Une
formation de premiers soins en santé mentale arrive au Québec. Implanté
depuis peu dans l'est de Montréal, ce programme sera officiellement
lancé jeudi dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide. La
formation vise à donner des outils aux adultes qui côtoient des jeunes
pour détecter les premiers signes de troubles mentaux.
Un texte de Jérôme Labbé
Yolaine
Lafleur a grandi à Victoriaville. Elle a ressenti les premiers
symptômes de la dépression à l'adolescence, dans les années 70. Son
médecin ne l'a pas prise au sérieux. « On ne fait pas de dépression à
15 ans », lui a-t-il dit.
Son état a empiré dans les années qui
ont suivi. À 20 ans, elle a tenté pour la première fois de s'enlever la
vie. « J'ai vidé tout ce que j'ai trouvé de pilules, et puis je ne l'ai
pas dit à personne », raconte-t-elle. « Mais finalement, je me suis
réveillée le lendemain matin. »
Personne ne savait ce qu'elle avait pour souffrir à ce point.
Yolaine
Lafleur a vécu des moments difficiles dans sa jeunesse, qui l'ont
poussée à faire deux tentatives de suicide. Photo : Radio-Canada/Jérôme
Labbé
Heureusement, les temps ont bien changé. Les
diagnostics ont évolué. Ce qui était autrefois qualifié de « vague à
l'âme » ou de « mélancolie » porte aujourd'hui des noms de maladie :
peur panique, bipolarité, psychose...
C'est pour repérer ces
problèmes le plus tôt possible que le CIUSSS de
l'Est-de-l'Île-de-Montréal a décidé d'implanter le programme Premiers
soins en santé mentale pour les adultes intervenant auprès des jeunes.
« Ce
qu'on veut faire, c'est qu'on veut les outiller pour dépister et puis
être capables d'intervenir en situation de crise, en fait. C'est
vraiment le pendant du secourisme physique », explique Julie Néron, chef
de secteur en pédopsychiatrie et dépistage des jeunes en prévention du
suicide.
La formation, qui a vu le jour en Australie au début des années 2000, existe déjà dans d'autres provinces canadiennes comme la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
Au
Québec, elle sera offerte gratuitement pour au moins trois ans – un
projet rendu possible grâce à un don de 500 000 $ de la RBC. Intervenir là où surviennent les problèmes
Le
programme, qui formera des « secouristes en santé mentale »,
s'adressera à des enseignants, à des éducateurs, à des entraîneurs...
Les parents intéressés seront aussi les bienvenus, assure-t-on.
Car
les problèmes liés à la santé mentale chez les jeunes ne se manifestent
pas seulement dans le bureau d'un professionnel de la santé, rappelle
Véronique Pelletier, qui a déjà suivi la formation à titre de stagiaire
en travail social, « mais également dans la cuisine d'une amie, dans la
cour d'école de ma fille, près de la rame de métro, sur la page Facebook
de mon neveu, au dépanneur du coin ou sur la rue à toute heure de la
journée [...] C'est là qu'une formation telle que Premiers soins en
santé mentale peut concrètement changer les choses. »
On
sait que plus on intervient rapidement, moins [les jeunes] risquent de
développer des problèmes de santé mentale à long terme.
« Ce
qu'on voit beaucoup, c'est des troubles anxieux, des troubles de
l'humeur, des troubles d'adaptation », illustre le travailleur social
Jocelyn Robitaille, qui agira comme formateur.
M. Robitaille
enseigne que les troubles mentaux se révèlent généralement assez tôt
dans la vie d'un individu. « Ce qu'on sait, c'est qu'il y a 75 % des
troubles de santé mentale qui vont être apparus avant l'âge de 24 ans »,
souligne-t-il.
Ne pas dépister ces signaux peut avoir des
conséquences graves : le suicide est la deuxième cause de mortalité chez
les 15-24 ans, après les accidents. Seule avec sa souffrance
Yolaine
Lafleur en sait quelque chose. Laissée à elle-même, elle a tenté à
nouveau de se suicider à la fin des années 80, deux ans après la
naissance de sa fille.
« Cette fois-là aussi, j'ai repris des médicaments, se souvient-elle. Mais cette fois-là, j'ai quand même appelé à l'aide. »
Son appel a finalement été entendu et Yolaine a reçu les soins dont elle avait besoin.
« À partir de là, j'ai eu la chance de tomber sur un très bon psychiatre », précise-t-elle.
Les années qui ont suivi n'ont pas été faciles, mais elle a surmonté ses difficultés, pour le plus grand bonheur de sa fille.
J'en parlais, ça fait que ça aide. Ça aide les autres à comprendre un peu plus.
Ses chiens l'ont aussi aidée à remonter la pente, une forme de « zoothérapie », admet-elle.
À
58 ans, Yolaine Lafleur n'a plus peur de retomber dans un état
dépressif, car elle est capable de mettre des mots sur sa maladie.
« J'ai réalisé que j'étais plus forte que je pensais », conclut-elle.