ASIE INDE Plus du tiers des femmes qui se suicident dans le monde sont indiennes
Publié le Courrier internationalUne étude pointe du doigt les mariages forcés, les violences conjugales et le manque de reconnaissance des problèmes de santé mentale.
Une étude de la revue scientifique britannique Lancet révèle
que près de 40 % des suicides chez les femmes touchent des Indiennes.
Et en 2016, le taux de suicide des femmes en Inde était deux fois plus
élevé que la moyenne mondiale. “Le taux de suicide des femmes indiennes a baissé depuis 1990, mais pas aussi vite qu’ailleurs dans le monde”, souligne le journal britannique The Guardian. Selon l’étude, le suicide concerne davantage les femmes mariées. Rakhi Dandona, une des chercheuses l’ayant réalisée, explique dans le quotidien indien The Times of India qu’“en
Inde le mariage rend les femmes plus vulnérables, notamment à cause des
mariages arrangés, des maternités précoces, d’un statut social bas, de
la violence conjugale et de la dépendance financière”.
Les mariages précoces sont une des causes du taux de suicide élevé chez les femmes ayant entre 15 et 30 ans. Dans un article publié par l’agence de presse indienne The Print, Lakshmi Vijayakumar, fondatrice d’un centre de prévention contre le suicide, explique les raisons du mal-être de beaucoup d’Indiennes :
Autre problème pointé du doigt par la journaliste : la santé mentale. “On demande aux gens de s’en sortir par eux-mêmes. Parler à un thérapeute est considéré comme honteux”, affirme-t-elle, avant d’exhorter :
Des normes sociales “régressives”
Comme le rappelle The Guardian, près d’une Indienne sur cinq est mariée avant l’âge de 15 ans.
“Nos normes sociales sont très régressives. Au village, une Indienne
est d’abord la fille de son père, puis la femme de son mari, et quand
elle a un fils, la mère de son fils”, affirme Poonam Muttreja,
directrice générale de l’association Population Foundation of India,
citée par le quotidien britannique.Les mariages précoces sont une des causes du taux de suicide élevé chez les femmes ayant entre 15 et 30 ans. Dans un article publié par l’agence de presse indienne The Print, Lakshmi Vijayakumar, fondatrice d’un centre de prévention contre le suicide, explique les raisons du mal-être de beaucoup d’Indiennes :
En Inde, le nombre de suicides chez les femmes est élevé jusqu’à 30 ans. Passé cet âge, le taux diminue de moitié. À 30 ans, beaucoup deviennent mères et cela leur donne une raison de vivre. Avoir un enfant protège du suicide. Mais la période entre le moment où elles se marient et le moment où elles ont un enfant est très difficile. Elles doivent apprendre à vivre dans une nouvelle maison et s’adapter à leur belle-famille. À cela s’ajoutent les problèmes de dot, les viols conjugaux et la difficulté d’avoir un bébé.”
Le tabou autour de la santé mentale
Lakshmi
Vijayakumar n’est pas la seule à remettre en cause le patriarcat et les
structures sociales de la société indienne. Sandhya Ramesh, une
journaliste de The Print, considère que “l’Inde a une très longue et triste histoire de mariages malheureux pour les femmes”.
Selon elle, ces unions qui ne fonctionnent pas sont dues à des mariages
forcés et à l’incapacité des femmes à quitter leur mari par peur des
représailles de la société.Autre problème pointé du doigt par la journaliste : la santé mentale. “On demande aux gens de s’en sortir par eux-mêmes. Parler à un thérapeute est considéré comme honteux”, affirme-t-elle, avant d’exhorter :
L’Inde doit briser toutes ces chaînes. Les femmes doivent pouvoir beaucoup plus s’exprimer. Le malheur dans un foyer conjugal ne doit plus être tabou… Les associations et le gouvernement doivent prendre plus au sérieux la question de la santé mentale pour aider non seulement les femmes, mais aussi les hommes, les étudiants, et tous ceux qui en ont besoin dans le pays.”Si les Indiennes sont plus touchées, l’étude de Lancet dévoile que les hommes indiens représentent 24,3 % du taux de suicide mondial. “Elle montre aussi que le suicide est la principale cause de décès dans la tranche d’âge des 15-39 ans”, souligne The Times of India. Un véritable fléau pour la jeunesse indienne, confrontée à de nouveaux défis avec l’émergence économique du pays. “Quand on parle du suicide, les gens pensent que c’est un choix personnel et que ça ne les regarde pas. Mais il y a toujours une autre option”, conclut Lakshmi Vijayakumar dans The Print.
https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/plus-du-tiers-des-femmes-qui-se-suicident-dans-le-monde-sont-indiennes
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37 % des femmes qui se suicident dans le monde sont indiennes
Pour
Kamala Marius, chercheuse associée à l’Institut français de Pondichéry,
la modernisation de l’Inde a provoqué une augmentation des suicides,
notamment parmi les femmes de moins de 35 ans.
LE MONDE
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Propos recueillis par Charlotte Chabas (Propos recueillis par)
Plus d’une femme sur trois (37 %) qui se
suicide dans le monde vit en Inde. C’est la conclusion d’une étude
publiée le 11 septembre par la revue scientifique britannique The Lancet. «
Le suicide des femmes est un enjeu majeur de santé publique, avec des
conséquences socio-économiques, politiques et émotionnelles très
importantes », écrivent les auteurs de l’étude, dans un pays qui
compte 1,3 milliard d’habitants (17,5 % de la population mondiale), et
où le taux de suicide est également élevé chez les hommes — 25 % des
hommes qui se suicident dans le monde sont indiens.
Pour Kamala Marius, chercheuse associée à l’Université de Bordeaux Montaigne et à l’Institut français de Pondichéry, et auteure de l’ouvrage Les Inégalités de genre en Inde
(Karthala, 2016), la modernisation du pays a provoqué une augmentation
des suicides, notamment parmi les femmes de moins de 35 ans,
majoritairement mariées. « Avec la montée du niveau de vie, il y a
une ouverture plus grande au monde possible, et donc à la conscience de
ce qu’on n’a pas en comparaison des autres », affirme-t-elle.Kamala Marius : C’est un phénomène peu étudié. D’autant que dans les registres officiels, les policiers qui constatent les suicides, quand ils les classent comme tels, ce qui n’est pas toujours le cas, se contentent souvent d’indiquer dans les causes : « Affaires familiales. » Mais on sait qu’il s’agit majoritairement de femmes de moins de 35 ans, souvent mariées, dans des classes plutôt basses de la population. Elles vivent dans les Etats plutôt riches du pays, notamment dans le Sud, à la campagne comme en ville.
Sur les ressorts, ils sont évidemment très nombreux. Je pense que des situations conjugales décevantes jouent beaucoup dans les suicides. Aujourd’hui, 20 % des Indiennes sont mariées avant d’avoir 15 ans. Cela crée des situations d’isolement terribles, d’autant que la tradition veut que les femmes emménagent avec la belle-famille.
Il y a aussi le fléau de l’endettement, notamment à cause de la dot. Certaines jeunes femmes préfèrent se suicider plutôt que de faire subir à leur famille un harcèlement financier. A la campagne, beaucoup de femmes se sont aussi retrouvées prisonnières de leurs microcrédits développés dans les années 2000.
Pour les jeunes femmes, il y a aussi de plus en plus de pression au moment des études, avec une concurrence très rude et des concours extrêmement difficiles.
Depuis quand observe-t-on cette augmentation du nombre de suicides de femmes ?
La montée en puissance a commencé dans les années 1990, après le tournant du libéralisme économique. Ce changement de régime a provoqué une modernisation sociale, mais aussi une augmentation des suicides. Il a très légèrement baissé ces dernières années, mais il reste exceptionnellement haut par rapport aux autres pays de niveau économique comparable.
Ce qui est paradoxal, c’est que le suicide reste tabou dans la société, et n’a d’ailleurs été décriminalisé que récemment, dans une loi de 2017. Aujourd’hui, ça reste compliqué pour les familles de dire que leur fille s’est suicidée, c’est quelque chose de honteux. Et tant qu’on le cache, il est difficile d’organiser une politique de prévention efficace.
Comment le développement économique peut-il provoquer ce phénomène ?
Dans la grande pauvreté, il y a une forme de résilience. Avec la montée du niveau de vie, il y a une ouverture plus grande au monde, et donc à la conscience de ce qu’on n’a pas en comparaison des autres. La situation devient donc plus difficile à vivre, plus intenable.
Les conditions de vie des femmes ne s’améliorent-elles pas du fait de la modernisation du pays ?
Paradoxalement, le taux d’activité des femmes a diminué ces dernières années. L’Inde affiche une croissance soutenue, mais peu créatrice d’emplois, car dopée par le tertiaire. Les femmes des classes inférieures sont donc cantonnées au travail informel, peu émancipateur.
Sur le papier, la société indienne progresse très vite. La Cour suprême, par exemple, fait un travail remarquable pour faire évoluer le pays, comme on l’a vu encore récemment sur la dépénalisation de l’homosexualité. L’Inde est également dotée d’une Constitution égalitaire entre hommes et femmes. Dans la loi, par exemple, la dot et le mariage avant 15 ans sont officiellement interdits. Mais ce sont les lois communautaires qui survivent, et les femmes subissent le poids des traditions.
https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/09/14/37-des-femmes-qui-se-suicident-dans-le-monde-sont-indiennes_5355248_3216.html