Suicide chez les agriculteurs : quand la vie ne tient qu'à un fil
Florent Duprat
La Dépêche du Midi
Tarn-et-Garonne
Locale, mardi 23 juillet 2019Tarn-et-Garonne
«
Tout était prêt lorsque je suis arrivé. Nous avons discuté pendant deux
heures de ses difficultés. Il a pu mettre des mots sur son malheur et
n'est finalement pas passé à l'acte. Mais ce sont des moments qui vous
marquent. » Il y a quelques semaines, Alain Iches, le président de la
Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA)
de Tarn-et-Garonne a été confronté au pire. Un agriculteur voulait en
effet mettre fin à ses jours. « J'ai été alerté par des voisins qui
étaient inquiets. Je me suis immédiatement rendu chez lui pour lui
parler, même si nous ne nous connaissions pas tellement. » L'homme a
finalement été sauvé in extremis . C'est aussi le cas d'un autre désespéré qui a appelé, au dernier moment, à la Mutualité sociale agricole (MSA),
la caisse de protection sociale obligatoire des professions agricoles. «
Il a dit qu'il allait se pendre dans la forêt, se souvient Jean-Michel
Céré, le directeur adjoint de la MSA.
Heureusement que la personne au bout du fil était formée. Dans ce cas,
il faut aller dans le vif du sujet adroitement. Ils ont discuté pendant
vingt minutes, les pompiers et les gendarmes ont été alertés, ces
derniers ont pu identifier la position de l'appareil et l'agriculteur a
été intercepté. »
La difficulté de la détection
Les raisons de ce désespoir ? Elles sont multiples. La situation économique est un élément prépondérant dans le passage à l'acte. « Comment voulez-vous vivre avec, pour certains, 300 euros par mois ?, s'interroge Alain Iches. Mais ça n'est pas la seule explication; en général, la situation économique se combine avec une détresse amoureuse ou personnelle, en plus d'un isolement certain. »
Le principal problème dans ces cas suicidaires est de décrypter le problème à la racine. « Il y a de petits signes qui peuvent l'indiquer, reprend Jean-Michel Céré. Ce peut être un changement de comportement : une personne qui est toujours présente aux réunions d'agriculteurs et qui peu à peu se détache du collectif... Cela peut paraître anecdotique. Alors depuis plusieurs années, nous nous structurons pour briser le tabou. Car la plupart du temps, si on peut parler en famille de problèmes personnels ou de santé, on ne parle pas des problèmes d'argent. »
Dès 2011, la MSA Midi-Pyrénées Nord, qui couvre le Tarn-et-Garonne, le Tarn, l'Aveyron et le Lot déploie une cellule appelée « Prévention suicide » en partenariat avec l'Agence régionale de santé et l'Union nationale de prévention du suicide (UNPS). « Cette cellule se réunit tous les mois pour analyser le suivi de situations individuelles, reprend Jean-Michel Céré. À chaque fois, ce sont des cas que nous avons identifiés grâce à des relais sur le terrain (agriculteurs, élus ou autres...) que nous avons formés et qui ont proposé aux agriculteurs d'être suivis. Ces derniers doivent accepter la démarche, nous n'avons pas le pouvoir de les forcer à intégrer ce dispositif », indique le DG adjoint.
108 cas décelés en 2018 dans le département
Rien que sur l'année 2018, 108 nouveaux cas ont rejoint le groupe de suivi. Une fois détectés, les agriculteurs peuvent faire l'objet d'un accompagnement précis ( voir encadré ), voire dans les cas les plus graves d'une hospitalisation pour les préserver d'une tentative de suicide. Un dispositif national d'écoute par téléphone (1) est également en place lorsque les locaux de la MSA sont fermés.
Aujourd'hui, le directeur général adjoint de la MSA assure que tous les cas suivis par l'organisme n'ont pas été jusqu'au bout de leur démarche suicidaire. « Je touche du bois pour que ça n'arrive pas à l'avenir », conclut Jean-Michel Céré. Et que pour les autres, en cas d'extrême difficulté, les désespérés préfèrent la parole aux actes.
1 : Joignable au 09 69 39 29 19.
Longtemps resté tabou, le suicide chez les agriculteurs est depuis une dizaine d'années devenu un vrai sujet dans les organisations agricoles. Désormais, les autorités tentent de prévenir un passage à l'acte.
l'essentiel t
Sept assistantes sociales à la MSA
En cas de difficultés, les agriculteurs qui le veulent sont suivis personnellement par sept assistances sociales de la MSA, parmi lesquelles Béatrice Bigou qui dépend des bureaux de la MSA de la zone de Barrès à Castelsarrasin. «Nous avons un premier entretien où nous décelons les principales fragilités de la personne. Nous poussons vraiment le questionnaire jusqu'à la volonté éventuelle d'en finir, explique cette dernière. On essaie aussi de voir quelles sont les forces de la personne sur lesquelles s'appuyer pour le raisonner.» Sa collège Julie Culetto complète : «Nous sommes ensuite chargé de présenter l'évolution de chaque cas à la cellule. Et en cas de suicide, nous tentons d'accompagner les proches et la famille dans cette épreuve.»
https://www.ladepeche.fr/2019/07/23/suicide-chez-les-agriculteurs-quand-la-vie-ne-tient-qua-un-fil,8326345.php
La difficulté de la détection
Les raisons de ce désespoir ? Elles sont multiples. La situation économique est un élément prépondérant dans le passage à l'acte. « Comment voulez-vous vivre avec, pour certains, 300 euros par mois ?, s'interroge Alain Iches. Mais ça n'est pas la seule explication; en général, la situation économique se combine avec une détresse amoureuse ou personnelle, en plus d'un isolement certain. »
Le principal problème dans ces cas suicidaires est de décrypter le problème à la racine. « Il y a de petits signes qui peuvent l'indiquer, reprend Jean-Michel Céré. Ce peut être un changement de comportement : une personne qui est toujours présente aux réunions d'agriculteurs et qui peu à peu se détache du collectif... Cela peut paraître anecdotique. Alors depuis plusieurs années, nous nous structurons pour briser le tabou. Car la plupart du temps, si on peut parler en famille de problèmes personnels ou de santé, on ne parle pas des problèmes d'argent. »
Dès 2011, la MSA Midi-Pyrénées Nord, qui couvre le Tarn-et-Garonne, le Tarn, l'Aveyron et le Lot déploie une cellule appelée « Prévention suicide » en partenariat avec l'Agence régionale de santé et l'Union nationale de prévention du suicide (UNPS). « Cette cellule se réunit tous les mois pour analyser le suivi de situations individuelles, reprend Jean-Michel Céré. À chaque fois, ce sont des cas que nous avons identifiés grâce à des relais sur le terrain (agriculteurs, élus ou autres...) que nous avons formés et qui ont proposé aux agriculteurs d'être suivis. Ces derniers doivent accepter la démarche, nous n'avons pas le pouvoir de les forcer à intégrer ce dispositif », indique le DG adjoint.
108 cas décelés en 2018 dans le département
Rien que sur l'année 2018, 108 nouveaux cas ont rejoint le groupe de suivi. Une fois détectés, les agriculteurs peuvent faire l'objet d'un accompagnement précis ( voir encadré ), voire dans les cas les plus graves d'une hospitalisation pour les préserver d'une tentative de suicide. Un dispositif national d'écoute par téléphone (1) est également en place lorsque les locaux de la MSA sont fermés.
Aujourd'hui, le directeur général adjoint de la MSA assure que tous les cas suivis par l'organisme n'ont pas été jusqu'au bout de leur démarche suicidaire. « Je touche du bois pour que ça n'arrive pas à l'avenir », conclut Jean-Michel Céré. Et que pour les autres, en cas d'extrême difficulté, les désespérés préfèrent la parole aux actes.
1 : Joignable au 09 69 39 29 19.
Longtemps resté tabou, le suicide chez les agriculteurs est depuis une dizaine d'années devenu un vrai sujet dans les organisations agricoles. Désormais, les autorités tentent de prévenir un passage à l'acte.
l'essentiel t
Sept assistantes sociales à la MSA
En cas de difficultés, les agriculteurs qui le veulent sont suivis personnellement par sept assistances sociales de la MSA, parmi lesquelles Béatrice Bigou qui dépend des bureaux de la MSA de la zone de Barrès à Castelsarrasin. «Nous avons un premier entretien où nous décelons les principales fragilités de la personne. Nous poussons vraiment le questionnaire jusqu'à la volonté éventuelle d'en finir, explique cette dernière. On essaie aussi de voir quelles sont les forces de la personne sur lesquelles s'appuyer pour le raisonner.» Sa collège Julie Culetto complète : «Nous sommes ensuite chargé de présenter l'évolution de chaque cas à la cellule. Et en cas de suicide, nous tentons d'accompagner les proches et la famille dans cette épreuve.»
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