jeudi 21 mars 2019

TRIBUNE « La création d'un Pass santé jeune »

Le Monde.fr
jeudi 21 mars 2019 798 mots
Mon idée pour la France : « La création d'un Pass santé jeune »
« Le Monde » a demandé à des contributeurs de tous horizons de proposer, chaque jour, une idée pour changer la France. Pour la psychiatre Marie-Rose Moro et l'inspecteur d'académie (H) Jean-Louis Brison, il faut que chaque adolescent ait le droit à une bonne santé psychique. Tribune. Huit à dix pour cent des jeunes Français disent souffrir ou avoir souffert psychologiquement : idées noires, sentiment d'inutilité, forte mésestime de soi, monde des adultes considéré comme très peu désirable. Nos adolescents vont mal et sont beaucoup plus pessimistes que partout ailleurs en Europe. Les études, les expérimentations et les rapports - dont le nôtre, « Mission bien-être et santé des jeunes » , commandé par le président de la République et trois ministères en 2015 et publié en 2017 - convergent tous : il faut faire quelque chose, le faire vite, de manière déterminée et pragmatique.
C'est possible : d'autres pays l'ont fait, comme le Canada pour les étudiants, ou l'Australie pour les adolescents les plus vulnérables. Il est éminemment urgent de prendre conscience de cette souffrance et de mobiliser notre capacité à la modifier efficacement. Nous proposons à cet effet la création d'un « Pass santé jeune », objet à la fois juridique, thérapeutique et concret.
Un adolescent qui ne va pas bien doit pouvoir être librement évalué et aidé rapidement, spécifiquement, sans délai. Cela suppose d'abord que chaque adulte dont la vocation est d'intervenir auprès des jeunes (à l'école, dans un lieu de formation ou de loisirs, dans une institution) soit sensibilisé et formé. Un adolescent sur deux qui fait une tentative de suicide a déjà manifesté son malaise devant un professionnel, même si le signe n'a pas été correctement perçu (l'un passe plus de temps à l'infirmerie que dans sa classe, un autre modifie brutalement ses investissements, une jeune fille grossit ou perd du poids rapidement, etc.).
Reconnaître la souffrance sous des comportements banals ou plus somatiques aidera le jeune lui-même à comprendre ce qui lui arrive, et à trouver la bonne manière pour en sortir. Cette première étape peut être aussi le fait d'un pair sensibilisé à la question. Même les réseaux sociaux peuvent être utiles, qui en parlent régulièrement et mettent en exergue des applications qui peuvent les aider à repérer leurs difficultés.
Des prestations gratuites ou remboursées
Mais ensuite, vers quel professionnel se tourner ? Dans quel cadre ? Avec ou sans l'accord des parents, souvent eux-mêmes perdus et abasourdis devant la survenue de cette souffrance ? Il importe que l'adolescent puisse accéder aux informations concernant les différentes possibilités de soins psychologiques qui existent autour de lui. Un répertoire des ressources locales pour la santé psychique des jeunes doit donc être constitué. Chacun d'entre eux pourra y avoir accès librement, par téléphone ou ordinateur. Le logiciel dédié sera installé sur sa carte d'inscription au collège ou au lycée, ainsi que sur toutes ses cartes personnelles attestant de son adhésion à une institution de formation, de loisir ou de sport.
Un adolescent sur deux qui fait une tentative de suicide a déjà manifesté son malaise devant un professionnel, même si le signe n'a pas été correctement perçu
Parmi ces premières ressources, citons par exemple : une maison des adolescents (souvent de nature à rassurer, car capable de délivrer des informations très diverses), un centre médico-psychologique, ou encore le cabinet d'un psychologue. Mais pour que le recours à ce dernier soit efficient, encore faut-il que ses prestations soient gratuites ou remboursées par la sécurité sociale.
Cette mesure sociale, que permettrait le Pass santé jeune, est essentielle : elle fonde l'égalité devant les soins psychologiques et psychiques. Il suffirait de voir un médecin de son choix (rappelons que la loi permet à tout mineur de plus de 15 ans de consulter sans requérir une autorisation parentale) pour accéder à ce nouveau droit. Le Pass ouvrirait la possibilité de suivre un forfait de dix séances chez le psychologue - dont deux, le cas échéant, avec ses parents.
Ce dispositif aurait pour objet de rassurer, tout en permettant de soigner en premier recours ou d'amorcer une thérapie plus spécifique ou plus longue. Le droit à la santé psychique serait ainsi garanti par son accessibilité. Trop de jeunes connaissent actuellement une profonde souffrance intérieure, qui constitue un scandale, une injustice et une insulte pour leur avenir et celui de la société. Au-delà des besoins criants qu'il faudrait satisfaire dans le domaine des soins psychologiques ou psychiques, on ne progressera qu'en confiant aux adolescents et aux jeunes adultes eux-mêmes la clé de leur prise en charge.
Marie-Rose Moro est responsable de la Maison des adolescents de l'hôpital Cochin.

Cet article est paru dans Le Monde.fr