Suicide : quand prévention rime avec coercition
Écrit le 8 novembre 2018 sur https://oip.org/*
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Six ans après son adoption, le plan de
prévention du suicide en détention de 2009 a fait l’objet d’un audit,
réalisé par les inspections générales des services judiciaires et des
affaires sociales. L’OIP s’est procuré leur rapport. Les constats sont
accablants.
Décryptage.
Décryptage.
On aurait tort de taxer l’administration
pénitentiaire d’indifférence face au nombre anormalement élevé de
suicides parmi les personnes dont elle a la garde. Depuis les années
1990, les rapports, plans, circulaires et notes se succèdent, comme
autant de témoins de la préoccupation de l’administration pour ce sujet.
Échouant à chaque fois, hélas, à résoudre le problème, puisque l’on
déplorait encore 103 suicides en prison en 2017(1) – soit un taux de
près de 15 suicides pour 10 000 personnes, entre six et sept fois plus
qu’à l’extérieur. Neuf ans après son adoption, l’administration
pénitentiaire tente toujours laborieusement de décliner sur le terrain
le plan d’action ministériel relatif à la prévention du suicide des
personnes détenues du 15 juin 2009, élaboré à partir des recommandations
du rapport Albrand. Or, non seulement elle a concentré son effort sur
les mesures les plus critiquables, délaissant les axes qui allaient dans
le bon sens, mais ce que révèle en plus un rapport d’audit réalisé par
les inspections générales des services judiciaires, pénitentiaires et
des affaires sociales(2), c’est que certaines de ces mesures sont
parfois détournées de leur finalité et utilisées à des fins répressives.
Des dérives qui ne font que refléter les paradoxes d’une administration
pour laquelle protection et coercition se confondent. Et qui fait
passer son obsession de la « discipline » loin devant son devoir de
protection.
Une prise en charge souvent réduite à un renforcement de la surveillanceEn principe, les personnes repérées comme suicidaires doivent bénéficier d’un plan individuel de protection, dit PIP. Décidé en commission pluridisciplinaire unique (CPU), il comporte des mesures allant de l’octroi d’une communication téléphonique supplémentaire à une demande de consultation en urgence par le service médical, ainsi que « des actions précises visant à agir sur les facteurs de risque ou de protection »(3). Selon les recommandations du rapport Albrand, cela devrait inclure l’organisation rapide d’un parloir, la désignation d’un visiteur de prison, l’examen prioritaire d’une demande d’accès au travail ou encore l’inscription à une formation ou à une activité. À la marge, le rapport mentionnait la possibilité de mesures complémentaires, « comme une surveillance renforcée des personnels de surveillance (mise en surveillance spéciale), un changement de cellule (doublement ou plus rarement isolement) ». Une possibilité devenue tendance lourde.
« Dans les faits, la CPU vise en premier lieu à décider de la mise en place ou non de mesures de surveillance passive : renforcement des rondes, signalement à l’unité sanitaire, doublement en cellule », déplorent les inspecteurs dans leur rapport. « Or, pour prévenir de manière efficace le risque suicidaire, la seule mise en place de ces mesures est insuffisante car elle n’apporte pas de réponse aux difficultés rencontrées par la personne détenue » et n’agissent pas « sur les déterminants de la souffrance », soulignent-ils. Symptôme de ce dévoiement, dans certains établissements, la CPU serait même rebaptisée par les personnels « commission surveillance spéciale ». Une surveillance qui se traduit par une intensification des rondes de nuit (toutes les deux heures, voire toutes les demi-heures), assorties d’un contrôle à l’œilleton, et ce pendant plusieurs semaines, parfois même plusieurs mois. « Dans certains établissements pénitentiaires, la personne détenue sujet de la mesure de surveillance est réveillée : la lumière de la cellule est allumée et il lui est demandé de faire un geste », relève l’audit. Or, « le stress généré par les interruptions de sommeil rend souvent la mesure insupportable sur le long terme », alertent les corps d’inspection, rappelant que l’efficacité de cette mesure « extrêmement anxiogène » est « discutée ». Les inspecteurs finissent sur cette préconisation qui en dit long sur le degré de déshumanisation des rapports en détention : « Les temps d’échanges avec les personnes détenues doivent, dans certaines situations, être privilégiés par rapport à la mise en place automatique d’une surveillance spécifique. »
Empêcher le geste quitte à accroître le mal-êtreAutres dispositifs témoignant de la tendance à l’empêchement du passage à l’acte, plutôt que la prise en compte de la souffrance : la dotation de protection d’urgence (DPU) et la cellule de protection d’urgence (CProU), introduites dans le plan d’action 2009. Deux mesures pouvant se compléter et théoriquement réservées aux situations extrêmes (risque de passage à l’acte imminent et/ou crise suicidaire aiguë). La première est une sorte de kit constitué de deux couvertures indéchirables et résistantes au feu et de vêtements déchirables à usage unique. La seconde est une cellule « lisse », équipée du strict minimum, et dépourvue de points d’accroche pour « limiter les risques de pendaison » (voir photo ci-contre). Lorsqu’elles sont décidées, ces deux mesures – qui ne peuvent, en principe, excéder vingt-quatre heures – doivent s’accompagner d’un signalement aux services sanitaires ou d’un appel au 15, afin qu’une prise en charge appropriée puisse être rapidement organisée.
« Vous êtes mis à nu puis “vêtu” d’un pyjama en papier bleu que vous déchirez au moindre mouvement et vous êtes laissé seul en cellule, avec un matelas et un WC et évier du même type que dans une cellule de QD [quartier disciplinaire], où vous ne pouvez même pas ouvrir la fenêtre pour vous oxygéner. Le placement en CProU est un calvaire et risque d’aggraver votre état psychique. Ce fut mon cas. J’ai réussi à me porter à nouveau atteinte en CProU en avalant des couverts non récupérés après le repas. »(4) Il suffit de prêter attention aux témoignages de personnes y ayant été soumises pour comprendre que ces mesures ne peuvent à elles seules apaiser une crise, et risquent même au contraire de l’aggraver. Or, « dans près d’un cas sur deux, le placement en CProU est suivi d’un retour en détention ordinaire », s’alarment les inspecteurs, qui s’inquiètent de l’absence de mise en place de soins à l’issue de ces placements. Par ailleurs, les inspecteurs « s’interrogent fortement sur l’opportunité du placement en CProU » dans certaines situations. À l’appui notamment, le cas d’une personne dont la tentative de pendaison aurait entraîné un coma et un passage en réanimation, et qui aurait été placée en CProU à son retour de l’hôpital.
Surtout, ils constatent parfois sur le terrain « une utilisation [du placement en CProU] très éloignée de celle prévue initialement dans le plan d’action », précisant que « dans certains cas, les motifs indiqués sur la décision de placement illustrent des difficultés comportementales d’ordre disciplinaire ». Parmi les justifications ayant laissés pantois les membres de l’inspection : « Ce détenu, dès son arrivée à l’établissement, a refusé de descendre du véhicule de police, a uriné dans le véhicule, à l’écrou et à l’entretien avec le lieutenant de permanence, il a refusé toute communication », ou encore « incendie volontaire au QI par ce détenu car il ne veut plus rester à l’isolement, atteinte à son intégrité physique, risque évident d’actes hétéro-agressifs ». Même constat pour le placement sous DPU : les inspecteurs citent notamment le cas d’une personne que l’on aurait mise sous DPU « pour [la] faire réfléchir » – ou comment détourner une mesure de protection en instrument de punition. Ils s’étonnent plus généralement de l’utilisation de la DPU au quartier disciplinaire (QD) particulièrement « contradictoire », ce dernier étant identifié depuis longtemps comme suicidogène. Pour les inspections, le principe de l’« incompatibilité entre placement au QD et l’existence d’un risque suicidaire » devrait être posé et respecté.
Quand la logique disciplinaire éclipse la préventionLe placement au QD de personnes identifiées comme vulnérables est emblématique des limites de la prévention du suicide en prison : l’obsession de la punition l’emporte souvent sur toute autre considération. Au mépris de la vie. Sur les quatorze personnes qui se sont donné la mort au QD en 2017, au moins deux avaient été repérées comme suicidaires lors de leur entretien d’accueil dans ce quartier, tandis qu’au moins trois avaient des antécédents de tentative de suicide ou d’auto-mutilations( 5). Elles y auront pourtant été maintenues jusqu’à la mort.
Les inspections, qui déplorent un recours abusif au QD à titre préventif (c’est-à-dire préalablement à un examen en commission de discipline), notent l’absence totale d’égards pour la vulnérabilité des personnes au moment du placement. Un constat qui, mis en regard avec le bilan des suicides au QD en 2017, prend une résonnance particulière : sur les quatorze personnes qui s’y sont ôté la vie, dix s’y trouvaient à titre préventif. Le risque suicidaire n’est pas davantage pris en compte lors du passage devant la commission de discipline : « Sur 122 procédures disciplinaires (…) analysées au cours de la mission, quatre d’entre elles seulement font mention d’un risque suicidaire ou d’une vulnérabilité, alors que 31 personnes avaient été repérées par la CPU comme présentant un risque suicidaire et 8 étaient repérées comme vulnérables. » Et même lorsqu’un risque suicidaire fort est identifié, « la sanction de cellule disciplinaire n’est pas fréquemment levée d’office par le chef d’établissement », regrettent les inspections, qui précisent : « La plupart des chefs d’établissement interrogés préfèrent s’en remettre à un avis médical de contre-indication de maintien au quartier disciplinaire afin d’éviter les tensions avec les personnels ou leurs représentants. » Dit autrement, si certaines personnes sont maintenues au QD en dépit des risques encourus pour leur vie, c’est par crainte de la réaction de syndicats de surveillants. L’administration pénitentiaire aura beau multiplier les plans et mesures de prévention, tant que la vie des personnes détenues sera l’otage de rapports de force internes et de logiques disciplinaires, ses efforts resteront vains.
Par Laure Anelli
Le rapport Albrand, aux sources du plan de prévention du suicide
Le plan d’action de 2009 est fondé sur le rapport de la commission sur la prévention du suicide en milieu carcéral présidée par le Dr Albrand. Il comprend vingt recommandations qui s’articulent autour de quatre axes de travail : accentuer la formation des personnels, améliorer la détection du risque de suicide, renforcer la protection des personnes détenues et améliorer la « postvention » et les connaissances sur le sujet. En matière de détection, un accent particulier est mis sur « la prise en considération du risque suicidaire au moment du placement au quartier disciplinaire ». Il est également recommandé de limiter les placements préventifs au QD et d’y améliorer les conditions de détention. Pour renforcer la protection, le rapport insiste sur la nécessité « d’atténuer le sentiment d’isolement de la personne détenue par la socialisation » et recommande en premier lieu de « favoriser les activités en détention », une mesure peu investie et qui n’apparaît pas dans les priorités du plan d’action. Il propose aussi de « sensibiliser les codétenus » et d’ « aller vers une reconnaissance de leur rôle » : cette recommandation trouvera sa déclinaison dans la mise en place du dispositif des codétenus de soutien (voir ci-contre). En matière de postvention, le rapport revient sur la nécessité d’améliorer le soutien à la « communauté carcérale » après le suicide et propose la mise en place de groupes de paroles, un axe là encore très peu suivi (voir p. 35). Aux côtés de ces recommandations, qui vont dans le sens d’une prise en charge améliorée, en figurent d’autres davantage axées sur un développement de la surveillance. On y trouve notamment le renforcement des rondes et, déjà alors, l’idée d’une démarche expérimentale « sur les possibilités de vidéo-surveillance pour les situations extrêmes », qui trouvera son application sept ans plus tard, avec la surveillance 24h/24 de Salah Abdeslam.
(1)Direction de l’administration pénitentiaire, Décès par suicide des personnes sous écrou – Bilan 2017.
(2) Audit interne de la politique de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral, rapport réalisé par l’Inspection générale des services judiciaire (IGSJ), l’Inspection de la protection judiciaire de la jeunesse (IPJJ), l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 2015.
(3) Guide méthodologique de prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice.
(4) Courrier à l’OIP reçu le 1er septembre 2018.
Une prise en charge souvent réduite à un renforcement de la surveillanceEn principe, les personnes repérées comme suicidaires doivent bénéficier d’un plan individuel de protection, dit PIP. Décidé en commission pluridisciplinaire unique (CPU), il comporte des mesures allant de l’octroi d’une communication téléphonique supplémentaire à une demande de consultation en urgence par le service médical, ainsi que « des actions précises visant à agir sur les facteurs de risque ou de protection »(3). Selon les recommandations du rapport Albrand, cela devrait inclure l’organisation rapide d’un parloir, la désignation d’un visiteur de prison, l’examen prioritaire d’une demande d’accès au travail ou encore l’inscription à une formation ou à une activité. À la marge, le rapport mentionnait la possibilité de mesures complémentaires, « comme une surveillance renforcée des personnels de surveillance (mise en surveillance spéciale), un changement de cellule (doublement ou plus rarement isolement) ». Une possibilité devenue tendance lourde.
« Dans les faits, la CPU vise en premier lieu à décider de la mise en place ou non de mesures de surveillance passive : renforcement des rondes, signalement à l’unité sanitaire, doublement en cellule », déplorent les inspecteurs dans leur rapport. « Or, pour prévenir de manière efficace le risque suicidaire, la seule mise en place de ces mesures est insuffisante car elle n’apporte pas de réponse aux difficultés rencontrées par la personne détenue » et n’agissent pas « sur les déterminants de la souffrance », soulignent-ils. Symptôme de ce dévoiement, dans certains établissements, la CPU serait même rebaptisée par les personnels « commission surveillance spéciale ». Une surveillance qui se traduit par une intensification des rondes de nuit (toutes les deux heures, voire toutes les demi-heures), assorties d’un contrôle à l’œilleton, et ce pendant plusieurs semaines, parfois même plusieurs mois. « Dans certains établissements pénitentiaires, la personne détenue sujet de la mesure de surveillance est réveillée : la lumière de la cellule est allumée et il lui est demandé de faire un geste », relève l’audit. Or, « le stress généré par les interruptions de sommeil rend souvent la mesure insupportable sur le long terme », alertent les corps d’inspection, rappelant que l’efficacité de cette mesure « extrêmement anxiogène » est « discutée ». Les inspecteurs finissent sur cette préconisation qui en dit long sur le degré de déshumanisation des rapports en détention : « Les temps d’échanges avec les personnes détenues doivent, dans certaines situations, être privilégiés par rapport à la mise en place automatique d’une surveillance spécifique. »
Empêcher le geste quitte à accroître le mal-êtreAutres dispositifs témoignant de la tendance à l’empêchement du passage à l’acte, plutôt que la prise en compte de la souffrance : la dotation de protection d’urgence (DPU) et la cellule de protection d’urgence (CProU), introduites dans le plan d’action 2009. Deux mesures pouvant se compléter et théoriquement réservées aux situations extrêmes (risque de passage à l’acte imminent et/ou crise suicidaire aiguë). La première est une sorte de kit constitué de deux couvertures indéchirables et résistantes au feu et de vêtements déchirables à usage unique. La seconde est une cellule « lisse », équipée du strict minimum, et dépourvue de points d’accroche pour « limiter les risques de pendaison » (voir photo ci-contre). Lorsqu’elles sont décidées, ces deux mesures – qui ne peuvent, en principe, excéder vingt-quatre heures – doivent s’accompagner d’un signalement aux services sanitaires ou d’un appel au 15, afin qu’une prise en charge appropriée puisse être rapidement organisée.
« Vous êtes mis à nu puis “vêtu” d’un pyjama en papier bleu que vous déchirez au moindre mouvement et vous êtes laissé seul en cellule, avec un matelas et un WC et évier du même type que dans une cellule de QD [quartier disciplinaire], où vous ne pouvez même pas ouvrir la fenêtre pour vous oxygéner. Le placement en CProU est un calvaire et risque d’aggraver votre état psychique. Ce fut mon cas. J’ai réussi à me porter à nouveau atteinte en CProU en avalant des couverts non récupérés après le repas. »(4) Il suffit de prêter attention aux témoignages de personnes y ayant été soumises pour comprendre que ces mesures ne peuvent à elles seules apaiser une crise, et risquent même au contraire de l’aggraver. Or, « dans près d’un cas sur deux, le placement en CProU est suivi d’un retour en détention ordinaire », s’alarment les inspecteurs, qui s’inquiètent de l’absence de mise en place de soins à l’issue de ces placements. Par ailleurs, les inspecteurs « s’interrogent fortement sur l’opportunité du placement en CProU » dans certaines situations. À l’appui notamment, le cas d’une personne dont la tentative de pendaison aurait entraîné un coma et un passage en réanimation, et qui aurait été placée en CProU à son retour de l’hôpital.
Surtout, ils constatent parfois sur le terrain « une utilisation [du placement en CProU] très éloignée de celle prévue initialement dans le plan d’action », précisant que « dans certains cas, les motifs indiqués sur la décision de placement illustrent des difficultés comportementales d’ordre disciplinaire ». Parmi les justifications ayant laissés pantois les membres de l’inspection : « Ce détenu, dès son arrivée à l’établissement, a refusé de descendre du véhicule de police, a uriné dans le véhicule, à l’écrou et à l’entretien avec le lieutenant de permanence, il a refusé toute communication », ou encore « incendie volontaire au QI par ce détenu car il ne veut plus rester à l’isolement, atteinte à son intégrité physique, risque évident d’actes hétéro-agressifs ». Même constat pour le placement sous DPU : les inspecteurs citent notamment le cas d’une personne que l’on aurait mise sous DPU « pour [la] faire réfléchir » – ou comment détourner une mesure de protection en instrument de punition. Ils s’étonnent plus généralement de l’utilisation de la DPU au quartier disciplinaire (QD) particulièrement « contradictoire », ce dernier étant identifié depuis longtemps comme suicidogène. Pour les inspections, le principe de l’« incompatibilité entre placement au QD et l’existence d’un risque suicidaire » devrait être posé et respecté.
Quand la logique disciplinaire éclipse la préventionLe placement au QD de personnes identifiées comme vulnérables est emblématique des limites de la prévention du suicide en prison : l’obsession de la punition l’emporte souvent sur toute autre considération. Au mépris de la vie. Sur les quatorze personnes qui se sont donné la mort au QD en 2017, au moins deux avaient été repérées comme suicidaires lors de leur entretien d’accueil dans ce quartier, tandis qu’au moins trois avaient des antécédents de tentative de suicide ou d’auto-mutilations( 5). Elles y auront pourtant été maintenues jusqu’à la mort.
Les inspections, qui déplorent un recours abusif au QD à titre préventif (c’est-à-dire préalablement à un examen en commission de discipline), notent l’absence totale d’égards pour la vulnérabilité des personnes au moment du placement. Un constat qui, mis en regard avec le bilan des suicides au QD en 2017, prend une résonnance particulière : sur les quatorze personnes qui s’y sont ôté la vie, dix s’y trouvaient à titre préventif. Le risque suicidaire n’est pas davantage pris en compte lors du passage devant la commission de discipline : « Sur 122 procédures disciplinaires (…) analysées au cours de la mission, quatre d’entre elles seulement font mention d’un risque suicidaire ou d’une vulnérabilité, alors que 31 personnes avaient été repérées par la CPU comme présentant un risque suicidaire et 8 étaient repérées comme vulnérables. » Et même lorsqu’un risque suicidaire fort est identifié, « la sanction de cellule disciplinaire n’est pas fréquemment levée d’office par le chef d’établissement », regrettent les inspections, qui précisent : « La plupart des chefs d’établissement interrogés préfèrent s’en remettre à un avis médical de contre-indication de maintien au quartier disciplinaire afin d’éviter les tensions avec les personnels ou leurs représentants. » Dit autrement, si certaines personnes sont maintenues au QD en dépit des risques encourus pour leur vie, c’est par crainte de la réaction de syndicats de surveillants. L’administration pénitentiaire aura beau multiplier les plans et mesures de prévention, tant que la vie des personnes détenues sera l’otage de rapports de force internes et de logiques disciplinaires, ses efforts resteront vains.
Par Laure Anelli
Le rapport Albrand, aux sources du plan de prévention du suicide
Le plan d’action de 2009 est fondé sur le rapport de la commission sur la prévention du suicide en milieu carcéral présidée par le Dr Albrand. Il comprend vingt recommandations qui s’articulent autour de quatre axes de travail : accentuer la formation des personnels, améliorer la détection du risque de suicide, renforcer la protection des personnes détenues et améliorer la « postvention » et les connaissances sur le sujet. En matière de détection, un accent particulier est mis sur « la prise en considération du risque suicidaire au moment du placement au quartier disciplinaire ». Il est également recommandé de limiter les placements préventifs au QD et d’y améliorer les conditions de détention. Pour renforcer la protection, le rapport insiste sur la nécessité « d’atténuer le sentiment d’isolement de la personne détenue par la socialisation » et recommande en premier lieu de « favoriser les activités en détention », une mesure peu investie et qui n’apparaît pas dans les priorités du plan d’action. Il propose aussi de « sensibiliser les codétenus » et d’ « aller vers une reconnaissance de leur rôle » : cette recommandation trouvera sa déclinaison dans la mise en place du dispositif des codétenus de soutien (voir ci-contre). En matière de postvention, le rapport revient sur la nécessité d’améliorer le soutien à la « communauté carcérale » après le suicide et propose la mise en place de groupes de paroles, un axe là encore très peu suivi (voir p. 35). Aux côtés de ces recommandations, qui vont dans le sens d’une prise en charge améliorée, en figurent d’autres davantage axées sur un développement de la surveillance. On y trouve notamment le renforcement des rondes et, déjà alors, l’idée d’une démarche expérimentale « sur les possibilités de vidéo-surveillance pour les situations extrêmes », qui trouvera son application sept ans plus tard, avec la surveillance 24h/24 de Salah Abdeslam.
(1)Direction de l’administration pénitentiaire, Décès par suicide des personnes sous écrou – Bilan 2017.
(2) Audit interne de la politique de prévention et de lutte contre le suicide en milieu carcéral, rapport réalisé par l’Inspection générale des services judiciaire (IGSJ), l’Inspection de la protection judiciaire de la jeunesse (IPJJ), l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), 2015.
(3) Guide méthodologique de prise en charge sanitaire des personnes placées sous main de justice.
(4) Courrier à l’OIP reçu le 1er septembre 2018.