Delphine Jung
4 octobre 2019 https://ici.radio-canada.ca*
Une
équipe d’universitaires et de travailleurs sociaux a créé un manuel à
destination des enseignants pour les aider à aborder la question du
suicide chez les jeunes Autochtones tout en respectant les valeurs des
différentes communautés.
Il aura fallu deux années à l’équipe de Harvey McCue pour mettre en ligne ce manuel de près de 200 pages intitulé First Nations Youth Suicide Prevention Curriculum.
Le suicide est un enjeu qui touche beaucoup les communautés autochtones au Canada
, explique Harvey McCue, membre de la communauté anichinabée de Georgina Island et co-directeur du projet.
L’idée d’un tel manuel lui est venue alors qu’il venait
de fonder l’organisme First Nations Youth at Risk. Il avait alors
réalisé que plusieurs communautés désiraient prendre le problème des
suicides à bras le corps.
D’après
les derniers chiffres de Statistique Canada publiés en 2019, le taux de
suicide des populations autochtones est trois fois plus élevé que le
taux de suicide observé au sein des populations non autochtones, entre
2011 et 2016.
Les professeurs, des « gardiens »
Pour
remédier à cette situation, l’équipe de M. McCue, composée de huit
personnes, dont cinq membres des Premières Nations, a ainsi décidé de
miser sur les enseignants.
Les problèmes des jeunes sont le plus souvent connus à l’école […]
, peut-on lire dans le guide qui présente les enseignants comme des « gardiens ».
L’équipe place donc beaucoup d’espoir en eux. Le manuel
doit les aider à « comprendre les facteurs de risque [pour] réduire les
tentatives de suicide et l'automutilation. L'objectif de ce programme
est de promouvoir la résilience et d'inspirer l'espoir chez les jeunes
Autochtones », précise Amy Alberton, la rédactrice en chef du manuel et
doctorante à l'École de service social de l'Université de Windsor, en
Ontario.
Il doit aussi permettre aux enseignants de prendre conscience des signes avant-coureurs et d'interpréter certains signes.
Cet
outil pédagogique disponible en ligne gratuitement est composé de 24
modules d’une durée d’environ une heure, accompagnés de courtes vidéos.
On peut y entendre la voix de l’humoriste cri Howie Miller.
Il contient du matériel nécessaire pour animer des
activités en classe, comme des jeux-questionnaires, la tenue d’un
journal pour chaque élève, etc. Il est aussi expliqué quelle est la
meilleure manière de parler du sujet délicat du suicide.
Pour le réaliser, l’équipe de M. McCue a épluché toute la
littérature scientifique sur le sujet et s’est inspirée de ce qui se
fait en termes de prévention en Australie et aux États-Unis.
Respecter la culture autochtone
Le
principal défi pour M. McCue, qui a aussi été directeur de la
Commission scolaire crie (1983-1988), était de créer un manuel qui
respecte les valeurs des Autochtones : « le partage, la
bienveillance… », évoque-t-il entre autres. Il peut donc
être appliqué dans les différentes communautés autochtones du Canada
, ajoute Mme Alberton.
Pour le co-directeur, certaines méthodes employées par les professeurs ne correspondent pas toujours aux cultures autochtones.
Parler
devant d’autres gens n’est pas facile pour eux. C’est quelque chose de
très occidental. C’est quelque chose qui fonctionne en France, en
Angleterre, mais pas avec les Autochtones
, dit M. McCue.
Ainsi, selon lui, tout enseignant qui tentera de créer un espace de
discussion en classe devra faire face à un échec. Nous
avons donc prévu différentes techniques dans le programme pour
permettre aux enseignants d'engager le dialogue avec leurs élèves sans
s'en remettre aux discussions en classe
, poursuit-il.
Pour le moment, le manuel s’adresse aux élèves de 11 à 14 ans.
À cet âge-là, ils commencent tout juste leur puberté, plein de choses arrivent dans leur vie, ils essayent de découvrir qui ils sont. Ils sont vulnérables.
Toutefois, M. McCue aurait aimé toucher aussi les plus petits et les plus grands, mais les fonds manquaient.
Pour ce premier projet, l’équipe a reçu un financement de 250 000 $ de la part de Services aux Autochtones Canada.
Après six semaines d’utilisation par différents
professeurs, M. McCue assure que les retours ont été pour l’heure très
positifs. « Un suivi sera fait. C’est pour cela que nous avons distribué
un questionnaire aux enseignants et aux élèves pour avoir leurs
retours », dit-il.
Le manuel est utilisé dans plusieurs écoles au Canada et
même aux États-Unis, notamment à Milwaukee, dans le Wisconsin. Il sera
disponible en français début 2020.