lundi 8 juillet 2019

MàJ Au Zimbabwe : des grands-mères pour soigner la dépression

Zimbabwe : ces super mamies qui mettent la folie au ban Paris Match |
Par Elsa Dorey et Klervi Le Cozic à Harare, au Zimbabwe
A la polyclinique de Budiriro, au sud-ouest de Harare, un groupe de parole s’est formé entre conseillères et patientes du projet Friendship Benches.
A la polyclinique de Budiriro, au sud-ouest de Harare, un groupe de parole s’est formé entre conseillères et patientes du projet Friendship Benches. Eugénie Bacco
Pour pallier le manque de personnel qualifié dans les hôpitaux, des grands-mères bénévoles ont été mobilisées pour aider les gens atteints de troubles dépressifs. Initié par l’un des rares psychiatres du pays, Dixon Chibanda, ce concept de Friendship Benches (bancs de l’amitié) s’exporte même aux Etats-Unis.
La première fois, Elizabeth Taruvinga s’est assise par hasard sur le banc installé dans la cour du dispensaire. Le pas lourd, elle venait de récupérer son traitement contre le sida. « J’ai découvert que j’étais contaminée en allant me faire dépister à la clinique. Mon mari est mort il y a dix ans en emportant le secret : il avait des petites amies qui le lui avaient transmis. » Une grand-mère l’attendait et elles ont commencé à parler. Elle aussi habitait le quartier, celui de Glen Norah, une banlieue au sud d’Harare, la capitale du Zimbabwe. Hormis le tissu jaune qui recouvrait sa jupe, rien ne distinguait Esilida Furmira des patients. Elizabeth lui a raconté sa vie douloureuse, les larmes quotidiennes, l’isolement, la stigmatisation, le manque d’argent. L’engrenage de la dépression.

Comme près d’un millier de grands-mères zimbabwéennes, Esilida soigne les personnes souffrant de troubles dépressifs sur les bancs publics des cliniques de la capitale. Dans ce pays de 16 millions d’habitants, les quatorze psychiatres sont forcément débordés. D’autant que la maladie mentale y est taboue, au point qu’il n’existe pas de mot pour dire la dépression. « On dit “kufungisisa”, qui signifie “penser trop” », résume Esilida. En 2006, constatant un niveau élevé de mal-être et d’anxiété dans les quartiers populaires d’Harare, un psychiatre imagine les Friendship Benches, littéralement les bancs de l’amitié.
A Ngomahuru, le deuxième hôpital psychiatrique du pays n’a pas de médecin psychiatre.
A Ngomahuru, le deuxième hôpital psychiatrique du pays n’a pas de médecin psychiatre. © Eugénie Bacco
Dixon Chibanda forme des grands-mères à une psychiatrie de proximité qui tient plus du conseil médico-social. « Si j’ai construit le projet ainsi, ce n’est pas pour faire joli mais par nécessité : je n’avais ni financement, ni médecin, ni infirmière, ni bâtiment. Rien, mis à part quatorze grands-mères bénévoles, déjà conseillères en santé dans le quartier de Mbare. »
Depuis son lancement, 85 000 personnes se sont assises sur les bancs de l’amitié à Harare, la capitale, comme en province. A la première rencontre, les vieilles dames s’appuient sur un questionnaire pour mesurer le degré de mal-être. Les malades aux pensées suicidaires sont redirigés vers des professionnels de santé : ils sont trop souffrants pour que les grands-mères les prennent en charge. Les autres bénéficient de la stratégie bien rodée d’Esilida et de ses consœurs.
A Glen Norah, quartier désœuvré proche de la capitale, une patiente, Bernadette, écoute Juliet Marime, membre de l’association.
A Glen Norah, quartier désœuvré proche de la capitale, une patiente, Bernadette, écoute Juliet Marime, membre de l’association. © Eugénie Bacco
En cinq séances, elles font un état des lieux des problèmes du patient : sida, chômage, violence conjugale, manque d’argent, insomnie... Ensemble, ils en choisissent un et réfléchissent aux solutions. Une fois qu’il est résolu, ils passent au problème suivant. Sur les bancs, pas de charabia médical, mais le franc-parler des mamies, qui partagent le même quotidien que les patients. « Elle m’a dit que je n’étais pas censée pleurer, que ce n’était pas la fin du monde », se rappelle Elizabeth. Les encouragements sont écrits jusque sur la tunique des grands-mères. « Kusimudzira, kusimbisa, kusimbisisa, martèle Esilida Mupfumira comme un mantra, en touchant les mots imprimés sur le tissu. En shona, cela signifie : “relever l’esprit, le renforcer et le renforcer encore”. »
En shona, « Kuvhura Pfungwa » signifie « Ouvre ton esprit ». C’est l’antienne inscrite sur les pagnes que portent les bénévoles.
En shona, « Kuvhura Pfungwa » signifie « Ouvre ton esprit ». C’est l’antienne inscrite sur les pagnes que portent les bénévoles. © Eugénie Bacco
L’initiative a fait des émules à travers le Zimbabwe. A Ngomahuru, près de Masvingo, le deuxième hôpital psychiatrique du pays s’est saisi de l’idée. L’établissement veut miser sur la prévention. « Car une dépression détectée tôt permet d’éviter qu’elle devienne une maladie chronique entraînant une hospitalisation », souligne le docteur Maramba, directeur de l’hôpital. C’est un enjeu de santé publique : l’hôpital psychiatrique ne compte aucun psychiatre et a fermé la moitié de ses lits par manque de personnel. Formée à la détection des troubles mentaux par Dixon Chibanda, l’équipe hospitalière a transmis son savoir aux infirmières et aux enseignants. Bientôt, chaque dispensaire de brousse et chaque école aura une personne relais. Une oreille attentive pour écouter avant qu’il ne soit trop tard.
Au-delà des frontières, les bancs de l’amitié s’exportent à Zanzibar, au Malawi, et jusqu’à New York. Rien d’étonnant pour le psychiatre à l’origine du projet. « Ils fournissent un espace pour les malades. Parler à quelqu’un qui vous écoute, qui fait preuve d’empathie, c’est très puissant. Tout le monde en a besoin aujourd’hui. » Depuis quelques semaines, Elizabeth se sent mieux. Elle a même incité une amie à aller voir une grand-mère. « Je lui ai dit : “Parle-lui, tu seras heureuse comme je le suis.” » Esilida l’attend la semaine prochaine.
Ce reportage a été réalisé avec l’aide du Centre européen du journalisme via son programme de bourse dédié à la santé.

 https://www.parismatch.com/Actu/International/Zimbabwe-ces-super-mamies-qui-mettent-la-folie-au-ban-1635734

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Au Zimbabwe : des grands-mères pour soigner la dépression

vendredi 10 mai 2019 doctissimo.fr

Dixon Chibanda, professeur en psychiatrie à l’Université du Zimbabwe, a développé le programme “The Friendship Bench” (le Banc de l’amitié) en 2006. Il a pour objectif de former des grands mères au traitement de la dépression pour palier au manque de psychiatres et psychologues dans son pays.




The Friendship Bench est un programme de santé mentale qui consiste à former des grands-mères à soigner la dépression. La thérapie se déroule sous la forme informelle d’une conversation sur un banc…

“12 psychiatres pour une population d’environ 14 millions de personnes”

En 2017, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) estimait à 300 millions le nombre de personnes touchées par la dépression. Lors du forum économique mondial à Davos, qui a eu lieu en janvier dernier, le Dr. Dixon Chibanda rappelait que “toutes les 40 secondes quelque part dans le monde quelqu’un se suicide”. A l’occasion d’une conférence TED donnée en mars 2018, il explique que, dans son pays il existe “12 psychiatres pour une population d’environ 14 millions de personnes”. C’est après avoir appris qu’une jeune fille s’était suicidée faute de pouvoir payer le bus pour se rendre en consultation dans son cabinet (située 200 kilomètres de chez elle) qu’il dit avoir pensé à former des personnes âgées à la thérapie cognitivo-comportementale. Il explique en souriant que les grand-mères sont “une des ressources les plus fiables que nous avons en Afrique (...). Elles sont dans toutes les communautés”. La thérapie qui leur est enseignée a selon lui non seulement fait “ses preuves” mais a surtout l’avantage de pouvoir “être délivrée sur un banc”. Aujourd’hui, grâce à The Friendship Bench, “des centaines de grand-mères” délivrent des soins gratuitement dans plus de 70 communautés.
Un programme qui donne de bons résultats et de l’espoir

“Le fait de parler à une personne de confiance est souvent le premier pas vers le traitement et la guérison”, estime le Dr Saxena, Directeur à l’OMS du Département Santé mentale et abus des substances psychoactives. Les résultats de son programme The Friendship Bench, publiés dans un revue américaine en 2016, montrent que “6 mois après avoir reçu le traitement d’une grand-mère, les gens n’ont plus de symptômes (dépression, pensées suicidaires…)”. Le Dr Chibanda estime qu’en 2017, “30 000 mille personnes ont été soignées” au Zimbabwe sur un banc de l'amitié. Lorsque l’on sait que, selon l’INSEE, 23,6 millions de personnes seront âgées de plus de 60 ans, en 2060, cela donne de l’espoir. Le spécialiste imagine déjà la création d’un “réseau mondial de grands-mères dans toutes les grandes villes du monde”.

Ecrit par:  Manon d'Herclonville  Rédactrice web  Créé le 10 mai 2019

Sources :
La dépression en tête des causes de morbidité dans le monde, OMS.
Dixon Chibanda: Zimbabwe Training Grandmothers to Treat Depression, Davos World Economic Forum.
Why I train grandmothers to treat depression | Dixon Chibanda, Conférence TED.
Effect of a Primary Care-Based Psychological Intervention on Symptoms of Common Mental Disorders in Zimbabwe: A Randomized Clinical Trial, NCBI.
Population par âge, l’INSEE.

* http://www.doctissimo.fr/sante/news/zimbabwe-grands-mere-soignent-la-depression