A Hongkong, la contestation ajoute au stress de jeunes déjà angoissés
AFP Publié le 07/07/2019 https://www.lepoint.fr*
Vivek PRAKASH
La contestation à Hong Kong augmente considérablement les niveaux de stress chez des jeunes angoissés par la perspective d'un avenir sous le joug de Pékin et déjà minés par les inégalités sociales et un immobilier hors de prix, préviennent les spécialistes.
L'ex-colonie britannique est secouée par une profonde crise politique qui s'est traduite par des manifestations pacifiques, parallèlement à de violents affrontements entre policiers et manifestants pour la plupart jeunes.
La "révolte des parapluies" de l'automne 2014 était empreinte d'optimisme. Mais le mouvement déclenché par un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine est plus sombre, explosant le 1er juillet avec la mise à sac du Parlement par des centaines de jeunes masqués.
Le mouvement est également marqué par des suicides, les manifestants rendant publiquement hommage à quatre personnes qui se sont donné la mort récemment en laissant derrière elles des messages politiques.
Un armée de travailleurs sociaux, conseillers et volontaires s'est mobilisée pour affronter la hausse des sollicitations enregistrées par les services de santé mentale.
"Ces étudiants, ils mettent leur jeunesse en péril pour défendre cet endroit, c'est très fragile", explique Roy Kwong, député démocrate et ancien travailleur social.
Winnie Ng, spécialisée dans la thérapie par le théâtre, offre gratuitement ses services depuis plusieurs semaines. Pour elle, de nombreux jeunes étaient déjà soumis à des niveaux élevés de stress avant même la dernière crise.
Elle met en cause les criantes inégalités de richesse dans un territoire où le mètre carré est le moins abordable du monde. Et le refus des autorités proPékin de la moindre réforme démocratique et l'échec du mouvement de 2014.
"Quand tout a un rapport avec la politique, la vie devient déprimante", dit-elle. "Beaucoup de gens pensent qu'il n'y a aucun espoir".
Les appels au secours augmentent. Chez Les Bons samaritains, les appels ont été multipliés par cinq au cours du mois écoulé, et la plateforme de soutien Open Up reçoit certains jours des pics de 200 à 450 textos contre 60 à 80 en temps normal.
"La goutte d'eau"
Paul Yip, directeur du Centre de recherches et de prévention du suicide de l'Université de Hong Kong, juge que le texte sur les extraditions n'est que "la goutte d'eau qui fait déborder le vase".
Les suicides sont particulièrement préoccupants, avec l'érection de mémorials de fortune sur les lieux des drames et des veillées régulières. "Les études montrent que les gens qui se suicident souffraient de causes multiples et interactives", dit-il à l'AFP. Si les mémorials permettent aux gens d'exprimer leurs émotions, la rhétorique consistant à assimiler suicide et héroïsme risque de déclencher d'autres suicides.
Après des semaines de silence, le gouvernement a évoqué le problème vendredi. Matthew Cheung, l'adjoint de la cheffe du gouvernement, a demandé aux ONG de consacrer plus de temps et de ressources à lutter contre la dépression.
"Nous nous rendons compte que beaucoup de gens sont malheureux en ce moment", a-t-il déclaré.
"Chacun est important"
Un débat s'est ouvert à Hong Kong sur la santé mentale, question délicate dans cette société largement conservatrice.
Deux slogans visant à faire avancer la prise de conscience, "Chacun d'entre nous est important" et "Les hauts et les bas, nous les vivons ensemble", font leur chemin dans les manifestations.
Hong Kong bénéficie de droits inconnus sur le continent mais beaucoup estiment que les libertés reculent.
Les efforts du gouvernement pour arrimer davantage Hong Kong à la Chine font craindre pour la survie de sa langue et sa culture cantonaises.
Shai Dromi, sociologue à l'Université de Harvard, explique que les traumatismes collectifs ont souvent un rapport avec la perte de l'identité de groupe. "Cela touche vraiment à la peur de ne pas pouvoir pratiquer sa propre culture, ses droits et sa religion".
https://www.lepoint.fr/monde/a-hongkong-la-contestation-ajoute-au-stress-de-jeunes-deja-angoisses-07-07-2019-2323121_24.php
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Hong Kong: la crise politique révèle le mal-être de la jeunesse
Par Florence de Changy Publié le 08-07-2019 http://www.rfi.fr*
Des manifestants rendent hommage le 16 juin 2019 à Marco Leung, «l'homme au ciré jaune», au lendemain de sa chute d'un immeuble, à Hong Kong. REUTERS/Athit Perawongmetha
La crise liée à un projet de loi – actuellement suspendu – sur l’extradition a déjà provoqué quatre morts indirectes, dont au moins trois suicides avérés, et un accident mal élucidé chez des jeunes de moins de 30 ans. Les autorités sanitaires tirent la sonnette d’alarme, alors que la santé mentale reste peu ou mal comprise dans cette société largement conservatrice.
Avec notre correspondante à Hong Kong,
Quatre morts sont pour l’instant clairement associées au mouvement de protestation politique de ces dernières semaines. Le premier décès est celui d’un jeune homme, surnommé aujourd’hui « l’homme en jaune », parce qu’il portait un ciré jaune lorsqu’il est tombé d’un immeuble, sous les yeux de très nombreux témoins, après avoir accroché une banderole réclamant le retrait total du projet de loi et non sa simple suspension.
« L’homme en jaune » est tristement devenu l'un des symboles de cette crise. Or, sa mort est intervenue le 15 juin, juste après la première conférence de presse de Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif, qui avait annoncé la suspension du projet de loi, mais pas son retrait total.
Au lendemain de cette annonce partielle et de ce premier décès, on a vu deux millions de personnes descendre paisiblement dans la rue. Il est indéniable que cette mort a mobilisé quelques milliers ou dizaines de milliers de citoyens supplémentaires, en particulier parmi les jeunes.
Après ce premier drame, trois suicides ont été clairement revendiqués comme des réactions à la crise politique actuelle, à l’absence de réponse de gouvernement et à l’absence d’avenir pour les jeunes qui se sentent poussés inexorablement vers un monde, le modèle chinois, qu’ils rejettent viscéralement.
Résultat de cette vague dépressive, toutes les agences et les services en ligne de soutien se disent débordés par les appels, multipliés par cinq au cours du mois de juin. La plateforme de soutien Open Up reçoit ainsi jusqu’à 450 demandes de soutien par jour contre 60 à 80 en temps normal.
La crise politique, arbre qui cache la forêt de la détresse ?
Il faut dire que le contexte de la vie à Hong Kong est particulièrement stressant : outre la densité de la population, une des plus fortes du monde, Hong Kong a aussi le plus fort taux d’inégalités de tous les pays (ou territoires) développés.
Cela fait au moins 20 ans que l’ascenseur social ne fonctionne plus ; les milliardaires – qui au moins pour moitié sont partis de rien en arrivant de Chine dans les années 1940 et 1950 – contrôlent aujourd’hui les principaux secteurs de l’économie et l’immobilier est devenu totalement inaccessible.
D’ailleurs, selon Paul Yip, le directeur du Centre de recherches et de prévention du suicide à l'Université de Hong Kong, le texte sur les extraditions n'est que « la goutte d'eau qui fait déborder le vase ». Ce spécialiste de la question rappelle que les nombreuses installations commémoratives qui ont vu le jour un peu partout pour honorer ces morts dramatiques peuvent avoir tendance à inciter d’autres jeunes à passer à l’acte pour rejoindre le rang des « héros » ou des martyrs de ce combat. Les réseaux sociaux peuvent également aggraver l’effet de contagion.
Faible réaction du gouvernement
L’attitude du gouvernement n’a certainement pas aidé : Carrie Lam a commencé par ignorer de manière insultante le problème en refusant de répondre aux questions à ce sujet.
Finalement, vendredi 5 juillet, le numéro deux du gouvernement, Matthew Cheung, a dit que le gouvernement se « rendait compte que beaucoup de gens sont malheureux en ce moment » et a demandé aux ONG de consacrer plus de temps et de ressources à lutter contre la dépression.
La société civile, en revanche, s’est saisie du problème. Des nouveaux slogans sont apparus dans les rassemblements, notamment « chacun d'entre nous est important » et « les hauts et les bas, nous les traversons ensemble ». Et le 5 juillet, au cours de la veillée des mères des étudiants, l’un des messages était aussi un message de soutien et d’encouragement aux jeunes pour justement leur dire de ne pas perdre espoir.
http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20190708-hong-kong-crise-sociale-revele-le-mal-etre-jeunesse