Publié le 20/08/2018 www.jim.fr/*
Paris, le lundi 20 août 2018 – On ne compte plus les rapports qui depuis le début des années 2000 ont alerté sur l’état de la psychiatrie hospitalière en France et au-delà sur la prise en charge des maladies mentales. Parlementaires, spécialistes, contrôleur des lieux de privation de liberté : tous ont listé les multiples problèmes de la psychiatrie. Alors que les demandes de soin sont en constante progression, les moyens sont pour leur part de plus en plus limités. Les services de psychiatrie servent régulièrement de variable d’ajustement dans des hôpitaux aux budgets contraints, tandis que les vocations sont rares.
Selon le Syndicat des psychiatres des hôpitaux, cité ce week-end par le Monde, entre 900 et 1 000 postes de psychiatres hospitaliers sont aujourd’hui vacants. Les médecins fuient des conditions de travail et de prise en charge des patients qui empêchent une véritable relation de soins. Ainsi, la vétusté de certains bâtiments ne peut que susciter la colère des patients et de leurs familles aussi bien que des professionnels de santé. Durant la vague de chaleur qui a balayé la France au début du mois d’août, les températures ont souvent dépassé les 35, voire 40°C dans les chambres de certains services de psychiatrie où les patients sont rarement seuls. Plusieurs proches ont protesté contre ces conditions très pénibles, qui s’ajoutent au recours parfois fréquent à la contention régulièrement employé pour pallier le manque d’infirmiers et d’aides-soignants et prévenir une violence qui serait en progression.
Des réponses à la marge
Le diagnostic a été établi avec précision et est parfaitement connu des autorités. Pourtant, les réformes efficaces ont manqué. L’accent a été mis sur la prévention des maladies mentales, avec une volonté de mieux prévenir le suicide (notamment chez les plus jeunes) ou de s’armer contre l’épuisement professionnel. Des actions ont également été menées pour faire face aux situations les plus extrêmes (et donc relativement rares), et réorganiser les hospitalisations et soins sous contrainte. Des comités, des observatoires, des commissions ont été mis en place destinés à permettre une appréciation plus concrète encore des dysfonctionnements et des besoins. Mais l’organisation générale des soins n’a pas été revue et l’engorgement dans des services obsolètes demeure et s’aggrave.
Epidémie de grèves
Ainsi, comme au début de l’année dans les services d’urgences dont beaucoup ont été débordés par une épidémie de grippe sans exceptionnelle gravité, les centres psychiatriques paraissent aujourd’hui au bord de l’implosion. Les manifestations, grèves, actions musclées se multiplient, notamment dans les plus petits services. Partout, la déshumanisation des soins est dénoncée et le fléau de la pénurie de personnels est désigné comme la première des difficultés à résoudre.
L’hôpital psychiatrique Philippe Pinel de Dury près d’Amiens ou l’hôpital psychiatrique du Rouvray font figure de symbole de cette contestation mais les exemples sont bien plus nombreux. Bourges, Allonnes, Rennes, Saint-Etienne, Cadillac, Lyon (Le Vinatier) : partout en France, depuis le début de l’année, des cris d’alarme semblables ont été lancés. Les plus grands pôles ne sont pas épargnés. Ainsi, au début de l’été, le chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de Robert Debré, le professeur Richard Delorme, a écrit à la direction de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris pour évoquer les problèmes « critiques » de son unité. Au centre de ces difficultés, l’absence de plus d’un tiers des effectifs infirmiers (arrêtés pour accident du travail ou maladie), soit sept personnes sur dix-neuf, ce qui conduit à une « désorganisation des plannings » écrit le spécialiste, qui évoque encore la multiplication des cas complexes et violents.
Une attente fébrile
Après les premières annonces du ministre de la Santé au printemps, affirmant avoir conscience des difficultés de la psychiatrie, beaucoup espèrent que la grande réforme du système qui doit être dévoilée cet automne apportera les réponses attendues depuis longtemps, qui nécessitent un investissement massif dans l’ensemble de la filière concernant non seulement les effectifs, mais également l’organisation et l’accueil des malades.
Aurélie Haroche
* http://www.jim.fr/en_direct/pro_societe/e-docs/psychiatrie_hospitaliere_une_crise_qui_seternise_173249/document_actu_pro.phtml
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Les centres médico-psychologiques débordés
Entre économies de personnel, fusions et demande croissante, ces structures se battent pour assurer les soins
page 6 Lemonde France, lundi 20 août 2018 *
ABruyères, petite ville des Vosges de 3 362 habitants, pas une voiture devant le centre médico-psychologique. Comme tous les CMP, il assurait gratuitement des consultations pour toute personne du territoire en souffrance psychique, prenant en charge des dépressions passagères jusqu'à des troubles psychiatriques sévères, comme la schizophrénie. Il a fermé en juin.
Hélène Szczepanski, son ancienne psychologue, est très déçue : " Notre médecin psychiatre a été appelé en urgence pour un poste ailleurs. Il n'a pas été remplacé, donc le CMP a fermé. " Les patients ont été transférés dans d'autres CMP de campagne, aux listes d'attente déjà longues de 130 voire 150 patients. Certains collégiens, habitués à venir pendant leurs heures de permanence, ont abandonné. " Pour des personnes psychotiques, il ne va pas de soi de faire trente-cinq minutes de transports en commun " , poursuit-elle.
Le CMP de Bruyères est loin d'être un cas isolé, la lecture de la presse régionale en témoigne. Si les derniers chiffres nationaux disponibles faisaient état d'une hausse du nombre de ces centres, passés de 3 758 en 2013 à 3 893 en 2016, selon les statistiques de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé, certaines zones avaient déjà amorcé une baisse. Entre 2013 et 2016, Basse et Haute-Normandie avaient ainsi vu le nombre de ces structures baisser d'un tiers (passant de 346 à 224).
Grève de la faim Ces maillons essentiels de la prise en charge des problèmes de santé mentale, intermédiaires entre les soins primaires comme la médecine générale et les services spécialisés en psychiatrie des hôpitaux, ont été mis en place par une circulaire du ministère de la santé du 15 mars 1960. Pour couvrir au mieux le territoire, le système a été sectorisé, avec des centres médico-psychologiques dans chaque département. A l'époque, la France était une des premières à prendre ce virage ambulatoire, pour dé-stigmatiser la psychiatrie. " A l'origine, c'était voué à rapprocher les professionnels de la population, même la plus rurale " , souligne Jean-Pierre Salvarelli, psychiatre lyonnais et membre du Syndicat des psychiatres des hôpitaux.
Outre le soin, les CMP sont censés faire du dépistage, de la prévention et travailler avec leurs partenaires, comme les écoles et les associations locales. Mais ils peinent aujourd'hui à assurer leurs missions, et les temps d'attente, pour une première consultation, chez l'enfant comme chez l'adulte, peuvent dépasser un an. Si la crise de la psychiatrie s'illustre principalement ces derniers mois par les mouvements de grève dans les hôpitaux, l'inquiétude sur le sort des CMP est moins visible, mais tout aussi réelle. Depuis 2016,trois centres de la région dépendant de l'hôpital du Rouvray (Sotteville-lès-Rouen, en Seine-Maritime) ont ainsi fermé leurs portes. L'hôpital a fait parler de lui au printemps, avec une grève de la faim de plusieurs soignants : ils dénonçaient les suppressions de postes dans leur établissement, mais aussi celles dans les CMP, et leur impact sur les patients.
" On nous parle d'économies d'échelle , témoigne une psychologue de la région, souhaitant conserver l'anonymat. Ils font des économies de personnel en regroupant les secteurs géographiques, en ne gardant qu'un seul chef d'établissement et en supprimant des locaux. " Sauf que les restrictions ne se limitent pas à cela. Des postes d'infirmiers et de secrétaires sont menacés, sans parler de ceux de psychologues. " Ils embauchent de plus en plus de neuropsychologues qui font passer des tests aux patients, au détriment des psychologues classiques. Mais nous ne faisons pas le même métier " , soupire la praticienne.
Les regroupements font polémique. " On mutualise, mais la demande augmente de 2 % à 3 % par an. Il y a vingt ans, on avait 1 million de patients en psychiatrie, maintenant ça a doublé " , affirme Jean-Pierre Salvarelli. Aujourd'hui, il a l'impression qu'on fait " un pas en arrière " .
Coraline Senet, psychiatre normande, a décidé de démissionner lorsque son CMP a été regroupé. " Je ne pouvais plus assurer la dignité que je devais aux patients " , explique-t-elle. Elle insiste sur le rôle crucial de cette structure : éviter à tout prix une hospitalisation. Or les établissements sont plutôt occupés à prendre en charge les patients sortant des hôpitaux psychiatriques, pleins à craquer.
Ce qui " peut attendre " doit parfois patienter plusieurs mois au risque de terminer par un séjour à l'hôpital. " Parfois, le numéro n'est même plus attribué quand on les rappelle. Alors que l'on connaît les dangers de décompensation et de complication pour des personnes psychotiques " , se désole la psychiatre. Pour parer à l'urgence, les infirmiers des CMP prennent les premiers rendez-vous pour définir les besoins du malade. " Cela revient à créer des listes d'attente officieuses , révèle un cadre de santé anonyme. Donc les listes d'attente réelles sont encore pires que ce que l'on imagine. Or, nous ne sommes pas censés être un service d'urgence. "
Les équipes des CMP sont alors obligées d'envoyer les patients vers le secteur libéral. Des infirmiers privés, qui ne connaissent pas les patients, vont à domicile prodiguer les soins. Certains malades refusent de payer pour ces soins non remboursables par la Caisse d'assurance-maladie et finissent par renoncer.
A Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le psychiatre Roger Teboul est formellement opposé à la transformation des CMP en médecine d'urgence. " Si on commence à renvoyer vers le privé, on va s'occuper uniquement des malades les plus précaires et les plus vulnérables. Cela va contribuer à les stigmatiser encore plus. " Dans son CMP de banlieue, spécialisé en pédopsychiatrie, tout est fait pour que les gens poussent la porte sans a priori.
Restrictions de postes A l'intérieur de la petite maison de ville, des cris joyeux accueillent le visiteur; 420 enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques y sont pris en charge. " Ce sont surtout des enfants du quartier, qui n'ont pas eu peur de venir, parce qu'on n'a pas écrit noir sur blanc le mot "psychiatrie"sur la porte " , dit celui qui tient à maintenir ce lien de proximité. Salle de jeux, couleurs festives; seule la salle de soins est discrètement présente au fond du couloir.
Ici, personne n'est en blouse blanche, pas même l'infirmière, Vanessa Barrère. " Ça ne ressemble pas à un hôpital psychiatrique, parce que ça n'en est pas un " , sourit-elle en réunissant des crayons de couleur pour son prochain rendez-vous. D'ici à 2020, le CMP déménagera sur un autre terrain, regroupé avec trois autres structures. La deuxième psychiatre, Emmanuelle Granier, est consciente que le regroupement implique des restrictions de postes. " Les infirmiers seront rassurés d'être dans une plus grosse équipe. Cela divise la charge mentale, assure-t-elle. Je préfère m'organiser pour que ces changements soient bénéfiques. "
Faut-il y voir un signe? Le ministère de la santé a annoncé le 28 juin, lors de la présentation de sa feuille deroute sur lapsychiatrie, vouloir " repréciser au besoin les missions et organisations " des centres médico-psychologiques.
Aurore Esclauze
https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/08/17/les-centres-medico-psychologiques-debordes_5343282_1651302.html
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Aussi paru dans Le Monde 17 août 2018 –
La psychiatrie, un secteur en profonde dépression
page 23
Le diagnostic est largement partagé : la psychiatrie publique française est en pleine dépression. Ces dernières années, de nombreux rapports en ont fait le constat unanime. Sur le terrain, tout contribue à cette crise : des délais sans fin de prise en charge, des soignants usés et désabusés, des familles et des patients qui se sentent abandonnés. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a elle-même reconnu, il y a quelques mois, qu' " il n'y a pas eu un vrai investissement depuis des années " en psychiatrie, et elle a déploré un état de " souffrance générale " des professionnels et des malades.
Personne, pourtant, ne semble véritablement mesurer la gravité de cette situation. Cette indifférence, voire cette cécité, est aussi alarmante qu'incompréhensible, alors que, au cours de sa vie, un Français sur cinq connaîtra un trouble psychique justifiant un suivi médical. En 2016, 2,1 millions de patients (dont un quart âgés de moins de 18 ans) ont été pris en charge, soit par les quelque 3 900 centres médico-psychologiques répartis sur le territoire, soit par les hôpitaux psychiatriques, qui ont accueilli 417 000 malades.
Ces derniers mois, les signaux d'alerte sont passés au rouge les uns après les autres. Dans les hôpitaux psychiatriques de Bourges, Allonnes, Rennes, Amiens ou Saint-Etienne, les personnels se sont mis en grève pour réclamer les moyens d'exercer dignement leur métier, lassés d'être devenus de simples gardes-malades. En juin, à l'hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, nombreux sont ceux qui ont mené une grève de la faim de près de deux semaines avant d'obtenir la création d'une trentaine de postes d'infirmiers et d'aides-soignants. En outre, ces tensions sont aggravées par la " banalisation " choquante du recours à la contention et à l'isolement, dénoncée en 2016 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La situation n'est pas moins critique dans les centres médico-psychologiques (CMP). Ces structures, développées depuis un demi-siècle dans le cadre de la sectorisation de la psychiatrie publique, constituent un maillon essentiel, entre la médecine générale et l'hôpital, de la prise en charge des problèmes de santé mentale en particulier pour les enfants et les adolescents adressés par les psychologues scolaires. Or, elles sont souvent les premières victimes des restructurations des hôpitaux dont elles dépendant. Faute, là encore, de moyens, les CMP sont de plus en plus engorgés et débordés. Les délais de prise en charge s'allongent jusqu'à plusieurs mois, voire un an, en pédopsychiatrie, au risque de rendre caduque leur mission de dépistage et de prévention.
L'origine de cette crise est connue : des patients toujours plus nombreux et des moyens toujours plus contraints. Entre 2010 et 2016, près de 300 000 personnes supplémentaires ont ainsi été suivies en psychiatrie. Le Syndicat des psychiatres des hôpitaux estime qu'entre 900 et 1 000 postes de psychiatres sont aujourd'hui non pourvus. Même si cela a longtemps répondu à la volonté de sortir de la logique " asilaire ", le nombre de lits à temps complet en hôpital a été réduit de 70 % durant les trois dernières décennies. Au point que la pénurie de lits est devenue, bien souvent, un critère de la durée des soins des patients.
Le président de la République doit annoncer, en septembre, une grande réforme du système de santé. Il ne faudrait pas que la psychiatrie en soit le parent pauvre. Il est urgent, au contraire, d'entendre le cri d'alarme des soignants.