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Chaque année, on dénombre 150 suicides d’agriculteurs. Nicolas Deffontaines, sociologue à l’université du Havre, a réalisé un état des lieux dans le cadre de sa thèse.
Tous les deux jours, un agriculteur se donne la mort. Est-ce en raison du contexte économique actuel ?
Nicolas Deffontaines - « Le
suicide en agriculture est d’abord un phénomène structurel. On ne peut
pas le réduire à la conjoncture économique. Depuis 1968, les
agriculteurs se suicident plus que les autres catégories
socioprofessionnelles. Leur taux de suicide est supérieur de 30 % à la
moyenne de la population française (1). Ce qui est nouveau,
en revanche, c’est la médiatisation de ce phénomène depuis la crise
laitière de 2008. Mais depuis trente ans, le taux de suicide baisse en
France, pour les agriculteurs, comme pour l’ensemble de la population. »
Parmi eux, une majorité sont des éleveurs laitiers ?
N. D. - « Il existe des
inégalités entre productions. Le risque de suicide se révèle plus
marqué chez les éleveurs, et plus particulièrement les éleveurs de
bovins lait. Pour une même production, les petits exploitants sont
également plus touchés. Le risque est 1,5 fois plus élevé chez les
exploitants installés sur moins de 50 hectares par rapport à ceux
installés sur plus de 200 ha. On relève aussi des écarts forts selon
les régions. L’Ouest de la France, et plus particulièrement la
Bretagne, est davantage touchée. À orientation productive, surface,
sexe, et âge identiques, un agriculteur breton a deux fois plus de
risque de se suicider qu’un Lorrain par exemple. Le suicide a également
un genre, puisque l’on compte trois suicides d’homme pour un suicide de
femme. Toutefois, les femmes font davantage de tentatives de suicides
et consomment plus de psychotropes. »
Comment cela s’explique-t-il ?
N. D. - « Contrairement à
ce que l’on pourrait penser, la localisation des agriculteurs en zone
rurale, parfois très reculée, n’est pas identifiée comme une cause
structurelle des suicides. Qu’ils vivent en milieu rural ou périurbain,
les exploitants agricoles se suicident plus que les autres catégories
socioprofessionnelles. D’autres facteurs les poussent vers un tel acte.
L’imbrication entre le travail et la famille peut créer une équation
insoluble pour les agriculteurs, notamment ceux de moins de 40 ans.
Tiraillés par les tensions familiales, ces derniers se sentent parfois
pris en étau entre les injonctions contradictoires de leur conjointe et
de leurs parents. Chez les exploitants plus âgés, il y a un enjeu fort
autour de la transmission. Le poids de l’héritage refusé peut provoquer
un sentiment d’échec et de vie perdue. L’engagement dans le travail,
associé au risque de perte d’indépendance, est une autre cause
identifiée. Pour certains, être son propre patron et travailler dur sans
compter ses heures, justifie tous les efforts consentis. La crise
économique et les difficultés financières fragilisent leur foi dans le
travail et engendrent une perte de sens, spécialement dans les
structures importantes. »
L’isolement social ne joue pas ?
N. D. - "Le célibat est
bien un facteur de risque. Mais on ne peut pas réduire la question du
suicide à celle des célibataires endurcis perdus au fin fond du bocage…
C’est en fait la rupture progressive des liens sociaux, la
disqualification sociale aux yeux des autres, renforcée par
l’interconnaissance (tout le monde se connaît dans les campagnes) qui
peut conduire au suicide, même chez des agriculteurs initialement très
investis socialement."
(1) Étude de Santé publique France sur les agriculteurs de 45 à 64 ans.
À savoir
Repérer, alerter, agir. Les acteurs du monde
agricole ont créé le réseau multipartenarial Agri-Sentinelles. Il vise à
sensibiliser, former, outiller les personnes qui travaillent au
contact des agriculteurs pour s’impliquer dans la prévention du
suicide.Info +
Deffontaines N. Les suicides des agriculteurs : Pluralité des approches pour une analyse configurationnelle du suicide. Thèse en sociologie soutenue le 29 mai 2017.
https://www.reussir.fr/lait/actualites/le-suicide-en-agriculture-touche-particulierement-les-eleveurs-laitiers:00PTDVUZ.html