Serait-ce une fatalité française ? Les chiffres sur le suicide ne sont pas bons : l’Hexagone présente toujours un des taux les plus élevés d’Europe, avec près de 9 000 suicides par an. Et ce chiffre ne s’améliore pas vraiment.
«Chaque suicide est une catastrophe, à l’origine de beaucoup de douleur et de traumatismes chez les proches, et il peut être l’un des événements les plus pénibles auxquels sont confrontés les professionnels de santé», écrit Pierre Thomas, professeur de psychiatrie à Lille, dans un éditorial du BEH (1) qui paraît ce mardi matin, à l’occasion de la 23e journée nationale pour la prévention du suicide. Et de détailler : «On considère qu’un suicide endeuille en moyenne sept proches et impacte plus de vingt personnes. Il est démontré que le risque de suicide augmente significativement dans l’entourage d’une personne suicidée. Et cette observation a conduit à développer l’idée de la contagion suicidaire et à tenter de mettre en œuvre des moyens pour lutter contre cette contagion.»
Facteurs de risque connus
Pour ce nouvel état des lieux, le baromètre de Santé publique France a interrogé en 2017 plus de 25 000 personnes de 18 à 75 ans, autour des pensées suicidaires ainsi que des tentatives de suicide. En 2017, ce sont 4,7% des 18-75 ans qui «ont déclaré avoir pensé à se suicider au cours des douze derniers mois», 7,2% ont tenté de se suicider au cours de leur vie. Et 0,39% au cours de l’année. C’est beaucoup, cela fait plus d’un million de personnes qui ont pensé à se suicider l’année écoulée.
On retrouve des facteurs de risque bien connus : le fait d’être une femme, de vivre une situation financière délicate, mais aussi le fait d’être célibataire, divorcé ou veuf. L’inactivité professionnelle joue également ainsi que des événements traumatisants. Reste que «le facteur le plus associé aux pensées suicidaires reste d’avoir vécu un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année».

Les femmes en première ligne
Sont-elles moins cachottières, ou alors plus cash ? Les femmes déclarent davantage de pensées suicidaires ou des tentatives de suicide (TS) que les hommes. Elles sont également plus nombreuses à avoir été hospitalisées pour une tentative. «Cela peut sembler paradoxal au regard des données de mortalité par suicide observées en 2015, qui sont nettement plus élevées chez les hommes.» En fait, ce paradoxe apparent, qualifié de «gender paradox», est bien connu des spécialistes. On le retrouve systématiquement dans les travaux comparant les TS et les décès par suicide. «L’un des facteurs explicatifs serait l’utilisation de moyens plus létaux chez les hommes (armes à feu, pendaison) entraînant, malgré un plus faible nombre de tentatives, davantage de décès que chez les femmes.»
Dautres éléments peuvent influer. Ces différences face au suicide peuvent être liées «à des normes sociales genrées, comme l’expression de la souffrance, la recherche d’aide». L’acceptation sociale de l’acte suicidaire ayant toute «une incidence sur les modalités et l’intentionnalité de l’acte suicidaire».
Plus généralement, d’autres facteurs – en particulier les événements de vie douloureux pendant l’enfance ou l’adolescence – tels que le décès ou la maladie d’un proche, un climat de violence familiale et surtout le fait d’avoir subi des violences sexuelles, semblent être des déterminants majeurs de passages à l’acte.

Manque de suivi post-tentative
C’est peut-être ce qui est le plus troublant : la non-réussite des politiques publiques. Nous assistons, certes, à une lente décroissance de la mortalité suicidaire sur les dix dernières années, mais pas sur les tentatives de suicide qui sont plutôt en légère hausse. Aux yeux des spécialistes, «cette évolution est très insuffisante». Et nous sommes loin de l’objectif d’aboutir à une «cassure» des courbes d’évolution des tentatives et des décès par suicide. Au mieux, nous sommes à un palier.
Face à ce drame de santé publique, il s’agit d’intervenir aussi bien «à proximité du passage à l’acte suicidaire» qu’après, pour maintenir le contact post-hospitalisation avec les personnes ayant effectué une tentative de suicide. Les dispositifs sont classiques. Comme la mise en œuvre d’un numéro unique avec une ligne d’appel d’urgence dédiée à la crise suicidaire, mais aussi et surtout l’attention aux proches pour prévenir de la contagion suicidaire. Et c’est là que les insuffisances sont les plus criantes. «Seulement la moitié des personnes déclarant des pensées suicidaires au cours de l’année en ont parlé à quelqu’un et que la moitié des personnes ayant effectué une tentative de suicide au cours de la vie déclarent avoir été suivies par un professionnel de santé après leur TS», note le BEH.

Les jeunes, un groupe bien fragile
Dans un travail inédit, l’enquête sur la santé et les consommations lors de l’Appel de préparation à la défense (Escapad) pointe des chiffres en effet alarmants (2). «Plus de 4% des filles et près de 3% des garçons de 17 ans ont déclaré en 2017 une tentative de suicide suivie d’une hospitalisation au cours de leur vie». Et «plus d’un jeune sur dix – deux fois plus souvent les filles – a déclaré des pensées suicidaires au cours de l’année».
Souvent, ce risque est associé à des prises de drogues, légales ou non. Mais on manque encore beaucoup de données. Ainsi, chez les jeunes, beaucoup de tentatives ne sont pas recensées. Et toujours selon Escapad 2008, «seul un quart des TS déclarées au cours de la vie par les jeunes de 17 ans ont donné lieu à une hospitalisation». En plus, «un résultat important de notre étude est l’augmentation significative des pensées suicidaires et des tentatives suicidaires entre 2011 et 2017 chez les filles».
Ces résultats s’inscrivent dans la lignée des données observées auprès de la population générale qui indiquent, chez les femmes seulement, une hausse des pensées comme des tentatives entre 2000 et 2017.
(1) Bulletin épidémiologique hebdomadaire numéro 3-4 : «Suicide et tentatives de suicide : données épidémiologiques récentes.»
(2) Questionnaire soumis aux jeunes français lors de la Journée défense et citoyenneté (JDC).
Eric Favereau