25 janvier 2018 www.migrosmagazine.ch*
Comment se relever après qu’un enfant, une sœur, un mari ou un parent a mis fin à ses jours? Comment affronter les préjugés et ne pas se sentir coupable? Vers qui se tourner? Face à un tel cataclysme, faire son deuil se révèle complexe et douloureux pour ceux qui restent.
Pourtant la parole est le meilleur remède pour la reconstruction des proches qui en ressentent le besoin, mais aussi ce qui a permis de diminuer le nombre de suicides en Suisse comme ailleurs. «La ‹postvention›, soit les mesures d’accompagnement proposées aux familles, donne l’occasion de traverser cette épreuve et de se reconstruire», confirme Patrice Croquette, cadre infirmier aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG) dans le Département de santé mentale et de psychiatrie. Avec notamment la possibilité de faire comprendre que le suicide reste avant tout de la responsabilité de la personne, que chacun a une trajectoire de vie différente et qu’il n’y a pas de fatalité, que ce n’est pas «parce qu’un membre de la famille a commis cet acte qu’il va y en avoir un autre».
Un cercle vicieux
Des espaces de parole existent dans le cadre associatif. Chez As’trame sous forme de soutien aux enfants, familles et proches, ou au sein de groupes à l’intention des endeuillés par suicide chez Pars Pas. Nathalie Reynard, membre du comité, décrit le long processus auquel ceux qui restent doivent faire face comme une histoire où le mot fin est difficile à écrire: «Perdre un être cher reste de toute manière une épreuve. Mais le suicide ajoute cette dimension d’interrogation culpabilisante extrêmement douloureuse. On se refait le film à l’envers, encore et encore, en se demandant pourquoi on n’a pas noté tel signe de souffrance ou relevé telle phrase. Un cercle vicieux dont on ne sort qu’avec le temps en pouvant verbaliser et partager avec des personnes dans la même situation.» Et puis, poursuit Anne de Montmollin, présidente d’As’trame, une fondation présente dans toute la Suisse romande, les adultes s’inquiètent avant tout de la douleur des enfants, «oubliant que c’est l’ensemble de la famille qui est en deuil. Le processus prend du temps. Il est plus difficile de donner du sens à un suicide qu’à un autre type de décès. Il faut respecter le rythme de chacun.»
Les mots comme remède
La parole, même en partie libérée, a permis une diminution sensible du nombre de suicides. La prévention a gagné les classes où interviennent parfois les endeuillés eux-mêmes pour partager leur expérience. Marielle, qui a perdu son mari il y a cinq ans, veut aujourd’hui témoigner pour faire tomber les préjugés. Les professionnels de la santé et du social sont de plus en plus sensibilisés à une prise en charge adéquate. Mais se mettre à disposition ne suffit pas toujours, estime de son côté Patrice Croquette. «Si l’on contactait systématiquement les proches endeuillés, on réduirait sans aucun doute le risque de suicide par contagion.»
«L’insouciance, je ne la connais plus»
Le groupe de parole a été le seul endroit où je pouvais vraiment évoquer ce que je ressentais, cramponnée à mon insoutenable souffrance. J’ai été perdue, habitée par la tristesse et déconnectée de la vie durant de si longues années. Aujourd’hui, je vais mieux, pourtant j’ai encore du mal à rire et à suivre les discussions qui me semblent souvent banales. L’insouciance, je ne la connais plus. De nombreuses peurs me hantent. J’ai promis à ma maman que je me battrais. Je ne suis et n’ai jamais été en colère contre elle. Elle voulait trouver la paix et elle en avait le droit.»
«J’ai appris à vivre avec»
À l’adolescence, elle est tombée dans la dépression et la drogue. Et à 19 ans, après trois tentatives infructueuses, elle a mis fin à ses jours. J’avais 11 ans et je me souviens encore très bien combien je n’ai pas supporté le traditionnel apéritif après l’enterrement. Je ne comprenais pas que la vie et les rires reprennent si vite leurs droits. Ensuite, pendant longtemps, je me disais toujours «et si elle était encore là, on aurait pu partager ceci ou cela». Sa mère en a perdu la tête de douleur. À l’époque, la seule évocation du suicide était encore très taboue, mais j’ai eu la chance d’avoir pu beaucoup en parler avec ma maman. Je ne m’en suis jamais vraiment remise en fait, j’ai juste appris à vivre avec.
Je suis devenue à mon tour mère de trois enfants aujourd’hui adultes. Et dès qu’ils ont eu l’âge de l’entendre, je leur en ai parlé.»
«Je suis toujours très en colère»
Ma grossesse a été difficile et j’ai dû rester alitée pour finalement être hospitalisée quelques jours. Pendant mon séjour, mon mari m’a annoncé qu’il allait se rendre aux urgences psychiatriques. Notre fille est née en octobre et lui est sorti de l’hôpital de Prangins deux semaines plus tard. Vivre avec lui qui restait toute la journée au lit tout en étant jeune maman a été très dur, car j’avais trois enfants à la maison. Je ne sais pas comment j’ai fait pour supporter tout ça, me je l’ai fait, car je n’avais pas le choix.
Cela fait plus de cinq ans qu’il a mis fin à ses jours, mais à chaque fois que j’en parle, l’émotion est toujours aussi vive. Les gens ont de la peine à comprendre ce qui s’est passé, car en réalité, nous avions tout pour être heureux. J’ai tout entendu. Que j’avais été trop castratrice, qu’avec mon fort caractère, mon mari n’avait pas sa place. Je ressens peu de culpabilité, car je sais que j’ai fait tout ce qui était possible pour l’aider. En revanche, je suis toujours très en colère. Contre mon mari qui m’a laissée seule avec nos deux filles en bas âge et contre l’hôpital qui m’a tenue à l’écart de son traitement.
Et puis, même si mes amis sont très présents, on se sent seul. Heureusement, mes filles vont bien. Mais je crois que je ne serai sereine que le jour où je saurai qu’elles ont réussi leur vie.»
Les sites des associations
Pars Pas: www.parspas.chAs’trame: www.astrame.ch Version pour les adolescents: www.astrame4you.ch
Stop Suicide pour lutter contre le suicide des jeunes: www.stopsuicide.ch
A lire
«Prévention du suicide, rencontrer, évaluer, intervenir», sous la direction de Laurent Michaud et Charles Bonsack, Éd. Médecine et Hygiène, 2017. Disponible sur www.exlibris.chhttps://www.migrosmagazine.ch/vivre-apres-le-suicide-d-un-proche