vendredi 29 novembre 2019

ETUDE RECHERCHE Comparaison des syndromes d'épuisement professionnel, d'anxiété et de dépression chez les psychiatres d'hôpitaux et d'autres médecins: résultats de l'étude ESTEM

Épuisement professionnel : les psychiatres sont des médecins (presque) comme les autres
Publié le 26/11/2019 https://www.jim.fr/*
Paris, le mardi 26 novembre 2019 – A la faveur de la médiatisation de cas dramatiques de suicides, suggérant le poids du harcèlement au travail dans les établissements hospitaliers et au-delà de la dégradation des conditions professionnelles et d’accueil des patients, l’épuisement des soignants est devenu un sujet de préoccupation. De nombreuses études et enquêtes ont ainsi été menées qui ont permis de mieux préciser la prévalence de ce phénomène. Différentes questions demeurent cependant en suspens, qui concernent notamment les spécialités les plus à risque. La situation particulière de la psychiatrie, dont la déshérence serait plus marquée encore que celle de l’hôpital, a-t-elle des conséquences significatives sur la santé psychique de ses médecins ?
Une enquête en ligne
C’est la question à laquelle l’étude des professeurs Patrick Hardy, Emmanuelle Corruble (Kremlin-Bicêtre, Paris) et Antoine Pelissolo (Henri-Mondor, Créteil) souhaitait répondre. Il s’agissait en effet de comparer la prévalence et les facteurs de risque d’épuisement, d’anxiété et de dépression chez les psychiatres hospitaliers par rapport aux non psychiatres. Aussi, l’ensemble des 2 229 médecins et internes exerçant dans les services de psychiatrie du sud et de l’est de Paris (n=7 93) et tous ceux travaillant dans les trois établissements de l’Université Hôpital Paris-Sud (n=1 436) ont été invités par e-mail à participer à une enquête anonyme en ligne. En excluant les praticiens à temps partiel (inférieur à 50 % du temps), l’enquête a obtenu 677 réponses (taux de réponse de 44 %), parmi lesquelles 285 émanaient de psychiatres (dont 67 de pédopsychiatres).
Un épuisement "interpersonnel" plus fréquent chez les psychiatres chevronnés
Les résultats mettent en évidence une prévalence très forte du « stress excessif » déclaré par 88,5 % des participants à l’enquête, tandis que 24,2 % le jugent même « intense » ou « très intense ». On ne constate pas de différences significatives entre les psychiatres et les autres spécialistes. Les analyses des réponses suggèrent un état d’épuisement chez près de la moitié des praticiens : il peut s’agir « d’un épuisement personnel (49 %), d’un épuisement lié au travail (44 %) ou d’un épuisement interpersonnel lié aux relations de travail (41 %) » relèvent les auteurs de la synthèse de leur étude publiée dans la revue Psychiatry Research. Rares sont les écarts entre les psychiatres et les autres praticiens, sauf en ce qui concerne l’épuisement interpersonnel qui concerne 45,3 % des psychiatres et 37,1 % des autres spécialistes, tandis qu’il est également plus marqué chez les psychiatres exerçant depuis le plus longtemps (55,9 % vs 39,8 % chez les plus jeunes). Les auteurs indiquent que cette spécificité s’explique possiblement par une exposition des psychiatres à « des facteurs de risques chroniques particuliers » en la matière. La seule autre différence entre les psychiatres et les non psychiatres concerne l’anxiété, dont le taux est plus bas chez les premiers, ce qui pour les responsables de l’étude pourraient s’expliquer par une plus grande expérience dans la gestion de leur anxiété et une meilleure maîtrise des traitements efficaces.

Si la méthodologie de l’enquête ne permettait pas de déterminer les conditions de travail objectives qui peuvent « concrètement favoriser les troubles psychosociaux » chez les médecins, ni même les raisons subjectives (perception de la valeur de son travail par exemple), différents éléments ainsi que les données de la littérature permettent de considérer que « la charge de travail (intensité et temps de travail excessifs) d’une part et la pression émotionnelle d’autres part » sont « les principaux facteurs associés » aux troubles mis en évidence, dont la prévalence concorde avec les résultats déjà publiés (même si les études sur le burn out ne sont pas toujours facilement comparables et même si les spécificités de la conduite de l’étude, reposant sur le volontariat et un caractère très déclaratif incluent nécessairement des biais).
Un élément majeur
Cette étude confirme en tout état de cause la fréquence élevée des troubles psychosociaux chez les praticiens hospitaliers, sans que certaines spécialités ne paraissent connaître une situation significativement différente. Elle souligne la nécessité pour les pouvoirs publics de prendre en compte cette dimension dans les réponses qu’ils souhaitent apporter à la crise de l’hôpital public.
Aurélie Haroche