quelque chose qui est stressant, mais ça n’a rien à voir avec l’organisation structurelle du système." Le 5 février, dans le Quotidien du médecin, l'Isni affirme que le président est dans le "déni de la réalité". La veille, l'Intersyndicat avait adressé à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, une lettre ouverte invoquant un « échec collectif ».
A l'origine de cette polémique, on trouve en fait un phénomène d’épuisement professionnel, dont la conséquence la plus grave est le suicide. Cet état semble se majorer au cours des années d’internat. Cependant, les symptômes dépressifs qui contribuent également au suicide sont présents dès le début des études. Signe que le problème doit être pris en compte bien en amont. Les causes sont connues, les solutions également. Ne manque plus qu’une prise de conscience générale.
Des étudiants en médecine avec un risque dépressif élevé partout dans le monde La situation française n’est pas un cas isolé, le risque dépressif chez les étudiants en médecine étant élevé partout dans le monde. Une méta-analyse incluant 43 pays a évalué la fréquence des symptômes dépressifs chez ces derniers à 27,2 % et celle des idées suicidaires à 11,1 %. Ces chiffres ne variaient pas selon le pays concerné et étaient constants au cours des dernières années.
La France se situerait dans cette moyenne, d’après l’enquête menée par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) en 2016 auprès de 8 000 étudiants et jeunes médecins. Près du quart des répondants évaluait ainsi leur état de santé comme étant « moyen » ou « mauvais » et 14 % d’entre eux déclaraient avoir déjà eu des idées suicidaires.
Une étude réalisée au premier trimestre 2017 auprès de 22 000 étudiants et jeunes médecins dressait un tableau plus noir encore. Menée via Internet par plusieurs syndicats de jeunes médecins, elle utilisait l’auto-questionnaire HAD (en anglais, Hospital Anxiety and Depression scale), une échelle validée pour évaluer la souffrance psychique à l’hôpital et retraçant les symptômes dépressifs et anxieux au cours des sept derniers jours. Leslie Grichy, vice-présidente de l’ISNI, s’en est inquiétée en ces termes : " sont pires que ce à quoi l’on s’attendait 66,2 % des jeunes soignants déclarent souffrir d’anxiété et 27,7 % de dépression . 23,7 % ont eu des idées suicidaires, dont 5,8 % dans le mois précédent l’enquête."
Les étudiants en médecine présentent-ils un risque suicidaire plus élevé que d’autres ? Les études étant conduites avec des méthodologies, des périodes temporelles et des populations différentes, il est difficile de répondre simplement à cette question. Cependant, une étude américaine a pu montrer que le taux de symptômes anxiodépressifs était, à âge comparable, significativement plus élevé chez les étudiants en médecine et jeunes médecins que dans la population générale.
L’exposition à la souffrance et à la mort Ces étudiants seraient davantage exposés aux risques psychosociaux du fait des spécificités de leur future profession. Plusieurs facteurs semblent en effet inhérents à la pratique et à la formation médicale, incluant l’exposition à la souffrance et à la mort des patients.
D’autres facteurs, par contre, sont modifiables. Le caractère hypersélectif du cursus médical a été incriminé, à l’échelle mondiale, comme pourvoyeur de symptômes anxieux. De son côté, le CNOM a pointé le manque de prise en charge des étudiants par la médecine universitaire ou la médecine du travail. Selon son étude, moins de la moitié des étudiants de second cycle et moins du quart des jeunes professionnels ont rencontré une structure préventive au cours des deux dernières années.
Les étudiants en général, et donc les étudiants en médecine, se soignent moins pour leurs difficultés psychiques, comparativement à la population générale. Ainsi, les études internationales indiquent que seuls 16,4 % des étudiants avaient reçu des soins pour leurs troubles dans les 12 derniers mois. La proportion était de 25,7 % pour la population générale en Europe et même de 37,5 % en France.
Plus de 70 heures de travail par semaine pour certains Il existe également un lien fort entre temps de travail élevé et santé mentale, comme souligné par le CNOM. Or, "le temps de travail déclaré reste très majoritairement supérieur à 48 heures hebdomadaires. 39,9 % des répondants déclarent travailler entre 48 et 60 heures, 16 % entre 60 et 70 heures, et 8,6 % plus de 70 heures par semaine." Les internes ont également des activités d’enseignement, de rédaction de thèse et parfois de recherche qui se surajoutent aux activités cliniques. Ces investissements semblent constituer des facteurs de risque, possiblement en raison de la charge supplémentaire de travail qu’ils produisent.
Cette surcharge de travail globale, outre l’épuisement physique et psychique qu’elle entraîne, compromet l’accès aux consultations médicales – 39 % des répondants de l’étude du CNOM déclarant n’avoir « pas le temps » de consulter un généraliste. Elle susciterait aussi une diminution du soutien social, en réduisant les moments informels d’échange avec les amis, avec les pairs ou les supérieurs hiérarchiques qui sont des facteurs protecteurs contre les troubles psychiques.
La quantité de travail importante dans les services hospitaliers empêche la supervision des étudiants par leurs aînés et conduit souvent les internes à prendre seuls leurs décisions. Cela intervient à un âge où l’autonomie de la pratique n’est pas encore totalement acquise, générant de l’anxiété. De plus, l’augmentation des tâches administratives dans les services est parfois perçue comme un travail inutile empiétant sur le temps clinique et contribue à l’émergence de symptômes anxio-dépressifs.
Des conséquences sur la qualité des soins au patient Ces symptômes ont potentiellement des conséquences lourdes sur les soins apportés au patient. L’Isni souligne justement que "l’atteinte psychique peut entraîner une diminution de la qualité des soins prodigués ainsi qu’une augmentation du risque d’erreurs médicales". Globalement, les retentissements en termes d’incapacité professionnelle, par exemple les arrêts de travail, peuvent avoir un impact économique non négligeable.
Des émotions négatives importantes par leur intensité ou récurrentes, peuvent constituer un facteur de transition – ou de rechute – vers un trouble psychique. Et ce d’autant plus qu’elles interviennent à un âge, celui du jeune adulte, où les pathologies anxiodépressives sont généralement majorées. Ce stress répété pourrait faire le lit de pathologies futures plus sévères et plus coûteuses pour la société que des mesures permettant de les éviter. Ces données sont donc à prendre en compte dans la logique d’une intervention préventive et précoce auprès de ces futurs médecins.
Des fragilités individuelles qui, autrement, seraient passées inaperçues Le plus gros écueil, dans une réflexion sur la prévention, consisterait à expliquer le phénomène uniquement par des causes individuelles. S’il est évident qu’il existe des vulnérabilités personnelles aux symptômes anxiodépressifs, l’environnement stressant vient révéler des fragilités qui, autrement, seraient passées inaperçues. Un des défis, en santé mentale, est de surmonter la difficulté à penser conjointement les ressorts singuliers et ceux du collectif. Dans tous les cas, il demeure plus simple et plus efficace d’agir sur les causes environnementales, pour peu qu’elles soient clairement identifiées et modifiables, que sur des facteurs individuels par nature plus hétérogènes et difficilement accessibles.
Si les étudiants en médecine et les jeunes médecins sont à risque, peu en ont conscience. Et rares sont ceux qui sont entraînés à reconnaître les symptômes et à prendre les bonnes décisions, pour eux comme pour leurs confrères.
Plusieurs études ont été récemment entamées afin de mieux mettre en évidence les problèmes liés à la santé mentale des étudiants en France. Ainsi, l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), dans le cadre de la grande étude sur la santé des étudiants i-Share, et de son côté l’OMS, tentent de mesurer précisément les troubles, leurs évolutions au cours du temps et leurs conséquences. Les chercheurs veulent connaître l’impact de ces difficultés sur la capacité à étudier et identifier les facteurs qui pourraient permettre aux étudiants de mieux recourir aux soins.
Le CNOM a engagé de son côté une réflexion sur l’instauration d’un réel compagnonnage dans l’apprentissage du métier. Le compagnonnage y est décrit comme "un mode d’apprentissage qui repose sur la réalisation d’activités professionnelles en présence d’un pair qui transmet ses connaissances et son savoir-faire, en particulier par la démonstration, ainsi que les règles et les valeurs de l’organisation". Dans cette définition le CNOM rappelle également "l’importance de la réciprocité dans les relations entre médecin et étudiant, chacun ayant des droits et des devoirs". Les enseignants médecins ont donc officiellement la mission de se soucier de la santé de leurs étudiants.
L’organisation et l’évolution des techniques managériales est également questionnée. Au niveau organisationnel, il conviendrait d’améliorer l’efficience du système en dégageant le temps nécessaire pour les soins, en mettant les procédures administratives au service des patients et des médecins. Il est également recommandé d’adopter des relations professionnelles bienveillantes. En effet, une étude a pu mettre en évidence les effets non négligeables d’une communication dure au sein des équipes médicales, conduisant à de moins bons diagnostics et une qualité technique moindre des actes médicaux.
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Autant d’initiatives qui devraient être soutenues par les pouvoirs publics, afin d’améliorer la qualité de vie à l’hôpital et de promouvoir les multiples démarches préventives possibles.
Boris Chaumette, Psychiatre, neurobiologiste, McGill University et Yannick Morvan, Maître de conférences en psychologie, psychologue clinicien, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Par Boris Chaumette, psychiatre et Yannick Morvan, psychologue
En savoir plus sur https://start.lesechos.fr/continuer-etudes/vie-etudiante/depression-suicide-comment-proteger-les-etudiants-en-medecine-10998.php?3fPYCDhx8YMDg4fg.99
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BLOUSES BLANCHES
Dépression, suicide...Comment protéger les étudiants en médecine ?
Par Boris Chaumette, psychiatre et Yannick Morvan, psychologue | 07/02/2018 à 19:49, mis à jour le 07/02/2018
Chaque année, des étudiants en médecine se donnent la mort. Comment prévenir ces drames à répétition ? Deux experts, un psychiatre et un psychologue, donnent des pistes de réflexion sur le site de The Conversation.*
Une étudiante en médecine, interne en dermatologie à Paris, s'est donné la mort en ce début d'année. Ce nouveau drame, annoncé le 25 janvier, est venu s'ajouter à d'autres suicides et tentatives de suicide commis par des internes – ces étudiants ayant déjà au moins six années d’études derrière eux – inscrits dans des facultés partout en France.
En une année, dix d'entre eux ont mis fin à leurs jours, selon le recensement implacable réalisé par l’Intersyndicat national des internes (Isni). L'organisation, principal représentant d'un corps social plutôt discret comptant quand même quelques 30 000 personnes, ne cesse d'alerter sur la santé mentale des jeunes médecins.
Le ton est monté d'un cran, à la suite des propos tenus par le président de la conférence des doyens des facultés de médecine. Dans l'interview publiée le 1er février, le journaliste de What’s up Doc, site d'information destiné aux médecins, l'interroge : "En France, des internes se suicident, qu’allez-vous faire pour améliorer leur qualité de vie au travail ?" Le Pr Jean Sibilia répond : " Il y a intrinsèquement dans le métier de médecin quelque chose qui est stressant, mais ça n’a rien à voir avec l’organisation structurelle du système." Le 5 février, dans le Quotidien du médecin, l'Isni affirme que le président est dans le "déni de la réalité". La veille, l'Intersyndicat avait adressé à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, une lettre ouverte invoquant un « échec collectif ».
A l'origine de cette polémique, on trouve en fait un phénomène d’épuisement professionnel, dont la conséquence la plus grave est le suicide. Cet état semble se majorer au cours des années d’internat. Cependant, les symptômes dépressifs qui contribuent également au suicide sont présents dès le début des études. Signe que le problème doit être pris en compte bien en amont. Les causes sont connues, les solutions également. Ne manque plus qu’une prise de conscience générale.
Des étudiants en médecine avec un risque dépressif élevé partout dans le monde La situation française n’est pas un cas isolé, le risque dépressif chez les étudiants en médecine étant élevé partout dans le monde. Une méta-analyse incluant 43 pays a évalué la fréquence des symptômes dépressifs chez ces derniers à 27,2 % et celle des idées suicidaires à 11,1 %. Ces chiffres ne variaient pas selon le pays concerné et étaient constants au cours des dernières années.
La France se situerait dans cette moyenne, d’après l’enquête menée par le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) en 2016 auprès de 8 000 étudiants et jeunes médecins. Près du quart des répondants évaluait ainsi leur état de santé comme étant « moyen » ou « mauvais » et 14 % d’entre eux déclaraient avoir déjà eu des idées suicidaires.
Une étude réalisée au premier trimestre 2017 auprès de 22 000 étudiants et jeunes médecins dressait un tableau plus noir encore. Menée via Internet par plusieurs syndicats de jeunes médecins, elle utilisait l’auto-questionnaire HAD (en anglais, Hospital Anxiety and Depression scale), une échelle validée pour évaluer la souffrance psychique à l’hôpital et retraçant les symptômes dépressifs et anxieux au cours des sept derniers jours. Leslie Grichy, vice-présidente de l’ISNI, s’en est inquiétée en ces termes : " sont pires que ce à quoi l’on s’attendait 66,2 % des jeunes soignants déclarent souffrir d’anxiété et 27,7 % de dépression . 23,7 % ont eu des idées suicidaires, dont 5,8 % dans le mois précédent l’enquête."
Les étudiants en médecine présentent-ils un risque suicidaire plus élevé que d’autres ? Les études étant conduites avec des méthodologies, des périodes temporelles et des populations différentes, il est difficile de répondre simplement à cette question. Cependant, une étude américaine a pu montrer que le taux de symptômes anxiodépressifs était, à âge comparable, significativement plus élevé chez les étudiants en médecine et jeunes médecins que dans la population générale.
L’exposition à la souffrance et à la mort Ces étudiants seraient davantage exposés aux risques psychosociaux du fait des spécificités de leur future profession. Plusieurs facteurs semblent en effet inhérents à la pratique et à la formation médicale, incluant l’exposition à la souffrance et à la mort des patients.
D’autres facteurs, par contre, sont modifiables. Le caractère hypersélectif du cursus médical a été incriminé, à l’échelle mondiale, comme pourvoyeur de symptômes anxieux. De son côté, le CNOM a pointé le manque de prise en charge des étudiants par la médecine universitaire ou la médecine du travail. Selon son étude, moins de la moitié des étudiants de second cycle et moins du quart des jeunes professionnels ont rencontré une structure préventive au cours des deux dernières années.
Les étudiants en général, et donc les étudiants en médecine, se soignent moins pour leurs difficultés psychiques, comparativement à la population générale. Ainsi, les études internationales indiquent que seuls 16,4 % des étudiants avaient reçu des soins pour leurs troubles dans les 12 derniers mois. La proportion était de 25,7 % pour la population générale en Europe et même de 37,5 % en France.
Plus de 70 heures de travail par semaine pour certains Il existe également un lien fort entre temps de travail élevé et santé mentale, comme souligné par le CNOM. Or, "le temps de travail déclaré reste très majoritairement supérieur à 48 heures hebdomadaires. 39,9 % des répondants déclarent travailler entre 48 et 60 heures, 16 % entre 60 et 70 heures, et 8,6 % plus de 70 heures par semaine." Les internes ont également des activités d’enseignement, de rédaction de thèse et parfois de recherche qui se surajoutent aux activités cliniques. Ces investissements semblent constituer des facteurs de risque, possiblement en raison de la charge supplémentaire de travail qu’ils produisent.
Cette surcharge de travail globale, outre l’épuisement physique et psychique qu’elle entraîne, compromet l’accès aux consultations médicales – 39 % des répondants de l’étude du CNOM déclarant n’avoir « pas le temps » de consulter un généraliste. Elle susciterait aussi une diminution du soutien social, en réduisant les moments informels d’échange avec les amis, avec les pairs ou les supérieurs hiérarchiques qui sont des facteurs protecteurs contre les troubles psychiques.
La quantité de travail importante dans les services hospitaliers empêche la supervision des étudiants par leurs aînés et conduit souvent les internes à prendre seuls leurs décisions. Cela intervient à un âge où l’autonomie de la pratique n’est pas encore totalement acquise, générant de l’anxiété. De plus, l’augmentation des tâches administratives dans les services est parfois perçue comme un travail inutile empiétant sur le temps clinique et contribue à l’émergence de symptômes anxio-dépressifs.
Des conséquences sur la qualité des soins au patient Ces symptômes ont potentiellement des conséquences lourdes sur les soins apportés au patient. L’Isni souligne justement que "l’atteinte psychique peut entraîner une diminution de la qualité des soins prodigués ainsi qu’une augmentation du risque d’erreurs médicales". Globalement, les retentissements en termes d’incapacité professionnelle, par exemple les arrêts de travail, peuvent avoir un impact économique non négligeable.
Des émotions négatives importantes par leur intensité ou récurrentes, peuvent constituer un facteur de transition – ou de rechute – vers un trouble psychique. Et ce d’autant plus qu’elles interviennent à un âge, celui du jeune adulte, où les pathologies anxiodépressives sont généralement majorées. Ce stress répété pourrait faire le lit de pathologies futures plus sévères et plus coûteuses pour la société que des mesures permettant de les éviter. Ces données sont donc à prendre en compte dans la logique d’une intervention préventive et précoce auprès de ces futurs médecins.
Des fragilités individuelles qui, autrement, seraient passées inaperçues Le plus gros écueil, dans une réflexion sur la prévention, consisterait à expliquer le phénomène uniquement par des causes individuelles. S’il est évident qu’il existe des vulnérabilités personnelles aux symptômes anxiodépressifs, l’environnement stressant vient révéler des fragilités qui, autrement, seraient passées inaperçues. Un des défis, en santé mentale, est de surmonter la difficulté à penser conjointement les ressorts singuliers et ceux du collectif. Dans tous les cas, il demeure plus simple et plus efficace d’agir sur les causes environnementales, pour peu qu’elles soient clairement identifiées et modifiables, que sur des facteurs individuels par nature plus hétérogènes et difficilement accessibles.
Si les étudiants en médecine et les jeunes médecins sont à risque, peu en ont conscience. Et rares sont ceux qui sont entraînés à reconnaître les symptômes et à prendre les bonnes décisions, pour eux comme pour leurs confrères.
Plusieurs études ont été récemment entamées afin de mieux mettre en évidence les problèmes liés à la santé mentale des étudiants en France. Ainsi, l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), dans le cadre de la grande étude sur la santé des étudiants i-Share, et de son côté l’OMS, tentent de mesurer précisément les troubles, leurs évolutions au cours du temps et leurs conséquences. Les chercheurs veulent connaître l’impact de ces difficultés sur la capacité à étudier et identifier les facteurs qui pourraient permettre aux étudiants de mieux recourir aux soins.
Le CNOM a engagé de son côté une réflexion sur l’instauration d’un réel compagnonnage dans l’apprentissage du métier. Le compagnonnage y est décrit comme "un mode d’apprentissage qui repose sur la réalisation d’activités professionnelles en présence d’un pair qui transmet ses connaissances et son savoir-faire, en particulier par la démonstration, ainsi que les règles et les valeurs de l’organisation". Dans cette définition le CNOM rappelle également "l’importance de la réciprocité dans les relations entre médecin et étudiant, chacun ayant des droits et des devoirs". Les enseignants médecins ont donc officiellement la mission de se soucier de la santé de leurs étudiants.
L’organisation et l’évolution des techniques managériales est également questionnée. Au niveau organisationnel, il conviendrait d’améliorer l’efficience du système en dégageant le temps nécessaire pour les soins, en mettant les procédures administratives au service des patients et des médecins. Il est également recommandé d’adopter des relations professionnelles bienveillantes. En effet, une étude a pu mettre en évidence les effets non négligeables d’une communication dure au sein des équipes médicales, conduisant à de moins bons diagnostics et une qualité technique moindre des actes médicaux.
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Autant d’initiatives qui devraient être soutenues par les pouvoirs publics, afin d’améliorer la qualité de vie à l’hôpital et de promouvoir les multiples démarches préventives possibles.
Boris Chaumette, Psychiatre, neurobiologiste, McGill University et Yannick Morvan, Maître de conférences en psychologie, psychologue clinicien, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Par Boris Chaumette, psychiatre et Yannick Morvan, psychologue
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« Le suicide n'est pas un aléa, pas un accident, pas une fatalité », écrivent les internes de l'ISNI à Agnès Buzyn Marie Foult
| 06.02.2018 https://www.lequotidiendumedecin.fr/*
Après avoir rendu hommage à leur « collègue et amie » Marine, interne en dermatologie à Paris qui s'est suicidée fin janvier, l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) a tenu à témoigner de la souffrance des jeunes médecins dans une lettre à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, parue dans le magazine « Elle ».
Pour l'ISNI, le suicide de Marine, « dernier d'une trop longue série », ne fait que révéler l'échec du rôle de protection des acteurs de santé « individuellement et collectivement ». « Cette mission n'est pas échue qu'à certains, elle l'est à chacun de nous, étudiant, interne, médecin, professionnel de santé, hospitalier [...], ministre. C'était notre rôle à tous et nous avons échoué », soulignent les jeunes médecins.
« Empêcher l'idée du suicide »
« Madame la ministre nous avons perdu l'espoir d'être heureux dans notre rôle de soignant et cela est inacceptable », interpelle l'ISNI, pour qui « le bien-être dans notre exercice n'est pas qu'un droit, c'est aussi un devoir, car il n'est pas concevable de prendre soin des autres sans être soi-même en bonne santé physique et psychique ».
Pour la structure, le suicide n'est « pas un aléa, pas un accident, pas une fatalité » et peut être empêché si l'on change notamment le paradigme du système de prévention. Cela passe par « instiller l'idée que le bien-être est possible dans notre exercice », mais aussi par « anticiper les risques avant que le mal-être ne survienne ». L'ISNI demande notamment que soit mise en place une visite médicale pour chaque interne, à chaque semestre et à chaque stage.
Rapport ministériel attendu
Elle appelle également la ministre à « contrôler les abus sur le temps de travail, tant dans sa qualité que sa quantité », via un audit « de la quantité de travail non médical indue aux professionnels de santé ». Enfin, l'intersyndicale demande à ce que « les premiers signes de mal-être » soient mieux repérés. « Chaque acteur de santé devra être formé à percevoir les premiers symptômes qui mèneront à un nouveau drame, et chaque interne dépisté devra être suivi et accompagné », estime l'ISNI.
Elle exhorte par ailleurs la ministre à ce que le rapport sur les risques psychosociaux et la qualité de vie au travail, confié au Dr Donata Marra, soit rendu au plus vite. « Le prix du retard est bien trop lourd », concluent les jeunes médecins. La ministre de la Santé leur a notamment répondu dans un tweet qu'une « discussion constructive » serait engagée au plus vite.
Lundi, l'ISNI a par ailleurs regretté les propos tenus par le Pr Jean Sibilia dans le journal « What's up doc », dans lequel ce dernier indique que les suicides réels des internes sont « très très rares ». L'ISNI a déploré ces propos « tenus par un professeur et doyen censé se préoccuper de la santé des futurs médecins » et qui traduisent un « déni de la réalité » alors que dix internes se sont donné la mort en un an. Un discours qui a également fait réagir les carabins sur Twitter, dénonçant des propos « violents ».
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Le Quotidien du Médecin
Article, lundi 5 février 2018
étudiant
Pr Christophe Tzourio
« Les signes de dépressivité sont particulièrement forts en PACES »
PACES
Les étudiants en médecine vont au moins aussi mal que les autres étudiants, selon les résultats de l'étude i-Share menée sur 18 600 élèves en enseignement supérieur en France. Le niveau de stress et de dépression des étudiants en PACES est particulièrement « alarmant », selon le Pr Christophe Tzourio (Bordeaux), coordinateur de cette e-cohorte. Un constat inquiétant, alors qu'un décès par suicide a été déploré la semaine dernière à la fac de Grenoble.
LE QUOTIDIEN : Quelles sont les finalités de l'étude i-Share ?
Pr CHRISTOPHE TZOURIO : L'étude i-Share a débuté en avril 2013 au sein des Universités de Bordeaux et Versailles initialement, puis rapidement d'autres universités nous ont rejoints. Ce projet a été financé dans le cadre des investissements d'avenir qui ont pour but de favoriser des actions innovantes en recherche et dans l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, 18 600 étudiants participent à i-Share ce qui est un grand succès. Le but de i-Share était double dès sa conception : disposer d'une photographie précise de la santé des étudiants, d'une part, afin de proposer des stratégies de prévention et mettre en place une plateforme de projets de recherche épidémiologique, d'autre part. Le panel de projets développé sur i-Share est particulièrement riche. Ainsi, une l'équipe étudie les facteurs génétiques communs entre la maturation cérébrale et le vieillissement, ce qui est une recherche assez fondamentale. À cette fin, 2 000 IRM cérébrales, 2 000 bilans biologiques ont été réalisés.
I-Share n'est-elle donc qu'une étude fondamentale ?
Loin de là. Le panel comprend également des recherches très finalisées. Par exemple, l'équipe i-Share a fait une étude de terrain sur les connaissances des étudiants étrangers sur le système de santé en France, afin de leur faire connaître les ressources locales et donc d'améliorer leur santé. Nous avons aussi obtenu un PHRC (programme hospitalier de recherche clinique) intitulé i-Predict sur la comparaison entre le dépistage systématique (auto-prélèvement tous les 3 mois) des chlamydias chez les jeunes filles et le dépistage classique en cas de symptômes. Notre équipe propose aussi d'évaluer l'intérêt d'applications sur Smartphone afin de prévenir le risque de suicide chez les étudiants.
Disposez-vous de données spécifiques pour les étudiants en médecine ?
2 600 étudiants en médecine participent à i-Share, soit 20 % des participants, et c'est l'une des filières les plus représentées. À l'intérieur de l'échantillon, un peu plus de la moitié des étudiants sont en PACES. Les étudiants en médecine ne vont pas mieux que les autres étudiants de notre échantillon. Les problèmes de santé mentale pèsent lourdement sur ces jeunes : ils ont des niveaux de stress et de dépressivité élevée et tout particulièrement les jeunes filles.
Existe-t-il des différences entre la PACES et les autres années de médecine ?
Nous pensions qu'il existerait une différence selon le niveau de cursus en médecine, mais les chiffres spectaculaires que nous observons vont bien au-delà de nos estimations. Les signes de dépressivité sont particulièrement forts en PACES. Ainsi à la question " vous êtes vous senti(e) triste, vide sans énergie ou sans intérêt pour les choses pendant plusieurs jours de suite (symptomatologie dépressive, pas dépression majeure) ? ", 70 % des étudiants en PACES répondent oui, contre 54 % des années supérieures. Quant aux idées suicidaires fréquentes, elles sont pratiquement deux fois plus présentes chez les étudiants en première année (3,2 % contre 1,7 % par la suite).
Les PACES se plaignent de troubles du sommeil, de difficultés d'endormissement et sont donc plus souvent somnolents (somnolence au moins un jour par semaine pour 52 % contre 42 %). En ce qui concerne le sport, les étudiants de PACES en font moins régulièrement (59 % d'inactifs en PACES contre 35 % pour les années supérieures), ils ne s'autorisent pas d'activités extra-universitaires (11 % contre 49 %).
Votre étude n'a-t-elle relevé aucun point positif quant à la santé des PACES ?
Si ! En PACES, les étudiants déclarent moins souvent avoir consommé du cannabis que par la suite des études en médecine (43 % versus 58 %). Ils sont également moins nombreux à consommer de l'alcool au moins une fois par semaine (26 % versus 71 %). Et les PACES, comme tous les étudiants en médecine, sont généralement plus à jour de leurs vaccins. Ils consultent aussi plus souvent que dans les autres filières un médecin généraliste en cas de problème.
Pensez-vous que les expérimentations autour d'une nouvelle PACES sans possibilité de redoublement vont influer sur la santé mentale des étudiants ?
Quand on voit l'impact de la PACES sur la santé psychique et si on considère qu'un fort pourcentage de redoublants ne va pas réussir le concours, on se dit que leur éviter une deuxième PACES est certainement positif. Il faut bien entendu préserver la possibilité pour les plus motivés de revenir ensuite dans les études de médecine et je crois que c'est le sens des expérimentations en cours. La PACES telle qu'elle est proposée aujourd'hui est " épouvantable " pour les étudiants. Toute modification est donc bienvenue. Il semble que la PACES nouvelle formule va inclure la possibilité de prendre en compte la motivation, l'empathie... Des qualités qui font un bon médecin.
Quel avenir pour i-Share ?
Avec les réformes importantes en cours à l'université, il paraît indispensable d'étudier leur impact sur le bien-être et la santé psychique des étudiants et i-Share est la seule étude permettant de faire ça, puisque c'est un dispositif permanent. D'autre part, nous mettons en place des expérimentations d'intervention pour améliorer la santé des étudiants les plus fragiles ou les plus exposés. Nous venons ainsi de remporter un deuxième PHRC sur le stress et le risque de burn-out des externes et internes en médecine comportant une évaluation précise et, surtout, le test de stratégies de gestion du stress. Notre motif d'inquiétude est que nous avons eu récemment des signaux négatifs sur la poursuite du financement de i-Share mais nous espérons qu'il ne s'agit que d'un malentendu et que cette étude et ces projets pourront se poursuivre.
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PACES : plus de stress, moins d’alcool
Charlotte Demarti
05.02.2018
Après plusieurs cas de suicides chez des étudiants en PACES ces derniers mois, on s’interroge de plus en plus sur l'état de stress auxquels sont soumis ces jeunes. L'étude i-Share vient apporter quelques éclaircissements.
L’étude i-Share menée sur la santé des étudiants a fait un éclairage particulier sur les étudiants en filière médicale. L'analyse a pris en compte les 1 360 étudiants en première année commune d’études de santé (PACES) et les 1 210 étudiants ayant intégré médecine (principalement en 2e et 3e années) des universités de Bordeaux, Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Nice, et qui ont accepté de participer à i-Share.
Après analyse de ces données, l’étude montre que les étudiants en PACES se sentent moins souvent en très bonne santé par rapport aux étudiants des années supérieures (20 % versus 32 %) et déclarent beaucoup plus souvent avoir une symptomatologie dépressive dans les 12 derniers mois (70 % versus 54 %). Par ailleurs, ils rapportent pratiquement deux fois plus de pensées suicidaires fréquentes, même si le taux d’étudiants concernés par les idées suicidaires reste faible (3,2 % versus 1,7 %).
Le spectre du concours pèse également sur les mentalités. Les étudiants en PACES ont un plus fort sentiment d'échec (44 versus 24 %), manquent de confiance en eux (73 % versus 62 %) et ont peur de l'échec aux examens (67 % versus 50 %).
Leur sommeil est estimé bon ou plutôt bon (50 % versus 64 %), mais ils ont toutefois des difficultés d'endormissement au moins une fois par semaine (47 % versus 32 %), et 52 % se déclarent plus souvent extrêmement somnolents dans la journée (versus 42 % pour les étudiants des années supérieures).
Comme attendu, les étudiants en première année ayant une forte charge de travail, ils ont globalement moins d'activités en dehors des cours : 41 % font du sport (versus 65 % des étudiants de médecine) et 11 % ont des activités extrascolaires (versus 49 %).
Seul élément positif, ils sont moins nombreux à consommer de l'alcool (au moins une fois par semaine : 26 % versus 71 %) et ont un peu moins souvent consommé du cannabis que les années supérieures (59 % versus 62 %).
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Suicide des internes : l'ISNI accuse le nouveau patron des doyens d'être dans le « déni de réalité » Cyrille Dupuis | 05.02.2018
Voilà une polémique dont le Pr Jean Sibilia, tout juste élu à la tête de la conférence des doyens de médecine, se serait volontiers passé.
Dans un entretien à notre confrère « What's up doc », le nouveau patron des doyens est questionné sur le suicide des internes, à l'heure où les médecins en formation viennent d'être à nouveau endeuillés par le suicide d'une jeune interne de dermatologie à Paris.
Idées noires, boulot compliqué et « coût humain »
« Les suicides réels sont très très rares, avance alors le Pr Sibilia. Les étudiants ont des idées noires et des difficultés mais je ne suis pas certain du tout que ce soit spécifique aux étudiants en médecine. Je crois que c’est l’expression de notre société, l’expression d’un mal-être plus global. Alors il ne faut jamais être dans le déni, mais il faut être juste, ne pas être dans l’instrumentalisation. Il y a intrinsèquement dans le métier de médecin quelque chose qui est stressant, mais ça n’a rien à voir avec l’organisation structurelle du système. »
Le doyen de Strasbourg, PU-PH en rhumatologie, souligne ensuite la difficulté particulière du métier de médecin, confronté en permanence à la souffrance humaine, et parfois sur la corde raide pour assurer la continuité des soins. « Nous on est là 24/24, 7/7. On est là pour la continuité des soins et il faut que ça marche, pour les gens. Et ça a un coût : un coût humain, qu’il faut réguler le mieux possible, pour avoir le moins de souffrance possible. On a un boulot compliqué, en étant confronté régulièrement au malheur des gens. Et ça, il faut qu’on l’apprenne à nos étudiants, pour ne pas qu’ils le découvrent en fin d’études. Ce sont des valeurs à transmettre, mais ce n’est pas facile. »
Dialectique délétère
Suicides réels « très très rares » des internes ? « Coût humain » de la continuité des soins qu'il faut « réguler le mieux possible » ? Pour l'ISNI, ces propos « tenus par un professeur et doyen censé se préoccuper de la santé des futurs médecins » traduisent un « déni de la réalité » alors que dix internes se sont donné la mort en un an. Le syndicat met également en cause une « dialectique délétère, scientifiquement fausse » alors que plusieurs études ont mis en évidence la souffrance psychique accrue des médecins en formation et le taux particulièrement élevé de suicides.
« Notre enquête de santé mentale, mais également plusieurs études concordantes, montrent que les internes présentent deux à cinq fois plus d’idées suicidaires que la population générale. Elle montre également un taux d’anxiété 4 fois supérieur et un taux de dépression 2 fois supérieur à la population générale », rappelle l'ISNI.
Mission en cours
Dans ce contexte, le syndicat souhaite que « l’omerta sur les risques psychosociaux menant au suicide de nos co-internes soit levée, et que cette ouverture soit d’abord menée par nos enseignants et dirigeants qui ont la responsabilité de notre bien-être ».
L'an passé, dans un livre blanc, l'ISNI avait exhorté le gouvernement à faire strictement respecter la loi sur le repos de sécurité et le temps de travail hebdomadaire et à rendre obligatoire la visite médicale auprès du médecin du travail pour tous les étudiants du troisième cycle. L'ISNI plaidait aussi pour la mise en place de groupes de parole réguliers dans les hôpitaux et demandait que les internes soient informés des dispositifs d'accompagnement et de soutien mis en place en cas de souffrance psychique.
La ministre de la Santé a également proposé à Donata Marra, une spécialiste du secteur, une mission sur les facteurs relatifs à la qualité de vie au travail des étudiants en santé.
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Suicides : la lettre ouverte des internes à la ministre de la Santé Agnès Buzyn
Publié le 5 février 2018 www.elle.fr*
Elle s’appelait Marine et elle avait 26 ans. Interne en dermatologie à l’hôpital Cochin, elle a mis fin à ses jours le 23 janvier. Elle était vue par ses collègues comme « extrêmement investie et passionnée ». Sur les douze derniers mois, une dizaine de suicides d’internes sont à déplorer en France. « Nous attendons une intervention concrète du ministère, il y a vraiment urgence à agir », rappelle Sébastien Potier, vice-président de l’Intersyndicale nationale des internes ( ISNI). « La quantité de travail des internes est un facteur majeur des risques psychosociaux, mais aussi la situation tendue de l’hôpital public et la pression budgétaire », explique celui qui est lui-même interne. Et puis il y a la compétitivité : en 1996, on comptait 3 200 internes contre 8 000 aujourd’hui. Si les internes restent solidaires, ils veulent aujourd’hui qu’on les écoute, qu’on les entende, et surtout ne plus faire le décompte morbide des collègues qui s’en vont trop tôt. Découvrez ci-dessous la lettre ouverte qu’ils ont fait parvenir à Agnès Buzyn le 4 février.
"Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé,
C’est avec le plus grand désarroi que nous avons appris le décès de notre consœur, Marine. Il n’existe aucun mot de réconfort et c’est avec la plus simple humilité que nous pensons à celles et ceux qui l’ont aimée, à celles et ceux qui ont vécu à ses côtés.
Un décès est une souffrance pour ceux qui restent, à un âge si jeune il devient une tragédie, son origine volontaire en fait un drame intolérable.
Le suicide de Marine, dernier d’une trop longue série ne fait que révéler une fois de plus, chaque fois de trop, l’échec de notre rôle de protection. Car c’est notre tâche à tous, c’est à chacun de nous, acteurs de santé, individuellement et collectivement de nous protéger au même titre que nos patients. Cette mission n’est pas échue qu’à certains, il l’est à chacun de nous, étudiant, interne, médecin, professionnel de santé, hospitalier, administratif, directeur, représentant, syndicaliste, associatif, enseignant, professeur, doyen, élu, conseiller, ministre.
C’était notre rôle à tous, et nous avons échoué.
« Mme la Ministre, nous avons perdu l’espoir d’être heureux dans notre rôle de soignant, cela est inacceptable »
Cet échec collectif est celui du système de prévention qui ne fonctionne pas suffisamment, celui de l’administration qui n’a pas les ressources pour maintenir des conditions de travail humainement tenables, celui de la grande famille de la santé dont les membres, déjà tous à bout, n’ont pas su ou pu percevoir la souffrance à temps.
Madame la Ministre, nous avons perdu l’espoir d’être heureux dans notre rôle de soignant, cela est inacceptable.
Le bien-être dans notre exercice n’est pas qu’un droit, c’est un devoir. Car il n’est pas concevable de prendre soin des autres sans être soi-même en bonne santé physique et psychique.
Alors, qu’attendons-nous pour prendre soin des soignants ?
Un suicide est plurifactoriel, on ne peut jamais exclure le travail comme facteur principal même si on ne peut jamais lui impacter l’exclusivité de la faute. Un suicide n’est pas un aléa, il n’est pas un accident, il n’est pas une fatalité. Nous pouvons l’empêcher.
Il nous faut prendre du recul, voir plus large, ouvrir notre esprit. Il nous faut changer le paradigme du système de prévention. Car le meilleur moyen d’empêcher un suicide c’est bien d’en empêcher l’idée même d’émerger.
Nous devons instiller l’idée que le bien-être est possible dans notre exercice. Cela passera par une révolution des mentalités, car non il n’est pas nécessaire de souffrir pour être un bon soignant. Il est primordial de transformer la façon d’enseigner, et pour cela commencer à former nos enseignants à la pédagogie.
Nous devons anticiper les risques avant que le mal-être ne survienne. Cela passera par la mise en place d’une visite médicale pour chaque interne, à chaque semestre, adaptée à chaque stage. Il faudra donner les moyens aux médecins du travail d’être efficaces dans leur rôle de mise en corrélation des risques psychosociaux et des conditions de travail.
Nous devons contrôler les abus sur le temps de travail, tant dans sa qualité que sa quantité. La question sociétale qui se pose aujourd’hui à la médecine c’est le passage du présentéisme à l’efficience. Cela passera par des mesures adaptées à un audit nécessaire de la quotité de travail non-médical indue aux professionnels de santé.
Nous devons repérer les premiers signes de mal-être. Car tant que le filet de la prévention primaire ne sera pas étanche, il y aura toujours des laissés-pour-compte. Nous devons être nos propres sentinelles. Pour cela, il faut former chaque acteur de santé à percevoir les premiers symptômes qui mèneront, s’ils ne sont pas jugulés à la source, à un nouveau drame. Chaque interne ainsi dépisté devra être suivi et accompagné.
Le suicide de Marine est la goutte de trop dans un vase déjà plein de tragédies similaires. Il nous impose à considérer que chaque jour compte, et que le prix du retard est bien trop lourd. Le rapport confié au Docteur Donata Marra par le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation doit nous amener des conclusions que nous ne pouvons attendre plus longtemps.
Madame la Ministre, nous nous tenons à votre entière disposition pour vous aider à mettre sans délai en action les mesures concrètes et nécessaires pour qu’un autre drame ne survienne pas.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression collective de notre peine la plus sincère et la plus profonde."
Pour l’ISNI,
Sébastien Potier
Vice-président
Prévention des Risques Psychosociaux
Jean-Baptiste Bonnet
Président
1er post 5/02/2018