17 juillet 2018 sur theconversation.com**
Auteurs *
Emmanuel Abord de Chatillon
Professeur Chaire Management et Santé au Travail, Université Grenoble Alpes
Nathalie Commeiras
Professeur des Universités en Gestion des Ressources Humaines, Université de Montpellier
Les échanges au sein de l'équipe soignante sont un moyen efficace de lutter contre la souffrance au travail.
Suicides d’infirmières, démissions en bloc de médecins urgentistes à bout de nerfs, grèves pour protester contre l’état des conditions de travail des soignants à l’hôpital font régulièrement la une des médias ces dernières années. L’absentéisme, de plus en plus fort, s’établit ainsi à 27 jours selon l’Agence Technique de L’Information sur l’Hospitalisation.
« La fatigue, l’épuisement, c’est le quotidien aujourd’hui à l’hôpital », s’inquiète Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France (FHF). Les hôpitaux vont mal, et la santé de leur personnel, pas beaucoup mieux.
Et si les mieux placés pour trouver des solutions à ce mal-être étaient les soignants eux-mêmes ? Les travaux que nous avons menés récemment dans les hôpitaux et dans les cliniques montrent que les initiatives prises dans les unités de soin sont souvent les plus efficaces.
Une intensification du travail, davantage d’absentéisme
Les réformes de l’hôpital et de son financement se sont succédées depuis 30 ans. Elles ont modifié profondément l’organisation du travail des agents. Cela ne se fait pas, en effet, sans mettre sous pression des services déjà affectés par une intensification du travail qui a été encore plus forte entre 2003 et 2013 qu’au cours de la décennie précédente (Algava et coll., 2014).
À ces éléments s’ajoutent des contraintes très fortes liées aux nombreuses absences. Le personnel manque ; pour assurer les soins malgré tout, il faut rappeler les agents sur leurs temps de repos. Les métiers de l’hôpital sont de plus soumis à de très fortes contraintes émotionnelles. Le tout produit une perte de sens, dans une activité où cela est plus que nécessaire.
Face à ces difficultés, les managers ne restent pas les bras croisés. Les résultats de la recherche menée par notre équipe dans des hôpitaux publics et des cliniques privées en 2016 attestent que ces établissements mettent en place des actions de prévention des risques psychosociaux sans pour autant qu’il soit possible d’en évaluer l’efficacité.
Il s’agit d’enquêtes globales sur les conditions de travail, de diagnostics plus ou moins exhaustifs réalisés en collaboration avec des intervenants publics ou privés, de formations diverses et variées (méditation en pleine conscience, sensibilisation aux risques psychosociaux, gestion du stress…) ou encore de chartes de bon fonctionnement. Certaines structures offrent la possibilité de se détendre pendant les pauses, avec des salles de sport ou des fauteuils massants…
Usure, lassitude, perte de sens
Néanmoins, la situation ne semble pas évoluer sur le terrain. Dans toutes les institutions étudiées au cours de notre recherche, les soignants continuent à être soumis aux mêmes contraintes, avec les mêmes conséquences : absentéisme, lassitude, épuisement (ou burn-out), usure, perte de sens, sentiment de mal faire leur travail.
Les actions de prévention des risques psychosociaux s’inscrivent avant tout, aujourd’hui, dans des plans de communication. Il s’agit de « montrer que l’on fait », pour redorer une image écornée. L’effet pervers est que cela décourage les « bonnes volontés », et notamment celle des représentants du personnel qui ne souhaitent pas être perçus comme « des complices de la direction ».
Il faut dire aussi que l’hôpital, de plus en plus, ressemble à un monstre. Les établissements hospitaliers sont regroupés dans des pôles et des métiers qui sont autant de « mondes » différents. Les démarches de prévention venues d’en haut se heurtent à cette complexité. Les actions sont peu adaptées aux particularités de chaque métier et de chaque unité de soins. Les directions rencontrent alors des difficultés pour en assurer le suivi. Pour le personnel, ces actions apparaissent totalement artificielles. Ces démarches déconnectées du terrain « glissent » alors sur l’organisation, sans modifier l’activité au quotidien.
Le « bricolage » de solutions au sein des services
Dans un sursaut de survie, c’est au sein des services qu’émergent des solutions qui parviennent à limiter la souffrance au travail. Certains cadres de santé tentent d’améliorer eux-mêmes les conditions de travail de leurs collaborateurs. Comme si, face aux contraintes de l’hôpital et à l’inefficacité des démarches de prévention institutionnelles, le « bricolage » local, sous l’impulsion de l’encadrement, devenait le moyen ultime pour les soignants de se protéger d’un système délétère.
On peut ainsi donner l’exemple de ce service de gériatrie qui a totalement modifié le processus de toilette des patients d’une part en combinant tâches effectuées par un seul soignant et tâches en binômes et d’autre part en menant une réflexion sur les outils de la toilette (taille des serviettes, conditionnement du savon…) et sur les horaires pour améliorer à la fois la qualité du soin, mais aussi la relation au patient.
De plus, nombre de cadres de santé tentent de remettre en place des temps de parole, de réorganiser les moments de transmission entre équipes de jour et équipes de nuit pour les rendre plus efficaces. Ils créent aussi de nouveaux moments d’échanges où chacun peut s’exprimer et partager ce qu’est aujourd’hui le cœur de son métier et de ses difficultés.
Des échanges de services et des arrangements réciproques
Cette relation informelle est faite de soutien et d’arrangements réciproques. Face aux difficultés à gérer les emplois du temps et l’absentéisme, il s’agit de trouver des solutions qui conviennent à l’ensemble des parties. On assiste souvent à des échanges de services autour des plannings de chacun. Néanmoins, ces solutions sont éminemment dépendantes des cadres qui les portent, donc fragiles.
Les mécanismes d’entraide s’étendent aussi aux relations entre cadres de santé au sein d’un même établissement et plus particulièrement d’un même pôle. Des prêts de matériel ou de personnel peuvent s’opérer entre services, des patients peuvent être hébergés temporairement dans un service ami. Ces phénomènes reposent avant tout sur les bonnes relations entre les cadres concernés.
Enfin, les soignants prennent aussi la main, hors de toute intervention hiérarchique, pour trouver eux-mêmes des solutions. Ils créent parfois de nouvelles règles, pour réaliser les soins dans de meilleures conditions (comme par ex. mettre en œuvre à deux des soins devant être a priori être réalisés seuls ou réciproquement). Ils peuvent aussi forger de nouveaux espaces de communication, comme un groupe Facebook de leur équipe pour la transmission des consignes et les échanges de planning.
Reproduire ce qui est réussi dans un service
Nous pensons qu’à partir de ces expériences, il reste de la place pour une action concrète de la part des managers. À eux de faire l’inventaire des initiatives locales, dans leur établissement, et de tenter de reproduire ce qui est réussi dans un service au sein des autres.
Les managers peuvent aussi aider à reconstruire les collectifs de travail. Le développement d’espaces de discussion sur le travail semble, de ce point de vue, une piste essentielle d’action, comme montré dans deux études publiées en 2013 et en 2017. Cependant, pour atteindre pleinement son efficacité, la discussion doit s’ancrer dans les pratiques quotidiennes de travail et donner lieu à de vrais débats. Il reste donc, à l’hôpital, à donner suffisamment de ressources aux managers pour qu’ils puissent animer pleinement de telles rencontres.
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Professeur Chaire Management et Santé au Travail, Université Grenoble Alpes
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Professeur des Universités en Gestion des Ressources Humaines, Université de Montpellier
Déclaration d’intérêts
Le projet de recherche sur la prévention des RPS à l'hôpital a reçu un soutien financier de la DGAFP (Directions Générale de l'Administration et de la Fonction Publique).
La recherche sur la prévention des RPS à l'hôpital a reçu un soutien financier de la DGAFP (Direction Générale de l'Administration et de la Fonction Publique). Elle est membre de l'Association Francophone de la Gestion des Ressources Humaines.
Partenaires
Université Grenoble Alpes apporte des fonds en tant que membre fondateur de The Conversation FR.
Université de Montpellier apporte un financement en tant que membre adhérent de The Conversation FR.
Voir les partenaires de The Conversation France Republier cet article
** https://theconversation.com/hopital-quand-les-soignants-inventent-eux-memes-des-solutions-a-leur-mal-etre-89504
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Qualité de vie au travail – Zoom sur trois retours d’expériences
05.07.2018
sur https://webzine.has-sante.fr/portail/jcms/c_2860495/fr/qualite-de-vie-au-travail-zoom-sur-trois-retours-d-experiences
Depuis fin 2015, 189
établissements de santé se sont lancés dans l’expérimentation de
démarches de qualité de vie au travail, en partenariat avec la HAS,
l’Anact et la DGOS. Lors de la Paris Healthcare Week 2018, deux chercheurs ont présenté les enseignements anonymisés des démarches menées par trois de ces établissements.
La qualité de vie au travail des professionnels de santé contribue à favoriser la qualité et la sécurité des soins délivrés au patient. Depuis fin 2015, des expérimentations (ou « clusters ») sont conduites dans le cadre de la collaboration entre la HAS, l‘Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT). Christophe Massot, docteur en sciences de gestion et chercheur associé au Centre de recherche sur le travail et le développement (CNAM-CRTD), et Cathel Kornig, sociologue du travail – membre associé du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (LEST-CNRS-Aix-Marseille-Université) se sont rendus dans une dizaine d’établissements afin de réaliser une première évaluation de ces travaux.
Parmi les problèmes soulevés : la question du « timing » des interventions des différents professionnels d’une équipe de soins auprès des patients. Des interventions mal planifiées ou en retard impactent considérablement l’emploi du temps au sein d’une équipe.
Propos recueillis par Citizen press
La qualité de vie au travail des professionnels de santé contribue à favoriser la qualité et la sécurité des soins délivrés au patient. Depuis fin 2015, des expérimentations (ou « clusters ») sont conduites dans le cadre de la collaboration entre la HAS, l‘Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) sur l’amélioration de la qualité de vie au travail (QVT). Christophe Massot, docteur en sciences de gestion et chercheur associé au Centre de recherche sur le travail et le développement (CNAM-CRTD), et Cathel Kornig, sociologue du travail – membre associé du Laboratoire d'économie et de sociologie du travail (LEST-CNRS-Aix-Marseille-Université) se sont rendus dans une dizaine d’établissements afin de réaliser une première évaluation de ces travaux.
Faire émerger des propositions
Premier exemple, celui d’un centre de gérontologie doté de plus de 300 lits. Il emploie plus de 400 personnes en équivalent temps plein. De nombreux changements organisationnels sont intervenus dans cet établissement depuis 5 ans, avec comme corollaire, des suppressions de postes. Ces évolutions ont conduit à des tensions et les relations se sont dégradées dans certains services. Pour faire face à cette situation, la direction des ressources humaines et les délégués du personnel ont souhaité travailler ensemble sur la qualité de vie au travail. Un groupe de travail a été constitué avec les représentants de différentes professions de santé (médecins, soignants, administratifs…). Son parti pris : ne traiter que des aspects qui concernent le travail quotidien en partant des questions posées par les professionnels de l’équipe, et ne pas aborder de front les conflits.Parmi les problèmes soulevés : la question du « timing » des interventions des différents professionnels d’une équipe de soins auprès des patients. Des interventions mal planifiées ou en retard impactent considérablement l’emploi du temps au sein d’une équipe.
Illustrer concrètement les dysfonctionnements
Deuxième exemple, celui d’un hôpital situé dans une ville de 30 000 habitants. Il dispose de 1 000 lits, emploie 1 600 salariés, et propose des services de médecine, de chirurgie et d’obstétrique. L’établissement souffre d’une mauvaise réputation et peine à recruter des professionnels de santé. La directrice des soins et la DRH ont donc souhaité travailler sur la qualité de vie au travail pour améliorer l’attractivité du centre hospitalier. Leur démarche s’est concentrée autour du service ambulatoire que l’hôpital souhaite développer, mais qui connaît d’importants dysfonctionnements. Le groupe de travail était constitué du cadre de santé du service, des 12 membres de l’équipe de soins et d’un brancardier. Au cours de cette démarche, chacun a été invité à prendre deux photos d’une situation de travail pour illustrer un dysfonctionnement. Les photos ont ensuite été partagées et discutées afin de proposer solutions et aménagements. Le groupe de travail a ainsi pu élaborer et présenter un plan d’action à la direction pour réorganiser le service.Analyser en détail l’activité
Le troisième exemple est celui d’un établissement de santé mentale qui emploie 130 salariés et dispose de 100 lits de court séjour. La démarche autour de la qualité de vie au travail s’inscrit dans un contexte particulier puisque les services doivent déménager. Ce déménagement offre l’opportunité de repenser l’organisation de l’hôpital. Le groupe de travail, qui réunit les différents professionnels et une qualiticienne, s’est notamment penché sur la question de l’administration des médicaments aux patients. Plusieurs solutions ont émergé mais aucune ne faisait l’unanimité. Le groupe a alors expérimenté deux solutions en parallèle : d’une part, l’administration des médicaments en salle (tous les patients se rendent en même temps dans la salle), et de l’autre, l’administration dans les chambres des patients. Finalement, l’administration en salle fut choisie, l’administration en chambre étant plus complexe à gérer.Redevenir acteurs et forces de proposition
Christophe Massot et Cathel Kornig tirent plusieurs enseignements de ces exemples. Indéniablement, le fait d’aborder les problèmes du travail quotidien et de rechercher des solutions collectives permet aux groupes de travail de dépasser les conflits interpersonnels. Par ailleurs, l’engagement de la direction est indispensable pour valoriser le travail fait en groupe et y donner suite. Plus généralement, les expérimentations montrent qu’il est nécessaire de faire en sorte que le groupe de travail analyse lui-même l’activité pour explorer d’autres manières de fonctionner et de capitaliser sur les nouveaux rapports sociaux qui peuvent émerger de l’expérimentation.Propos recueillis par Citizen press