Le CHU de Montpellier teste une appli de prévention du risque suicidaire
14/03/2019 MONTPELLIER (TICsanté) - Le CHU de Montpellier expérimente une application maison auprès de 100 patients volontaires pour "détecter le risque suicidaire lorsqu'il survient dans son environnement habituel et en temps réel", a expliqué à TICsanté le Pr Philippe Courtet, chef du service d'urgences psychiatriques du CHU héraultais.
Avec près de 10.000 suicides par an, la France présente un des taux les plus élevés en Europe.
Pour prévenir le risque suicidaire et sa récidive, les professionnels de la psychiatrie doivent se contenter des rendez-vous médicaux ponctuels et manquent encore de prise pour déterminer le risque et intervenir dans des délais permettant de sauver le patient.
"Nous, cliniciens, sommes démunis face à la prédiction du risque suicidaire chez un patient-sujet. Il ne se suicide jamais face à son psychiatre et jusqu'à présent, nous diagnostiquons le risque suicidaire a posteriori en rendez-vous et nous sommes forcément soumis à des biais de remémoration. Il nous fallait un outil de monitoring constant pour déterminer en temps réel le risque de passage à l'acte", a expliqué le Pr Courtet.
C'est pour répondre à ce "vrai problème" que les équipes du service d'urgences psychiatriques du CHU de Montpellier ont imaginé une application, baptisée Emma pour "Ecological Mental Momentary Assessment", permettant d'évaluer le risque suicidaire d'un utilisateur et de donner l'alerte instantanément.
Cette application est inspirée de la méthodologie du même nom, consistant à utiliser des smartphones pour réaliser des entretiens électroniques plusieurs fois par jour, dans l’environnement naturel des sujets, afin d’établir des liens de causalité éventuels entre les comportements suicidaires et l'environnement du sujet.
"Nous avons choisi ce nom lors de notre méthodologie de conception participative avec un groupe de patients afin que le nom de l'application ne soit pas stigmatisant car n'évoquant ni le suicide, ni la psychiatrie. De plus, Emma peut venir personnifier l'application qui va s'enquérir de l'état de ses utilisateurs", a souligné auprès de TICsanté Margot Morgiève, collaboratrice du Pr Courtet sur ce projet et chercheuse en sociologie à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) de Paris et au Centre de recherche en médecine, sciences, santé, santé mentale et société (Cermes3) de l'université Paris-Descartes.
Une première expérimentation auprès de 100 patients
En phase expérimentale, l'application est, pour le moment, testée sur 100 patients-sujets volontaires de cinq centres hospitaliers: Montpellier, Brest, Lille, Créteil et Besançon.
Ainsi, lorsque le patient ouvre l'application, il a la possibilité de répondre à des questions, telles que "comment ça va?", "êtes-vous anxieux?" ou "avez-vous des idées noires?", a détaillé le Pr Courtet.
En fonction des réponses de l'utilisateur -qui se font par des émoticônes allant du sourire aux larmes-, l'application apporte une réponse adaptée.
Lorsque le risque de passage à l'acte est important, elle affiche une liste de contacts pré-rentrée par le patient-sujet lui-même et constituée de "personnes de confiance, qui peuvent aider le patient et qui vont pouvoir intervenir".
Par ailleurs, Emma est combinée au projet national VigilanS, un dispositif de prévention contre le suicide né en 2015 dans le Nord et le Pas-de-Calais qui permet de garder un contact téléphonique avec les patients ayant été hospitalisés pour tentative de suicide afin de prévenir les récidives.
Le numéro de la plateforme VigilanS figure parmi les contacts auxquels le patient-sujet utilisateur d'Emma a accès mais avant de passer ce coup de fil, l'application va proposer plusieurs solutions au patient pour répondre à sa souffrance psychologique et éviter le passage à l'acte.
"Si les réponses du patient aux questions laissent penser qu'il ne va pas bien, il y a plusieurs solutions qui sont apportées. Il peut écouter une musique qui va le détendre et qu'il aura pré-téléchargée dans l'application ou regarder des vidéos ou photos qui le relaxent. La réponse d'Emma est graduée et en dernier recours, il y a le coup de fil à VigilanS, un proche ou le 15", a expliqué Philippe Courtet.
Affiner l'algorithme pour mieux prédire les risques
L'application est développée par la société montpelliéraine Advanse, avec le concours du Laboratoire d'informatique de robotique et de micro-électronique de Montpellier (LIRMM) qui planche, lui, sur l'algorithme d'intelligence artificielle (IA) qui permettra, à terme, d'affiner les prédictions.
"Cette première cohorte de patients va être suivie pendant les six prochains mois mais l'objectif principal du projet est de construire un algorithme de prédiction du risque suicidaire le plus précis possible", a souligné le chef du service des urgences psychiatriques de Montpellier.
"Après cette première expérimentation, nous allons équiper au moins 500 patients de l'application et suivre pendant 3 à 6 mois cette nouvelle cohorte avec une version améliorée d'Emma, grâce à l'amélioration de l'algorithme sur lequel travaillent les équipes du LIRMM."
Cette étude surviendra donc en amont d'un éventuel lancement à l'échelle nationale de l'application. "Nous ne nous sommes pas posés la question pour l'instant du lancement et des modalités d'utilisation de l'appli. Avant cela, voyons si elle répond au besoin exprimé et si les patients équipés y recourent", a dit Philippe Courtet.
Les premiers retours semblent satisfaire le Pr Courtet. "Nous équipons progressivement les patients actuellement. Sur 25 patients-sujets, nous avons déjà pu observer une forte utilisation du module d'intervention [celui qui est activé lors d'un coup de téléphone à un contact de la liste, ndlr], c'est très encourageant."
Outre les questions-réponses entre le patient et l'application, Emma peut également avoir accès à l'ensemble des activités mobiles des patients-sujets. Nombres d'appels ou de SMS envoyés, temps passé sur les réseaux sociaux ou encore sur internet, "le contenu n'est pas consultable mais l'activité, elle, oui", a expliqué le praticien.
Cela permet aux chercheurs d'analyser le comportement des patients-sujets, dont l'activité mobile peut cacher un passage à l'acte imminent.
Cette recherche, menée dans le cadre de la chaire d'excellence scientifique de prévention des conduites suicidaires du CHU de Montpellier, est "soutenue par la Fondation FondaMental et la SNCF, qui financent Emma", a indiqué le Pr Courtet, sans dévoilé l'actuel montant du projet.
Wassinia Zirar
Wassinia.Zirar@apmnews.com
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