mardi 2 janvier 2018

CANADA Katherine Raymond: écrire pour en finir avec la honte

Katherine Raymond: écrire pour en finir avec la honte
Valérie Lessard  www.ledroit.com*
article du 8 avril 2017
Le Droit

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Avec Matricide, ce n'est pas sa mère que Katherine Raymond cherchait à tuer, mais plutôt «l'image idéalisée de ce qu'est une bonne mère». Pour en finir avec la culpabilité et la honte de ne pas avoir su prévenir le suicide de la sienne, en 2010. Ni sa propre chute par la suite. L'auteure de 29 ans exorcise aujourd'hui son «héritage» par un premier roman coup de poing dans lequel la Québécoise se met en scène en tant que la résidente en médecine psychiatrique qu'elle est et en tant que la patiente qu'elle a aussi été.

«J'ai longtemps cherché l'angle d'approche par lequel je pourrais parler du suicide de ma mère sans en faire l'unique matière de ce que j'écrirais. Vivre mon deuil tout en continuant d'étudier et de pratiquer a modulé ma perception de mon travail, et j'ai voulu élaborer une réflexion sur notre rapport au trauma et de ce qui est une façon dite normale d'y réagir», soutient Katherine Raymond d'une voix posée.
Comment devrait-on composer avec la douleur, survivre à la perte tragique d'un proche? Dans une société qui cherche à établir des normes sur divers comportements, l'auteure cherche quant à elle à opposer aux «il faut» des «ça arrive et c'est OK».
«J'ai vécu le choc du suicide de ma mère avec beaucoup de honte et de culpabilité parce que je ne le vivais pas comme on s'attendait à ce que je le fasse. Or, c'est à moi de gérer comment je m'en remets», fait-elle valoir.
«On est si prompt, par ignorance ou par paresse, à développer collectivement des images simplistes afin de correspondre aux attentes des autres qui finissent par s'imposer et devenir totalitaires.»
D'où la révolte du personnage qui porte son nom, dans Matricide, face à la pression de devoir réagir comme les autre l'espèrent.

«Avoir de la difficulté à fonctionner, quand on souffre, ça se peut, et c'est correct! On accepte beaucoup plus facilement les limitations d'une personne qui a perdu un membre dans un accident que celles d'une personne qui se remet d'une dépression. Pourtant, on n'a pas à avoir honte de ce qu'on est devenu à la suite d'un trauma psychologique!»
D'où sa propre révolte, donc, dans ce droit qu'elle s'arroge de «nommer» la violence du geste de sa mère dont elle a «hérité» en tant que fille, jeune femme et médecin en prenant la plume pour revisiter leur relation. Et chercher à comprendre ce qui s'est passé par le biais de l'autofiction.
Ne plus sombrer
«On dit souvent que la psychiatrie permet de plonger dans la folie et d'en revenir. Or, si elle le fait, elle le fait mal et en surface. L'écriture m'a donné l'occasion de fouiller la part sombre de ma mère ainsi que la mienne, de me laisser à un endroit terrifiant tout en me gardant à distance sécuritaire pour ne pas sombrer de nouveau.»
Pour y parvenir, Katherine Raymond a quitté le milieu hospitalier pendant un an. Pour travailler de concert avec sa mentor, l'écrivaine Élise Turcotte, et pour s'éloigner des «possibles jugements» de certains de ses pairs, dont elle n'hésite pas à remettre en cause les méthodes, dans son roman.
«Je n'ai sûrement pas la prétention de détenir la solution de la psychiatrie moderne. Les gens font de leur mieux avec le peu de ressources qu'ils ont, plus souvent qu'autrement. Mais la médecine n'en demeure pas moins un milieu bourré de préjugés, de la part des médecins par rapport à leurs patients, et vice-versa. Nos certitudes peuvent être nuisibles, y compris en santé mentale.»
Katherine Raymond souhaite donc démontrer qu'«être plus sensible au vécu des autres et faire preuve de plus d'humilité ne feraient pas de tort.»
Nelly Arcan
Par ailleurs, outre le rapport à la mère (surnommée «les yeux bleus»), le suicide et la santé mentale, l'auteure aborde également la sexualité et la notion de beauté de manière souvent crue, voire brutale.
Elle est tout à fait consciente de l'inévitable rapprochement que d'aucuns feront avec l'oeuvre de Nelly Arcan, qu'elle a pour sa part découverte à «13, 14 ans», lorsqu'elle a lu Putain. «Je ne veux pas être la prochaine Nelly Arcan, ce n'est pas le but de ma démarche d'écriture, et puis, je ne suis pas à la même place qu'elle.»
Au final, Katherine Raymond convient qu'elle signe ici une «lettre d'amour étrange» à sa mère. Une lettre par laquelle elle reconnaît «la violence de son geste» tout autant que «toute sa propre honte, qu'elle portait».

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