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La Sécu is watching you
Quand la Sécu fournit aux entreprises les motifs d'arrêt maladie de leurs salariés
Par Étienne Girard
Publié le 25/01/2018 https://www.marianne.net*
La Sécu dévoile qu'elle teste actuellement une nouvelle pratique : divulguer à certaines entreprises les motifs d'arrêts de travail pour maladie de leurs salariés. Et elle affiche de nobles raisons pour cela…
Y aurait-il des pompiers pyromanes à la Sécu ? Dans une interview accordée à L’Express ce mercredi 24 janvier, un dirigeant de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) explique que celle-ci expérimente actuellement une nouveauté : la fourniture aux entreprises (cinq pour le moment, signale la Cnam dans un communiqué de presse)… des motifs d'arrêts de travail de ses salariés. Et ce cadre n’est pas n’importe qui : il s’agit du chef du département des « services aux assurés », Laurent Bailly. Dont la fonction est donc d'agir dans l’intérêt des usagers.
Cette troublante initiative part d’une bonne intention, argue Laurent Bailly : il s’agit de « challenger » les entreprises, comprendre les piquer au vif, en les mettant face aux statistiques d’arrêts de travail de leurs salariés. Ce, afin de les pousser à remettre en question certaines pratiques internes, en vue de faire baisser le taux d’absentéisme et les risques de troubles psycho-sociaux chez les employés. La Sécu va particulièrement loin, en soumettant à ces entreprises le coût de ces absences, développe même son cadre : « Pour encourager la prise de conscience, nous convertissons les absences en coût direct (valeur des salaires versés) et en coûts indirects (nous renvoyons à des études ayant calculé que ceux-ci atteignent un à quatre fois les coûts directs). »
"Nous parvenons à reconstituer la pathologie à partir des consultations"
Laurent Bailly décrit aussi comment la Sécu expérimente un programme de divulgation aux entreprises des motifs d’absence de leur salarié arrêtés pour maladie. Qu'elle recoupe, en cas de besoin, avec une méthode digne d'un conte d’Orwell : « En cas de contrôle de l'assuré, le motif de l'arrêt est codifié, nous disposons donc de l'information. En l'absence de contrôle, nous parvenons à reconstituer la pathologie à partir des consultations et des remboursements de médicaments. Par exemple, si le salarié a vu un psychiatre et pris des antidépresseurs, on peut en conclure qu'il a été arrêté pour dépression. Ce sont des algorithmes qui font le travail. »
L'expérience doit s'amplifier en 2018
Si ces informations peuvent en effet jouer un rôle d'alerte au sein des entreprises, pas la peine d’être expert en relations de travail pour imaginer qu’elles pourraient aussi servir à mettre davantage de pression aux salariés malades. Une perspective pas du tout envisagée par le cadre de la Sécu, qui insiste sur l’anonymat des données, condition de la légalité du dispositif : « On s'assure qu'il n'est pas possible, même de manière indirecte, de tracer les personnes. Par ailleurs, nous nous focalisons uniquement sur les établissements de plus de deux cent salariés. Dans les plus petites sociétés, l'employeur pourrait trop facilement établir un lien évident avec tel ou tel collaborateur. »
Pour l’heure, la Sécu affirme ne pas transmettre pas toutes ses données aux entreprises. Elle cible « uniquement les arrêts pour troubles musculo-squelettiques (TMS), les lombalgies et ceux liés aux risques psychosociaux (RPS) ». Ouf ! Jusqu’à présent, « cinq entreprises ont été visitées, à Amiens, Bourg en Bresse, Marseille, Grenoble et l'une sur la Côte d'opale », énumère Laurent Bailly. Une quarantaine de visites du même type sont prévues en 2018.
https://www.marianne.net/societe/cpam-arret-de-travail-la-secu-fournit-aux-entreprises-les-motifs-de-maladie-de-salaries