vendredi 24 mai 2019

PROJET ETUDE RECHERCHE Saint-Denis, prévenir la récidive suicidaire : mise en place d'un protocole case management ou gestion de cas et comparaison à la veille téléphonique simple thérapeutique

Psychiatrie - Pédopsychiatrie  A Saint-Denis, prévenir la récidive suicidaire
Dr Fayçal Mouaffak @EPSMVilleEvrard
Le suicide entraîne chaque année en France 11 000 décès. Sa prévention est d’ailleurs l’un des trois axes de la feuille de route « santé mentale et psychiatrie » publiée en juin 2018. A Saint-Denis, le Dr Fayçal Mouaffak, psychiatre des hôpitaux, chef de pôle 93G04 à l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Ville-Evrard va mener une étude clinique visant à démontrer le lien entre la mise en place d’appels téléphoniques et la prévention de la récidive suicidaire.
Comment vous êtes-vous intéressé au dispositif de mise en place d’appels téléphoniques pour prévenir la récidive suicidaire ?
Lorsque j’étais responsable du service des urgences de l’hôpital Bicêtre (AP-HP), j’ai participé à un protocole de recherche mené par le Pr Patrick Hardy qui visait à étudier l’intérêt de la veille téléphonique, c’est-à-dire les rappels téléphoniques des patients ayant fait une tentative de suicide. En dépit des résultats négatifs de cette étude, je reste convaincu de l’utilité de cette approche, sur un profil particulier de patients. La veille téléphonique est une méthode qui préserve la connectivité, autrement dit le lien avec le patient, ce que le psychiatre américain Jérôme Motto nomme « Connectedness ». Cet accompagnement bienveillant est une démarche respectueuse, non aliénante qui peut aussi permettre de résoudre des situations, administratives par exemple, par téléphone. Malheureusement, la veille téléphonique n’est pas suffisante et il faudrait, pour certains patients, l’associer à d’autres approches telle que la gestion de cas ou les thérapies en face à face.
Pourquoi le maintien du lien doit-il être travaillé ?
Après une tentative de suicide, jusqu’à 50% des patients refusent un suivi ambulatoire. Et dans 70% des cas, ils se désengagent des soins après une année. Nous savons aussi que le bénéfice des consultations sur la prévention du risque suicidaire est proportionnel à leur nombre. Avec une supériorité démontrée des thérapies comportementales et cognitives et des thérapies comportementales dialectiques. Mais si ces techniques ont montré leur efficacité en termes de prévention, elles sont coûteuses en temps et en personnel. Lorsque je suis arrivé à Saint-Denis, j’ai souhaité réaliser un audit. Parmi les chiffres à retenir : 60% des suicidants retournent à leur domicile, 66% sont sans emploi, 45% vivent seuls et le taux de récurrence suicidaire est élevé, à 27%. Par ailleurs, seuls 16,5% des patients s’engagent dans les soins. Notre population est très précaire, et cosmopolite avec par exemple quinze nationalités dans mon unité d’hospitalisation. Par ailleurs, certains de nos patients sont défiants vis-à-vis des représentants de l’Etat, y compris hospitaliers. Ils craignent que leur passage en psychiatrie les disqualifie. J’ai donc souhaité mettre en place un protocole case management ou gestion de cas et de le comparer à la veille téléphonique simple thérapeutique. C’est le sens du protocole de recherche qui sera prochainement mis en place.

Pouvez-vous nous détailler ce protocole de recherche ?

L’étude sera randomisée avec un premier bras interventionnel basé sur la gestion de cas et les appels téléphoniques et un deuxième bras contrôle associant prise du premier rendez-vous lors du passage aux urgences et rappel téléphonique. Mon hypothèse est que la gestion de cas définie comme le processus par lequel on obtient, coordonne et assure l’utilisation par les usagers souffrant de troubles psychiatriques des soins et des services supplante la veille téléphonique dans l’aide à l’engagement dans les soins et réduit par voie de conséquence la récidive suicidaire.
D’ailleurs, une infirmière du service est en cours de formation à la gestion de cas pour les suicidants. Nous avons obtenu l’accord du comité de protection des personnes pour commencer cette recherche qui si elle démontre l’intérêt de l’accompagnement en aval des urgences pourrait légitimer notre projet de créer une unité mobile post-urgence pour les suicidants. Nous avons la chance que notre projet d’établissement prévoie des moyens pour la recherche.

Vous avez également un projet de création d’un centre renforcé d’urgence psychiatrique. Pouvez vous nous en dire quelques mots ?

Il s’agit d’une unité d’hospitalisation de courte durée, 48H au maximum, en aval des urgences, un SAS pour se donner le temps que l’on a pas dans le cadre des urgences somatiques. L’idée serait de dédier quelques lits à la décision afin d’accueillir les patients plus dignement. Ce centre nous permettrait de trouver la solution la plus adaptée à la problématique des patients, cette solution n’étant peut-être pas l’hospitalisation. L’objectif est donc aussi de réduire le nombre d’hospitalisations par défaut de temps d’évaluation.

Les méfaits de la désinstitutionnalisation
Dans les chiffres, la désinstitutionalisation s’est traduite par le passage de 78 320 lits en psychiatrie en 1994 à 57 000 lits en 2007, soit la suppression d’un tiers des lits. A Saint-Denis, l’évolution a été plus radicale encore avec le passage de 70 lits à la fin des années 1990 à 20 aujourd’hui dans le service du Dr Fayçal Mouaffak.Cette déperdition conjuguée à l’inflation démographique urbaine a eu pour conséquences une présence croissante de patients psychiatriques dans les prisons (20% des détenus en France souffrent de pathologies psychotiques selon les données de l’observatoire internationa des prisons) et l’embolisation des services d’urgence. Avec une augmentation de plus de 50% d’accueil de malades psychiatriques aux urgences au cours des 10 dernières années.

Urgences et temporalité
Selon une étude réalisée en mai 2017 par le Dr Fayçal Mouaffak, la temporalité du soin psychiatrique est particulière dans la mesure où la durée des prises en charge psychiatrique aux urgences est le double de celle des prises en charge somatiques. Car nombre de problématiques sont intriquées notamment professionnelles ou sociales. Selon une étude du Dr Schmoll, publiée dans la revue l’Encéphale en 2013, 2,2% des patients se présentant aux urgences psychiatriques sont dits récurrents ou répétiteurs, ils représentent 21,3% des passages et monopolisent donc un cinquième de l’activité. « Dans les trois-quarts des cas, sont posés des diagnostics de psychose. Mais ces patients reviennent à l’hôpital car nous n’avons pas de solution cohérente et durable à leur proposer. Ils relèvent souvent davantage du médico-social que du sanitaire. L’utopie de les faire vivre en cité s’est transformée en dystopie », commente le Dr Fayçal Mouaffak.

Hélène Delmotte
Rédactrice en chef adjointe

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