jeudi 25 juillet 2019

Màj Frank Bellivier, 1er Délégué ministériel à la #SantéMentale et à la Psychiatrie, présente les priorités de son action :

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19/07/2019 De






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MàJ 

"Une collaboration plus précoce entre les acteurs pour faciliter le repérage des besoins des patients"
Système de santé



What’s up Doc
a rencontré en exclu la semaine dernière le Pr Frank Bellivier, le tout premier
délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Cette rencontre riche a déjà fait l’objet d’une Consult’. Nommé en avril dernier par Agnès Buzyn, le chef du département de psychiatrie et de médecine addictologique du groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière et Fernand Widal à Paris dirigeait une équipe de recherche en neuropsychopharmacologie des troubles bipolaires et des addictions. L’homme de 55 ans est en charge du déploiement de la feuille de route santé mentale et psychiatrie, dont les axes majeurs d’action sont le repérage et la prise en charge précoces des troubles psychiques et la prévention du suicide. L’occasion d’évoquer sa méthode de travail, ses priorités, la pédopsychiatrie, le rapport récent de l’Académie de médecine ou les infirmiers de pratique avancée (IPA) en psychiatrie.

What’s up Doc. Quelles sont les priorités de votre feuille de route ?

Frank Bellivier. La feuille de route est très riche. Elle s’appuie sur trois piliers : la prévention, celle du suicide en particulier ; le développement d’une offre de soins diversifiée ; la réhabilitation, la réinsertion et la promotion des droits des patients. Plutôt que de les séparer, l’idée, c’est d’articuler la prévention, le soin et la réhabilitation dans les parcours des personnes. Pour entrer dans le détail, tout d’abord sur la prévention et le repérage précoce des états de souffrance psychique. Certains patients vont en effet évoluer vers le développement de pathologies dont les conduites suicidaires ou la coexistence d’addictions sont à la fois les premières manifestations et des modes de parcours. Nous savons que 50 % des patients porteurs d’une pathologie mentale vont à un moment ou un autre avoir une comorbidité addictive, ce qui aggrave le pronostic et le cours évolutif de la pathologie. Il faut donc plus de vigilance au sein de la communauté médicale vis à vis de ces premières manifestations. L’organisation des soins doit pouvoir détecter ces premières manifestations pour prévenir l’évolution vers la « phase d’état » de ces pathologies.

Le deuxième pilier de la feuille de route est le parcours de soins. Il faut améliorer l’articulation entre les différents acteurs qui doit se faire au plus près des besoins des patients, à un moment donné de leur parcours. Le monopole du sanitaire pour le soin, c’est très bien. Mais on peut aussi prendre le problème dans l’autre sens, en commençant très tôt la réinsertion et la réhabilitation ce qui faciliterait la poursuite des soins qui s’inscrivent dans la durée. Il faut aussi une collaboration beaucoup plus précoce entre tous les acteurs, pour qu’elle soit plus en ligne avec un repérage des besoins du patient. Ce parcours de soins diversifié donnera accès aux ressources dont le patient a besoin pour sa pathologie. Un patient porteur d’un trouble bipolaire avec comorbidité addictive et qui a un syndrome métabolique n’aura pas le même parcours de soins qu’une jeune fille de 17 ans qui a fait une première tentative de suicide sans diagnostic établi.

Troisième pilier enfin : la réhabilitation, la réinsertion et la promotion des droits des patients. Beaucoup de nouveaux outils apparaissent dans ce domaine (pair-aidance, groupes d’entraide mutuelle, programmes de réhabilitation psycho-sociale, remédiation cognitive, accès à l’emploi, accès au logement, promotion des droits…). Dans ce domaine, il s’agit à la fois d’un enjeu de déploiement de ces différents dispositifs, de lutte contre la stigmatisation, de formation et d’articulation des acteurs. Notre outil actuel d’intégration et d’articulation de ces différentes expertises dont les patients ont besoin, ce sont les projets territoriaux de santé mentale. L’organisation de ces parcours au sein des projets territoriaux doit permettre de prévenir la rechute, et donc la ré-hospitalisation, et donc les coûts…

WUD. Quels chantiers avez-vous lancé depuis votre prise en fonction en avril dernier ? Quelle est votre méthode de travail ?

F.B. La première phase de ma mission a été consacrée aux rencontres car il y a beaucoup d’acteurs différents, intervenant dans les trois grands piliers de la feuille de route. Donc, je suis entré en contact avec les représentants des collectifs – les usagers, les professionnels, les instituions…-, ce qui a pris du temps. Et puis, on a réfléchi à l’élaboration d’une méthode, et j’ai eu très rapidement la conviction que la mise en œuvre allait devoir prendre en compte les spécificités de chaque région. Il faut rentrer dans une granularité plus fine qui est celle des besoins des territoires, des réalités de terrain qui diffèrent en fonction des régions. On le constate dès maintenant : le déploiement de la feuille de route rencontre des opportunités et des difficultés très variables. Par exemple, j’ai visité récemment la Nouvelle Aquitaine. Ils sont déjà très engagés dans l’actualisation de leur offre de soins, dans la mise en place d’innovations. Si la délégation veut être réellement en appui des acteurs, il faut aller sur le terrain.
« Un soutien réaffirmé à la communauté hospitalo-universitaire »

WUD.  La recherche en psychiatrie doit-elle devenir une priorité de santé publique, comme le demandent certains professionnels ?

F.B. Nous réfléchissons à de nouveaux modèles pour soutenir les activités de recherche en psychiatrie. Dans la recherche, il y a deux volets qui sont indissociables. Le premier, c’est la recherche fondamentale en neurosciences. Le mouvement est déjà bien engagé, mais on doit le soutenir. L’autre volet, c’est la recherche clinique et épidémiologique et l’évaluation des pratiques, avec l’objectif de fédérer le plus largement possible la communauté soignante. La recherche ne peut pas se faire sans l’engagement de la communauté des patients. Les intéresser à ces activités porteuses d’espoir et de progrès, c’est aussi leur donner un rôle actif. Les représentants des usagers sont à ce titre de plus en plus associés aux consortiums de recherche. Nous devons donc réussir à intégrer plus largement les patients des hôpitaux qui ne participent pas à la recherche aujourd’hui. Nous réfléchissons de plus à des solutions pour mieux soutenir la recherche et augmenter les contingents d’hospitalo-universitaires en psychiatrie. En effet, le ratio formateurs/formés n’est pas satisfaisant. Il faut soutenir la discipline pour enrichir le vivier dans lequel on va identifier des candidats à mettre sur la « rampe de lancement ». Des mesures incitatives peuvent être convoquées dans une stratégie de soutien : les postes d’accueil Inserm, le financement des M2 (Master 2), les bourses de financement pour les doctorants… Autrement dit, quand on demande à des candidats désireux de s’engager dans un double cursus (médical et scientifique) de constituer un dossier concurrentiel pour la compétition MCU (Maître de conférences des universités) ou PU (Professeur d'université), il faut qu’ils aient le temps de se préparer, et ça, cela s’organise. Il ne suffira pas d’appuyer sur un bouton pour créer 40 hospitalo-universitaires. On aura la communauté hospitalo-universitaire qu’on mérite, nous devons offrir à nos jeunes des cursus, des incitations à s’engager dans cette voie qui est souvent perçue comme compliquée et difficile.

WUD. On observe depuis quelques années une chute de la démographie médicale en psychiatrie, et plus particulièrement en pédopsychiatrie. Le nouvel arrêté fixant le nombre d’étudiants de 3e cycle autorisés à suivre une option ou une formation spécialisée transversale (FST) n’est pas à l’avantage de la pédopsychiatrie, selon les syndicats de psychiatrie….

F.B. Nous sommes confrontés à une pénurie de médecins dans toutes les disciplines, ceci pour une petite dizaine d’années encore. Mais la priorité donnée à la pédopsychiatrie est affichée et soutenue. Depuis 2012, les contingents de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent qui sortent du troisième cycle sont en augmentation. Et les chiffres qui sont proposés ne contredisent pas cette évolution. Jusqu’en 2017, on tournait autour d’une soixantaine de DESC de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (PEA), contre 144 aujourd’hui. Cela montre bien que les contingents de pédopsychiatrie ont augmenté depuis un certain nombre années, et plus particulièrement ces deux dernières années.

D’un point de vue général, nous sommes sur un contingent de médecins sortants et d’internes en psychiatrie qui est contraint. Mais nous continuons à soutenir la pédopsychiatrie et la psychiatrie au sens large. Preuve en est : le nombre d’internes qui seront autorisés à s’inscrire dans la filière psychiatrique lors du prochain ECN sera maintenu à 531. Je rappelle également, que, dans un système à options, ce que l’on réserve pour la pédopsychiatrie se fera au dépend de l’autre option qui est la psychiatrie de la personne âgée, mais aussi du contingent de psychiatrie générale. Donc on ne peut pas se contenter de brandir les besoins de pédopsychiatrie, il faut trouver le point d’équilibre. Parce que nous avons aussi grand besoin de psychiatres formés en psychiatrie générale qui auront fait des FST sommeil ou addiction, par exemple. La psychiatrie de la personne âgée, qui est un domaine émergent, mérite aussi d’être soutenue.

"Nous avons un creux de vague épouvantable à gérer"

WUD. Mais que répondez-vous au SPH (Syndicat des psychiatres des hôpitaux) qui constate « un déficit de formation de 39 postes par rapport aux besoins, soit 37 % de besoins non couverts » et en déduit que la pédopsychiatrie est « officiellement négligée » ?

F.B. Je ne dirais pas qu’elle est négligée, ce n’est pas le reflet de la réalité. Par contre, c’est vrai que le nombre de postes est notoirement insuffisant, et cela dépasse d’ailleurs le cadre de la pédopsychiatrie. Nous avons un creux de vague épouvantable à gérer. Donc tout le monde est fondé à s’inquiéter de l’inadéquation qu’il y a entre les besoins et l’offre que l’on est capable de fournir. La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent n’en a pas du tout le monopole. Tout cela sera corrigé car le numerus clausus a été revu à la hausse, mais il faudra dix ans pour former des spécialistes. Donc, durant cette période difficile, il va falloir éviter de tirer la couverture à soi. C’est une position qui n’est pas tenable. Par contre, il va falloir être malin pour optimiser l’allocation des ressources et l’organisation des soins. Nous allons devoir construire des modèles pour tenir notre objectif ambitieux qui est de moderniser l’offre de soins dans un contexte de « disette » et de contingents médicaux à la baisse. Nous avons parfaitement conscience qu’il y a urgence en pédopsychiatrie, mais il y a aussi urgence en psychiatrie générale. Certains hôpitaux ont à peine deux équivalents temps pleins de médecins ! J’ai eu l’occasion de passer en revue les postes non pourvus dans les EPSM de Nouvelle Aquitaine, je vous assure que la situation, dans  certains services de psychiatrie adulte est très critique. Pour revenir à la PEA (psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, NDLR), c’est un sujet particulièrement stratégique car la plupart des pathologies mentales démarrent entre 15 et 25 ans, donc c’est bien dans cette tranche d’âge que les efforts doivent êtes faits. L’un des aspects de ma mission qui me préoccupe le plus, c’est de moderniser nos modèles pour gérer à l’avenir cette pénurie de médecins. Donc, oui, Agnès Buzyn a fait de la pédopsychiatrie une priorité nationale. Mais il faut trouver le point d’équilibre avec des autres priorités.

WUD. Pensez-vous que les infirmiers de pratique avancée (IPA) en psychiatrie auront un rôle important à jouer dans la réorganisation de l’offre de soins?

F.B. Là encore, il va falloir du temps pour que l’effet se fasse sentir, mais c’est incontestablement une réponse pour libérer du temps médical. Il y avait aussi urgence à offrir des perspectives de développement professionnel pour les infirmiers qui souhaitent continuer à  se former. Il y a également une ressource qui est sous-utilisée, ce sont les psychologues. Il faut donc que nous trouvions un modèle pour intégrer plus largement cette communauté dans les champs sanitaire et médico-social. Enfin, il faudra réussir à « embarquer » dans cette feuille de route les médecins généralistes qui sont aujourd’hui sollicités de toute part et la pénurie de généralistes complique la tâche. Tous ces leviers devraient donner un peu d’oxygène. Mais c’est surtout la coordination de tous ces acteurs et la fluidité des parcours qui vont permettre de désengorger les structures qui sont aujourd’hui bloquées.

WUD. Vos propos rejoignent ceux de l’Académie de médecine qui disait récemment dans un rapport que le médecin généraliste aura un rôle-clef à jouer dans la réorganisation de l’offre de soins. Sans oublier le rôle des psychologues et des Maisons des adolescents.

F.B. Les Maisons des adolescents sont en effet un dispositif qui rend de grands services. Les préconisations du rapport de l’Académie de médecine reprennent en effet très largement les orientations affichées dans notre feuille de route. Le rapport dit par exemple qu’il faut désormais construire la prise en charge en parcours, ce qui va de la prévention avant l’émergence des troubles jusqu’à la réinsertion. Il évoque aussi la mise en place de parcours diversifiés, modernisés, personnalisés. Tous ces mots-clefs apparaissent dans le rapport de l’Académie de médecine qui évoque aussi le cercle vertueux entre activités de recherche et activités de soins : en disant que la promotion de la recherche en psychiatrie va contribuer à actualiser l’offre de soins et la modernisation du système de soins va contribuer au développement des activités de recherche. Le rapport préconise également la création d’un institut, mais ce n’est pas l’option qui a été retenue. Ce n’est pas parce que l’on créera un institut de psychiatrie, comme on a créé l’Institut national du cancer, que tout ira bien. Mais il n’est pas impossible que la création d’un institut de psychiatrie, qui co-piloterait les bonnes pratiques dans le soin et la promotion de la recherche, soit à terme le résultat du déploiement de notre feuille de route.
"Ce n’est pas seulement un problème de moyens, mais un problème d’organisation"

WUD. Malgré les moyens déployés par la société et les collectivités pour la santé mentale les personnes souffrant de troubles mentaux accèdent difficilement aux soins. Comment résoudre ce paradoxe ?

F.B. Tout d’abord, je pense que, si on compte le nombre de psychiatres ou de lits rapporté à la population, la France n’est pas trop mal positionnée. La question que l’on doit se poser est plutôt la suivante : de quelles marges de manœuvre dispose-ton pour réorganiser l’offre de soins sachant les moyens en présence ? Quand on regarde le budget de la psychiatrie et du secteur médico-social ainsi que les effectifs par rapport à nos voisins européens, il n’y a rien d’indécent.

L’autre question importante sur l’accès aux soins, c’est « comment on dé-stigmatise la demande de soins ? » Aujourd’hui, quand on est en état de souffrance psychique et qu’on va chez un psychiatre, on rentre dans une catégorie de personnes qui est mal perçue, stigmatisée d’emblée. Mais ce n’est pas parce que l’on décroche son téléphone pour demander de l’aide que l’on rentre dans la catégorie de grand malade mental. Donc, on doit se poser les questions suivantes : comment aider quelqu’un qui a des idées suicidaires à sortir de sa « clandestinité » ? Comment organiser des guichets qui ne soient pas stigmatisant ? Le secteur conventionnel de soins n’est probablement pas adapté pour une jeune fille de 17 ans qui fait une première tentative de suicide où elle se sentira à juste titre stigmatisée. Des unités protégées sont nécessaires pour des patients en grave décompensation psychiatrique avec un projet de réhabilitation pour un retour rapide dans la cité. C’est ce que nous appelons une « offre de soins graduée, diversifiée ».

Nous devons donc adapter collectivement notre offre de soins. Nous avons dès aujourd’hui ou dans des échéances très proches, des leviers efficaces que nous devons pouvoir mobiliser à cette fin. Je pense notamment : à l’engagement des patients eux-mêmes et de leurs familles ; à celui d’une génération de jeunes médecins convaincus ; à la réforme en cours des cursus de formation des professions médicales ; au cadre déjà évoqué des PTSM (Projets territoriaux de santé mentale ; NDLR); mais aussi à la prochaine réforme, essentielle, du financement de la psychiatrie.   

WUD. Que pensez-vous d’un point de premier contact téléphonique pour les malades ou leurs familles donnant des conseils et orientations lors de l’apparition des premiers symptômes ?

F.B. Il y a en effet actuellement des expérimentations sur ces sujet-là, notamment dans le monde étudiant. Le dispositif de Nightline permet de recueillir et d’orienter des personnes en difficulté. Ils obtiennent une réponse et une proposition d’orientation, sans que cela soit du soin par téléphone. Il y a aussi l’expérimentation « Premiers secours en santé mentale » qui consiste à former ses pairs au repérage, pour qu’ils deviennent les premiers interlocuteurs qui pourront repérer, identifier, orienter les étudiants en difficulté. La médecine universitaire n’est pas bien armée pour cibler les principales morbidités des étudiants et intervenir précocement. Quels sont leurs principaux problèmes ? Les addictions, le suicide, la santé sexuelle et les premiers épisodes d’une pathologie mentale qu’il faut repérer rapidement pour empêcher ces jeunes de sortir du système de formation. On pourrait aussi transposer ce modèle de pairs « ressources » dans le monde du travail. Cela pourrait contribuer à dé-stigmatiser la démarche, mais aussi et surtout à modifier l’image suivante : « je ne vais pas bien psychiquement, mais je ne demande pas d’aide, donc je reste clandestin ». Or, on sait bien que ce genre de comportement est dangereux.

WUD. Face à l’ampleur de la tâche de travail qui vous attend, quels sont vos secrets pour ne pas finir en burn out ?

F.B. Je fais de la méditation en pleine conscience et je veille à mon sommeil. Le bon rythme pour moi, c’est « couché tôt, levé tôt », même si tout nous incite à nous coucher tard. Par exemple, terminer un dossier sur lequel on est en retard avant d’aller se coucher… comme ce soir après cette interview !

Propos recueillis par Julien Moschetti et Alice Deschenau.
Photos : Pierre Emko

https://www.whatsupdoc-lemag.fr/grand-format/une-collaboration-plus-precoce-entre-les-acteurs-pour-faciliter-le-reperage-des-besoins