vendredi 28 juin 2019

AUTOUR DE LA QUESTION DEBATS REFLEXIONS Lutter contre les inégalités, un remède (inattendu) contre la maladie mentale

Lutter contre les inégalités, un remède (inattendu) contre la maladie mentale
Agir contre l'injustice sociale, un appui utile pour la médecine.
Repéré par Robin Lemoine sur The Guardian
26/06/2019 sur https://korii.slate.fr*
 
Selon le dernier Rapport sur les inégalités, coécrit par plusieurs économistes – Facundo Alvaredo, Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman–, les inégalités de revenu, de patrimoine et de capital augmentent depuis 1980 dans la quasi-totalité des pays du monde.

Les chercheurs expliquent: «L’inégalité économique est un phénomène complexe et multidimensionnel, et dans une certaine mesure inévitable. Néanmoins, nous avons la conviction que si l’aggravation des inégalités ne fait pas l’objet d’un suivi et de remèdes efficaces, elle pourrait conduire à toutes sortes de catastrophes politiques, économiques et sociales.»

Ce ne serait pas le seul problème: elles pourraient avoir aussi un impact psychologique. Une récente étude, remise à l'Organisation des Nations Unies (Onu), démontre que les inégalités, les politiques d'austérité comme l'insécurité de l'emploi ont un effet très négatif sur la santé mentale des populations.

Les inégalités augmentent

Les dernières statistiques de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), montrent que 971 millions de personnes souffrent de troubles mentaux dans le monde. L'OMS constate également que les troubles liés à la dépression et à l'anxiété ont augmenté de plus de 40% au cours des trente dernières années.

Le Dr Dainius Püras, rapporteur spécial de l'Onu sur la santé à Genève, souligne que, depuis la crise de 2008, les politiques d'austérité visant à réduire la dépense publique ont accentué les inégalités et les situations d'isolement, des phénomènes néfastes à l'équilibre mental: «Les gens ne se sentent plus en sécurité, ils sont anxieux. De nombreux facteurs dégradant la santé mentale sont étroitement liés aux inégalités entre différents modes de vie. Estimer que la vie est quelque chose d'injuste influe par ailleurs sur ces facteurs», explique-t-il au Guardian.

Remède savant versus politique

Comment soigner ces gens? Faut-il leur administrer des médicaments ou améliorer leurs conditions de vie via des politiques publiques? Les spécialistes sont divisés. Certain·es considèrent la maladie mentale comme un dysfonctionnement essentiellement biologique ou neurologique, auquel seule la médecine peut remédier; d'autres pensent que ces maladies seraient d'ordre psychologique et liées à des facteurs sociaux, politiques, économiques.

Dainius Püras estime que des mesures réduisant les inégalités et les discriminations seraient beaucoup plus efficaces pour lutter contre les maladies mentales: «Ce serait le meilleur vaccin contre les maladies mentales, bien plus efficace que les prescriptions de psychotropes actuelles.»

https://korii.slate.fr/et-caetera/lutter-inegalites-ameliorer-sante-mentale 


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 ÉCHOS AUX RÉFLEXIONS ET DÉBATS :

Quel est le vrai impact d’une crise économique sur la santé ?
Vincent Olivier, publié le


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Je ne vous apprendrai rien en affirmant que la crise économique a des effets sur la santé publique, en particulier chez les citoyens les plus fragiles (chômeurs, personnes âgées etc.). Mais quels effets précisément ? Et avec quelles conséquences ? Curieusement, les économistes ne se sont pas beaucoup penchés sur le sujet, et quand ils l’ont fait, c’était pour en tirer des conclusions générales et pour tout dire pas vraiment ébouriffantes.
Récemment, je suis tombé sur une étude passionnante d’un chercheur en sciences sociales – pas en économie (ceci explique peut-être cela). Cet homme s’appelle David Stuckler, il enseigne à l’Université de Bocconi, en Italie et il s’est penché sur deux exemples antagonistes, la Grèce et l’Islande. Sa conclusion est étonnante : en matière de santé, les conséquences d‘une récession économique dépendent certes de l’ampleur de la crise elle-même – on s’en doutait un peu – mais elles dépendent encore plus de l’attitude des gouvernements.
Démonstration. En 2010, trois organismes internationaux (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, le FMI) prescrivent à la Grèce un plan d’austérité particulièrement sévère. Parmi les mesures mises en œuvre, une réduction de 40% de l’ensemble des dépenses de santé, imposée sans discernement ni délai. Les programmes nationaux de lutte contre le VIH (distribution gratuite de seringues et de préservatifs notamment) sont brutalement interrompus. Les municipalités coupent leurs budgets d’environnement (assèchement des zones humides), les régions n’assurent plus de suivi post-natal. Bref, tout ce qui ressemble de près ou de loin à une politique de prévention n’est plus financé.
Les conséquences ne se font pas attendre. Pour la première fois depuis quarante ans, le paludisme ressurgit dans les campagnes et certaines grandes villes. En trois ans à peine, la mortalité infantile augmente de 40%, et celle des décès par suicide de 45%. Par ailleurs, le taux de dépression majeure dans la population est multiplié par 2, et celui des nouvelles contaminations par le VIH est multiplié par 30.
A la même époque, un autre pays traverse une récession économique sans précédent, l’Islande. Dans cette ile, les banques privées, impactées par la crise des subprimes aux Etats-Unis, subissent des pertes énormes et l’économie nationale s’effondre. Le FMI exige alors de l’Etat qu’il assume la responsabilité de ces pertes et qu’il les compense en reversant la moitié du revenu national ! Par ailleurs, le FMI impose une politique d’austérité draconienne dont les conséquences sont lourdes pour la population : chute vertigineuse de la valeur de la couronne nationale, flambée des prix des importations, forte réduction des revenus.
Et pourtant, cette crise économique n’a eu que très peu d’impact sur la santé des habitants. Pourquoi ? Parce que l’Etat islandais a fait exactement l’inverse du gouvernement grec. Il a multiplié par trois le budget de la santé ; il a investi dans la protection sociale ; il a encouragé la création d’emplois, en particulier dans les métiers d’aide à la personne. Enfin, les Islandais se sont unis autour de leur Président qui s’était opposé publiquement aux dictats du FMI.
Autre effet, beaucoup plus inattendu celui-là : la santé des citoyens s’est globalement améliorée. En effet, durant cette crise, McDonald’s a fermé ses établissements à cause de la hausse du coût des importations d’oignons et de tomates (les ingrédients les plus chers de ses hamburgers !). Conséquence, les Islandais ont revu leur régime alimentaire et mangé davantage à la maison, du poisson notamment – ce qui a eu pour autre résultat positif de relancer les revenus de la flotte du pays.
En définitive, les effets sur la santé se sont résumés à une augmentation des urgences cardiaques – pendant une semaine, pas plus. Les suicides n’ont pas augmenté, la mortalité non plus, l’accès aux soins n’a pas connu de réductions particulières et le système de soutien familial local a permis de limiter l’impact de la baisse globale des revenus.
Seul symptôme préoccupant : en trois ans, le nombre de patients asthmatiques a connu une hausse sensible. Des chercheurs se sont penchés sur le phénomène et ils ont fini par trouver la bonne explication : c’était la faute… à l’éruption du volcan Eyjafjallajokull en 2010 !

https://blogs.lexpress.fr/le-boulot-recto-verso/2019/06/27/quel-est-le-vrai-impact-dune-crise-economique-sur-la-sante/