Le suicide est contagieux. Mais l'entraide et l'accès aux soins le sont
aussi. Forts de ce constat, des médecins ont lancé il y a quatre ans un
programme de formation destiné aux journalistes, aux enseignants ou aux
gendarmes. Nom de code : Papageno, en référence au personnage de
l'opéra de Mozart, La Flûte enchantée, dans lequel celui-ci est dissuadé de se donner la mort après qu’on lui ait rappelé les alternatives au suicide. «
Ce programme voudrait contribuer à améliorer le traitement médiatique
du suicide, en diffusant des solutions innovantes pour tous ceux qui
souhaitent s'engager dans la prévention de la contagion suicidaire »,
explique le psychiatre Charles-Edouard Notredame, de la Fédération
régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale des
Hauts-de-France (F2RSM Psy). Basée à Lille, cette organisation
intervient dans la plupart des écoles de journalisme de France.
Selon l'Observatoire national du suicide, près de 9000
personnes passent à l'acte chaque année, en France métropolitaine. Soit
près de 24 décès par jour (1 suicide toutes les heures). Le bilan
devance de loin celui de la mortalité routière qui tourne autour de 3000
victimes. Mais l’ampleur de la problématique suicidaire ne se limite
pas aux décès. Chaque année, on dénombre près de 200.000 tentatives de
suicide. Quant aux idées suicidaires, c’est plus d’une personne sur 25
qui est ou sera concernée au cours de sa vie.
« Le traitement médiatique du suicide est loin d’être aisé et les journalistes se disent souvent démunis quant à la façon de l’appréhender », constate Charles-Edouard Notredame. «
L’actualité en matière de recherche scientifique met en évidence que,
dans certaines circonstances, les mots pour décrire le suicide peuvent
s’avérer délétères. » Comment expliquer cet impact ? Quelles précautions prendre ? «
Sans entraver l’indépendance des journalistes, nous voulons mettre à
leur disposition des ressources pouvant les aider à limiter au maximum
le risque d’incitation suicidaire », affirme le psychiatre. «
Il est de plus en plus admis que les médias jouent un rôle important, en
renforçant ou en affaiblissant les efforts de prévention du suicide. La
couverture médiatique d’un suicide est susceptible d’inciter certaines
personnes vulnérables à passer à l’acte par imitation. » C’est ce qu’on appelle l’« effet Werther ».
À sa publication en 1774, le roman Les souffrances du jeune Werther
connait un succès considérable en Allemagne. Goethe y dépeint les
déconvenues d’un jeune amoureux, Werther, éconduit par son amante, la
belle Charlotte. Le roman s’achève sur le suicide du personnage
principal : Werther, désespéré de l’impasse dans laquelle l’a conduit
son amour, met fin à ses jours d’une balle dans la tête. Suite à cette
publication, l’Allemagne connaît une vague de suicides par arme à feu
chez les jeunes hommes. Le roman est alors tenu pour responsable de ce
qui est considéré comme la conséquence d’une identification à son héros
et de l’imitation de son geste.Deux cents ans plus tard, le sociologue américain David Phillips a constaté une augmentation significative du taux de suicide chaque fois qu’un fait divers traitant de ce même sujet faisait les gros titres du New-York Times. S’inspirant du roman de Goethe, c’est lui qui a introduit la notion d’« effet Werther » pour théoriser ses constatations : la couverture médiatique d’un fait suicidaire pourrait être responsable d’un phénomène de « suggestion » chez les personnes déjà vulnérables. Depuis, cette hypothèse a été largement étayée. « Mais, à l’inverse, le traitement médiatique peut s’avérer vertueux et jouer un rôle protecteur », affirme Charles-Edouard Notredame. « Dans la presse locale, des articles mettant l’accent sur la façon dont les individus peuvent faire face à une crise suicidaire ont contribué à diminuer les taux de suicide dans la zone concernée. »
Ce n’est donc pas le fait de parler des affaires de suicide qui pose problème, mais bien la manière d’en parler. Parmi les conseils délivrés aux étudiants des écoles de journalisme, les psychiatres préconisent d’éviter le sensationnalisme, de ne pas romantiser ni banaliser. Ils suggèrent aussi d’éviter de trop détailler les moyens utilisés ou d’indiquer l’endroit précis du drame. « La médiatisation récurrente de suicides sur un même lieu est susceptible de forger une réputation de site emblématique », commente Charles-Edouard Notredame. « Une prudence est particulièrement requise lorsqu’un suicide ou une tentative de suicide se déroule au sein d’un établissement d’enseignement ou d’une institution spécifique telle que les prisons qui accueillent des personnes particulièrement vulnérables. »
Si les médias jouent parfois un rôle néfaste, ils peuvent aussi enclencher un cercle vertueux en donnant aux personnes concernées (celles qui sont en mal-être, mais aussi leur entourage), les moyens de dépasser leurs épreuves. « Chaque article traitant d'un suicide devrait se conclure par une indication sur les ressources pour trouver de l'aide. Il suffit parfois d'un simple numéro de téléphone », précise le psychiatre qui intervient souvent au sein des rédactions. « Le journal régional La Voix du Nord est le premier a nous avoir ouvert ses portes. Le rédacteur en chef nous a permis d'intervenir auprès de ses équipes et notre contact figure dans le répertoire des journalistes. Ils peuvent nous appeler dès qu'ils ont un sujet sur le suicide à traiter. » Une manière d'appliquer le principe de responsabilité qui, pour les journalistes, devrait toujours rimer avec celui de liberté.
> Pour en savoir plus :
Fédération régionale de recherche en psychiatrie et santé mentale,3 rue Malpart, 59000 Lille
Tél : 03 20 44 10 34
Mail : papageno@f2rsmpsy.fr
Site : https://www.f2rsmpsy.fr/
www.papageno-suicide.com
Facebook : https://www.facebook.com/PapagenoSuicide
Si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour l'un de vos proches, parlez-en à votre médecin généraliste.
En cas d'urgence, contactez le 15.
> Retrouvez Charles-Edouard
Notredame, de la Fédération régionale de recherche en psychiatrie et
santé mentale des Hauts-de-France, dans l'émission Carnets de campagne diffusée jeudi 24 janvier à 12h30 sur France Inter, animée par Philippe Bertrand.En cas d'urgence, contactez le 15.
http://www.lavie.fr/solidarite/carnets-citoyens/a-lille-former-les-journalistes-pour-prevenir-les-epidemies-de-suicides-23-01-2019-95862_459.php