vendredi 25 janvier 2019

ETUDE RECHERCHE Lucile Capuron récompensée par le prix Marcel-Dassault 2018 pour la recherche sur les maladies mentales

Lucile Capuron, la chercheuse qui révolutionne le traitement de la dépression
Dalila Kerchouche | Le 20 janvier 2019 madame.lefigaro.fr*


Mondialement reconnue, cette scientifique française travaille à mieux détecter et soigner les troubles de l’humeur. Lucile Capuron devient la première femme récompensée par le prix Marcel-Dassault 2018 pour la recherche sur les maladies mentales. Rencontre avec la lauréate.
 
Elle a des yeux vifs, mobiles et perçants, un léger accent du Sud-Ouest et une droiture interne qui en impose. Directrice de recherche à l’INRA, à Bordeaux, la Dr Lucile Capuron étudie depuis vingt ans les mécanismes de la dépression, la maladie psychiatrique la plus fréquente - qui touche ou touchera un Français sur cinq au cours de sa vie.
Améliorer le diagnostic et redonner espoir

Ses recherches ont mis en évidence les liens, insoupçonnés jusqu’alors, entre la dépression et la présence d’une inflammation dans le corps, détectable par une simple prise de sang. «Nos travaux montrent que la prise d’agents inflammatoires de type interféron, utilisés pour traiter certains cancers et hépatites, provoque un épisode dépressif chez 50 % des patients, explique-t-elle. Notre objectif est de mieux diagnostiquer la dépression, de comprendre la résistance aux traitements et d’améliorer les thérapies. C’est une étape majeure dans l’ère de la médecine de précision en psychiatrie.»

  Lauréate du prix Marcel-Dassault 2018 pour la recherche sur les maladies mentales, attribué par le comité scientifique de la Fondation FondaMental avec un jury international, Lucile Capuron redonne espoir aux patients souffrant de dépression. Pour la Pr Marion Leboyer (1), directrice de la Fondation FondaMental, «ce prix récompense le parcours atypique de Lucile Capuron, qui travaille à la croisée de deux mondes, celui de la psychologie et celui de l’immunologie. Elle a commencé la recherche en immuno-psychiatrie en France. Nous sommes à l’aube de découvertes, absolument majeures, qui peuvent changer la vie des patients.»
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Symptômes dépressifs
Les chiffres-clés


- La dépression touche 300 millions de personnes dans le monde, avec une augmentation de 18 % entre 2005 et 2015.
- Il y aurait 3 millions de patients dépressifs en France, pays champion de la consommation d’antidépresseurs.
- Les troubles graves de l’humeur touchent davantage les femmes : environ deux fois plus de femmes sont diagnostiquées comme souffrant de dépression.
- Dans 15 % à 30 % des cas, les traitements sont inefficaces et s’accompagnent de rechutes.
- Entre 5 % et 20 % des personnes déprimées se suicident.

La science, Lucile Capuron est tombée dedans toute petite. Née à Bordeaux, elle a grandi dans l’univers des laboratoires de l’Inserm. «Ma mère travaillait dans l’administration de la recherche, raconte-t-elle. Petite fille, je déambulais entre les chercheurs en blouse blanche, les éprouvettes et les souris de laboratoire. J’en rapportais parfois à la maison.»

Élève studieuse, elle s’imagine d’abord médecin. Mais au lycée, elle se passionne pour les maths et la philo, se postant déjà entre les sciences dures et les sciences humaines. Fascinée par le comportement et les relations humaines, le bac en poche, elle s’oriente vers la psychologie. «En troisième année, j’ai adoré les cours de neurosciences sur le fonctionnement du cerveau et des affects. J’ai alors effectué un stage au Laboratoire de neurobiologie intégrative, à Bordeaux. J’étais la seule psychologue dans cet univers scientifique, la seule à travailler sur l’humain.» Ce choix iconoclaste n’est pas toujours bien perçu : «Pour les psychologues classiques, j’étais dans une approche trop scientifique et trop novatrice.»

À 23 ans, elle commence sa thèse en psychologie de la santé. «J’étudiais les effets des immunothérapies inflammatoires sur l’humeur et le comportement de patients souffrant de cancer ou d’hépatite C.» Ses patients, elle les rencontre à l’Institut Bergonié, un centre de lutte contre le cancer à Bordeaux. «Pendant trois ans, j’ai suivi des patients atteints de mélanomes malins ou de cancer du rein métastatique en phase avancée. Je passais des heures dans leur chambre à essayer de comprendre leur état émotionnel. Ils se confiaient à moi, ils me parlaient de leur peur de mourir. Certains avaient mon âge, beaucoup sont décédés.

Cette expérience de psychologue clinicienne et de chercheuse fut très forte. Elle m’a fait perdre un peu d’insouciance et grandir très vite.» Cette étude renforce aussi en elle le désir de mieux comprendre les mécanismes de la dépression. «Dès qu’ils prenaient leur traitement inflammatoire de type interféron, très souvent, en plus de leur cancer, au bout d’une à trois semaines, ils développaient des symptômes dépressifs. Fatigue, anorexie, troubles du sommeil, ralentissement, tristesse, sentiment de culpabilité, pensées suicidaires, perte du goût de vivre... À tel point que les médecins n’avaient souvent pas d’autre choix thérapeutique que d’arrêter le traitement. C’était délétère.»
Une équipe très féminine

Pour trouver une solution, elle décide de poursuivre ses recherches en intégrant un département en psychiatrie. À 26 ans, elle postule pour un postdoctorat à l’université de médecine Emory, à Atlanta, aux États-Unis, mondialement reconnue dans l’étude de la dépression. Partie pour deux ans, elle y reste finalement six ans comme professeur assistante. De retour en France, elle intègre l’INRA à la fin 2005 pour développer ses recherches. Elle y dirige aujourd’hui une équipe d’une vingtaine de personnes au sein du laboratoire de nutrition et neurobiologie intégrée. «Le milieu scientifique reste toujours très masculin», constate-t-elle. Un signe de plus : c’est la première fois que le prix Marcel-Dassault, dans sa version actuelle, est remis à une femme.

(1) Coauteur avec Pierre-Michel Llorca, de Psychiatrie : l’état d’urgence (Éditions Fayard), 24 euros.

http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/lucile-capuron-la-chercheuse-qui-revolutionne-le-traitement-contre-la-depression-200119-163117