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L’essentiel
L’Établissement public de coopération culturelle Bords II Scènes, situé à Vitry-le-François, a mené un important travail autour du harcèlement scolaire.
La structure a commandé une pièce
de théâtre sur le sujet à la compagnie troyenne Kalijo. Les artistes
sont allés à la rencontre des écoliers, collégiens et lycéens afin
d’aborder la thématique dans toute sa complexité. Et, une conférence a
déjà eu lieu avec Amélie Devaux psychopraticienne des centres Chagrin
Scolaire.
Une nouvelle rencontre est aujourd’hui programmée avec Nora Fraisse, auteur de Marion, 13 ans pour toujours, et Danièle Habis-Poirot, psychologue de l’association Marion la main tendue.
Une nouvelle rencontre est aujourd’hui programmée avec Nora Fraisse, auteur de Marion, 13 ans pour toujours, et Danièle Habis-Poirot, psychologue de l’association Marion la main tendue.
Comment va s’organiser l’échange ?
Généralement, nous sommes dans des conférences
interactives, pas du tout professorales. Les gens parleront autant que
nous, voire plus que nous. On décline les réponses en fonction des
questions. En réalité, nous disons toujours les mêmes choses, mais de
façon différente en fonction du public présent. Ma collègue psychologue,
Danièle Habis-Poirot, apportera un éclairage sur les questions plus
personnelles et de prise en charge.
Proposez-vous souvent ce type d’intervention ?
J’en ai fait beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Maintenant, nous sélectionnons en fonction du lieu et des besoins.
L’association a pris beaucoup d’ampleur. Des demandes viennent du Liban,
du Maroc, du Portugal… C’est très bien de faire une conférence, mais il
faut que toute la communauté s’empare du sujet. Les services de
gendarmerie, les enseignants, les services sociaux… Et justement, ici,
Bords II Scènes a fait ce beau travail en amont. Du coup, on essaime,
les gens deviennent des citoyens vigilants. C’est comme cela que
j’envisage les choses.
Sur quoi insistez-vous ?
On aborde ce qu’est le harcèlement. Ce sont des
violences verbales, psychiques, et psychologiques. En fonction de l’âge,
on ne subit pas la même chose. Je dis souvent que c’est le contraire
d’un conflit, d’un désaccord. Il y a quatre points à noter : la
répétition, une relation asymétrique dominant-dominé, un effet de meute,
et la fragilité.
Le harcèlement peut commencer à quel âge ?
Dès tout petit. Dès la sociabilisation. Ça peut
arriver parfois avant la maternelle. Ce n’est pas conscient. Un enfant, à
la crèche, qui a du retard pour marcher, va se faire plus facilement
pousser. C’est à lui qu’on va mettre des claques. Ce sont les prémices.
Après, à l’école maternelle, ça va être l’exclusion, le fait de ne
jamais être invité à un anniversaire… Donc il faut travailler sur
l’empathie. Il faut toujours se montrer très attentif à un enfant seul
dans la cour.
À partir de quand un parent doit se poser des questions ?
Quand l’enfant verbalise, qu’il dit qu’il a encore
mangé tout seul, que ça fait trois fois que quelqu’un le frappe, il faut
commencer à s’interroger, lui demander s’il n’y a pas d’autres
personnes hostiles, comment il ressent sa situation. S’il le dit
souvent, c’est qu’on entre dans la répétition. Il faut alerter. Les
changements brutaux (ne plus aller au sport, arrêter de prendre le bus
pour aller à pied, un enfant qui ne dort plus ou trop, celui qui se
remet à faire pipi au lit) sont à prendre en compte.
Existe-t-il des outils pour éviter l’escalade néfaste ?
La sensibilisation. Il faut former le personnel de
cantine, les chauffeurs de bus scolaire, les grands-parents qui peuvent
être une bonne oreille pour certains enfants. Casser le groupe, rendre
les auteurs de ces agressions acteurs de la solution. Développer la
médiation entre pairs. Il y a un arsenal à mettre en place. Mais on est
au début du chantier. Il faut aller plus vite et plus fort. Le travail
est à recommencer chaque année. Les élèves changent. Je dis toujours aux
jeunes, vous n’embêtez pas vos parents à leur parler. Vous avez mal aux
dents, on vous emmène chez le dentiste, eh bien là, c’est pareil. Les
témoins souffrent énormément aussi, il faut leur apprendre à réagir, à
se confier…“Un élève sur deux n’en parle pas à sa famille. On n’a rien détecté pour Marion. À la maison, elle gardait son grand sourire”
Est-ce qu’on vous pose des questions
sur votre histoire ?
Je ne suis pas du tout dans le témoignage, le pathos.
Je réponds aux questions. Par exemple, sur le comment les signes ont
été détectés dans mon cas. Moi, je vais leur dire qu’un élève sur deux
n’en parle pas à sa famille. On n’a rien détecté pour Marion. À la
maison, elle gardait son grand sourire, c’était son cocon. Je ne suis
pas là pour raconter ma vie. Je suis triste, je ne changerai rien à
cela. Mais les gens, en face, n’ont pas à porter mon désarroi. Je veux
que les gens se disent : cette femme tient le coup, donc on va tenir le
coup aussi. Je me dis qu’en faisant tout ce travail, Marion sauve des
vies. Elle a sauvé beaucoup de vies. Ce n’est pas une fatalité. Je pense
que si, à l’époque, j’avais pu assister à des échanges de cette nature…
Mais je ne savais même pas que ça existait. Il faut casser des années
de préjugés où l’on s’est dit que ce n’était pas grave, que l’enfant
ferait sa place. Il n’a qu’à se défendre. Il ne faut pas qu’il se laisse
faire. Moi je combats le fait qu’on ose dire ça à un enfant ; on ne le
dirait pas à un adulte ! Se défendre contre un groupe c’est très
compliqué. Que l’on ait quatre ou cinquante ans. Regardez la désastreuse
ligue du LOL…
Propos recueillis par
Rencontre-débat, ce lundi 25 mars, à 19 heures, dans la salle Simone-Signoret de Vitry-le-François. Tél. : 03 26 41 00 10.
http://abonne.lunion.fr/id52952/article/2019-03-25/nora-fraisse-marion-sauve-des-vies