mardi 11 juin 2019

ACTU DEBAT Premiers pas fragiles du service sanitaire

Santé publique
Premiers pas fragiles du service sanitaire
Par Delphine Chayet
Mis à jour le 09/06/2019 http://sante.lefigaro.fr*

Envoyer des étudiants en santé faire de la prévention à l’école est une belle idée, qui doit s’accompagner d’une solide formation.

Officiellement créé en juin 2018 pour une entrée en vigueur dès la rentrée suivante, le service sanitaire s’est d’emblée présenté comme un défi. Séduisante, l’idée d’enrôler tous les étudiants en santé (ils sont 47.000) dans des actions de prévention au sein d’établissements scolaires ou de maisons de retraite n’a pas été simple à mettre en place. Un an après, elle se traduit par des résultats mitigés. «Confier la promotion de comportements favorables à la santé à des stagiaires suppose de les former solidement et de les accompagner sur le terrain, souligne Christine Ferron, de la Fédération nationale d’éducation et de promotion à la santé. Cela ne peut se faire à moyens financiers constants.»

À Grenoble, 400 futurs pharmaciens, médecins, kinésithérapeutes et sages-femmes ont été formés à «Un­plugged», un protocole de prévention des addictions validé scientifiquement

Dans les faits, une grande diversité de programmes - allant de la prévention du tabagisme et des conduites addictives à l’éducation sexuelle ou à la promotion de l’activité physique - a été mise en place, selon des modalités très variées. À Grenoble, 400 futurs pharmaciens, médecins, kinésithérapeutes et sages-femmes ont été formés à «Unplugged», un protocole de prévention des addictions validé scientifiquement. Ils ont reçu 20 heures d’enseignement théorique sur l’éducation à la santé, l’hygiène de vie, les addictions, la santé psychique ou la vaccination. Puis ils ont appris, par petits groupes, à porter un message de prévention. Ils ont ensuite passé 8 heures en moyenne face aux élèves dans les classes.

«Tous les collèges nous ont demandé de travailler sur l’addiction aux écrans», témoigne Patrice François, de l’université Grenoble-Alpes. À Lille, un programme de prévention du suicide a permis de repérer plusieurs jeunes en difficultés psychiques (lire ci-dessous). À Paris, une vingtaine d’étudiants en médecine et en soins infirmiers ont fait leurs premiers pas dans la prévention avec la Ligue contre le cancer, qui leur a appris à vulgariser des connaissances scientifiques et pratiquer «l’écoute active», puis les a emmenés dans ses actions de sensibilisation.
Attention aux effets contre-productifs!

En début d’année, la plupart des étudiants avaient exprimé leur réticence, ou même leur crainte, face à cette nouvelle responsabilité. A posteriori, l’expérience leur semble très positive. «Le sujet de la prévention est peu abordé pendant le cursus, alors que c’est fondamental, remarque une étudiante en soins infirmiers. En plus, c’était intéressant et très concret.» «Cela aura un impact sur la place que va prendre la prévention dans leur pratique professionnelle», prédit Charlotte Kanski, à la Ligue contre le cancer, heureuse d’avoir bénéficié d’un renfort en bras. Mais les résultats de ces opérations de prévention demandent à être évalués sérieusement. Car si la prévention par les pairs est un atout, des études scientifiques ont montré qu’une intervention mal conduite peut être au mieux inefficace, au pire avoir des effets contre-productifs en favorisant l’entrée dans la consommation. «Il ne faut pas croire que les bonnes intentions suffisent, souligne Enguerrand du Roscoät, responsable de l’unité santé mentale de Santé publique France. Dans une classe, il y a des enfants très différents, avec des dynamiques de groupe, des leaders, que l’animateur doit être en mesure de gérer.»

Or les premiers résultats d’une étude menée à Bordeaux pour évaluer la qualité des interventions dans le département ne sont guère rassurants: actions ponctuelles (parfois deux heures seulement), basées sur des connaissances et non du savoir-faire, à partir de données piochées sur Internet auprès de sources non fiables, manque d’encadrement… Tout le contraire des bonnes pratiques promues par Santé publique France. À ce jour, le ministère de la Santé n’a aucune idée du nombre d’étudiants engagés dans le service sanitaire. Mis en place en quelques semaines à partir d’une feuille blanche, le programme devra à l’avenir sortir du système D pour répondre durablement aux immenses besoins de prévention.

À Lille, d’infinies précautions pour la prévention du suicide

«L’obsession de l’innocuité» a guidé l’équipe du CHU de Lille lors du lancement d’un service sanitaire sur la prévention du suicide. «On sait que le simple fait d’aborder ce sujet peut susciter des effets de contagion entre jeunes», souligne le Dr Charles-Édouard Notredame, psychiatre. D’infinies précautions ont donc été de mise auprès des 50 étudiants en médecine, kiné, pharmacie et dentaire, formés en septembre au programme créé par le pôle psychiatrie de l’hôpital et la faculté de médecine de Lille. Les premières interventions ont eu lieu en décembre en collèges et lycées. «Elles consistent en une discussion avec les élèves, nourrie par la diffusion de petits films et de photomontages sur le harcèlement, les réseaux sociaux, les rumeurs …», précise le psychiatre. L’objectif est de faire passer quatre messages clés sur les comportements à adopter (repérer un camarade à risque, aller vers lui malgré les pressions des pairs, ouvrir le dialogue et l’aider à en parler). Mais les étudiants en santé sont aussi visés par la démarche. Selon le Dr Notredame, «des études montrent qu’ils sont plus à risque de suicide que la population générale du même âge». Quatre étudiants en difficulté psychique ainsi que des collégiens et des lycéens ont ainsi été orientés vers les soins en cours de programme. Les psychiatres ont appris plus tard que plusieurs élèves s’étaient aussi tournés vers un enseignant pour demander de l’aide après l’intervention en classe.

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