vendredi 31 août 2018

USA ETUDE RECHERCHE relations entre les croyances religieuses des parents et les risques suicidaires des enfants

Croyances religieuses des parents et risque de suicide des enfants

Stéphanie Lavaud, avec Pauline Anderson

24 août 2018 sur francais.medscape.com
New-York, Etats-Unis – Les croyances religieuses/spirituelles influencent-elles le risque de suicide chez les enfants ? Oui, à en croire une étude américaine publiée dans JAMA Psychiatry qui montre que les jeunes vivant dans des familles où la religion est importante sont moins à risque de pensées ou de conduites suicidaires (odds ratio 0,61, IC95% : 0,41 - 0,91, P=0,02) [1]. Dans ces familles de composition classique, et principalement chrétiennes, avec des antécédents de dépression majeure, le fait que les parents attachent de l’importance à la religion était lié à une diminution de 80% du risque d’idéation suicidaire ou de tentatives de suicide chez les enfants par rapport à ceux dont les parents n’attachaient pas d’importance à la religion/spiritualité. Une piste à explorer par les psychiatres, qui d’habitude, ne s’aventurent pas sur ce terrain, selon les auteurs issus du New York State Psychiatric Institute et de Columbia University.
Interrogée par nos confrères de Medscape édition internationale, la chercheuse Myrna Weissman, professeur d’épidémiologie et de psychiatrie (Columbia University College of Physicians and Surgeons), membre du conseil scientifique de l’American Foundation for Suicide Prevention, et auteur senior de l’étude, explique que la « force intérieure » donnée par une religion ou une spiritualité aiderait à structurer la vie de famille et donnerait une « protection ».
Etude observationnelle longitudinale sur 3 générations
Aux Etats-Unis, le suicide est un phénomène en hausse ces dernières années. Toutes les tranches d’âge sont concernées. Près de 12% des adolescents dissent avoir eu des pensées suicidaires, et le suicide est la première cause de mortalité chez les jeunes femmes entre 15 et 19 ans. Et toutes les pistes pour essayer d’y faire face méritent d’être explorées. C’est le cas des croyances religieuses, qui ont fait l’objet de plusieurs études, mais peu se sont intéressées à celles des parents et à leur influence potentielle sur le risque suicidaire de leurs enfants.
Pour étudier ce lien, les chercheurs se sont fondés sur une cohorte portant sur trois générations suivies pendant 30 ans et ont observé des enfants et des adolescents (Génération 3) dont les parents (Génération 2) étaient potentiellement à risque de dépression majeure en raison du statut dépressif des grands-parents (Génération 1).
L’étude observationnelle longitudinale a inclus 214 enfants, âgés de 6 à 18 ans (12,5 ans en moyenne) issus de 112 familles blanches, originaires de la région de New Haven dans le Minnesota. Les deux tiers venait de familles à haut risque dépressif, l’âge des parents était de 39,8 ans dont 80% était mariés ou remariés.
Une majorité de familles de confession chrétienne
Environ 85% des enfants ont dit appartenir à une famille de confession chrétienne : 59% de catholiques et 26% de protestants. Les participants ont été interrogés sur leur présence aux services religieux et invités à graduer l’importance qu’occupait la religion dans leur vie. Cet intérêt pour la religion a été résumé dans l’étude sous le terme de « religiosité ».
Plus de parents (45%) que d’enfants (25%) ont rapporté que la religion/spiritualité était très importante pour eux. Et plus d’enfants (15%) que de parents (4%) ont dit que c’était totalement sans importance
Quand ils ont ajusté sur l’âge, le sexe et le statut dépressif familial en termes de risque, les chercheurs ont trouvé que le fait que la religion soit importante pour les enfants était associée à un moindre risque suicidaire chez les jeunes filles (odds ratio [OR] : 0,48; [IC95% : 0,33 – 0,70; < 0,002]). Une corrélation non retrouvée chez les garçons (OR : 1,15; [IC95% : 0,74 – 1,80]).
Question de croyance intérieure
Mais quand les chercheurs ont refait les analyses statistiques en prenant en compte les enfants (garçons et filles) en y ajoutant cette fois les croyances religieuses/spirituelles parentales, il s’est avéré que plus celles-ci étaient fortes, plus le risque de comportements suicidaires chez les enfants était faibles (OR : 0.61; [IC95% : 0,41 – 0,91; < 0,05]).
Les chercheurs ont, par ailleurs, observé une diminution de 80% du risque de comportement suicidaire chez les enfants dont les parents rapportaient une forte « religiosité » comparé aux enfants pour lesquels les croyances religieuses/spirituelles n’étaient pas importantes.
Dans la plupart des cas, la corrélation inverse que l’on trouvait avec la religiosité n’était pas vérifiée si l’on ne prenait en compte que le fait de fréquenter un office religieux.
C’est probablement ce qui fait dire à Myrna Weissman : « il y a quelque chose chez les parents qui ont des croyances ou un engagement fort en dehors de la famille ou bien d’eux-mêmes qui est aidant et protecteur pour les enfants ».
La religion en elle-même n’a, selon elle, que peu d’importance : « Ce n’est le temps que l’on passe à la synagogue ou à l’église/temple, ni même la religion elle-même qui fait la différence, ce n’est pas une question de présence à un office mais de conviction intérieure ».
Des différences filles/garçons
Quand l’analyse a consisté à stratifier les enfants en fonction de leur sexe, l‘importance de la religion pour les parents est clairement apparue corrélée avec un moindre risque d’idées suicidaires et de tentatives de suicides chez les filles (OR, 0.51; [IC95% : 0,29 – 0,90; = 0,02]) mais pas chez les fils (OR : 0,75; [IC95% : 0,47 – 1,19; = 0,22]).
Une différence entre filles et garçons qui constitue « un mystère » pour Myrna Weissman mais n’est pas une surprise puisqu’elle ajoute :« Si nous étions les seuls à trouver cela, on pourrait parler de hasard, mais un certain nombre d’études ont trouvé que les filles sont plus sensibles aux croyances religieuses de leurs parents ».
Ce n’est pas une question de présence à un office mais de conviction intérieure  Myrna Weissman
Enfin, quand on s’intéresse simultanément aux croyances des parents et des enfants, on trouve là-encore un moindre risque quand la religion est très importante pour les parents (OR : 0,61; [IC95% : 0.39 – 0,96]), et ce indépendamment des croyances des enfants.
Par ailleurs, les liens entre la religiosité parentale et le comportement suicidaire des enfants étaient indépendants de la dépression parentale et des idées suicidaires parentales – deux risques majeurs de comportement suicidaire.
Aborder la question de la religion/spiritualité
« Quand cela semble indiqué, les psychiatres devraient interroger les parents dont les enfants ont un comportement suicidaire sur leurs croyances religieuses » propose Myrna Weissman.
« Nous avons tendance, dans la profession médicale, à nous tenir éloigner de ce type de considérations, considérées comme personnelles. Mais si vous pensez que c’est important, alors vous devriez essayer d’en savoir plus, ça ne devrait pas être tabou » ajoute-t-elle, tout en remarquant que dans certaines religions, le suicide est considéré comme un péché et que peut-être certains patients ne voudront pas aborder le sujet.

Un certain nombre d’études ont trouvé que les filles sont plus sensibles aux croyances religieuses de leurs parents  Myrna Weissman
Sentiment de communauté 
Dans un commentaire de l’étude pour Medscape Medical News, le pédopsychiatre David Fassler (University of Vermont College of Medicine, Burlington) s’est dit en accord avec cet éclairage, « les cliniciens vont peut-être vouloir prêter plus attention aux croyances et à l’investissement religieux des parents au moment de l’évaluation du risque de suicide chez un enfant ou un adolescent.
Interrogé par Reuters, le Dr John Walkup, professeur de psychiatrie (Northwestern University’s Feinberg School of Medicine et Robert H. Lurie Children’s Hospital, Chicago) n’a pas été surpris de ces résultats et considère de façon générale que « si les familles ont un principe d'organisation qui définit qui elles sont et comment elles vivent, et si elles ont élevé leurs enfants dans ce type de construction, alors cela constitue une structure qui peut aider à prévenir le suicide, car cela donne un but à la famille » [2].
De son côté, le Dr Emanuel Maidenberg, professeur de psychiatrie (David Geffen School of Medicine, University of California, Los Angeles) et directeur de l’UCLA Cognitive Behavioral Therapy Clinic rappelle qu’il y a une théorie sur le suicide qui suggère que trois composants conduisent les personnes à se suicider [2]. « Premièrement, ils se perçoivent comme un fardeau pour les autres ». Ensuite, « ils ne ressentent aucun sentiment d'appartenance ». Enfin, « le troisième élément est qu'ils ont appris à ne pas avoir peur de se faire du mal ». Il est donc possible que l'attitude des parents vis-à-vis de la religion soit protectrice parce que « cela donne un sentiment de communauté », a déclaré le Pr Maidenberg. Un concept qui convient au Pr Walkup : « La religion vous intègre dans une communauté de personnes partageant les mêmes idées ».

Il est donc possible que l'attitude des parents vis-à-vis de la religion soit protectrice parce que « cela donne un sentiment de communauté » Dr Emanuel Maidenberg






L’étude a été financée en partie par des bourses de recherche de la Fondation John Templeton et le National Institute of Mental Health.


Certains co-auteurs ont rapporté des relations avec le National Institute of Mental Health, la Foundation Sackler, la Fondation Templeton, et MultiHealth Systems.




 https://francais.medscape.com/voirarticle/3604362#vp_1



Réference etude citée

Original Investigation
August 8, 2018

Association of Parent and Offspring Religiosity With Offspring Suicide Ideation and Attempts
Connie Svob, PhD1,2; Priya J. Wickramaratne, PhD1,2; Linda Reich, MS2; Ruixin Zhao, MS1; Ardesheer Talati, PhD1,2; Marc J. Gameroff, PhD1,2; Rehan Saeed, MD1; Myrna M. Weissman, PhD1,2
JAMA Psychiatry. Published online August 8, 2018. doi:10.1001/jamapsychiatry.2018.2060