jeudi 9 août 2018

REFLEXIONS CRITIQUES DEBATS Info ou intox ? Idée reçue sur les médecins« Les médecins se suicident plus que les autres professions »

Info ou intox ? Idée reçue sur les médecins« Les médecins se suicident plus que les autres professions »
Adrien Renaud
| 08.08.2018
https://www.lequotidiendumedecin.fr/*

Le suicide est un sujet de préoccupation grandissant chez les médecins, et on affirme souvent qu’il touche davantage cette profession que les autres. Malheureusement, les données robustes manquent pour étudier le phénomène avec précision.

« Le taux de suicide des médecins est à peu près le même que celui des agriculteurs », affirmait l’année dernière le Dr Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF), sur RMC. Une déclaration que rien ne permet d’infirmer, mais que bien peu de chose permettent d’étayer, tant les données sur le sujet sont parcellaires.
En effet, les chiffres disponibles sur le suicide des médecins en France sont bien rares. Ceux que l’on cite le plus souvent proviennent du travail de feu le Dr Yves Léopold. Ce généraliste avignonnais a notamment produit en 2003 une enquête portant sur 42 000 libéraux actifs dans 26 départements. Dans cette population, 14 % des décès recensés sur une période de 5 ans étaient dus à un suicide (*), contre 5,6 % dans la tranche des 35-65 ans dans la population générale à cette époque. Soit un risque 2,4 fois supérieur.
Malheureusement, cette étude souffrait de plusieurs biais : absence des médecins salariés dans l’échantillon, surreprésentation des départements ruraux… Depuis, peu de travaux sont venus contribuer à notre connaissance du sujet, comme le déplore le Pr Michel Debout, professeur de médecine légale et auteur avec le journaliste Gérard Clavairoly d’un ouvrage sur le suicide.
« Nous n’avons pas de connaissance précise de la mortalité par suicide en fonction des professions, et ce notamment en raison de la manière dont les certificats de décès sont constitués », explique le PU-PH. « Ceux-ci ne mentionnent en effet pas l’activité professionnelle de la personne décédée, si elle est en situation de chômage, etc. »
Le niveau baisse-t-il ?
D’ailleurs, pour Michel Debout, la question la plus importante ne serait pas de savoir si le risque suicidaire est plus élevé dans telle profession ou dans telle autre (le taux de suicide peut dépendre de différents facteurs non professionnels, comme par exemple la répartition hommes-femmes), mais de savoir si le nombre de suicides est en augmentation ou en diminution. Malheureusement, sur la question de l’évolution du phénomène, comme sur celle des comparaisons entre professions, les données manquent.
Ceux qui cherchent tout de même à comparer le taux de suicide chez des médecins à celui de la population générale peuvent toutefois se tourner vers les données disponibles à l’international. Celles-ci vont dans le même sens que celles issues du travail d’Yves Léopold, ce qui tendrait à confirmer leur validité.
On peut par exemple citer cette étude de 2005, qui montrait une mortalité plus élevée chez les médecins américains que dans la population générale (sur-risque de 1,8 pour les hommes et 4,9 pour les femmes). Une revue de la littérature internationale estimait quant à elle en 2004 le sur-risque à 1,4 pour les hommes et 2,7 pour les femmes. Il n’y a pas de raison pour que les choses soient fondamentalement différentes en France.
(*) Suicide, un tabou français, Editions Pascal, 2012

https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2018/08/08/les-medecins-se-suicident-plus-que-les-autres-professions-_859792