mardi 14 mai 2019

EXPLICATIONS "Être exposé à la médiatisation du suicide conduit-il au suicide ?"

Être exposé à la médiatisation du suicide conduit-il au suicide ?
13/05/2019 https://www.huffingtonpost.fr*

On parle même de “contagion suicidaire” pour présenter cet effet de mimétisme par identification.

Par Nathalie Pauwels Chargée de communication F2RSM Psy Hauts-de-France et chargée du déploiement du programme national Papageno
Pierre Grandgenèvre Psychiatre au CHU de Lille


Cette crainte que ravive l’actualité résonne comme un couperet: lorsqu’un journaliste traite médiatiquement d’un suicide, il pourrait provoquer d’autres suicides. Faut-il croire en cette théorie?

Les études scientifiques internationales l’attestent et ce, depuis plus de 50 ans. Un traitement médiatique sensationnaliste, décrivant la méthode, le lieu, valorisant le geste ou le présentant comme libératoire ou romantique peut conduire les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs à reproduire le même geste.

C’est l’effet Werther. On parle même de “contagion suicidaire” pour présenter cet effet de mimétisme par identification. Ce phénomène est amplifié lorsque la personne décrite partage un point commun avec le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur. Et ce risque est encore davantage accentué dans le cas de suicide d’une célébrité qu’il porte en estime.

D’ailleurs, la dernière étude en date sur l’effet Werther fait suite au suicide de Robin Williams le 11 août 2014. Aux États-Unis, le nombre de suicides a été 9,9% plus élevé que ce que prévoyaient les statistiques (soit 1841 suicides de plus enregistrés d’août à décembre 2014). Cette augmentation a concerné en majorité des hommes de 30 à 44 ans qui, pour un tiers, ont utilisé la même méthode pour se suicider que celle employée par le célèbre acteur.

Mais à lui seul, l’effet Werther ne permet pas d’expliquer comment – à des kilomètres de distance, dans des circonstances différentes – des fans ou des personnes d’un même corps de métier ou au sein d’une même institution en viennent à s’ôter la vie. En effet, il faut rappeler que le suicide est hautement multifactoriel. Il est le fruit d’une accumulation entre des facteurs qui vulnérabilisent durablement la personne souvent dès l’enfance (psychotraumatisme, problème de santé mentale, isolement...) et des événements de vie (licenciement, séparation, difficulté d’intégration…) qui l’amènent progressivement à ne plus percevoir d’autre issue à sa souffrance psychique que la mort. Dans ces circonstances, l’exposition à un suicide pourrait agir comme un déclencheur mais ne saurait résumer à lui seul la cause du suicide.

Faut-il dès lors craindre d’être exposé médiatiquement à un suicide ? Voire censurer ce sujet? Tout au contraire. Car ne pas parler de suicide serait une entrave à la liberté de la presse et au rôle du journaliste en tant que révélateur de faits sociaux notamment du suicide. Pour les personnes ayant des idées suicidaires, le silence autour de la souffrance les maintiendrait dans l’isolement, la stigmatisation sans possibilité de recourir au soin.

À travers le programme Papageno, nous pensons qu’il est temps de se débarrasser de ce tabou. Il faut parler du suicide. En parler certes, mais avec les bons mots. Comme le rappelle Patrick Poivre d’Arvor, parrain du programme Papageno “Le suicide est un sujet qui nous interpelle jusque dans l’intime. Pourtant, le journaliste ne peut s’arrêter au seuil de la souffrance, sous prétexte qu’il y aurait là un tabou infranchissable. Les mots justes pour évoquer le suicide ou la tentative de suicide existent et s’écrivent. Y être attentif c’est transmettre, de façon responsable, une information respectueuse de la souffrance. Y être attentif c’est être conscient qu’au bout de la plume, il y a une personne.”

Car l’autre vraie question est: être exposé à la médiatisation d’un suicide peut-il prévenir le suicide?

Là encore, les études scientifiques nous éclairent: en effet, un traitement médiatique responsable permet de réduire l’effet Werther et d’encourager les personnes suicidaires à avoir recours au soin et à l’entraide. La publication de témoignages de personnes parvenues à surmonter une situation de crise grâce à des aides permet une identification positive qui peut lever les obstacles à la recherche de soin et contribuer ainsi à la prévention du suicide. Les médias devraient donc toujours inclure des informations sur les ressources d’aide. De préférence, des services agréés de prévention du suicide ou encore les urgences disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Cet effet protecteur des reportages médiatiques est mentionné dans la littérature scientifique sous le nom d’“effet Papageno”, d’après le personnage de l’opéra de Mozart, “La flûte enchantée”. Papageno envisage de se suicider lorsqu’il craint d’avoir perdu son amour mais il lui est rappelé qu’il dispose d’alternatives au suicide qu’il choisit d’emprunter.

Dernièrement, la série américaine “13 reasons why” illustre toute l’ambivalence autour de la représentation du suicide dans les séries télévisées. Craignant un effet Werther après le visionnage de la première saison notamment lors de la scène de suicide particulièrement réaliste, l’Association Internationale de Prévention du Suicide a fortement encouragé la production de la série à insérer un numéro d’appel. Au Brésil, la ligne nationale de prévention du suicide a vu ses appels doubler en quelques jours. Comme le souligne le Dr Charles-Edouard Notredame dans un entretien avec Le HuffPost le 2 mai 2019 “S’il y a bien une chose que la série a permis, c’est de parler du suicide. Et ça, c’est vraiment essentiel”.

Ainsi donc, la boucle est bouclée. Plus les professionnels des médias évoqueront le suicide avec sensibilité, en déconstruisant les mythes qui l’entourent et en diffusant des ressources d’aide, plus la parole citoyenne s’en trouvera libérée.


Si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet.e pour l’un de vos proches, contactez votre médecin généraliste, un service de psychiatrie proche de votre domicile et, en cas d’urgence, le Samu (15).

Tous les jours, de 9 à 23h, le dispositif Fil Santé Jeunes met à disposition un numéro de téléphone - le 0 800 23 52 36 - gratuit et anonyme, pour les 12-25 ans.

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