jeudi 26 juillet 2018

PRESSE Comment expliquer l’impact du résultat d’une compétition sportive sur le taux de suicide?

Comment expliquer l’impact du résultat d’une compétition sportive sur le taux de suicide?
Le taux de suicide est influencé par les résultats du football, mais aussi par d’autres sports. Et cela concerne surtout les hommes jeunes.





C’est l’effet Coupe du monde: la victoire de la France a mis du baume au cœur à tous les supporters et supportrices, et plus largement à des millions de Français et Françaises. Ainsi après la finale, le moral des hexagonaux est en nette hausse, comme à chaque fois que la France gagne.
C’était déjà le cas lors de la victoire de 1998. Selon l’étude réalisée par Expert Market, l’indicateur du moral des Français avait fait un bond de 2,8% à ce moment-là. Lorsque l’équipe de France arrive en finale en 2006, il grimpe aussi de 2,1%. Mais en 2002 et 2010, quand les Bleus sont éliminés dès le premier tour, il chute respectivement de 1,8% puis de 1,2%.




Ces fluctuations de l’humeur nationale, que les joueurs tiennent au bout de leurs pieds, pourraient avoir de nombreuses conséquences et influencer autant l’économie que la popularité du président de la République. Mais elles ont aussi des effets bien tangibles: les victoires font chuter le nombre de suicides.

«Durant la Coupe du monde de 1998, nous avons accueilli moins de personnes en crise suicidaire», se souvient le Dr Jean-Claude Girod, psychiatre à l’hôpital de la Chartreuse à Dijon. «Il y avait alors un véritable effet de groupe, les patients partageaient quelque chose d’évident. Même nos patients psychotiques se rendaient les uns chez les autres pour regarder les matchs: c’était réellement fédérateur.»
Un phénomène mis en évidence par une étude où des chercheurs ont démontré une nette baisse du taux de suicide de 10,3% (-95 suicides) le mois suivant la victoire française. Le lendemain de chaque match, une forte diminution (-19,9%) était aussi retrouvée par rapport au taux attendu. Cette baisse significative concernait surtout les hommes de 30 à 44 ans. Mais comment le football –lorsqu’il est gagnant– permet-il de protéger du suicide?

«Tu ne marcheras jamais seul»
L’un des principaux facteurs de risque suicidaire est la perte de lien social, c’est-à-dire «l’anomie» selon le terme employé par Durkheim dans son livre Le Suicide. Associé à d’autres facteurs tels que la maladie mentale, l’isolement est un fort pourvoyeur de suicides. Or une victoire au Mondial de football –événement fédérateur comme il y en a rarement– vient temporairement briser cet isolement.
«Le niveau d’intégration social a considérablement augmenté durant la Coupe du monde de 1998 en France», écrivent les auteurs de l'étude citée précédemment. «Les gens passaient du temps avec leurs amis en regardant les matchs à la maison, dans les bars ou devant des écrans géants. Après chaque victoire française, une foule envahissait les rues pour la célébrer.»
Que ce soit par le sentiment d’appartenance –être fier de son pays– ou par l’augmentation des relations sociales –célébrer la fin du match dans la rue avec des inconnus ou plus simplement avoir un sujet de conversation à la machine à café–, une victoire dans un sport aussi populaire que le football permet de resserrer le lien social et donc de prévenir le suicide. «You’ll never walk alone», chantent ainsi les supporters de Liverpool.

Un phénomène d’identification
Si le football est le sport le plus populaire en France, cet effet protecteur se retrouve aussi ailleurs. En 2011, la Nouvelle-Zélande gagne la coupe du monde de rugby à domicile contre la France. Son taux de suicide s’effondre alors jusqu’à devenir presque nul. Aux États-Unis, à plusieurs occasions, le taux de suicide a varié en fonction des résultats sportifs. Dans certains comtés, il a par exemple augmenté lors de la défaite de l’équipe de football américain locale. Il a par contre diminué lors d’événements sportifs fédérateurs comme la victoire des USA sur les Soviétiques en 1980 ou plus récemment lors des Super Bowl.
Pour le Dr Charles-Édouard Notredame, psychiatre qui participe au programme Papageno de prévention du suicide, les facteurs psychologiques et sociologiques sont nettement intriqués. «Des phénomènes d’ampleur nationale comme la Coupe du monde resserrent les liens sociaux, la cohésion d’une nation et renforce le sentiment d’appartenance. Or à l’échelon individuel, le sentiment d’appartenance est directement relié à l’estime de soi et à la confiance. Du coup, cela a un effet protecteur par rapport au suicide.»
«Dès qu’il y a vraiment des supports identificatoires, comme les sportifs, c’est hyperprotecteur»
Pourquoi cet «effet Coupe du monde» impacte-t-il plus les hommes? «L’effet observé chez les hommes peut s’expliquer par le fait qu’ils sont plus engagés en tant que spectateurs que les femmes», suggèrent les chercheurs. Le supportérisme dans sa version la plus passionnée est souvent une affaire masculine. Dans la victoire comme dans la défaite, les hommes vont donc être les plus sensibles aux résultats de leur équipe.
En effet, les supporters s’identifient à leur équipe. «Le fait que soient touchés en priorité des hommes, d’une classe d’âge jeune qui correspond à celle des joueurs sur le terrain, laisse supposer qu’il y a un phénomène d’identification, analyse le Dr Notredame. On est tellement en mal d’identification dans la société d’aujourd’hui, qu’il y a une avidité à ce propos. Mais en même temps, on n’arrête pas de faire déchoir, à tort ou à raison, les principales grandes icônes qu’on avait auparavant. Il y a donc inadéquation entre l'exhortation à se trouver une identité et une pauvreté du support. Dès qu’il y a vraiment des supports identificatoires, comme les sportifs, c’est hyperprotecteur.»

Et en cas de défaite?
Combien de temps peut durer cette douce euphorie? Pas longtemps selon le Dr Girod. «Malheureusement en 1998, nous avons eu un effet rebond et les crises suicidaires ont augmenté une fois la Coupe du monde passée, se souvient-il. L’effet apaisant n’a pas duré.»
Et en cas de défaite? Durant le Mondial 2018, quelques cas ont défrayé la chronique, tels que le suicide de cet Indien, fan de l’Argentine, après la débâcle des Sud-Américains. En 1950, après une cuisante défaite brésilienne à domicile, deux supporters s’étaient suicidés en se jetant des gradins, comme le rapportait un article de la BBC.
Plusieurs études abondent dans ce sens. L’une d’elles avait par exemple démontré qu’au Québec, durant les éliminatoires de hockey, les jeunes hommes sont plus à risque de se donner la mort. Leur taux de suicide, variant avec le classement de leur équipe, augmente lorsque celle-ci est éliminée.
Ainsi le sport peut avoir un impact majeur sur la vie de certaines personnes. Une victoire aura un effet fédérateur et donc protecteur par le sentiment d’appartenance et le renforcement des liens sociaux qu’elle entraîne. Mais à l’opposé, la défaite d’une équipe surinvestie émotionnellement peut fragiliser certains individus.
«La plupart des théories qui expliquent les relations entre sport et suicide font référence au sentiment d’appartenance, d’intégration sociale, ainsi qu’aux cérémonies et activités sociales», concluent les auteurs de l’étude sur la victoire de 1998. «Ce qui souligne l’importance du renforcement du lien social dans la prévention du suicide.» L’esprit d’équipe avant tout.
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