Comment expliquer l’impact du résultat d’une compétition sportive sur le taux de suicide?
Le taux de suicide est
influencé par les résultats du football, mais aussi par d’autres sports.
Et cela concerne surtout les hommes jeunes.
C’est l’effet Coupe du monde: la victoire de la
France a mis du baume au cœur à tous les supporters et supportrices, et
plus largement à des millions de Français et Françaises. Ainsi après la
finale, le moral des hexagonaux est en nette hausse, comme à chaque fois que la France gagne.
C’était déjà le cas lors de la victoire de 1998. Selon l’étude réalisée par Expert Market, l’indicateur du moral des Français
avait fait un bond de 2,8% à ce moment-là. Lorsque l’équipe de France
arrive en finale en 2006, il grimpe aussi de 2,1%. Mais en 2002 et 2010,
quand les Bleus sont éliminés dès le premier tour, il chute
respectivement de 1,8% puis de 1,2%.
Ces fluctuations de l’humeur nationale, que les joueurs tiennent au bout de leurs pieds, pourraient avoir de nombreuses conséquences et influencer autant l’économie que la popularité du président de la République. Mais elles ont aussi des effets bien tangibles: les victoires font chuter le nombre de suicides.
«Durant la Coupe du monde de 1998, nous avons accueilli moins de personnes en crise suicidaire», se souvient le Dr Jean-Claude Girod, psychiatre à l’hôpital de la Chartreuse à Dijon. «Il
y avait alors un véritable effet de groupe, les patients partageaient
quelque chose d’évident. Même nos patients psychotiques se rendaient les
uns chez les autres pour regarder les matchs: c’était réellement
fédérateur.»
Un phénomène mis en évidence par une étude
où des chercheurs ont démontré une nette baisse du taux de suicide de
10,3% (-95 suicides) le mois suivant la victoire française. Le lendemain
de chaque match, une forte diminution (-19,9%) était aussi retrouvée
par rapport au taux attendu. Cette baisse significative concernait
surtout les hommes de 30 à 44 ans. Mais comment le football –lorsqu’il
est gagnant– permet-il de protéger du suicide?
«Tu ne marcheras jamais seul»
L’un des principaux facteurs de risque suicidaire est la perte de lien social, c’est-à-dire «l’anomie» selon le terme employé par Durkheim dans son livre Le Suicide.
Associé à d’autres facteurs tels que la maladie mentale, l’isolement
est un fort pourvoyeur de suicides. Or une victoire au Mondial de
football –événement fédérateur comme il y en a rarement– vient
temporairement briser cet isolement.
«Le niveau d’intégration social a considérablement augmenté durant la Coupe du monde de 1998 en France», écrivent les auteurs de l'étude citée précédemment.
«Les gens passaient du temps avec leurs amis en regardant les matchs à
la maison, dans les bars ou devant des écrans géants. Après chaque
victoire française, une foule envahissait les rues pour la célébrer.»
Que
ce soit par le sentiment d’appartenance –être fier de son pays– ou par
l’augmentation des relations sociales –célébrer la fin du match dans la
rue avec des inconnus ou plus simplement avoir un sujet de conversation à
la machine à café–, une victoire dans un sport aussi populaire que le
football permet de resserrer le lien social et donc de prévenir le
suicide. «You’ll never walk alone», chantent ainsi les supporters de Liverpool.
Un phénomène d’identification
Si
le football est le sport le plus populaire en France, cet effet
protecteur se retrouve aussi ailleurs. En 2011, la Nouvelle-Zélande
gagne la coupe du monde de rugby à domicile contre la France. Son taux
de suicide s’effondre alors jusqu’à devenir presque nul. Aux États-Unis, à plusieurs occasions, le taux de suicide a varié
en fonction des résultats sportifs. Dans certains comtés, il a par
exemple augmenté lors de la défaite de l’équipe de football américain
locale. Il a par contre diminué lors d’événements sportifs fédérateurs
comme la victoire des USA sur les Soviétiques en 1980 ou plus récemment
lors des Super Bowl.
Pour le Dr Charles-Édouard Notredame, psychiatre qui participe au programme Papageno de prévention du suicide, les facteurs psychologiques et sociologiques sont nettement intriqués. «Des
phénomènes d’ampleur nationale comme la Coupe du monde resserrent les
liens sociaux, la cohésion d’une nation et renforce le sentiment
d’appartenance. Or à l’échelon individuel, le sentiment d’appartenance
est directement relié à l’estime de soi et à la confiance. Du coup, cela
a un effet protecteur par rapport au suicide.»
«Dès qu’il y a vraiment des supports identificatoires, comme les sportifs, c’est hyperprotecteur»
Pourquoi cet «effet Coupe du monde» impacte-t-il plus les hommes? «L’effet observé chez les hommes peut s’expliquer par le fait qu’ils sont plus engagés en tant que spectateurs que les femmes», suggèrent les chercheurs.
Le supportérisme dans sa version la plus passionnée est souvent une
affaire masculine. Dans la victoire comme dans la défaite, les hommes
vont donc être les plus sensibles aux résultats de leur équipe.
En effet, les supporters s’identifient à leur équipe. «Le
fait que soient touchés en priorité des hommes, d’une classe d’âge
jeune qui correspond à celle des joueurs sur le terrain, laisse supposer
qu’il y a un phénomène d’identification, analyse le Dr Notredame.
On est tellement en mal d’identification dans la société d’aujourd’hui,
qu’il y a une avidité à ce propos. Mais en même temps, on n’arrête pas
de faire déchoir, à tort ou à raison, les principales grandes icônes
qu’on avait auparavant. Il y a donc inadéquation entre l'exhortation à
se trouver une identité et une pauvreté du support. Dès qu’il y a
vraiment des supports identificatoires, comme les sportifs, c’est
hyperprotecteur.»
Et en cas de défaite?
Combien de temps peut durer cette douce euphorie? Pas longtemps selon le Dr Girod. «Malheureusement
en 1998, nous avons eu un effet rebond et les crises suicidaires ont
augmenté une fois la Coupe du monde passée, se souvient-il. L’effet apaisant n’a pas duré.»
Et en cas de défaite? Durant le Mondial 2018, quelques cas ont défrayé la chronique, tels que le suicide de cet Indien,
fan de l’Argentine, après la débâcle des Sud-Américains. En 1950, après
une cuisante défaite brésilienne à domicile, deux supporters s’étaient
suicidés en se jetant des gradins, comme le rapportait un article de la BBC.
Plusieurs études abondent dans ce sens. L’une d’elles
avait par exemple démontré qu’au Québec, durant les éliminatoires de
hockey, les jeunes hommes sont plus à risque de se donner la mort. Leur
taux de suicide, variant avec le classement de leur équipe, augmente
lorsque celle-ci est éliminée.
Ainsi
le sport peut avoir un impact majeur sur la vie de certaines personnes.
Une victoire aura un effet fédérateur et donc protecteur par le
sentiment d’appartenance et le renforcement des liens sociaux qu’elle
entraîne. Mais à l’opposé, la défaite d’une équipe surinvestie
émotionnellement peut fragiliser certains individus.
«La
plupart des théories qui expliquent les relations entre sport et
suicide font référence au sentiment d’appartenance, d’intégration
sociale, ainsi qu’aux cérémonies et activités sociales», concluent les auteurs de l’étude sur la victoire de 1998. «Ce qui souligne l’importance du renforcement du lien social dans la prévention du suicide.» L’esprit d’équipe avant tout.
Pour obtenir de l'aide, discuter, avoir l'écoute de quelqu'un:
> S.O.S Amitié sos-amitie.com ou 09 72 39 40 50
> Suicide écoute suicide-ecoute.fr ou 01 45 39 40 00
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