jeudi 23 mai 2019

ALSACE Agriculture Une association à l'écoute de la souffrance des paysans

Agriculture Une association à l'écoute de la souffrance des paysans
Créée il y a deux ans à Fréland, l’antenne alsacienne de Solidarité paysans est une sorte de « SOS amitié » pour les agriculteurs. La démarche d’exprimer son désarroi reste encore rare chez les paysans.
22/05/2019  par Françoise Marissal www.lalsace.fr*

« Parler de ses difficultés n’est pas dans la mentalité des agriculteurs, ils voient ceci comme une honte, un échec. » Réunis autour d’une table à Fréland, Marie-Ray Prou, ancienne infirmière et fille d’agriculteurs, Denis Marchal, éleveur à la retraite à Lapoutroie, et Michel Hartweg, viticulteur à la retraite à Dambach-la-Ville, expliquent les raisons de la création, il y a deux ans, de Solidarité paysans Alsace : « Nous leur permettons justement de pouvoir parler en toute confidentialité et sans jugement ; nous sommes d’abord là pour être à l’écoute de leur détresse. »

Antenne régionale de Solidarité paysans, elle peut également leur permettre de prendre du recul par rapport à leur situation, être un relais vers les différents partenaires, MSA (mutualité sociale agricole), chambre d’agriculture (etc.), les accompagner lorsqu’il s’agit de renégocier un prêt… Elle compte une dizaine de bénévoles accompagnateurs. 

La démarche doit venir d’eux-mêmes, nous ne nous imposons pas

En deux ans, une quinzaine d’agriculteurs les ont contactés, principalement des agriculteurs de montagne : « La démarche doit venir d’eux-mêmes, nous ne nous imposons pas » , indique Marie-Ray Prou, présidente de l’antenne.

Si bien sûr les difficultés existent dans tous les métiers, celles des agriculteurs sont particulières car elles sont peu connues. D’une part du fait de cette honte d’en parler, d’autre part car elles ont un impact affectif très fort.

L’obligation de cohabiter sous un même toit

Ainsi, « les problèmes de transmission sont parmi les plus fréquents, surtout si l’enfant se sent contraint de reprendre alors que ce n’est pas sa vocation. Quand ils prennent leur retraite, les parents restent souvent sur l’exploitation ; ils ont du mal à lâcher, à accepter que leurs enfants puissent faire d’autres choix de production. » D’où des tensions permanentes.

Souvent, par manque de moyens, le jeune ne peut racheter l’exploitation à ses parents et est locataire, mais il suffit d’une mauvaise année pour qu’il se retrouve en difficulté : soit il ne peut plus rembourser ses parents, lesquels ont eux-mêmes de très faibles retraites, soit c’est lui qui ne peut plus vivre de son travail. Souvent aussi, les parents aident à l’exploitation, mais lorsqu’ils doivent arrêter, le fils se retrouve noyé dans le travail car il n’a pas les moyens d’avoir un salarié.

Un agriculteur ne peut se permettre d’arrêter

Le problème se retrouve aussi lors des divorces : le conjoint participait au travail. Une fois parti le restant ne peut plus en assumer la charge. 

C’est le cas d’un éleveur du Haut-Rhin. Après la séparation d’avec sa femme, il a dû peu à peu diminuer l’exploitation, vendre ses bêtes. Cela n’a pas suffi, et il a fait un burn out. « À la différence d’un salarié, un agriculteur ne peut se permettre d’arrêter ; les bêtes ont besoin qu’on s’occupe d’elles chaque jour » , souligne Denis Marchal.

Si, en Alsace, les éleveurs sont les plus démunis, le phénomène touche dorénavant aussi les viticulteurs. Solidarité paysans vient d’en rencontrer un, pris à la gorge par ses dettes. « Il avait emprunté pour refaire sa cave. Mais ces dernières années les ventes de vin ont chuté , car la consommation de vin baisse alors que la concurrence des autres pays augmente. Les prix ont donc baissé et il n’a plus pu rembourser » , détaille Michel Hartweg.

Noyés sous les dossiers administratifs

Certes, il existe des aides, mais les agriculteurs sont souvent noyés sous la multiplication de dossiers à remplir. « Ceux qui en auraient le plus besoin, les petits, n’ont pas la possibilité de le faire car ils travaillent toute la journée, s’indigne Marie-Ray Prou. Ce sont les grosses exploitations qui en bénéficient, celles dont le patron est au bureau tandis que ses salariés sont au champ. Parfois, les petits agriculteurs ne connaissent même pas leurs droits, la possibilité de demander le RSA par exemple… »

À l’extrême, le suicide arrive. Un a eu lieu dans le secteur récemment, plus une tentative.

Les membres de l’association s’indignent d’autant plus qu’à côté de cela « on se désole que les villages se dépeuplent. Or, un agriculteur c’est une famille, des enfants à l’école… »

Une amplification avec le dérèglement climatique ?

Ils craignent de voir le phénomène de souffrance prendre de l’ampleur avec l’augmentation de la fréquence des périodes de sécheresse « qui se multiplient depuis les années 2000 » , reprend Denis Marchal. Et 2019 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices : « Avec les dégâts de la sécheresse 2018, et ceux des sangliers, on prévoit déjà une récolte en baisse de 50 %. Certains éleveurs se demandent déjà comment ils vont pouvoir nourrir leurs bêtes. »

Le taux de suicide des agriculteurs est trois fois plus élevé que dans les professions à responsabilité, qui génèrent du stress. Chez les femmes, il est deux fois plus important.

Marie-Ray Prou présidente de Solidarité paysans Alsace

De multiples soutiens et une lente évolution

La MSA (Mutualité sociale agricole) d’Alsace a mis en place des structures de soutien aux agriculteurs il y a trois ans.

Ainsi, onze points d’accueil sont répartis dans la région, où les agriculteurs (exploitants comme salariés) peuvent rencontrer des travailleurs sociaux.

Elle a également développé des aides sociales en cas de difficultés financières, de santé, sociales… Elle peut prendre en charge 300 € en cas de besoin de voir un psychologue.

Pilotée par la MSA et la Chambre d’agriculture, la cellule Réagir propose un accompagnement administratif.

Chaque MSA dispose par ailleurs d’une cellule pluridisciplinaire de prévention : travailleurs sociaux, médecins du travail, conseillers en prévention et conseillers en prestations sociales y sont présents.
D'autres dispositifs au plan national

D’autres dispositifs existent au plan national : Agri’écoute est un service d’accueil téléphonique 24h/24 et 7j/7. Lorsqu’un risque de burn out , voire de suicide, est détecté, chaque MSA peut proposer à l’agriculteur une « aide au répit » : des agriculteurs salaries qualifiés peuvent venir s’occuper de l’exploitation pour permettre à l’agriculteur de faire une pause.

Mais les habitudes ont la vie dure : « Nous avons une enveloppe financière pour une trentaine de familles, souligne Sylviane Fargeon, directrice adjointe de la MSA Alsace. Mais elle est peu utilisée. L’agriculteur ne se sent pas le droit de partir ; tout au plus permettra-t-il à sa famille de partir, mais pas lui. »

Les agriculteurs osent enfin se renseigner sur leurs droits

Même phénomène en matière de prestations de soutien. On recense une cinquantaine d’agriculteurs qui perçoivent le RSA ; et le nombre de ceux qui perçoivent la prime d’activité (complément de revenu quand le travail n’arrive pas à faire vivre le foyer) est en augmentation. « Mais les chiffres restent en deçà de la réalité ; ce n’est pas dans la mentalité agricole de faire appel à la solidarité nationale. »

Cela dit, les choses évoluent petit à petit, « les agriculteurs osent enfin se renseigner sur leurs droits ».

Il n’empêche que, en plus des difficultés évoquées par les membres de Solidarité paysans, les agriculteurs doivent faire face au climat social.
«L’agri-bashing», même chez les agriculteurs bio

«L’agri-bashing» est un problème, « même chez les agriculteurs bio ; ceux-ci aussi ont besoin de pulvériser leurs cultures et ils doivent se justifier. » Les éleveurs souffrent de l’influence des végans, des débats sur le bien-être animal.

L’Alsace possède également ses problématiques spécifiques. Le coût des terres agricoles y est élevé, d’où les nécessités d’endettement, ou l’obligation pour les différentes générations de cohabiter.

Par ailleurs « l’Alsace est un grand village, où les exploitations sont proches, reprend Sylviane Fargeon. Le poids du regard des autres y est important. Le jeune se sent une obligation de réussir la succession, de garder intacte la ferme familiale. »


Ils ont du mal à vivre l’image du viticulteur opulent lorsqu’ils ont des problèmes financiers

Heureusement, les exploitations y restent encore souvent petites et diversifiées ; si une filière est en crise, les autres peuvent compenser.

Le phénomène touche désormais aussi les viticulteurs : « Ils ont du mal à vivre l’image du viticulteur opulent lorsqu’ils ont des problèmes financiers. » Le suicide survenu en 2019 était d’ailleurs un viticulteur.

Pour la MSA, Solidarité paysans est un partenaire précieux : « Ses membres sont sur le terrain et peuvent orienter un agriculteur chez nous. Et étant eux-mêmes paysans, ils peuvent échanger plus facilement et montrer à leur confrère qu’il n’est pas seul. »

SURFER Sur le site national de Solidarité paysans

CONTACTER Directement l'antenne alsacienne au 03.89.47.20.28 ou par e-mail : solidaritepaysansalsace(@)zaclys.net

https://www.lalsace.fr/haut-rhin/2019/05/23/ecouter-la-souffrance-des-paysans