lundi 6 mai 2019

MàJ Suicide de policiers: Christophe Castaner annonce "la mise en place d'une cellule de vigilance"

Castaner inaugure une cellule "alerte prévention suicide" chez les policiers

Cette cellule doit mener à bien le plan d'action développé par Gérard Collomb, mais aussi faire des propositions à l'Intérieur afin de lutter contre la recrudescence de suicides au sein des forces de l'ordre.



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Autres articles et débats sur le  sujet 

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récit Suicide dans la police : à Montréal, un dispositif de prévention qui a fait ses preuves
Par Olivier Monnier, correspondance au Canada


En 1997, alors que la province du Québec connaissait une vague de suicides chez ses policiers, la ville a créé un programme d’aide en impliquant ses agents. Depuis, le nombre de morts n’a cessé de baisser.
De son bureau aux larges baies vitrées, Louis-Francis Fortin surplombe l’île de Montréal. Comme un signe pour cet homme de 44 ans au physique affûté, dont le travail est de veiller à la santé mentale des agents de police de sa ville. Depuis deux ans, Fortin est à la tête du Programme d’aide aux policiers et policières (PAPP), une équipe de cinq psychologues au chevet des 4 800 membres du service de police de la ville de Montréal (SPVM). Leur mission : prévenir les suicides. L’équipe perpétue un dispositif mis en place il y a vingt-deux ans et désormais considéré comme un modèle du genre.

A la fin des années 90, le SPVM fait face à une vague de suicides dans ses rangs : 14 policiers de Montréal se sont donné la mort entre 1986 et 1996. Un chiffre élevé, légèrement supérieur au reste des forces de police de la province. En 1997, le SPVM lance donc avec les syndicats et les psychologues un plan d’action dédié aux policiers, une population jugée à risque pour sa proximité avec la mort, la violence, et sa difficulté à demander un accompagnement. Le programme, nommé «Ensemble pour la vie», se donne pour objectif d’aider les agents à identifier les signes pouvant mener au suicide et d’améliorer la solidarité entre collègues et le climat au travail.

«Sentinelles»
Il repose sur quatre composantes : une campagne d’information et de sensibilisation, une formation d’une demi-journée en groupe pour toutes les unités afin d’apprendre à détecter les signes avant-coureurs - et soutenir un collègue en difficulté -, une formation plus poussée pour les sergents et délégués syndicaux qui doivent agir comme des «sentinelles», et enfin une ligne téléphonique anonyme d’entraide gérée par des policiers bénévoles.
Les résultats sont impressionnants : dans les douze ans qui suivent la mise en place, le taux de suicides au SPVM chute de 79 %, soit quatre morts entre 1997 et 2008. Durant la même période, il augmente de 11 % chez les autres forces de police du Québec… «Tout le monde a collaboré pour monter ce programme. Il n’a pas été perçu comme imposé d’en haut car tous les policiers de base ont été impliqués. Je pense que cela explique en partie son succès», analyse le professeur de psychologie à l’université du Québec à Montréal Brian Mishara, l’un des fers de lance de ce plan d’action. Une étude qu’il a réalisée en 2012 montre que le programme a permis d’améliorer les connaissances des policiers sur le suicide et les interventions auprès des agents à risque. «Ils ont aménagé les heures de travail pour ceux qui en avaient besoin, et dans des cas extrêmes, ils sont intervenus pour retirer l’arme de service», explique Brian Mishara. L’assistance téléphonique, dit-il, a aussi offert aux policiers la possibilité d’être «entendus par des gens qui comprennent leur métier».

«Filet»

Une analyse plus récente, effectuée à nouveau par Mishara, confirme la tendance. Entre 2009 et 2018, le taux de suicides s’est maintenu à un niveau très bas, toujours inférieur à celui constaté chez les autres forces de police et au sein de la population en général au Québec, dont le taux de suicides a aussi nettement baissé depuis la mise en œuvre d’une stratégie provinciale en 1999.
Si quelques améliorations ont été apportées ici et là, le programme de la SPVM a relativement peu changé depuis sa création. Il continue de reposer sur les sentinelles, ces sergents et délégués syndicaux formés pour identifier les signes avant-coureurs de suicide. Les sentinelles et les psychologues constituent «un filet de sécurité», explique Louis-Francis Fortin. «On ne pourrait pas arriver à un programme aussi efficace sans avoir des oreilles et des yeux sur le terrain. Si les sentinelles détectent quelqu’un qui ne va pas bien, elles peuvent être soutenues par les psychologues pour intervenir auprès de leurs collègues en difficulté ou nous référer la personne», dit-il.
Les formations en groupe, dispensées à l’origine par deux psychologues, sont à présent menées par un duo composé d’un psy et d’un policier. «Le policier, lui, témoigne des difficultés qu’il a rencontrées, de la façon dont il a été soutenu par son entourage. Puis il discute avec le groupe, poursuit Fortin. Cela permet de normaliser le fait d’avoir des difficultés et de donner un modèle de résilience.» A l’issue de ces ateliers, certains policiers ont parfois pris des nouvelles de collègues en arrêt de travail quand d’autres ont demandé à être accompagnés. Les psychologues ont dispensé plus de quatre mille heures de consultation en 2018. Tous ces efforts ont permis de «changer les mentalités» au sein de la police de Montréal en «démystifiant» le recours à l’aide psychologique, assure le chef du programme PAPP. Qui observe : «La demande est de plus en plus forte. Les policiers voient leurs collègues franchir le cap et ils se rendent compte que ça leur fait du bien.»
Olivier Monnier correspondance au Canada
https://www.liberation.fr/planete/2019/04/28/suicide-dans-la-police-a-montreal-un-dispositif-de-prevention-qui-a-fait-ses-preuves_1723907


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récit Suicides : les policiers se tuent à la peine
Par Chloé Pilorget-Rezzouk, photo Aimée Thirion




Beaucoup redoutent une année noire, à l’instar de 1996 et ses 70 suicides. La «cellule alerte prévention suicide» doit être une force de proposition auprès du ministre de l’Intérieur. Photo Aimée Thirion
Le ministre de l’Intérieur lance ce lundi une cellule de prévention afin d’endiguer un phénomène qui touche particulièrement les forces de l’ordre et que les syndicats dénoncent de plus en plus vigoureusement. Depuis janvier, vingt-huit agents se sont donné la mort.
Une capitaine de 48 ans à Montpellier, un gardien de la paix de 25 ans à Villejuif, un CRS de 42 ans au Mans, un agent de 40 ans de la police aux frontières à Querqueville… Depuis début janvier, 28 policiers se sont donné la mort. L’an dernier, ce chiffre n’avait été atteint qu’au mois de septembre. A l’heure où certains scandent «suicidez-vous !» en manif ou taguent «flics suicidés à moitié pardonnés», cette série macabre rappelle qu’il y a des hommes derrière les matricules. Le 19 avril, les flics de France se sont réunis devant leurs commissariats à la mémoire des collègues. Message fort et inédit, le directeur général de la police nationale (DGPN), Eric Morvan, a lui-même enjoint toute la hiérarchie de participer à ce recueillement. «Il est trop tôt pour parler de hausse, mais ce nombre est extrêmement inquiétant. La tendance est malheureusement à une année record», affirme le chercheur Mathieu Zagrodzki, auteur de Que fait la police ? Le rôle du policier dans la société. Beaucoup redoutent en effet une année noire, à l’instar de 1996 et ses 70 suicides. L’éprouvante mobilisation dans le cadre des gilets jaunes joue-t-elle ? Beauvau affirme qu’il n’y a pas de corrélation, mais «ce contexte de confrontation entre police et manifestants pourrait être un élément se mélangeant au stress professionnel et à d’autres circonstances plus structurelles», estime le chercheur au CNRS Sebastian Roché.

Dans la foulée des plans anti-suicide de ses prédécesseurs lancés en 2015 et 2018, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, inaugure ce lundi une «cellule alerte prévention suicide». Dirigé par Noémie Angel de l’Inspection générale de l’administration (IGA), le dispositif a pour vocation d’être un réceptacle des pratiques et une force de proposition auprès du ministre de l’Intérieur. «Nous ne laisserons pas le suicide devenir un risque du métier», a assuré Castaner en visite à l’hôpital des Gardiens de la paix à Paris, le 12 avril. Dans ce centre accueillant des agents «fragilisés», il a rencontré une équipe pluridisciplinaire pour parler prévention. Autour de la table, on évoque pêle-mêle : la détection des signaux faibles, une meilleure appréhension des tentatives de suicide, mais aussi une «libération de la parole» dans ce milieu d’hommes où il est si difficile de parler, ainsi que la nécessité de sensibiliser la hiérarchie. Souvent désignée comme responsable, celle-ci doit devenir «une vigie attentive et bienveillante», dira Castaner dans son discours, enjoignant à lever «le tabou du besoin d’aide». Si une ligne téléphonique existait déjà pour les agents en détresse, elle sera dorénavant ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Mise en place en juin, précise-t-on au cabinet du ministre. Une rencontre aura également lieu «très rapidement» avec l’ensemble des syndicats qui «ont un vrai rôle à jouer», dixit Beauvau.
Le «fléau», lui, n’est pas nouveau. Depuis une vingtaine d’années, le nombre de suicides oscille entre 30 et 60 par an. En 2018, 35 policiers et 33 gendarmes se sont donné la mort. Si les effectifs de la sécurité publique sont les plus touchés, aucun corps ni grade n’est épargné. Le taux de suicides dans la profession est supérieur de 36 % à celui de la population générale, selon une étude de l’Inserm menée de 2005 à 2009. Comment l’expliquer ? L’épidémiologiste Gaëlle Encrenaz, coauteure de cette enquête, met en garde : «Le suicide est un phénomène complexe et multifactoriel, ce qui le rend compliqué à comprendre. En général, il survient quand plusieurs sphères de vie sont affectées.»
«En retard»
Longtemps, l’administration policière a pourtant renvoyé les morts volontaires dans ses troupes à la seule sphère privée, faisant fi des conditions de travail et suscitant le courroux des syndicats et des familles endeuillées. «Rien n’est fait en amont pour accompagner les agents en difficulté. On n’intervient qu’après la tentative de suicide ou le suicide», dénonce Guillaume Lebeau, de l’association Mobilisation des policiers en colère. Y a-t-il des facteurs propres au métier ? Quel rôle peuvent jouer le surmenage, la confrontation quotidienne à la violence et la mort ou encore l’isolement des recrues affectées en région parisienne alors qu’elles sont souvent originaires de province ? Aucune étude récente n’existe sur le sujet. «Le ministère, très en retard en matière de recherche scientifique, n’a jamais développé d’outils ni de capacités d’analyse», déplore Sebastian Roché, auteur de l’ouvrage De la police en démocratie : «Il y a un déficit réel de considération du problème : le gouvernement annonce des mesures successives, sans faire de suivi ni vérifier leur efficacité.» Et de glisser quelques pistes, comme veiller à «former l’encadrement et multiplier les portes d’entrée pour que la personne puisse appeler à l’aide».

Dans la gendarmerie, où l’on se suicide moins, on constate une meilleure cohésion de groupe ; celle-là même qui se serait étiolée au sein de la police. La vie en caserne permettrait aussi de mieux détecter les signes précurseurs. «Il faut développer un management plus horizontal dans la police et une culture du débrief après les interventions», suggère le chercheur Mathieu Zagrodzki. Car derrière l’aspect technique et opérationnel, ces échanges sont l’occasion de dire bien plus. Un bilan de personnalité annuel pourrait aussi permettre d’ouvrir le dialogue. «La première façon de prévenir, c’est de parler. On doit comprendre que faire appel à un psy, c’est pro», martèle le directeur départemental de la sécurité publique du Nord, Jean-François Papineau, confronté à une douzaine de suicides en trente-cinq ans de carrière.

Groupes de parole
Depuis la création du Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) en 1996, les comportements ont toutefois évolué. «Au départ, les policiers ne s’autorisaient pas à venir. Maintenant, la démarche est moins taboue», assure la psychologue coordinatrice du Nord, Nathalie Bascop. En 2018, les équipes du SSPO ont ainsi mené 32 000 entretiens et 2 916 actions post-traumatiques individuelles ou collectives, tels des débriefings émotionnels ou des groupes de parole après des situations éprouvantes. La prise en charge opère sur un champ assez large : un usage de l’arme de service, une mise en joue par un délinquant, une opération qui s’est mal déroulée, une intervention sur un suicide, une mort d’enfant, une attaque terroriste… «Si besoin, on se déplace dans chaque service. Il est important que les fonctionnaires de terrain puissent échanger sur les situations qu’ils ont vécues», déclare Nathalie Bascop, qui dirige les sept psychologues du département. Il y a vingt ans, à la naissance du SSPO, les praticiens n’étaient qu’une dizaine. Désormais, ils sont 89 au service des quelque 150 000 policiers français. «C’est encore trop peu ! Cela fait un référent pour 1 800 agents. Surtout, il y a toujours cette crainte d’aller voir le psychologue de l’administration parce qu’on a peur que ça se sache auprès de la hiérarchie», complète Frank Baudry, modérateur du groupe Facebook «SOS Policiers en détresse», lancé à l’automne. Depuis quelques jours, les demandes d’adhésion «explosent» sur ce petit groupe privé, où l’on vient échanger et se soutenir entre collègues.
Chloé Pilorget-Rezzouk photo Aimée Thirion

https://www.liberation.fr/france/2019/04/28/suicides-les-policiers-se-tuent-a-la-peine_1723908

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Suicides dans la police : « Être à l’écoute »
Recueilli par Nathalie FLOCHLAY.

Face à la vague de suicides dans la police, François Angelini, directeur départemental de la sécurité publique, revient sur les dispositifs d’écoute et de prévention qui existent en Ille-et-Vilaine.

Trois questions à…
François Angelini, directeur départemental de la sécurité publique en Ille-et-Vilaine.
La police est touchée par une vague de suicides depuis le début de l’année. En Ille-et-Vilaine, quelles mesures ont été prises ?
Le ministre de l’Intérieur a annoncé, lundi, l’installation de la cellule Alerte prévention suicide. Il existe déjà tout un dispositif de prévention en Ille-et-Vilaine. Les policiers peuvent contacter à tout moment le numéro d’urgence du Service de soutien psychologie opérationnel (SSPO). Nous avons aussi des psychologues qui assurent des permanences au commissariat et reçoivent sur rendez-vous. Ils ont un bureau commun avec l’assistante sociale.
Des policiers sont aussi sensibilisés aux risques psycho sociaux. Conseillers ou assistants de prévention, ils peuvent signaler un problème, orienter un collègue, assurer un relais. Enfin, des séances d’information et de sensibilisation sur le suicide sont prévues.
Syndicats et policiers de terrain plaident pour davantage d’écoute, pour remettre de l’humain dans les relations avec la hiérarchie. Votre sentiment ?
Le suicide d’un collègue crée une profonde tristesse, une onde de choc. Plusieurs mois, années après, on y pense toujours. Chacun à son niveau doit être attentif et faire remonter les informations. Être à l’écoute, sensible aux autres, avoir une fibre sociale sont les qualités essentielles d’un chef d’équipe. Je confie les postes à responsabilité aux gradés qui ont ces valeurs.
Les policiers se disent rincés, usés par des mois de mobilisation sociale. Sentez-vous un moral en baisse, un épuisement ?
Oui, il y a de la fatigue. Ils sont rappelés souvent. Nous en sommes au 24e samedi de mobilisation des Gilets jaunes, c’est du jamais vu, avec une utilisation de la force contenue. On compte vingt policiers blessés depuis le début du mouvement, principalement des blessures légères aux jambes, après avoir reçu des projectiles.
À Rennes, des fonctionnaires ont fait les vingt-quatre samedis et ils sont volontaires, motivés. Ils aiment leur métier, gardent le moral. Je suis fier d’être leur patron.


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Société Suicides dans la police: «Ils veulent juste éviter qu'on passe à l'acte avec notre arme de service»

Alors que la Cellule alerte et prévention suicide promise par le ministre de l'Intérieur a été inaugurée le 29 avril, nombre d'agent·es des forces de l'ordre pointent du doigt l'administration.

Rassemblement devant le commissariat central de Montpellier le 19 avril 2019, au lendemain du suicide d'une capitaine de police sur son lieu de travail. | Sylvain Thomas / AFP
Il est midi ce vendredi 19 avril 2019 quand, dans la rue Albert du XIIIe arrondissement de Paris, tout s'arrête. Devant la préfecture de police, une minute de silence.
C'est ce qu'a demandé l'intersyndicale (Unsa-police, Alliance et Unité SGP-police, entre autres), pour rendre hommage aux deux policiers qui se sont suicidés la veille.
En à peine une semaine, la préfecture de police du XIIIe a été endeuillée à deux reprises. Ils étaient deux collègues de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC), deux camarades, deux jeunes hommes de 27 et 25 ans. Ils ont mis fin à leurs jours avec leur arme de service.
Partout en France, les forces de l'ordre ont interrompu leurs activités entre 11h30 et midi. «On arrive au vingt-huitième collègue parti depuis le début de l'année. La cadence s'accélère. Il faut qu'on puisse véhiculer un message fort», lâche Hubert Gimenez, responsable du syndicat Unsa-Police.
Vingt-huit, soit le double de l'an dernier à la même période. En 2018, trente-cinq policièr·es et trente-trois gendarmes se sont suicidés, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur. Et d'après un rapport sénatorial de juin 2018, le taux de suicide dans la police est 36% plus élevé que dans la population générale.
Rue Albert, on salue la mémoire des collègues, mais on se rassemble aussi pour exprimer son désarroi et son ras-le-bol.

«Un pansement sur une jambe de bois»
Une semaine auparavant, le ministre de l'Intérieur avait promis de répondre au mal-être général des forces de l'ordre. «Le suicide dans la police et la gendarmerie ne sera jamais une fatalité», déclarait Christophe Castaner, en visite à l'hôpital des gardiens de la paix à Paris.
Le lundi 29 avril, le ministre a inauguré la Cellule alerte prévention suicide (Caps), installée dans le XIIe arrondissement de Paris, accélérant ainsi la mise en œuvre d'un plan lancé par Gérard Collomb en mai 2018. Noémie Angel, membre de l'Inspection générale de l'administration (IGA), aura la charge de cette cellule.
Une ligne téléphonique est désormais ouverte en continu pour mettre en relations gardien·nes de la paix et psychologues. «L'idée, c'est de renforcer la détection», indiquait le 23 avril Laurent Nuñez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur.
Marc Loriol est sociologue, chercheur au CNRS et auteur d'une étude sur la résistance à la psychologisation des difficultés au travail chez les policiers, parue en 2006. Il émet quelques réserves quant à ce dispositif téléphonique anonymisé et pour le moins distant: «Ces psychologues ne connaissent pas tous bien l'univers de la police. Il est donc probable qu'ils s'attachent surtout à l'émotionnel et à l'affect des agents. Cela va renvoyer les policiers à leur personne, alors qu'eux pensent que le problème n'est pas lié à leur situation, mais à leurs conditions de travail.»
Dans les rangs, les personnels sont plus que sceptiques: un Service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) existe déjà en France depuis 1996, sombre année durant laquelle soixante-dix agent·es avaient mis fin à leurs jours.
Pour Boris*, policier endurci par vingt ans de métier, l'annonce de Castaner est «un pansement sur une jambe de bois». «Cette cellule est un placebo. Ça ne sert à rien, c'est juste histoire de montrer qu'ils ne sont pas insensibles», renchérit Thomas*, policier de la Direction de la sécurité publique de l'agglomération parisienne (DSPAP). «Le fond du problème, ce sont nos conditions de travail au quotidien, qui nous pourrissent la vie», assure le quarantenaire.



«Certains dorment dans leur voiture»
Pour les deux hommes, «tout est à refaire». Bas salaires, retards de paie de plusieurs mois, heures supplémentaires, «absence totale de reconnaissance» de la hiérarchie… À les entendre, rien ne va. À commencer par le matériel: «Je suis sûr qu'il n'y a pas une de nos voitures qui passe le contrôle technique», souffle Boris. Le policier fixe doucement son regard: «On pourrait aussi parler d'argent, le nerf de la guerre.»
Après dix-sept ans de métier, la rémunération de Boris dépasse à peine les 2.000 euros mensuels –un salaire bien faible pour celui qui s'est déjà «fait planter trois fois et a reçu deux impacts de balles».
«Le rythme de travail n'est pas compatible avec une vie personnelle.»
Hubert Gimenez, responsable du syndicat Unsa-Police
«La vie est compliquée. Manger au resto, c'est difficile», soupire Amanda*, une collègue de Boris âgée d'une trentaine d'année et confrontée aux mêmes problèmes financiers.
«Les contraintes du métier de policier sont dures», confirme le sociologue Marc Loriol. «Le rythme de travail n'est pas compatible avec une vie personnelle», tranche le responsable syndical Hubert Gimenez.
Et la rudesse du métier s'impose dès le début. «Beaucoup de jeunes viennent de province et sont issus de milieux sociaux modestes. Quand ils arrivent sur Paris après l'école de police, ils ont des difficultés pour se loger. Certains dorment plusieurs mois dans leur voiture. Ils se retrouvent loin de leurs amis et de leur famille», explique Marc Loriol.
Selon le sociologue, les jeunes agent·es sont souvent envoyé·es dans des quartiers difficiles –une facilité pour la hiérarchie, qui préfère ne pas imposer ces postes compliqués aux gardiens de la paix aguerris qui exigeraient des rémunérations plus élevées.

«Tout ce qui compte, ce sont les chiffres»
À 40 ans, la silhouette de Boris* se déploie sur un bon mètre quatre-vingt et sa large carrure donne une impression d'indestructibilité. Pourtant, l'homme qui dit ne pas avoir eu un week-end libre depuis le 11 novembre 2018 est marqué par la fatigue. «Les policiers sont des éponges. Tous les jours, ils sont confrontés à la misère sociale et à la mort. Tous les jours, on nous insulte», reconnaît-t-il à demi-mot.
Boris ne conteste pas la dure réalité de son travail, il l'assume. Ce qu'il déplore, c'est la pression liée à la politique de résultat. «Tout ce qui compte, ce sont les chiffres», abonde Hubert Gimenez.
Cette politique du chiffre, les forces de l'ordre la connaissent depuis plus de quinze ans. Le 26 juin 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, prononce un discours devant les commissaires marquant le coup d'envoi de la «culture du résultat». Désormais, brigades, départements et régions ont un objectif principal: faire baisser les chiffres de la délinquance –des critères quantitatifs qui négligent les réalités du terrain. Chaque mois, les préfets des cinq départements les plus mauvais et des cinq meilleurs sont reçus par Nicolas Sarkozy; sans grande discrétion, ils sont réprimandés ou félicités.
Victime de ses mauvais résultats quantitatifs, la police de proximité devient une nouvelle cible pour Nicolas Sarkozy et est supprimée en 2003.
Cette culture du résultat n'est pas sans conséquences sur le quotidien des agent·es. «La politique du chiffre est à la base de ce cercle vicieux, car elle crée artificiellement des mauvais et des bons. Cela entraîne une concurrence entre les brigades», regrette Marc Loriol.
Depuis, la politique du chiffre n'a pas été réformée. «La hiérarchie a un attachement fort à cette politique qui lui permet d'avoir une vision sur les performances des brigades, même si elle est tronquée», fait remarquer le sociologue.


«Quand un agent appelle un psy, c'est un échec»
«Le problème, c'est qu'ils ne font rien! Notre hiérarchie n'est pas à la hauteur», vitupère Boris. Quand un·e gardien·ne de la paix avoue son mal-être, il est fréquent que la hiérarchie lui retire son arme de service, pour éviter les risques. «Ils ne prennent pas nos problèmes en compte. Ils veulent juste éviter qu'on passe à l'acte avec notre arme de service», s'étrangle le policier.
Désarmés, les personnels concernés deviennent inopérants sur le terrain et sont redirigés dans des bureaux. «Cette double protection est perçue comme une sanction. Il y a une véritable coupure avec les collègues et le collectif. C'est vécu comme un échec», affirme Marc Loriol. «Le stress est dans les étages», entend-t-on dans certains commissariats.
«La culture policière veut que les problèmes se résolvent entre collègues.»
Marc Loriol, sociologue
Rue Albert, Amanda* cale une mèche blond platine derrière son oreille. Elle en est certaine: la crainte de cette «punition» incite ses collègues à se taire –un obstacle supplémentaire pour une population déjà peu encline à aller solliciter une aide psychologique.
«La culture policière veut que les problèmes se résolvent entre collègues, parce qu'ils sont les seuls à comprendre ce mal-être. Quand un agent appelle un psy, c'est un double échec: l'échec du groupe qui n'a pas su aider le collègue et l'échec individuel de celui qui n'a pas su rebondir», analyse Marc Loriol.
Entre culture policière, honte de ce qui est souvent perçu comme un abus de faiblesse et peur du désarmement, les policièr·es qui se décident à consulter le cachent souvent à leur équipe et à leur hiérarchie.
Mais dans la préfecture de police d'un département de la petite couronne parisienne étudiée par Marc Loriol, le bureau du psychologue est situé dans un couloir avec beaucoup de passage: difficile de s'y rendre discrètement.


«Demain, tout aura recommencé»
Depuis ses débuts dans le métier il y a vingt ans, Boris note tout de même quelques légers changements. «Avant, c'était tabou. Maintenant, on parle un peu plus du mal-être qu'il y a dans la profession, remarque-t-il. Aujourd'hui, certains jeunes collègues disent qu'ils vont démissionner. Avant, on avait honte de ne pas y arriver.»
Mais Boris ne croit plus en sa hiérarchie. «Aujourd'hui, on se rassemble et on proteste, mais ça ne changera rien. Demain, tout aura recommencé, et nous perdrons d'autres collègues», lance-t-il, résigné. Dans son service, quatre d'entre eux ont mis fin à leurs jours en cinq ans.
Avec quelques mots glaçants, Amanda résume la situation: «Dans la police, le suicide est devenu banal.»
À la préfecture de la rue Albert, les forces de l'ordre ont salué l'hommage rendu à leurs collègues. Pourtant, «encore une fois», elles déplorent que la hiérarchie n'ait pas été «à la hauteur du drame».
Au rassemblement des forces de l'ordre rue Albert, dans le XIIIe arrondissement de Paris, le 19 avril 2019. | Justine Rodier
Un policier est sidéré: «Aucun membre de la hiérarchie n'a pris la parole!» «Si nos collègues de l'intersyndicale n'avaient pas appelé au rassemblement et à une minute de silence, personne n'aurait rien fait», murmure Amanda.
Devant la préfecture, Boris échange avec ses collègues. Malgré tout ce que son travail lui fait endurer, il ne partira pas. «Au quotidien, je suis récompensé par les remerciements des gens que j'aide», sourit-il. En 2015, ce policier a sauvé trois enfants, coincés dans un immeuble en feu en banlieue parisienne. «Cela m'a valu dix jours d'hospitalisation, mais j'étais fier», déclare l'homme, également père de famille.
Tout ce qu'il demande aujourd'hui, c'est «la reconnaissance de [sa] hiérarchie». Et il dit être très loin du compte: «Je vais peut-être vous choquer. Mais l'administration policière a du sang sur les mains.»
* Les prénoms ont été changés.
Justine Rodier Journaliste

http://www.slate.fr/story/176367/forces-ordre-police-rassemblement-mal-etre-suicides-hierarchie-ministere-interieur-castaner

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Suicides dans la police. Faut-il communiquer? Pour quels effets?
Publié le 22 avril 2019 sur  blog "Police de Caractere"
par Chris, Policier



31 jours se sont écoulés. Un mois. Et huit de mes collègues se sont donnés la mort, depuis les quelques lignes publiées ici sur le sujet. L'on s'apprête à vivre une des années les plus noires, en terme de suicides, au sein des rangs policiers. L'on s'apprête à, potentiellement, rejoindre l'année 1996 (celle où je suis arrivé dans cette maison, par une toute petite porte), laquelle avait enregistrée 70 policiers ayant décidé d'en finir...
"On" en parle beaucoup, ces derniers temps. Mais qui est ce on? Les syndicats, certaines associations de policiers (MPC, FFOC), mais aussi la presse. Il n'y a qu'à se rendre sur un moteur de recherche, pour se rendre compte des articles qui traitent du sujet ces dernières semaines.
Et pourtant, j'en arrive à me poser la question du bien fondé. Ou plutôt de savoir si cette communication n'est pas finalement contre-productive?
Encore plus après avoir observé certains manifestants utiliser les suicides policiers comme slogants ou chants provocateurs dans les récents mouvement de gilets jaunes.
L'effet Werther
J'ai découvert ce terme il y a quelques semaines. Et il est revenu récemment sur les réseaux sociaux. De quoi parle-t-on?
Le terme désigne un phénomène par lequel un suicide qui est médiatisé entraîne, de par la médiatisation, une augmentation du nombre de suicides dans la période qui s'en suit. Une forme de mimétisme néfaste. C'est Phillips, sociologue américain, qui a fait cette découverte dans les années 70. Phénomène qui doit son nom à un ouvrage de Goethe, "Les souffrances du jeune Werther", dans lequel le héros, transi d'amour, dans une histoire impossible, décide de mettre fin à ses jours. Dans les mois qui suivirent la publication, une vague de suicides s'en suivit en Europe (certains s'étant habillé comme le héros du livre, d'autres ayant mis fin à leurs jours, le livre étant découvert à proximité). Le roman fut alors interdit dans certains pays européens, pendant une cinquantaine d'années (source). Le phénomène aurait été ensuite observé à l'occasion de certains suicides de stars comme par exemple Marilyn Monroe, lequel avait donné lieu à une hausse de 12% du nombre de suicides (soit 197 de plus) sur l'ensemble des Etats-Unis. C'est donc un effet "boule de neige" dont il est question
Lorsque le livre est décrypté, plusieurs principes de prévention du suicide n'auraient pas été respectés (source: Les épidémies de suicide de l'effet Werther à l'effet internet - mémoire de Rares Cosmin MESU, interne DES de Psychiatrie, 2009), principes qui pourraient atténuer le phénomène:
  • la mort du personnage n'est pas présentée comme "sensationnelle",mais en tant que héros romantique Werther est un modèle exceptionnel;
  • le vécu et le parcours du jeune suicidé, à partir de son amour naissant jusqu'au passage à l'acte, semblent légitimes ou "normaux"; il n'y a pas de signe identifiable par le lecteur comme une pathologie mentale (ou "folie") même si le spécialiste peut retrouver les symptômes d'une dépression
  • les détails du suicide (préparation, contenu de la lettre d'adieu, moyen utilisé, conséquences immédiates) sont racontés avec soin
  • le livre ne propose aucune autre alternative au jeune Werther, ainsi donnant l'impression que la seule "solution", inévitable, a été choisie
On pourrait être tenté de faire quelques parallèles avec la situation des policiers. Les policiers sont souvent présentés, de par leur profession, comme "sauveurs" ou "héros" (même si les mots sont forts), pas de cause mentale préétablie, on raconte les détails (avec arme de service, le lieu,etc..) et la solution inévitable par rapport à la crise globale que rencontre la police.
Un cas vient rapidement à l'esprit, en France, si l'on parle de contagion. C'est celui de l'entreprise "France Telecom". Dans les années 2008/2009, 24 cas de suicide sont rapportés, sur une période de 18 mois. Même si de nombreux cas font référence au management de l'entreprise, on peut se poser la question de savoir combien de cas sont survenus par mimétisme. Pour autant, le nombre de suicides, ramenés par année était alors de 16 dans l'entreprise (pour 100.000 employés), ayant été calculé, en 2006, à l'échelon national, à 17.1, le tout pour 100.000 habitants. Mais là aussi, il y eut une couverture médiatique importante.
De quelle manière en parler?
Si l'on parle du suicide dans la police, c'est naturellement qu'il y a des raisons objectives. La sensation, par les policiers, que le phénomène n'est pas pris en compte par l'administration est la cause principale. De fait, des policiers en parlent, des journaux reprennent les informations, l'opinion publique est sensibilisée, et l'on se dit que, avec "ça" peut-être que quelque chose va bouger.
Faut-il, alors, interdire de parler des suicides? Devons-nous, nous-mêmes, policiers et/ou observateurs, nous interdire de relayer les informations?
Il semblerait qu'il y ait une solution à "mi-chemin" qui puisse être observée; et c'est l'OMS, en 2000, qui préconise quelques recommandations (toujours selon le mémoire de mémoire de Rares Cosmin MESU):
  1. éviter l'apparition des articles concernant les suicides sur la première page des journaux; éviter l'iconographie; proscrire le sensationnel, surtout s'il s'agit de personnes célèbres; la couverture médiatique devrait être réduite au
    minimum nécessaire;
  2. ne pas donner des détails sur le moyen utilisé pour un suicide abouti;
  3. le suicide ne devrait pas être présenté de manière simpliste, mais comme le résultat de plusieurs facteurs; toute maladie mentale associé doit être mentionnée;
  4. l'image du suicide ne devrait pas être celle d'une solution aux problèmes personnels, ni un moyen de glorifier la victime;
  5. commenter les effets du suicide sur l'entourage proche;
  6. expliquer les conséquences physiques des tentatives échouées
Ce sont là quelques recommandations faites à l'usage de la presse, globalement. Mais, nous qui commentons ces faits, parce qu'ils nous touchent de par leur proximité, devrions-nous peut-être aussi nous en appliquer certains.
Ainsi, comme souvent, il s'agirait de faire preuve de "sagesse". L'effet Werther n'est pas systématiquement observé, dans toutes études qui ont été faites; et son effet est très variable fonction de la situation, de la personne dont il s'agit, etc...). Néanmoins, lorsque l'on appréhende la possible existence du phénomène, il me semble qu'il faille le prendre en compte, et peut-être corriger un peu nos comportements, à l'image des quelques recommandations citées plus haut. Sans donner de leçon. Juste, que chacun se l'applique.
Ainsi, il devrait être possible d'attirer l'attention, sans pour autant être excessif.
A cela, il convient de préciser que le gouvernement a communiqué sur un certain nombre de mesures, pas plus tard que le 12 avril dernier avec la création d'une cellule "alerte prévention suicide", chargée de présenter un plan d'action. Saluons également les paroles du ministre selon lequel "...Prétendre que les suicides sont dus aux situations familiales n’est pas la seule réponse à nous apporter. Prétendre que l’arme est un souci majeur n’est pas acceptable. Ne pas oser aborder le suremploi, les carences de l’outil managérial, l’absence de la protection de l’image, les rythmes de travail, l’absence d’espaces d’échanges et de convivialité… est encore plus inacceptable".
Ce ne sont ici toujours que des paroles. Mais elles ont le mérite d'exister. Osons croire qu'elles seront suivies d'effet, avec de vraies mesures désignées à, déjà, déceler les causes pour ensuite être capable de faire baisser ces chiffres.
Puisse cette cellule se mettre au travail rapidement, qu'elle puisse s’imprégner de ce que le "monde" policier a la lui dire. Qu'elle aille voir ailleurs ce qu'il se passe, à l'étranger (notamment au Canada, pays qui a connu une vague de suicide importante dans les années 90, et qui a su y faire face avec une réelle efficacité du dispositif).
Parce que, ne l'oublions pas, le nombre de suicides n'est toujours que l'arbre qui cache la forêt. Celle du mal être au travail.
Et, à n'en pas douter, un flic bien dans ses baskets, c'est un flic efficace, au service du citoyen.

Source https://blog.francetvinfo.fr/police/2019/04/22/suicides-dans-la-police-faut-il-communiquer-pour-quels-effets.html


 
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Le Monde.fr
samedi 20 avril 2019 
« Il n'existe aucune étude de fond du ministère permettant d'analyser les suicides dans la police »
Pour le chercheur, Sebastian Roché, le nombre important de suicides de policiers enregistrés depuis le début de l'année est un phénomène alarmant. Louise Couvelaire
Sebastian Roché, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), est un spécialiste de la police. Il a notamment publié De la police en démocratie (Grasset, 2016). Pour le chercheur, le nombre important de suicides de policiers enregistrés depuis le début de l'année est un phénomène alarmant, mais difficile à analyser, faute d'études sur le sujet.
Les suicides des policiers se multiplient depuis le début de l'année. S'agit-il d'un niveau « hors norme » ?
Le taux de sur-suicides des policiers se maintient à un niveau élevé depuis longtemps. Cela fait quarante ans que l'on sait qu'il y a davantage de suicides chez les policiers que dans le reste de la population à structure égale, c'est-à-dire entre 35 ans et 45 ans et majoritairement masculine. En juin 2018, un rapport du Sénat pointait un taux de suicides dans la police supérieur de 36 % à celui de la population générale. Mais ce qui est certain, c'est que l'année 2019 est très mal partie, et c'est alarmant. Si le rythme se maintient, on pourrait atteindre le record de l'année 1996, « année noire » qui avait enregistré soixante-dix suicides.
Quelles sont les causes de ce taux de « sur-suicides » ?
On ne le sait pas justement. Et c'est bien le problème. Il n'existe aucune étude de fond du ministère de l'intérieur permettant d'analyser le phénomène. Il y a un défaut de volonté de comprendre. C'est une lacune historique et structurelle de Beauvau. Résultat, nous n'avons toujours pas réussi à identifier le problème ni été capables de mesurer l'efficacité des mesures mises en place jusqu'à présent.
Ce qui est nouveau, en revanche, c'est d'entendre le ministre de l'intérieur, Christophe Castaner, dire que les causes ne sont peut-être pas uniquement d'ordre personnel, mais qu'elles peuvent être liées au métier. C'est une façon de reconnaître la responsabilité de l'employeur, c'est-à-dire de l'État. Mais ce ne sont que des suppositions, le fait est que nous n'en avons pas la démonstration. Nous ne savons pas non plus quel impact a eu l'autorisation, depuis 2015, pour les policiers de porter leur arme en dehors du service.
Les syndicats de police dénoncent des conditions de travail éprouvantes. La crise des « gilets jaunes » peut-elle être un facteur ?
L'intensité du travail n'est pas une explication en soi. Il s'agit probablement d'une conjonction de facteurs. L'année 2016, post-attentats, a été une année de forte mobilisation policière et de grandes tensions pour les forces de l'ordre, et pourtant les suicides avaient diminué par rapport à 2015. La qualité de la relation avec la population joue probablement un rôle important. En 2016, elle était meilleure que les années précédentes, ce qui peut aider les policiers à donner un sens à leur engagement.
Sur ce terrain, 2019 est une année conflictuelle et donc difficile. Les policiers sont mis en cause par une partie de la population qui jusque-là les soutenait. Pour répondre à leur détresse, il ne suffit pas d'ouvrir une ligne téléphonique, comme le prévoit le plan antisuicides, il faut multiplier les portes d'entrée pour appeler à l'aide, comme l'a fait la police de Montréal, au Canada, en formant la hiérarchie, les syndicats et des pairs référents.
Louise Couvelaire
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Historique  POST

Suicide de policiers: Christophe Castaner annonce "la mise en place d'une cellule de vigilance"
12/04/2019


Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner s'exprimait ce vendredi concernant les suicides des policiers. Il a annoncé "la mise en place d'une cellule de vigilance" dans les quinze jours.https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/suicide-de-policiers-christophe-castaner-annonce-la-mise-en-place-d-une-cellule-de-vigilance-1153818.html



Info complémentaire
source

"Ici, à l’hôpital des Gardiens de la Paix, je suis venu à la rencontre du personnel soignant pour répondre à deux questions simples : comment mieux protéger ceux qui nous protègent ; comment mieux combattre le fléau du suicide dans la @PoliceNationale et la @Gendarmerie."J'en ai assez d’entendre, à chaque fois, « ça n’avait rien à voir avec le service, c’était seulement personnel ». Nous ne pouvons ignorer que le suicide est lié à un ensemble de facteurs, pas seulement à un fait déclencheur. C'est la raison de ma présence.

"Aujourd’hui, avec vous tous, j’ai décidé de me battre. J’ai décidé de renforcer nos moyens et nos actions. J’ai décidé d’affirmer haut et fort que le suicide dans la police et la gendarmerie ne sera jamais une fatalité.
"Notre premier objectif, c’est de déceler l’alerte et de répondre à l’urgence :
écoute téléphonique 24h/24 pour signaler les risques
réunions et séances de formation pour sensibiliser chacun
travail transversal avec psychologues, médecine préventive, assistants sociaux.

"Le deuxième pilier de notre action, c’est la prévention. Nous devons :
simplifier les systèmes actuels, les rendre plus accessibles à tous
améliorer notre suivi psychologique, médical et social, dans la durée, en particulier pour les agents les plus exposés.


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Le Figaro.fr
vendredi 12 avril 2019 
Flash Actu
Les suicides dans la police ne sont pas «une fatalité», selon Castaner
Le Figaro avec AFP
Christophe Castaner a estimé aujourd'hui que les suicides dans la police n'étaient pas une «fatalité» en promettant de mettre «les bouchées doubles» pour lutter contre ce fléau persistant dans l'institution: depuis le début de l'année, 24 policiers se sont donné la mort.

«La police et la gendarmerie ne sont pas malades du suicide», a-t-il déclaré lors d'une visite à l'hôpital des gardiens de la paix à Paris. Le ministre de l'Intérieur n'a pas annoncé un nouveau programme de lutte et de prévention des suicides mais a promis une accélération dans la mise en oeuvre du plan lancé en 2018 par son prédécesseur, Gérard Collomb, après une année 2017 déjà marquée par une recrudescence des suicides au sein des forces de l'ordre.
Christophe Castaner a annoncé la création d'une «cellule alerte prévention suicide» pour la police nationale pilotée par Noémie Angel, membre de l'Inspection générale de l'administration (IGA). Cette cellule aura pour mission de porter le plan d'actions et sera également chargée de faire des propositions au ministre.
Un numéro de téléphone dédié, disponible 24h/24, permettra de signaler les risques et de mettre les personnes en souffrance en relation avec des psychologues. Castaner a redit l'importance de la hiérarchie dans la prévention du suicide en estimant qu'elle devait être «une vigie attentive et bienveillante» en écho aux récriminations récurrentes des syndicats et collectifs de policiers souvent critiques sur son rôle.
Selon le ministre, le suivi psychologique, médical et social «dans la durée» doit être amélioré, par exemple en ce qui concerne les agents revenant de maladie ou d'arrêt de travail. Ce chantier a déjà été lancé au sein de la Police nationale. Vingt-quatre policiers et deux gendarmes se sont donné la mort depuis janvier. En 2018, 35 policiers et 33 gendarmes se sont suicidés, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.










Suicides dans la police: Castaner concrétise un plan de lutte
Alors que 24 fonctionnaires se sont déjà donné la mort depuis janvier, le ministre de l’Intérieur crée une cellule d’alerte dédiée.
Le corps de Christophe, policier affecté à la brigade anticriminalité d’Alès, a été retrouvé dimanche dernier, pendu à un arbre dans un bois de la commune de Dions. Âgé de 49 ans, ce fonctionnaire, qualifié de «très sportif», avait signalé sa détresse psychologique et était pris en charge médicalement depuis plusieurs semaines. La veille, une fonctionnaire de la brigade de nuit de Conflans-Sainte-Honorine s’est donné la mort avec son arme de service, en Eure-et-Loir. Mère de deux enfants, tourmentée par des difficultés de couple, cette femme de 37 ans a été retrouvée sans vie à bord de sa voiture, garée dans un champ, situé dans le hameau Le Vieux Château. Ces suicides ont une fois encore endeuillé une profession qui a les nerfs à vif. Ils portent à 24 le nombre de policiers s’étant suicidé depuis janvier. Soit près d’une mort volontaire tous les quatre jours. «Si on continue à ce rythme-là, ce seraune centaine de policiers qui auront mis fin à leurs jours avant la fin de l’année. On décime un commissariat complet», a lancé vendredi matin sur Franceinfo Daniel Chomette, secrétaire général adjoint du Syndicat général de la police (SGP).

Alors que plane toujours la menace terroriste et que la «fièvre jaune» s’empare chaque samedi de la France depuis 22 semaines consécutives, la profession frise la surchauffe. Christophe Castaner a décidé de descendre dans l’arène pour tenter d’endiguer l’épidémie des décès qui clairsèment les rangs policiers dix fois plus que dans la gendarmerie, où 2 suicides sont à déplorer depuis le début de l’année.



«Nous ne laisserons pas le suicide être un risque du métier»
Christophe Castaner
Dans les murs de l’hôpital des gardiens de la paix, institution centenaire qui abrite à Paris un centre d’accompagnement psychologique et psychiatrique pour les agents qui présentent des «fragilités», le ministre de l’Intérieur a annoncé la création d’une inédite cellule d’alerte prévention suicide, disponible 24 heures sur 24. Pilotée par Noémie Angel, membre de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et spécialiste des ressources humaines, cette cellule inaugurée sous quinze jours aura pour mission de porter le plan d’action et sera également chargée de faire des propositions au premier flic de France. Face à cette «maladie qui ronge l’âme» et peut «frapper comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu», l’hôte de Beauvau en fait la promesse publique: «Nous ne laisserons pas le suicide être un risque du métier.» Bien conscient que le port de l’uniforme est une «passion mais aussi une pression», confessant son indignation de voir «certains policiers obligés de demander à leurs enfants, à l’école, de cacher leur profession», il a décidé de se «battre». Et d’accélérer enfin la mise en œuvre d’un plan annoncé en 2018 par Gérard Collomb et intervenant lui-même après un train de 55 mesures dévoilé dès janvier 2015 par Bernard Cazeneuve. Parmi les mesures, figurait l’idée de déposer les armes de service, souvent à l’origine des drames, dans des casiers sécurisés à l’issue des vacations des fonctionnaires. Mais la vague terroriste et l’assassinat du couple de policiers en juin 2016 à Magnanville, ont mis fin à cette expérience lancée dans le Val-d’Oise. «Il y a un an, mon prédécesseur avait alerté sur ce sujet. Mais alerter, ça ne suffit pas, a taclé Christophe Castaner. Alors le gouvernement a pris le problème en main et un plan d’action contre le suicide a été décidé.» Un numéro de téléphone dédié, disponible 24 heures sur 24, «permettra de signaler les risques mais aussi de mettre les personnes en souffrance en relation avec des psychologues».


«Le suicide est lié à un ensemble de facteurs, pas seulement à un fait déclencheur», insiste le premier flic de France, qui lâche: «Quand l’un des nôtres se donne la mort, tous ses camarades s’interrogent, se culpabilisent, se demandent ce qu’ils ont raté, ce qu’ils auraient pu faire, ce qu’ils auraient dû faire.» Pointée du doigt par les syndicats de gardiens et gradés qui l’accusent de pousser les effectifs au burn out, la hiérarchie est invitée à être «une vigie attentive et bienveillante». «Nous devons aussi briser un tabou, le tabou du besoin d’aide, clame Christophe Castaner. Il n’y a aucune gloire, jamais, à souffrir dans son coin. Aucune honte, jamais, à saisir une main tendue.»
Car dans le milieu «viril» des forces de l’ordre, les «gueules cassées» peinent à confesser leur mal-être. Outre le «commandement de la police et de la gendarmerie», le ministre en appelle à l’union sacrée pour «les psychologues, la médecine préventive, la médecine statutaire, les assistants sociaux, les psychiatres». Sur le front de la prévention, Castaner entend «améliorer le suivi psychologique, médical et social, dans la durée, en particulier pour les agents les plus exposés». À ce titre, il a jugé en petit comité qu’il n’y avait «pas forcément de corrélation» entre la poussée de ce fléau et la crise des «gilets jaunes», «puisque ce ne sont pas les forces mobiles qui présentent les taux les plus élevés».



«Prétendre que les suicides sont dus aux situations familiales n’est pas la seule réponse à nous apporter»
Le Syndicat général de la police
«La police nationale se dirige vers le triste record de 1996 avec 71 suicides dans le courant de l’année, s’indigne le Syndicat général de la police. Prétendre que les suicides sont dus aux situations familiales n’est pas la seule réponse à nous apporter. Prétendre que l’arme est un souci majeur n’est pas acceptable. Ne pas oser aborder le suremploi, les carences de l’outil managérial, l’absence de la protection de l’image, les rythmes de travail, l’absence d’espaces d’échanges et de convivialité… est encore plus inacceptable.»
Soucieux «d’améliorer le travail au quotidien» et de «débarrasser, au plus vite, les policiers et gendarmes des tâches indues», Christophe Castaner a égrainé les «10.000 postes créés d’ici la fin du mandat», les «900 millions d’euros engagés d’ici la fin de 2020 pour rénover les casernes et de commissariats» ou encore les «6000 voitures neuves qui sont livrées cette année».
Le ministre sait que la pente sera rude. Un rapport choc sur «l’état de la sécurité intérieure», porté par le sénateur (LR) de Moselle François Grosdidier, pointait dès juillet dernier un taux de suicide anormalement élevé dans la police, de 36 % supérieur à la moyenne nationale. «La police et la gendarmerie se sont mobilisées», avait souligné le parlementaire, précisant qu’«avec 82 postes de psychologues, le service de soutien psychologique opérationnel de la police nationale (SSPO) est le dispositif le plus important en France».




* http://www.lefigaro.fr/actualite-france/suicides-dans-la-police-castaner-concretise-un-plan-de-lutte-20190412



RAPPEL ACTU 


Société, mardi 9 avril 2019 
Suicides dans la police: Des syndicats s'unissent pour appeler l'administration à réagir
20 Minutes avec AFP

PASSAGE A L'ACTE Un rapport sénatorial remis en 2018 avait mis en lumière «un taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale» chez les policiers

Depuis le début de l'année, 24 policiers se sont suicidés. En 2018, ce chiffre avait été atteint en août. Cette accélération pousse plusieurs syndicats de police à tirer une nouvelle fois la sonnette d'alarme, appelant les autorités à réagir.

Un taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale

L'un des principaux syndicats policiers, Unité-SGP-FO a appelé ce mardi les responsables des autres organisations à une réunion commune «qui devra aboutir sur des projets concrets» pour mettre fin «à une spirale dramatique». «Seule l'unité obligera l'administration à enfin réagir, à se mettre en face de ses responsabilités et à rechercher les véritables causes de ces drames», assure Unité-SGP-FO dans un communiqué.

Le syndicat estime «intolérable» de réduire les passages à l'acte des policiers à «des problèmes personnels». Les deux syndicats incriminent la passivité de l'administration et «le management vertical» au sein de l'institution. Un rapport sénatorial remis en 2018 avait mis en lumière «un taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale» chez les policiers, même en tenant compte des spécificités de cette population (population davantage masculine, jeune, ayant accès aux armes, etc.)

En 2015, Bernard Cazeneuve avait présenté un plan de 23 mesures (recrutement de psychologues, redynamisation des cellules de veille, nouveaux cycles de travail...) destinées à prévenir le suicide. Fin 2017, un nouveau pic avait conduit Gérard Collomb à réunir les syndicats policiers, sans que les discussions n'aboutissent à de nouvelles mesures tangibles. This article appeared in 20 Minutes (site web)