Une étude pour prévenir le suicide chez les lycéens
source Lettre d’Information du CPN - Juin 2018 *
SEYLE est une
étude européenne qui a exploré la santé mentale et physique des lycéens
de 11 pays et a évalué l’efficacité de 3 programmes de prévention du
suicide. Les résultats ont produit des données scientifiquement validées
et culturellement adaptées, qui contribuent à lutter contre le suicide.
Le besoin d’évaluation du bien-être des jeunes en Europe d’une part, et des interventions de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire d’autre part, sont la base du projet SEYLE (Saving and Empowering Young Lives in Europe : « Sauver et Renforcer efficacement la vie des jeunes en Europe ») réalisé entre 2010 et 2011. Cette étude a fourni de nombreux résultats et enseignements.
L’étude
Les objectifs généraux de ce projet étaient de collecter des informations auprès des adolescents sur leur santé et leurs modes de vies à risque et leur rapport avec le bien-être, la dépression et le suicide ; leurs perceptions et attitudes envers la promotion de la santé mentale d’une part et les conduites à risque d’autre part ; leurs valeurs, leurs opinions ou leurs goûts en général.
L’étude avait aussi pour but de comparer les effets de trois différentes interventions de promotion de la santé et de réduction des comportements à risque chez les adolescents.
Les interventions se sont déroulées dans les 11 pays participants (Allemagne, Autriche, Espagne, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Israël, Italie, Roumanie, Slovénie sous la coordination du Karolinkska Institute de Stockholm, Suède) auprès de 12 395 élèves âgés de 14 à 16 ans. C’est l’âge où l’identité se construit et où les influences des parents sur les comportements des adolescents diminuent. De plus, les études épidémiologiques ont montré que c’est la tranche d’âge où les comportements à risque augmentent.
En France, c’est le Pr Jean-Pierre Kahn et son équipe qui ont mis en place l’étude. Vingt lycées de la région ont accepté d’y participer.
Une évaluation de la santé des élèves a été réalisée grâce à un questionnaire de 127 questions rempli 3 fois : au début de l’étude, 3 mois et 12 mois plus tard. Les interventions se sont déroulées lors du premier mois de l’étude (un seul type d’intervention par lycée) :
a) ProfScreen (Professional Screening) – Grâce au questionnaire, les professionnels de santé ont identifié les élèves présentant des comportements à risque et leur ont proposé un entretien d’évaluation clinique afin d’explorer plus en profondeur la nature et le degré de leurs difficultés. Si nécessaire, ils ont été orientés vers un professionnel de la santé mentale.
b) QPR (Question, Persuade and Refer) – Ce programme à destination du personnel des lycées, forme des « sentinelles » qui sauront identifier, puis adresser un jeune en souffrance vers un service de santé mentale.
c) YAM (« Youth Aware of Mental Health ») – Au travers de jeux de rôles, ce programme a pour but d’aider les jeunes à prendre conscience de leurs comportements favorables et défavorables à leur santé (mentale) et à renforcer leurs capacités à minimiser leurs comportements à risque.
Bilan
L’étude SEYLE a montré que près d’un tiers des adolescents a un fonctionnement impacté par une importante tristesse et a des idées suicidaires. Près d’un sur dix est cliniquement déprimé.
La consommation d’alcool est régulière pour environ 8% d’entre eux (2 fois par semaine ou plus). Ils sont 4,5% à consommer des drogues illégales et 10,7% à fumer 5 cigarettes par jour ou plus.
Seuls un peu moins de 60% d’entre eux dorment suffisamment, ils sont même près de 15% à dormir moins de 6 heures. De même, seuls environ 14% ont un niveau d’activité physique suffisant (60 mn par jour). Une analyse alarmante a également montré que plus de 50% des élèves subissent un harcèlement verbal, physique et/ou relationnel de la part de leurs pairs.
Enfin, deux résultats retiennent particulièrement notre attention :
Le programme YAM est le plus efficace des trois programmes évalués pour faire baisser les idées suicidaires sévères et les tentatives de suicide. Il est également le plus rationnel d’un point de vue médico-économique.
Il existe un « groupe à risque invisible » que l’on peut comparer à des élèves plus immédiatement identifiables en raison de leurs comportements à risques plus « bruyants ». Ainsi les élèves qui passent de longues heures devant leur ordinateur, dorment peu et sont très sédentaires ont un taux d’idées suicidaires, d’anxiété et de dépression aussi important que des élèves qui consomment de la drogue ou manquent l’école.
L’étude SEYLE a généré des résultats européens scientifiquement validés en matière d’épidémiologie, de promotion de la santé mentale et de prévention du suicide. A l’heure où Madame Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, met l’accent sur le développement de la prévention et de la sensibilisation en santé mentale auprès du grand public et des adolescentes en particulier, il nous incombe de mobiliser nos dirigeants et de les engager à utiliser ces résultats pour contribuer à l’amélioration de la santé mentale des adolescents. YAM est en effet un programme efficace et facile à mettre en place dans les lycées, en lien avec les autorités sanitaires et l’Education Nationale.
Pr Jean-Pierre Kahn et Alexandra Tubiana
Bibliographie non exhaustive :
1. Kahn, J.P., Guillemin, F., Tubiana, A., & Legrand, K. (2012). Un programme de recherche européen sur la prévention du suicide, La Revue de Santé Scolaire et Universitaire, 3(14), 29–31.
2. Tubiana, A., & Kahn, J.P. (2015). Santé mentale : peut-on dépister au lycée sans stigmatiser les élèves ? La Revue de Santé Scolaire et Universitaire, 6(35), 23–25.
3. Kahn, J.-P., Tubiana, A., Cohen, R. F., Carli, V., Wasserman, C., Hoven, C., … Wasserman, D. (2015). Important Variables When Screening for Students at Suicidal Risk : Findings from the French Cohort of the SEYLE Study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 12(10), 12277–12290.
4. Wasserman, D., Hoven, C. W., Wasserman, C., Wall, M., Eisenberg, R., Hadlaczky, G., … Carli, V. (2015). School-based suicide prevention programmes : the SEYLE cluster-randomised, controlled trial. Lancet.
5. Carli, V., Hoven, C. W., Wasserman, C., Chiesa, F., Guffanti, G., Sarchiapone, M., … Wasserman, D. (2014). A newly identified group of adolescents at “invisible” risk for psychopathology and suicidal behavior : findings from the SEYLE study. World Psychiatry : Official Journal of the World Psychiatric Association (WPA), 13(1), 78–86.
Pour une bibliographie complète :
Pr Jean-Pierre KAHN, jp.kahn@chru-nancy.fr
Alexandra TUBIANA, alexandra.tubiana@cpn-laxou.com
*http://www.cpn-laxou.com/-350.html
Info plus
Programme YAM http://www.y-a-m.org/the-programme/
Retrouvez également une présentation en français du programme YAM https://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2017/07/160712_SEYLE_programme_YAM.pdf
Le besoin d’évaluation du bien-être des jeunes en Europe d’une part, et des interventions de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire d’autre part, sont la base du projet SEYLE (Saving and Empowering Young Lives in Europe : « Sauver et Renforcer efficacement la vie des jeunes en Europe ») réalisé entre 2010 et 2011. Cette étude a fourni de nombreux résultats et enseignements.
L’étude
Les objectifs généraux de ce projet étaient de collecter des informations auprès des adolescents sur leur santé et leurs modes de vies à risque et leur rapport avec le bien-être, la dépression et le suicide ; leurs perceptions et attitudes envers la promotion de la santé mentale d’une part et les conduites à risque d’autre part ; leurs valeurs, leurs opinions ou leurs goûts en général.
L’étude avait aussi pour but de comparer les effets de trois différentes interventions de promotion de la santé et de réduction des comportements à risque chez les adolescents.
Les interventions se sont déroulées dans les 11 pays participants (Allemagne, Autriche, Espagne, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Israël, Italie, Roumanie, Slovénie sous la coordination du Karolinkska Institute de Stockholm, Suède) auprès de 12 395 élèves âgés de 14 à 16 ans. C’est l’âge où l’identité se construit et où les influences des parents sur les comportements des adolescents diminuent. De plus, les études épidémiologiques ont montré que c’est la tranche d’âge où les comportements à risque augmentent.
En France, c’est le Pr Jean-Pierre Kahn et son équipe qui ont mis en place l’étude. Vingt lycées de la région ont accepté d’y participer.
Une évaluation de la santé des élèves a été réalisée grâce à un questionnaire de 127 questions rempli 3 fois : au début de l’étude, 3 mois et 12 mois plus tard. Les interventions se sont déroulées lors du premier mois de l’étude (un seul type d’intervention par lycée) :
a) ProfScreen (Professional Screening) – Grâce au questionnaire, les professionnels de santé ont identifié les élèves présentant des comportements à risque et leur ont proposé un entretien d’évaluation clinique afin d’explorer plus en profondeur la nature et le degré de leurs difficultés. Si nécessaire, ils ont été orientés vers un professionnel de la santé mentale.
b) QPR (Question, Persuade and Refer) – Ce programme à destination du personnel des lycées, forme des « sentinelles » qui sauront identifier, puis adresser un jeune en souffrance vers un service de santé mentale.
c) YAM (« Youth Aware of Mental Health ») – Au travers de jeux de rôles, ce programme a pour but d’aider les jeunes à prendre conscience de leurs comportements favorables et défavorables à leur santé (mentale) et à renforcer leurs capacités à minimiser leurs comportements à risque.
Bilan
L’étude SEYLE a montré que près d’un tiers des adolescents a un fonctionnement impacté par une importante tristesse et a des idées suicidaires. Près d’un sur dix est cliniquement déprimé.
La consommation d’alcool est régulière pour environ 8% d’entre eux (2 fois par semaine ou plus). Ils sont 4,5% à consommer des drogues illégales et 10,7% à fumer 5 cigarettes par jour ou plus.
Seuls un peu moins de 60% d’entre eux dorment suffisamment, ils sont même près de 15% à dormir moins de 6 heures. De même, seuls environ 14% ont un niveau d’activité physique suffisant (60 mn par jour). Une analyse alarmante a également montré que plus de 50% des élèves subissent un harcèlement verbal, physique et/ou relationnel de la part de leurs pairs.
Enfin, deux résultats retiennent particulièrement notre attention :
Le programme YAM est le plus efficace des trois programmes évalués pour faire baisser les idées suicidaires sévères et les tentatives de suicide. Il est également le plus rationnel d’un point de vue médico-économique.
Il existe un « groupe à risque invisible » que l’on peut comparer à des élèves plus immédiatement identifiables en raison de leurs comportements à risques plus « bruyants ». Ainsi les élèves qui passent de longues heures devant leur ordinateur, dorment peu et sont très sédentaires ont un taux d’idées suicidaires, d’anxiété et de dépression aussi important que des élèves qui consomment de la drogue ou manquent l’école.
L’étude SEYLE a généré des résultats européens scientifiquement validés en matière d’épidémiologie, de promotion de la santé mentale et de prévention du suicide. A l’heure où Madame Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé, met l’accent sur le développement de la prévention et de la sensibilisation en santé mentale auprès du grand public et des adolescentes en particulier, il nous incombe de mobiliser nos dirigeants et de les engager à utiliser ces résultats pour contribuer à l’amélioration de la santé mentale des adolescents. YAM est en effet un programme efficace et facile à mettre en place dans les lycées, en lien avec les autorités sanitaires et l’Education Nationale.
Pr Jean-Pierre Kahn et Alexandra Tubiana
Bibliographie non exhaustive :
1. Kahn, J.P., Guillemin, F., Tubiana, A., & Legrand, K. (2012). Un programme de recherche européen sur la prévention du suicide, La Revue de Santé Scolaire et Universitaire, 3(14), 29–31.
2. Tubiana, A., & Kahn, J.P. (2015). Santé mentale : peut-on dépister au lycée sans stigmatiser les élèves ? La Revue de Santé Scolaire et Universitaire, 6(35), 23–25.
3. Kahn, J.-P., Tubiana, A., Cohen, R. F., Carli, V., Wasserman, C., Hoven, C., … Wasserman, D. (2015). Important Variables When Screening for Students at Suicidal Risk : Findings from the French Cohort of the SEYLE Study. International Journal of Environmental Research and Public Health, 12(10), 12277–12290.
4. Wasserman, D., Hoven, C. W., Wasserman, C., Wall, M., Eisenberg, R., Hadlaczky, G., … Carli, V. (2015). School-based suicide prevention programmes : the SEYLE cluster-randomised, controlled trial. Lancet.
5. Carli, V., Hoven, C. W., Wasserman, C., Chiesa, F., Guffanti, G., Sarchiapone, M., … Wasserman, D. (2014). A newly identified group of adolescents at “invisible” risk for psychopathology and suicidal behavior : findings from the SEYLE study. World Psychiatry : Official Journal of the World Psychiatric Association (WPA), 13(1), 78–86.
Pour une bibliographie complète :
Pr Jean-Pierre KAHN, jp.kahn@chru-nancy.fr
Alexandra TUBIANA, alexandra.tubiana@cpn-laxou.com
*http://www.cpn-laxou.com/-350.html
***
Info plus
Programme YAM http://www.y-a-m.org/the-programme/
Retrouvez également une présentation en français du programme YAM https://stopsuicide.ch/wp-content/uploads/2017/07/160712_SEYLE_programme_YAM.pdf