vendredi 18 janvier 2019

AUTOUR DE LA QUESTION CRITIQUES DEBATS REFLEXIONS Alertes sur les défauts de prise en charge en psychiatrie

 Des psychiatres s’alarment : pourquoi tant de malades mentaux livrés à eux-mêmes ?
>Société>Santé|Elsa Mari| 16 janvier 2019 www.leparisien.fr*



Des médecins lancent un signal d’alarme : des patients atteints de troubles mentaux, parfois majeurs, ne sont pas pris en charge car les services psychiatriques sont débordés.
Dans un tunnel du métro parisien de la ligne 6, un homme, seul, nage dans un jogging trop large. Comme s’il jouait, il va et vient, en riant, dans le sens contraire de la foule. Quelques jours plus tôt, une femme, élégante, chapeau rouge digne des courses hippiques, se met à taper du pied, dans un wagon de la ligne 1, avant de se mettre à hurler, en furie. Le sol tremble, la rame retient son souffle. Une autre erre toute la journée, le regard vide, le long de la rue Rambuteau, dans le IVe arrondissement.
Des personnes qui crient, qui parlent seule dans les rues, ce sont des scènes courantes surtout dans les grandes villes. Ces âmes errantes sont-elles plus nombreuses qu’avant ? Difficile de savoir, les chiffres n’existent pas. Mais « ce n’est pas normal d’en voir autant », dénonce pour la première fois le docteur Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie à l’hôpital Henri-Mondor, à Créteil (Val-de-Marne). « C’est un vrai problème, rebondit le professeur Michel Lejoyeux de l’hôpital Bichat. Il n’est pas acceptable que, sur une question aussi grave, il n’y ait aucune évaluation. Il en faut une ! »
Selon les spécialistes, cette situation est le reflet d’un défaut de prise en charge des malades, conséquence d’un système psychiatrique en plein naufrage, dénoncé aujourd’hui, haut et fort, par toute une profession. Une journée d’action nationale, à l’appel de plusieurs collectifs, mardi prochain.

«Ils sortent trop tôt de l’hôpital»
Réduction du nombre de lits, alors que la population augmente et que le recours à la psychiatrie est plus fréquent, absence de structures alternatives… Résultat, les patients – et leurs familles – trinquent. « Ils sortent trop tôt de l’hôpital et doivent être réhospitalisés », déplore Marion Leboyer, responsable de pôle à l’hôpital Mondor et coauteure d’une enquête choc « Psychiatrie : l’état d’urgence ».
Le professeur Lejoyeux le constate tous les jours dans son service. « On a de plus en plus de difficultés à trouver des places. » Les malades sont davantage livrés à eux-mêmes. En 2018, les études épidémiologiques montrent qu’un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, de dépressions, de troubles bipolaires, d’autisme, de schizophrénie. « Une énorme partie de la population n’est pas soignée correctement », s’insurge Marion Leboyer. C’est surtout le cas des sans-abri, déjà confrontés à la précarité, et des prisonniers où l’on compte 80 % des hommes et 70 % des femmes qui souffrent de troubles mentaux.

S’ajoute à ce manque de places, un problème de prise en charge. Dans les cabinets de ville bondés, les délais de rendez-vous s’allongent comme dans les centres médico-psychologiques, qui proposent aux patients des consultations près de chez eux, il faut souvent attendre… un an ! Conséquence le diagnostic est tardif, parfois inexistant. Sans soutien, les chances de guérir paraissent impossibles. Des parents se sentent aussi abandonnés, seuls face à la difficulté de gérer et de s’occuper de leurs enfants atteints de schizophrénie. Alors « nous devons tout revoir » et vite d’après les médecins. Marion Leboyer demande une vraie réforme. « On pourrait faire beaucoup mieux, il y a plein de stratégies thérapeutiques qui ont fait leurs preuves. »
Fin décembre, la ministre de la Santé a accordé une rallonge budgétaire de 50 millions d’euros à ce secteur. Elle souhaite également à l’horizon 2022 « que tous les généralistes fassent un stage en psychiatrie, pendant leur internat, parce qu’ils sont confrontés aux pathologies mentales dans leur quotidien ». Agnès Buzyn donnera des précisions sur sa stratégie lors d’une réunion le 24 janvier. « Dans ce domaine, on a un retard incroyable », nous confiait-elle récemment.

SOUVENT VICTIMES ET NON AUTEURS DE VIOLENCE
Il y a quelques jours, un homme de 36 ans, suspecté d’avoir tué puis découpé un homme de 45 ans, à Issoire, dans le Puy-de-Dôme, a été interpellé puis interné d’office. Ce genre d’histoires, associant maladie mentale à la violence, contribue à alimenter la peur. Et ne sont, d’après les spécialistes, pas révélateurs de la réalité. « Les données de la littérature scientifique vont à l’encontre de ces idées reçues : les personnes vivant avec un trouble psychiatrique sont avant tout victimes de violences bien plus qu’elles n’en sont les auteurs, précise le docteur Marion Leboyer. Cette stigmatisation de personnes malades est très dommageable en ce qu’elle entrave à bien des niveaux la qualité de leur prise en charge. »
L’incarnation de cette peur ? La schizophrénie, souvent associée à la rubrique des faits divers. En réalité, il s’agit surtout « d’un effet loupe », poursuit la spécialiste, et les patients dangereux pour la société sont une minorité. Un contexte anxiogène, comme une période d’attentat peut aggraver les troubles de personnes qui souffrent déjà de problèmes psychiatriques selon Santé Publique France.

LES TROUBLES PSYCHIQUES EN CHIFFRES
4,7 à 6,7 millions : c’est le nombre de personnes touchées par la dépression en France (7 à 10 % de la population). Les troubles bipolaires, 800 000 à 3,7 millions de personnes (1,2 à 5,5 %) la schizophrénie, environ 670 000 personnes (1 %) et les troubles du spectre de l’autisme, 1 % également.
15-25 ans : c’est en moyenne l’âge d’apparition de ces maladies.
10 à 20 ans : c’est la réduction de l’espérance de vie de ces patients, notamment du fait des suicides : 10 000 suicides par an et 220 000 tentatives par an.
300 000 : c’est le nombre de patients supplémentaires qui font l’objet d’un suivi régulier depuis le début 2010.
Chiffres du livre « Psychiatrie : l’état d’urgence », Marion Leboyer, Pierre-Michel Llorca, éd. Fayard.
 http://www.leparisien.fr/societe/sante/des-psychiatres-s-alarment-pourquoi-tant-de-fous-dans-nos-rues-16-01-2019-7989546.php

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«Parler seul dans la rue est le reflet d’une souffrance psychique réelle»
>Société>Santé|Elsa Mari| 16 janvier 2019 www.leparisien.fr*
Pour Antoine Pelissolo, chef de psychiatrie, « les malades psychiatriques ne sont pas suffisamment pris en charge ». LP/Agnès Vives

Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne), fait partie des signataires d’une lettre remise à la ministre de la Santé. Il pointe les problèmes des budgets consacrés à la psychiatrie dans les hôpitaux.

Antoine Pelissolo, chef du service de psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne) dénonce une prise en charge insuffisante des patients en psychiatrie. Et nous annonce en exclusivité qu’il a remis une lettre à la ministre de la Santé, signée par plus de 100 professionnels, sur le problème des budgets.

Le sentiment de voir de plus en plus de personnes atteintes de troubles psychiques dans les rues correspond-il à une réalité ?

ANTOINE PELISSOLO. Tout le monde peut le remarquer. Ce n’est un mystère pour personne. Il y a des lieux plus propices, comme le métro, où l’on croise beaucoup de gens qui semblent perdus sans savoir exactement si c’est la conséquence de troubles psychiques, de l’alcool ou de drogues. Certes, il n’existe pas de statistiques pour dire s’il y en a plus qu’avant, mais ce n’est pas normal d’en voir autant.

Mais n’est-ce pas mieux que de les enfermer ?

S’ils étaient bien pris en charge, oui, or ce n’est pas le cas. Parler seul dans la rue est le reflet d’une souffrance psychique réelle. Ce n’est pas bon signe. Cela signifie que cette personne n’est pas soignée correctement ou qu’elle ne l’est pas du tout. Avec des traitements, on n’est pas censé avoir ce genre d’hallucinations.

Comment expliquez-vous qu’ils soient livrés à eux-mêmes ?

Il y a une réalité, aujourd’hui en France, les malades psychiatriques ne sont pas suffisamment pris en charge. A l’hôpital ou en ville, la demande de consultations augmente car on identifie mieux certains troubles et des pathologies comme les dépressions et l’autisme sont aussi en hausse. Or, ces patients ne sont pas assez vite examinés à cause des délais d’attente. En trente ans, le nombre de lits dans les hôpitaux a aussi été divisé par deux alors que la population augmente. L’idée de départ, plutôt vertueuse, était de permettre à ces personnes d’avoir une vie normale, de les soigner en ambulatoire, c’est-à-dire qu’elles dorment chez elles le soir et consultent à l’hôpital en journée. Mais il n’y a pas eu assez de moyens pour compenser la fermeture des lits, trop importante pour faire des économies. Par exemple, rares sont les soignants qui se déplacent à domicile quand un malade est en crise, il n’y a pas assez d’assistance.

Votre hôpital est-il aussi concerné ?

Bien sûr, mon service est, comme les autres, en grande difficulté. On a 100 places d’hospitalisation pour, en moyenne, 110 patients. Résultat, on doit aménager des chambres à trois au lieu de deux, sans armoire, ni table de chevet. On a donc tendance à garder moins longtemps les malades qui auraient, pourtant, besoin de rester chez nous. Certains, toujours en crise, continuent d’errer dans les rues, et mêmes sur les routes, d’autres, des sans-abri, n’ont simplement pas de domicile. C’est inadmissible. Jamais vous ne verrez ça ailleurs, jamais on ne laisserait un patient, opéré à cœur ouvert, quitter l’hôpital le lendemain de son intervention.

Comptez-vous faire entendre votre détresse ?

On ne fait que ça. C’est un combat de tous les jours. J’ai envoyé une lettre à la ministre de la Santé, signée par plus de 100 psychiatres dont beaucoup de chefs de service. Dans ce courrier, on évoque le problème des budgets, censés être réservés à la psychiatrie, et utilisés souvent pour d’autres soins. On ne veut pas que cet argent serve à autre chose. Cela peut paraître étonnant, mais c’est trop souvent le cas. On veut que les agences régionales de santé vérifient ainsi les comptes des hôpitaux et leur demandent comment ils dépensent cette enveloppe. La ministre a annoncé une rallonge de 50 millions, c’est toujours ça mais cela reste insuffisant par rapport aux besoins. Aujourd’hui, beaucoup de soignants sont résignés. Les grèves, comme celle de la faim, les arrêts maladie se multiplient. Ils font tout ce qu’ils peuvent, mais la frustration est énorme : malgré leurs efforts dévoués, trop de malades restent mal soignés.

http://www.leparisien.fr/societe/sante/parler-seul-dans-la-rue-est-le-reflet-d-une-souffrance-psychique-reelle-16-01-2019-7989543.php 


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120 chefs de services et pôles alertent sur l'affectation des budgets psychiatrie à l'hôpital

Dans un courrier (reproduit ci-dessous) adressé à Agnès Buzyn, 120 psychiatres essentiellement chefs de pôles et de services, alertent sur un problème d'affectation effective des moyens dédiés à la psychiatrie dans les établissements généraux et universitaires et certains GHT.
Madame la Ministre,
Vous avez à plusieurs reprises souligné à quel point la psychiatrie est aujourd’hui une discipline en grande difficulté. Les enjeux pour la santé publique y sont pourtant majeurs : du
dépistage et de l’intervention précoce jusqu’à la réinsertion de personnes en situation de handicap psychique souvent lourd, en passant par les soins aigus et chroniques, la prévention du suicide et des troubles du comportement ou encore des addictions, et cela dans des populations très larges et très variées (jeunes, sujets âgés, santé au travail, milieu pénitentiaire, etc.). Toutes ces missions sont portées en très grande partie par la psychiatrie publique, au travers notamment des secteurs de santé mentale et des divers établissements hospitaliers du territoire. Mais cette discipline traverse aujourd’hui une crise que personne ne peut nier. Le risque, déjà très présent sur de nombreux sites, est de voir s’effondrer la qualité de l’offre de soin en santé mentale.
Vos récentes déclarations insistent surtout sur des problématiques d’organisation, et nous sommes bien sûr tous prêts à continuer à travailler collectivement à l’amélioration des dispositifs et des parcours de soins. Mais la question des moyens est elle aussi incontournable, notamment car les interventions en santé mentale sont avant tout des soins relationnels et humains sur lesquels des économies répétées ne sont pas réalisables.
Au-delà de la question complexe des modes de financement des soins psychiatriques dans leur ensemble, nous souhaitons attirer votre attention sur celle, plus circonscrite, des moyens attribués aux services de psychiatrie des établissements généraux et universitaires, et de certains GHT. L’affectation des Dotations Annuelles de Financement (DAF) s’y avère en effet, dans bien des cas, réellement problématique. Pour différentes raisons variables selon les sites, il est fréquent que la DAF prévue pour le fonctionnement des services de psychiatrie de ces établissements ne leur soit pas entièrement affectée, avec des conséquences très délétères pour l’offre de soins et les conditions de travail des personnels. Bien souvent, ces affectations se font sans transparence vis-àvis des responsables médicaux concernés, et cela malgré les rappels qui sont faits régulièrement sur ces irrégularités. Cette réalité fait par ailleurs obstacle à la bonne intégration des pôles de psychiatrie aux GHT généralistes.
Sans aborder donc ici la question du montant total des dotations, nous formulons la demande de dispositions réglementaires garantissant la mise en oeuvre complète des moyens DAF alloués sur tous les sites, et demandant aux établissements de rendre compte annuellement des dépenses effectuées pour les activités de psychiatrie.

Nous nous tenons à votre disposition pour tout échange à ce sujet, et vous remercions par avance de l’attention que vous pourrez porter à cette demande essentielle pour l’accès à des soins de qualité dans tous les territoires.
Nous vous prions de croire, Madame la Ministre, en l’expression de notre plus haute considération.
Correspondance : Pr Antoine PELISSOLO - Service de Psychiatrie, HU Henri-Mondor - 40 rue de Mesly 94000 CRETEIL
antoine.pelissolo@aphp.fr 01 49 81 31 75

https://www.santementale.fr/actualites/120-chefs-de-services-et-poles-alertent-sur-l-affectation-des-budgets-psychiatrie-a-l-hopital.html

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Les malades mentaux sont-ils vraiment livrés à eux-mêmes en France? La réponse du psychiatre de Sainte-Marie Jean-Yves Giordana
www.nicematin.com*

PAR Recueillis par Ra. Publié le 17/01/2019 à

Dans un article publié jeudi par Le Parisien et intitulé Des psychiatres s'alarment: pourquoi tant de malades mentaux livrés à eux-mêmes? Le manque de moyens et la dangerosité des malades psychiques en France sont pointés du doigt.

On a voulu savoir quelle était la réalité de la situation avec Jean-Yves Giordana, président de la Commission médicale d'établissement du centre hospitalier Sainte-Marie à Nice qui intervient ici au titre de Centre collaborateur pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS)

La psychiatrie manque-t-elle de moyens?

"Malgré la rallonge budgétaire de 50 millions d'euros accordée fin décembre par la ministre de la Santé, dans la pratique, la psychiatrie reste 'un parent pauvre de la médecine'.
Cependant, il existe une particularité française: la sectorisation des soins. Pour une aire géographique définie, il existe une équipe en charge de la santé mentale des citoyens avec une politique de redéploiement des moyens de l'intra hospitalier vers l'extra hospitalier. Par cette politique de secteur, les malades n’ont pas été délaissés.

En matière de nombre de psychiatres par habitants, la France se place dans les premier pays européens devant l'Allemagne, la Grande Bretagne ou la Belgique, avec 22,7 psychiatres pour 100.000 habitants.

Ainsi, plus qu’un manque de moyens, il existe un réel problème d’organisation et de répartition de ces moyens.

Une étude de l'OMS sur les recours à l'hospitalisation sans consentement (hospitalisation d’office) montre une variation de 1 à 10 selon les régions qui serait beaucoup plus liée à des aspects de cultures locales qu’à la gravité des troubles psychiques.

En PACA par exemple, le nombre d'hospitalisations sans consentement est important. Parallèlement, le nombre de sorties qui s'effectue après diverses étapes sont faibles, en raison d'une dimension sécuritaire notamment.

En France, plus de 80 % des personnes suivies en psychiatrie le sont en ville avec 2 millions de patients en ambulatoire et 415.000 hospitalisées."

Les patients sont-ils dangereux et violents?

"On assiste à une description caricaturale du malade psychique: le malade fait peur, donc on le met à l'écart de la société ou bien le malade est vulnérable et suscite de la compassion.
La violence et la dangerosité sont surévaluées. Aucune corrélation scientifique ne prouve le lien entre un diagnostic psychiatrique et un passage à l'acte violent. 'La violence n'est pas liée à la maladie, mais plutôt à des pathologies associées comme la prise d'alcool, de drogues...'

Cette stigmatisation généralisée a des conséquences très délétères pour les malades en terme d’accès à l’emploi, au logement, au réseau amical et social, voire même à l’accès aux soins.

Elle altère la qualité de vie des malades et compromet les possibilités de rétablissement."

https://www.nicematin.com/sante/les-malades-mentaux-sont-ils-vraiment-livres-a-eux-memes-en-france-la-reponse-du-psychiatre-de-sainte-marie-jean-yves-giordana-291723


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Troubles psychiques : le cri de détresse des mamans d’enfants malades
>Société>Santé|Elsa Mari| 16 janvier 2019 leparisien.fr
Bénédicte, dont le fils a été diagnostiqué schizophrène, dénonce la solitude dans laquelle elle se trouve face à la maladie de son fils. LP/Guillaume Georges

Les mères de patients atteints de troubles mentaux alertent sur l’absence ou la mauvaise prise en charge de leurs enfants.

Elles demandent juste à être des mamans. Pas des soignantes, encore moins les « otages » d’un système psychiatrique qui se fracasse. Et qui entraîne dans sa chute leurs fils et leurs familles. Au bout du fil, Carole, 57 ans, s’est isolée dans sa voiture pour se confier librement.

Dans un flot intarissable de détresse, cette héroïne du quotidien, mère d’Ivan*, 32 ans, schizophrène, fait le récit de « sa drôle de guerre », égrène les dates d’hospitalisation, raconte les ruptures de suivi, l’inégalité des soins. Toujours se battre, seule, lutter contre l’abandon. Quelle bataille. C’est à 16 ans que son fils, fumeur de cannabis, déstabilisé par des conflits familiaux, a commencé à « dévisser ». Dans le département des Hautes-Alpes, où habite sa mère, le Samu rappliquait à la moindre crise, l’hospitalisation, surtout d’un mineur, n’était pas un problème. Peu à peu, les voix qui torturaient l’adolescent se sont tues. Et il a pu reprendre le chemin de l’école.

Mais une fois majeur, lorsque le garçon décide de rejoindre son père, en Seine-et-Marne, tout vacille. Médicaments inadaptés dans un hôpital, absence de suivi à la sortie dans une autre clinique. Pourtant, dans cet établissement, Ivan, mieux soigné, avait découvert la menuiserie, s’était ouvert aux autres. « Il n’était plus délirant, isolé, je voyais revenir mon fils. » Aussi, près d’un mois et demi plus tard, les soignants ne voient pas de raison de le garder. Place aux cas les plus graves. Ivan peut sortir.

Et ensuite ? Ensuite rien. « Le centre médico-psychologique, censé assurer son suivi après l’hospitalisation, a estimé qu’il avait seulement besoin de consulter un psychiatre de ville une fois par mois ». Insuffisant, juge Carole affolée, son fils va replonger. Première crise, deuxième… retour inéluctable à l’hôpital. « S’il était mieux pris en charge, il n’y aurait pas toutes ces rechutes, poursuit d’une voix calme sa mère avant de hausser subitement le ton. Est-ce que c’est normal ? »

«On nous fait jouer un sale rôle, celui d’aidant»

Depuis la fin de l’été, Ivan a quitté sa chambre aux murs blancs. On lui a encore proposé la même solution, voir un psychiatre, de temps en temps. Alors Carole, qui a abandonné sa propre vie, s’agite, cherche des solutions : le mettre sous tutelle, monter un dossier pour une allocation handicapé. Elle pense à la suite : qui le soignera plus tard ? « On nous fait jouer un sale rôle, celui d’aidant, un mot à la mode. Je n’en veux pas, je leur rends ! Je veux des professionnels à la hauteur. Il y a des structures qui s’occupent des toxicomanes, des repris de justice, une fois sortis de prison. Et pour les malades ? Il n’y a rien derrière l’hospitalisation, ils sont seuls, et nous aussi. »

Cette solitude, Bénédicte, maman de Gaspard*, 26 ans, schizophrène, avec qui elle a collaboré à la création du Collectif Schizophrénies, l’affronte aussi tous les jours. Quand à 16 ans, le discours de son fils devient incohérent, elle compose le numéro du Samu. Qui ne vient jamais. « On me disait : il a été violent ? Non ? Alors on ne peut rien faire. » La prise en charge est retardée, le diagnostic aussi, huit ans pour Ivan, trois pour Gaspard. Et les soins inégaux… « Il existe de très bons services et d’autres catastrophiques où votre enfant s’abîme ».

Fin septembre, Bénédicte, 56 ans, rend visite à son fils, hospitalisé en Seine-Saint-Denis et le retrouve « bourré aux médicaments, au Valium et aux somnifères, qu’il n’avait jamais pris, les vêtements sales, l’air hagard ». La double peine.

Alors pour être mieux renseignées, mieux armées, Bénédicte et Carole ont suivi une formation de deux ans afin de comprendre la pathologie de leurs enfants. « Ça ne va plus, il faut repenser le système, ça n’est pas qu’une question d’argent, de 50 millions d’euros en plus ou non. La France doit améliorer la formation, il faut mettre, une bonne fois pour toutes, tous les acteurs autour de la table », s’exclame Bénédicte qui déplore aussi de voir tant de patients abandonnés errer dehors. « Beaucoup ont des troubles psychiques. » Carole est du même avis : « Aujourd’hui, soit vous avez une famille qui vous soutient, soit c’est la rue. »

*Les prénoms ont été changés

http://www.leparisien.fr/societe/sante/troubles-psychiques-le-cri-de-detresse-des-mamans-d-enfants-malades-16-01-2019-7989540.php

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Tribune Pour un renouveau des soins psychiques
— 17 janvier 2019 https://www.liberation.fr/*

Au-delà de la revalorisation des budgets, il est urgent de réhumaniser les lieux de soins de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie ou de développer des accompagnements alternatifs. Professionnels, associations de familles sont appelés à participer le 22 janvier à Paris, à la manifestation «Debout pour le Printemps de la psychiatrie».

Pour un renouveau des soins psychiques
Tribune. La psychiatrie et la pédopsychiatrie n’en peuvent plus. Depuis déjà plusieurs décennies, ceux qui les font vivre ne cessent de dénoncer leur désagrégation et de lutter contre le déclin dramatique des façons d’accueillir et de soigner les personnes qui vivent au cours de leur existence une précarité psychique douloureuse. En vain le plus souvent. Ce qui est en crise, c’est notre hospitalité, l’attention primordiale accordée à chacun et à un soin psychique cousu main, à rebours du traitement prêt-à-porter standardisé qui se veut toujours plus actuel. Les mouvements des hôpitaux du Rouvray, Le Havre, Amiens, Niort, Moisselles, Paris… ont su bousculer l’indifférence médiatique et rendre visible au plus grand nombre le chaos qui guette la psychiatrie. Pour percer le mur du silence, il n’aura fallu rien de moins qu’une grève de la faim…

Devant cette régression organisée, nous nous engageons tous ensemble à soigner les institutions psychiatriques et à lutter contre ce qui perturbe leur fonctionnement. Patients, soignants, parents, personnes concernées de près ou de loin par la psychiatrie et la pédopsychiatrie, tous citoyens, nous sommes révoltés par cette régression de la psychiatrie qui doit cesser. Il s’agit pour nous de refonder et construire une discipline qui associe soin et respect des libertés individuelles et collectives.

Contrairement à la tendance actuelle qui voudrait que la maladie mentale soit une maladie comme les autres, nous affirmons que la psychiatrie est une discipline qui n’est médicale qu’en partie. Elle peut et doit utiliser les ressources non seulement des sciences cognitives, mais également des sciences humaines, de la philosophie et de la psychanalyse, pour contribuer à un renouveau des soins axés sur la reconnaissance de la primauté du soin relationnel. Notre critique de ce qu’est devenue la psychiatrie ne peut faire l’impasse sur la responsabilité de ses gestionnaires.
Face à la négation du sujet

Les avancées de la recherche scientifique ne peuvent durablement être confisquées par des experts autoproclamés dont les liens avec l’industrie pharmaceutique sont parfois suspects. Les savoirs scientifiques ne doivent pas servir d’alibi à des choix politiques qui réduisent les sujets à un flux à réguler pour une meilleure rentabilité économique. Nous sommes face à une véritable négation du sujet et de sa singularité, au profit de méthodes éducatives, sécuritaires ou exclusivement symptomatiques. Les interdits de pensée sont devenus la règle d’une discipline où l’on débat de moins en moins. La psyché humaine est tellement complexe qu’elle n’obéit à aucune causalité, simple et univoque, et se moque des réductions idéologiques. Toute approche privilégiant une réponse unidimensionnelle est nécessairement à côté. Nous récusons, dès lors, toute politique d’homogénéisation des pratiques. Une politique qui détruit la cohérence des équipes et instrumentalise la parole des patients fige la capacité d’inventer à force d’injonctions paradoxales, dans la nasse de discours sans épaisseur et mortifères.

Aussi, si les budgets de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, sans cesse rognés depuis des années, doivent être largement revalorisés, comme l’exigent toutes les mobilisations actuelles, c’est l’appauvrissement des relations au sein des lieux de soins qui est notre souci premier. La standardisation des pratiques protocolisées déshumanise les sujets, patients et soignants. Le recours massif aux CDD courts, le tarissement organisé de la formation continue, l’inadéquation des formations initiales qui privilégient cours magistraux et visionnages de DVD sans interactions entre les étudiants et leur formateur, contribuent à la désagrégation des équipes au sein desquelles le turn-over est de plus en plus important. La continuité des soins et la cohésion des équipes en sont durablement compromises. Nous devons opposer à cet état de fait la spécificité de la maladie psychique, qui sous-tend la nécessité d’une approche singulière et d’un travail spécifique d’équipes pluridisciplinaires en institution psychiatrique ainsi que dans le médico-social, et la co-construction d’alliances thérapeutiques fécondes avec les personnes accueillies. C’est tout le monde de la psy et des psys, en institution ou pas, qui est concerné.
La contrainte ne doit plus être la norme

Nous voulons en finir avec l’augmentation continuelle du recours à l’isolement et à la contention, la contrainte doit cesser d’être la norme. Le droit des patients, hospitalisés ou non, est régulièrement ignoré, parfois volontairement bafoué. Cette violence institutionnelle, régulièrement dénoncée par la Cour européenne des droits de l’homme, touche en premier lieu les soignés, mais affecte aussi les soignants. La psychiatrie et le secteur médico-social doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes stables avec des personnels non interchangeables quel que soit leur statut. Ils doivent pouvoir bénéficier d’une assise solide qui autorise la parole et propose de véritables évolutions de carrière.

Au-delà du soin, nous voulons travailler à des accompagnements alternatifs, nouer des liens équilibrés avec les différentes associations qui œuvrent dans la cité. Nous voulons multiplier les lieux qui cultivent le sens de l’hospitalité avec un accueil digne et attentif aux singularités de chacun.

Nous nous engageons à participer, organiser, soutenir tout débat, toute action ou mouvement cohérent avec ce manifeste, avec tous les professionnels, leurs syndicats, les collectifs, les associations de familles et d’usagers, et l’ensemble des citoyens qui souhaiteraient soutenir et développer une psychiatrie émancipatrice du sujet.

Nous appelons à participer à la manifestation nationale du 22 janvier à Paris. Debout pour le printemps de la psychiatrie !Les premiers signataires : Alain Abrieu, psychiatre de secteur, AMPI, Marseille ; Isabelle Basset, psychologue clinicienne, CHPP, Amiens ; Mathieu Bellahsen, psychiatre, chef de pôle, EPS de Moisselles ; Dominique Besnard, militant des Cemea et membre des 39 ; Philippe Bichon, psychiatre, clinique de La Borde ; Pascal Boissel, psychiatre, président de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Cécile Bourdais, enseignante-chercheure en psychologie, collectif des 39 et Psy soin accueil ; Fethi Brétel, psychiatre, Rouen ; Alain Chabert, psychiatre, USP ; Patrick Chemla, psychiatre chef de pôle Reims, psychanalyste, anime le centre Artaud et l’association la Criée ; Jérôme Costes, infirmier en psychiatrie ; Dominique Damour, collectif des 39 ; Pierre Delion, professeur de psychiatrie ; Sandrine Deloche, psychiatre des hôpitaux, Paris ; Yves de l’Espinay, cadre infirmier formateur ; Parviz Denis, psychiatre, praticien hospitalier, membre de l’ADA ; Patrick Estrade, infirmier de secteur psychiatrique ; Fanny Rebuffat, interne en psychiatrie, Reims ; Dominique Friard, infirmier de secteur psychiatrique, superviseur d’équipes, rédacteur en chef adjoint de Santé Mentale ; Philippe Gasser, vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie, Uzès ; Yves Gigou, collectif des 39, Cemea ; Delphine Glachant, psychiatre des hôpitaux, Union syndicale de la psychiatrie, Les Murets ; Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à Aix-Marseille université, président de l’Appel des appels ; Liliane Irzenski, pédopsychiatre, psychanalyste, collectif des 39 ; Serge Klopp, PCF, collectif des 39 ; Emmanuel Kosadinos, psychiatre des hôpitaux, EPS de Ville-Evrard ; Nicolas Laadj, SUD Santé Sociaux ; Marie Leyreloup, présidente Serpsy ; Sophie Mappa, psychanalyste ; Jean-Pierre Martin, Ensemble ! ; Simone Molina, Le Point de Capiton ; Pierre Paresys, psychiatre de secteur, vice-président de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Martin Pavelka, pédopsychiatre, association des psychiatres du secteur infanto-juvénile ; Virginie Perilhou, infirmière en psychiatrie ; Laurence Renaud, «personne avec expérience psychiatrique», Réseau Européen pour une Santé Mentale Démocratique ; Pascale Rosenberg, USP, psychiatre, directrice du Cmpp Henri Wallon à Sainte-Geneviève-des-Bois ; Dominique Terres, psychiatre, psychanalyste, membre de l’ADA.
Liste des groupes et syndicats soutenant l’initiative : Appel des appels (ADA) ; association des psychiatres de secteur infanto-juvénile ; association méditerranéenne de psychothérapie institutionnelle ; Cémea ; collectif des 39 ; La Criée ; Humapsy ; Pinel en lutte ; le Point de Capiton ; les Psy causent ; Psy soins accueil ; réseau européen pour une santé mentale démocratique ; Serpsy ; fédération Sud Santé Sociaux ; union syndicale de la psychiatrie (USP).

https://www.liberation.fr/debats/2019/01/17/pour-un-renouveau-des-soins-psychiques_1703642


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Lits supprimés, budgets mal distribués, manque de lieux spécialisés : les "gigantesques déficits" de la France en psychiatrie
© JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Plus de 100 psychiatres ont remis une lettre à Agnès Buzyn pour alerter sur l'insuffisance de la prise en charge des personnes atteintes de maladies mentales. Sur Europe 1, deux d'entre eux dressent un état des lieux inquiétant.

LE TOUR DE LA QUESTIONC'est un profond "désarroi" qui habite depuis déjà trop longtemps les équipes de psychiatrie et les familles de malades. À causes de problématiques budgétaires, la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux est insuffisante. Cette situation est aujourd'hui dénoncée par une centaine de psychiatres, cosignataires d'une lettre adressée à la ministre de la Santé Agnès Buzyn.
Des lits en moins, une demande en hausse. Chez Wendy Bouchard sur Europe 1 jeudi, Pierre-Michel Llorca, chef du service psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand, dresse un constat inquiétant. "Du début des années 1990 à 2011, 55.000 lits d'hospitalisations ont été supprimés, et on compte 15.000 places d'ambulatoire en moins. On voit bien que le compte n'y est pas", déplore le médecin.
Pourtant, selon plusieurs études dont celle de la Fondation Pierre Deniker, un Français sur cinq souffre de troubles mentaux, de dépressions, de troubles bipolaires, d'autisme ou de schizophrénie. Et la demande de prise en charge psychiatrique ne cesse d'augmenter. "Désormais, on s'occupe des enfants, des femmes enceintes… Maintenant, on fait attention à tout ça, on parle plus de ces choses-là", observe Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrique de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil, qui a remis la lettre à Agnès Buzyn mercredi.
Pour le psychiatre, une solution à ce manque de lits pourrait être le développement des prises en charge "à domicile" de certains malades. "Il faut que le nombre total de lits supprimés soit redéployé vers l'extérieur", insiste-t-il.
"Un déficit gigantesque de lieux de vie spécialisés". Selon le docteur Pelissolo, les dysfonctionnements sont présents à chaque étape du processus de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Il illustre : "Certaines personnes ne sont pas autonomes malgré les traitements que l'on peut mettre en place. Elles ne peuvent pas vivre seules et n'ont plus leurs familles présentes. Pour ces personnes, on cherche des lieux de vie adaptés, spécialisés. Malheureusement, là aussi, il y a un déficit gigantesque en France. Les places qu'on a fermées dans les hôpitaux, on ne les a pas créées ailleurs. Trouver des places à ces personnes dans ces foyers peut prendre des années."
Résultat, ces personnes, bien que stabilisées mentalement, restent à l'hôpital dans l'attente d'un nouveau lieu de vie. "Pendant ce temps, les lits ne sont pas accessibles aux personnes en crise", se désole le psychiatre.
Un budget qui ne sert pas toujours au service. Plus surprenant peut-être : les moyens financiers normalement alloués aux services hospitaliers de psychiatrie ne leur servent pas toujours. "Le système français fait que la psychiatrie est financée par une enveloppe globale. Le problème c'est qu'elle est donnée de manière inconditionnelle aux hôpitaux, qui ont tendance à l'utiliser pour d'autres besoins considérés comme plus urgents, ou pour combler des déficits malheureusement", explique Antoine Pelissolo sur Europe 1.
Dès lors, ce sont des postes en moins pour aider les malades, et une charge de travail qui augmente au point de devenir invivable pour les soignants. "Ça fait quelques années qu'il y a en permanence des services en grève, c'est quand même étonnant. Les malades sont soignés et les soignants font leur travail, mais ils sont tellement découragés qu'ils disent : 'on n'en peut plus'", rapporte le psychiatre, qui formule cette demande "assez pratique" et que l'on peut "résoudre facilement" : "Que les moyens qui sont théoriquement affectés à la psychiatrie… soient bien affectés à la psychiatrie."
Une journée d'action nationale est annoncée pour mardi prochain à l'appel de plusieurs collectifs.
 https://www.europe1.fr/sante/lits-supprimes-budgets-mal-distribues-manque-de-lieux-specialises-les-gigantesques-deficits-de-la-france-en-psychiatrie-3840308