Prévenir le suicide maternel : "Nous manquons encore d’unités mères-enfants"
Un suicide par mois chez les futures ou jeunes mamans
Entre 2013 et 2015, 35 futures ou jeunes mamans se sont suicidées, soit 13,4% des morts maternelles sur la période allant de la grossesse jusqu’à 1 an après l’accouchement. "Quand notre chef de service nous a parlé des résultats de cette enquête nationale, j’ai été stupéfaite. Dans ma pratique, je n’ai été confrontée qu’une seule fois au suicide d’une jeune maman que j’avais pourtant réussi à hospitaliser en urgence. Cela a été un véritable drame dans mon histoire professionnelle", nous confie le Dr Patricia Pasi Delay, psychiatre au sein de la maternité de la Croix-Rousse (Lyon) et qui a accepté de contribuer à l’enquête nationale chargée de mettre en lumière les causes de ces suicides maternels, et les moyens pouvant être mis en œuvre pour les éviter.
"Il est clair que pour nous, mourir au 21ème siècle avant, pendant ou après l’accouchement, est devenu quelque chose d’inimaginable, d’intolérable. Car la diminution drastique de la mortalité maternelle et infantile est certainement le plus grand progrès du dernier siècle", poursuit-elle.
La précarité, un facteur aggravant
Il n’existe aucun profil type et malheureusement, toute femme est potentiellement fragile pendant la grossesse et surtout le post-partum, une période de grands chamboulements physiques et psychiques. Toutefois, il est apparu que la géographie avait un impact, avec un risque 4 fois plus élevé dans les territoires d’Outre-mer, ou encore parmi les populations de migrants, notamment d’Afrique subsaharienne (risque 2,5 fois plus élevé).
"Même si le suicide maternel peut survenir chez n’importe quelle femme, la précarité, qui se cumule à un risque psychique, semble être un facteur important dans plusieurs parcours de vie que j’ai pu analyser. Par exemple, certaines femmes sans-papiers n’ont pas pu accéder à des unités mère-enfant, ou même des foyers mère-enfant. On a aussi des problématiques où les mères ne peuvent pas aller voir leur enfant placé ou en néonatologie", rapporte le Dr Sylvie Viaux, pédopsychiatre à la maternité de la Croix Rousse et membre du pôle d’experts dans l’enquête du CNEMM.
L’entretien prénatal précoce, important mais insuffisant
L’entretien prénatal précoce à partir du 4e mois de grossesse est un outil précieux qui a été instauré pour détecter les futures mères pouvant être plus fragiles. Malheureusement, la survenue d’un stress intense ou d’autres troubles peuvent survenir plus tard dans la grossesse, être déclenchés par l’accouchement ou se révéler durant la période du post-partum. De plus, cet entretien n’est pas pratiqué automatiquement dans toutes les maternités, sans oublier les femmes qui ne sont carrément pas suivies durant leur grossesse (population de migrants notamment).
Des mamans fragiles qui se retrouvent trop vite à la maison
Le post-partum est une zone rouge qui rend les femmes très vulnérables d’un point de vue psychique. Les risques de décompensation y sont plus élevés, en raison notamment des variations hormonales intenses auxquelles les femmes sont sujettes (chaque femme y est plus ou moins sensible) ; et des remaniements psychiques inhérents au fait de devenir mère.
Ainsi, dans la période du post-partum, entre 8 jours et 42 jours après l’accouchement, le suicide est la première cause de décès des jeunes mamans. "En post-partum, les tableaux sont brutaux et soudains, avec un risque de décompensation très rapide et violent. Le problème, c’est qu’avec le raccourcissement des séjours à la maternité, les femmes sortent vite et nous ne pouvons pas toujours bien les détecter car les signes psychiques apparaissent plutôt à J+10 après l’accouchement", regrette le Dr Sylvie Viaux.
15 à 20% des jeunes mères en dépression post-partum
Bien sûr, les mamans qui ont déjà des antécédents psychiatriques ( bipolarité, schizophrénie, toxicomanie, dépression post-partum...) sont particulièrement surveillées, car leur état peut vite se dégrader. "Dans notre jargon, la femme enceinte ou la jeune maman traverse une période de transparence psychique, c’est-à-dire qu’elle va avoir accès à son noyau intérieur, et potentiellement à des souffrances qui n’avaient jusque lors pas éclos. On sait par exemple que l’accouchement peut réveiller des traumatismes de l’enfance, comme des viols", note le Dr Pasi Delay.
Puerpéralité : pour se rétablir d’un accouchement, il faudrait au moins un an
"La vulnérabilité de chacune est aussi souvent étroitement liée à une histoire familiale. Par exemple, une jeune maman qui aurait eu une mère défaillante, peut avoir beaucoup plus de difficultés à appréhender son nouveau statut. Une mère célibataire ou une grossesse non désirée peuvent aussi jouer. Ou encore une grossesse qui se passe mal d’un point de vue médical ou la détection d’un problème chez le bébé", affirme le Dr Sylvie Viaux. Et puis, un accouchement qui ne se passe pas comme prévu, des difficultés à allaiter, la fatigue des nuits sans sommeil... "Tout ce qui peut remettre en cause la capacité maternelle avant, pendant ou après la grossesse, peut être un facteur de risques", ajoute le Dr Pasi Delay. Au final, 15 à 20 % des femmes peuvent sombrer dans la dépression post-partum pour différentes raisons, et dans des contextes très variés malgré un entourage et un père soutenant.
Le cas particulier de la psychose puerpérale
Bien que très rare (0,2 % des naissances), la psychose puerpérale fait partie de ces troubles qui peuvent survenir de manière très brutale, même sur des mamans qui n’ont pas d’antécédents psychiques, et qui peut potentiellement mener à l’irréparable. "Je me souviens d’une maman à la maternité qui voyait son bébé tout vert ! La psychose puerpérale se traduit par des hallucinations, l’impression d’entendre des voix, la maman peut se sentir persécutée par son bébé, et potentiellement faire du mal à son bébé, ou à elle", rapporte le Dr Pasi Delay. Bien connu des psychiatres exerçant en maternité, des sages-femmes, et des professionnels travaillant en PMI, ce type de tableau clinique est encore mal maîtrisé par la psychiatrie adulte ou encore les généralistes qui peuvent pourtant jouer un rôle de premier plan.
Favoriser l’hospitalisation des mamans en unité mère-enfant
Pour éviter ces passages à l’acte, les psychiatres insistent sur l’importance de créer davantage de structures dédiées à l’accueil des mères et des enfants. Souvent surchargées, elles sont même inexistantes sur certaines parties du territoire. Outre les unités kangourou au sein des maternités, il n’existe presque pas de structures pouvant accueillir les mamans dont les bébés seraient un peu plus âgés.
Les mères suicidaires se retrouvent souvent dans des structures psychiatriques non spécialisées, internées avec d’autres patients qui n’ont rien à voir avec elles, et privées de tout lien avec leur enfant. Sans parler des pères qui se retrouvent démunis, seuls avec leur enfant, sans accompagnement.
"Il est vraiment très important que les mères puissent garder le lien avec leur bébé. On a observé que des passages à l’acte se produisaient quand la mère reprenait un peu d’énergie, et se rendait compte qu’elle avait été défaillante envers son bébé, ce qui entraînait une culpabilité insurmontable", rapporte le Dr Viaux. Pour la psychiatre, l’idéal serait donc qu’il existe trois types de dispositifs : l’accès à une consultation maman-bébé pour les femmes qui en ressentent le besoin, les hospitalisations de jour et les hospitalisations maman-bébé à temps plein afin d’offrir une réponse graduée selon les situations.
Une appli pour détecter les femmes à risques
Une autre piste à explorer serait de mettre en place une application permettant de contacter les jeunes mères et de détecter des signes de vulnérabilité nécessitant qu’elles soient rappelées par un professionnel averti. Car on l’a vu, le problème est que les mères quittent rapidement les maternités, et passent potentiellement sous le radar des professionnels. "On peut notamment utiliser l’EPDS Edimbourg Post Natal Depression Scale (qu’on peut aussi faire passer en prénatal)", affirme le Dr Viaux. Avec un score supérieur à 12, il serait alors indispensable de recontacter ces mères.
"Un problème de santé publique"
Pour conclure, notons que par-delà le drame que représentent ces décès maternels, l’impact sur les enfants est indéniable, et ce même si la mère ne passe pas à l’acte. "Le bon accompagnement de ces mamans est essentiel afin que la rencontre entre la mère et le bébé puisse se faire, car cela peut laisser de vives séquelles. On a notamment trouvé une corrélation entre la dépression post-partum de la mère et la survenue du suicide chez l’enfant devenu adolescent. C’est un vrai problème de santé publique quand on sait que le suicide est la première cause de mortalité chez les jeunes. Mais j’insiste sur ce point : une maman bien accompagnée et traitée peut très bien se sortir d’une dépression post-partum", conclut le Dr Viaux.
Enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, ENCMM, publication janvier 2021
Entretiens avec les Dr Viaux et Pasi-Delay, janvier 2021.
Cox JL, Holden JM, Sagovsky R. Detection of postnatal depression. Development of the 10-item Edinburgh Postnatal Depression Scale. Br J Psychiatry. 1987 Jun;150:782-6. doi: 10.1192/bjp.150.6.782. PMID: 3651732.Guedeney N, Fermanian J. Validation study of the French version of the Edinburgh Postnatal Depression Scale (EPDS): new results about use and psychometric properties. Eur Psychiatry. 1998;13(2):83-9. doi: 10.1016/S0924-9338(98)80023-0. PMID: 19698604.
* https://www.doctissimo.fr/grossesse/psychologie-enceinte/bien-dans-sa-tete-apres-l-accouchement/prevenir-suicide-maternel