Les représentations erronées sur la schizophrénie touchent aussi les professionnels de santé
Une enquête
dévoilée ce 8 mars montre que la méconnaissance sur la schizophrénie
(prévalence, symptômes, prise en charge) touche aussi certains
professionnels de santé. Ce qui peut retarder l'accès au diagnostic et
l'entrée dans les soins, influer sur le type de thérapeutiques ou
l'observance des traitements et dégrader la prévention du suicide.
La
schizophrénie, qui touche près de 600 000 personnes en France, reste une
pathologie mal connue, même de certains professionnels de santé. En
illustration de cette méconnaissance, les résultats d'une enquête ont
été dévoilés ce 8 mars lors d'une conférence de presse. Ils ont été
commentés notamment par le Dr Pierre de Maricourt, psychiatre, chef de
service à l'hôpital Sainte-Anne à Paris, des représentants
d'associations de proches — Promesses et Unafam (1) — et de la Fondation
Deniker. Réalisé à l'initiative de la firme pharmaceutique Janssen par
Opinionway, ce baromètre présenté comme la première enquête confrontant
le point de vue des Français, des patients, des aidants, des
professionnels de santé et décideurs publics sur cette pathologie,
montre en effet que les idées reçues et représentations erronées sur
celle-ci ne touchent parfois pas moins les professionnels que le grand
public. Parmi les professions sondées figurent des médecins
généralistes, infirmiers, pharmaciens et psychiatres (2).
77% des généralistes jugent la schizophrénie "dangereuse"
Interrogés par exemple sur la prévalence de cette maladie, qui touche
une personne sur 100 en population française, seuls 15% des généralistes
et pharmaciens connaissaient cet ordre de grandeur, 25% des infirmiers
et 61% des psychiatres. Un tiers environ de ces trois premières
professions et 22% des psychiatres estimaient la prévalence à une
personne sur 10 000. Un résultat commenté par Pierre de Maricourt,
signalant que de manière globale l'épidémiologie n'était pas assez
enseignée durant les études de santé. Et que cette méconnaissance des
chiffres pouvait se retrouver dans d'autres pathologies, même
somatiques. Mais la connaissance des symptômes reste également à
parfaire.
Probablement "l'une des plus grandes idées reçues sur la schizophrénie",
ont pointé les intervenants, le dédoublement de la personnalité, figure
parmi le "top 4 des symptômes" les plus cités par le grand
public (81%). Si les psychiatres citent à 99% des symptômes reconnus
comme la désorganisation de la pensée, les "comportements bizarres", les
hallucinations et discours illogiques, les professionnels de santé
citent aussi des troubles qui n'entreraient pas dans le tableau
symptomatique comme les troubles du comportement alimentaire ou les
troubles obsessionnels compulsifs. Les troubles de la mémoire et la
perte d'énergie, symptômes réels, semblent insuffisamment connus bien
que très handicapants.
Concernant la représentation de la maladie, 83% du grand public est d'accord avec l'idée que la schizophrénie est "dangereuse pour les autres"
et génératrice de comportements agressifs et violents. Mais aussi 90%
des pharmaciens, 77% des généralistes, 68% des infirmiers et 31% des
psychiatres. Une idée qui reste très répandue, quand bien même la
littérature montre que les passages à l'acte violent des malades mentaux
sont pourtant l'exception (3), quand ces personnes sont en revanche
beaucoup plus souvent victimes de violences que la moyenne (7 à 17 fois plus fréquemment que la population générale).
Certaines prises en charge insuffisamment déployées
Une
prise en charge optimale de la schizophrénie repose sur l’association
d’un traitement médicamenteux, d’un suivi psychothérapeutique et d’un
accompagnement psycho-social, ont rappelé les intervenants. Les
résultats issus du baromètre montrent que la majorité des patients
interrogés déclarent être traités (88%) et suivis par un psychiatre ou
un psychothérapeute (81%). Néanmoins, les approches de psycho-éducation
sont encore peu connues des patients interrogés (53% pour les patients versus 91%
pour les psychiatres). Mais le fait que ces derniers les connaissent ne
veut pas dire qu'ils orientent systématiquement vers ce type de prises
en charge, alors qu'elles aident à améliorer l'observance. Or, a
souligné le Dr Pierre de Maricourt, 75% des schizophrènes ont une mauvaise observance.
Et si 77% des patients connaissent les traitements injectables (4) — versus99% pour les psychiatres —,
seuls 26% déclarent s'en être vus prescrire. Pourtant, ils
garantiraient l'observance pour 93% des patients, aideraient à prévenir
les rechutes pour 81% et amélioreraient l'adhésion au traitement pour
71%. Mais l'image "historique" de ces traitements dans les premières
formulations mises sur le marché associées notamment à de lourds effets
secondaires contribue sans doute à freiner certains prescripteurs, a
commenté le psychiatre. Ou certains patients d'ailleurs, pour lesquels
ces traitements resteraient associés à ces effets gênants ou à une perte
de contrôle vis-à-vis de la prise de traitement.
Association des aidants et prévention du suicide
Deux autres points importants ont été soulevés. D'une part, l'enjeu de
l'intégration des aidants par les professionnels dans la prise en charge
est essentielle mais reste à améliorer, a souligné Pierre de Maricourt.
En effet, un aidant sur deux accompagne son proche dans sa
thérapie (rappel des rendez-vous, rappel et achat des traitements).
D'autre part, il a insisté sur l'importance pour les professionnels de
détecter les facteurs de risque et signes suicidaires, alors que 20 à
50% des patients schizophrènes font une tentative de suicide.
D'où l'enjeu de la formation, et notamment celle des médecins de premier recours (a fortiori pour
améliorer l'accès au diagnostic, aux soins adaptés, etc.). Les
associations de familles et proches ont ainsi témoigné de cas d'années
d'errance diagnostique, de détection insuffisante des prodromes de la
maladie qui se déclare souvent à l'adolescence ou encore de délais
d'attente beaucoup trop longs pour l'accès à des structures
adaptées (sanitaires et médico-sociales, notamment ambulatoires). Les
intervenants ont ainsi notamment salué l'annonce en janvier dernier de
la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, selon laquelle "100% des médecins généralistes auront un stage de psychiatrie ou de santé mentale durant leur formation" (lire notre article).
(1) Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam)
(2) Ont
notamment été interrogés 100 médecins généralistes, 100 pharmaciens
d'officine, 100 infirmiers et 100 psychiatres (libéraux et
hospitaliers), indiqués pour chaque profession comme "représentatifs de
cette population" sur des critères tels que les régions, l'âge pour
certains ou encore les critères d'exercice, pour ceux concernés.
(3) Voir
l'audition publique menée par la Haute Autorité de santé (2011) sur la
dangerosité psychiatrique. La HAS relève que si dans les études
internationales disponibles, les personnes souffrant de troubles mentaux
graves sont 4 à 7 fois plus souvent auteurs de violence que les
personnes sans trouble mental, elles ne sont que rarement auteurs
d’actes de violence grave (environ un homicide sur 20).
(4) Formulations injectables tous les quinze jours, une fois par mois ou par trimestre.