L’enfer du système scolaire sud-coréenici.radio-canada.ca*
« À
l'impossible nul n'est tenu ». Ce proverbe ne s'applique pas aux jeunes
Sud-Coréens qui doivent étudier au moins 12 heures par jour. Portrait
d'un système ultracompétitif, qui génère aussi dépressions et suicides.
Un texte de Natalie Chung
Les
parents sud-coréens sont obsédés par la réussite scolaire de leurs
enfants dès la maternelle en raison du Suneung, l’examen national
d’entrée à l’université qu’ils passeront lors de leur dernière année de
secondaire. Le jour le plus important de leur vie.
En novembre
dernier, 600 000 étudiants sud-coréens ont passé le Suneung, un examen à
choix multiples dans cinq disciplines, dont les sciences, les
mathématiques et l’anglais. Tous espèrent obtenir la moyenne la plus
élevée pour être admis dans les trois meilleures universités de la
Corée, connues sous l’acronyme SKY, qui désigne la Seoul National
University, la Korea University et la Yonsei University.
Être
admis dans ces universités est une consécration pour l’étudiant et sa
famille, car en être diplômé ouvre toutes les portes en Corée du Sud.
Pour
ne pas être laissés de côté dans cette course folle vers la réussite,
presque tous les élèves sud-coréens fréquentent les hagwons après leur
journée ordinaire à l’école pour étudier encore plus.
Les hagwons
sont un réseau parallèle d’écoles privées très coûteuses, où des tuteurs
préparent les élèves pour les rendre plus performants et compétitifs,
surtout en mathématiques, en anglais et en sciences, en vue du Suneung.
Après
l’école, les jeunes Sud-Coréens affluent dans ces hagwons. Ils y
resteront parfois pour étudier et travailler jusqu’à 22 heures, même
plus tard parfois. Leur journée est interminable.
Des
parents inscrivent leurs enfants dès la maternelle à des cours
d'anglais et à des cours de « hangul », l'alphabet coréen, pour qu'ils
prennent de l'avance. Photo : Radio-Canada
Les parents
sud-coréens sont prêts à dépenser des fortunes pour inscrire leurs
enfants dans le réseau privé. Ils investissent en moyenne 800 $ par mois
par enfant en frais de scolarité, soit l’équivalent de 20 % du budget
familial.
En 2013, les Coréens ont dépensé près de 22 milliards de
dollars pour permettre à leurs enfants de fréquenter des hagwons, soit
2 % du PIB du pays.
Mais les jeunes Sud-Coréens, qui n’ont pas de
temps pour les loisirs ou les amis, semblent loin d'être heureux dans ce
système. Le suicide est devenu la principale cause de mortalité chez
les jeunes Coréens de 15 à 24 ans.
Le taux de suicide en Corée du
Sud, qui a fortement augmenté depuis 2000, est une préoccupation majeure
dans le pays, le plus haut taux parmi les pays de l’OCDE.
Taux de suicide pour 100 000 personnes
Corée du Sud
29,1
Russie
21
Japon
18,7
France
15,8
États-Unis
12,5
Canada
10,5
Turquie
2,6
Repenser le système d’éducation
Song
In-soo, un ex-enseignant d’école secondaire, s’inquiète de la santé des
jeunes Coréens. À Séoul, il a fondé Pour un monde sans hagwon, le
premier groupe de pression au pays qui préconise l’éradication des
écoles de tutorats privés et la refonte de l’éducation publique.
Song In-Soo, un ex-enseignant à la retraite, a fondé le l'organisation « Pour un monde sans Hagwon ». Photo : Radio-Canada
Dans
sa mission, Song In-soo est appuyé par des milliers de parents
inquiets. Selon lui, le haut taux de suicide chez les étudiants coréens
est directement lié à l’hypercompétitivité de la société.
Au cours
de leur scolarité, dit-il, les étudiants croulent sous la pression de
la performance scolaire à tout prix. Le modèle d’éducation à la coréenne
est devenu le plus exigeant en Asie. Il affirme que, si rien n’est
fait, le nombre de suicides continuera d'augmenter.
La réussite sud-coréenne
La
Corée du Sud est un miracle économique. Ce pays complètement ruiné
après la guerre en 1953 s’est hissé en seulement quelques décennies au
11e rang des pays les plus riches au monde. Le pays du Matin calme,
comme on le surnomme, est devenu la quatrième puissance économique en
Asie.
Les chaebols, conglomérats industriels tels que Samsung,
Hyundai ou LG, ont bâti la nation. Ils ont permis le décollage de
l’économie coréenne après la guerre. La Corée est devenue un modèle de
réussite économique dans le monde.
Ce modèle de réussite fait
partie de l’ADN de la Corée du Sud, la relève de cette société
hypercompétitive écope ainsi d’un lourd fardeau, celui d’être les
meilleurs à tout prix. Poussés par leurs parents au primaire et au
secondaire, les élèves sud-coréens honorent d’ailleurs ce contrat
tacite.
Depuis 15 ans, ils figurent parmi les champions de la
réussite scolaire dans le monde. Selon les études internationales PISA
qui évaluent la performance des élèves de 15 ans en mathématiques, en
science et en lecture, la Corée du Sud se maintient d’année en année
dans le peloton de tête des 10 pays les plus performants.
Pour
être de si bons élèves, les élèves sud-coréens ne dorment que 5 heures
par nuit et étudient au minimum 12 heures par jour, mais à quel prix?
Découragement et désespoir
Dans la vingtaine, Yae Ji et Eu Jung sont
étudiantes à l’Université Yonsei et à l’Université Ewha à Séoul. Yae Ji
comprend pourquoi certains passent à l’acte.
On
est jeune et on n’a pas beaucoup d’expérience, notre vie se résume à
réussir l’examen national. On a vécu toute notre vie avec ce seul
objectif. Quand ça ne fonctionne pas, on sombre dans le désespoir.
Son
amie Eu Jung estime quant à elle que les jeunes ont très peur de
décevoir leurs parents. Leur plus grand désir, dit-elle, est qu’ils
soient fiers d’eux, mais les parents leur mettent beaucoup de pression
pour qu’ils soient admis dans les grandes universités. Quand ils
échouent, ils sont très vite découragés.
Le documentaire La Corée de mon père de Natalie Chung et Georges Amar sera présenté le 4 janvier à 20 h sur ICI RDI.
Égalité des chances et bonheur
Song
In-soo et les milliers de parents et d’éducateurs qui militent à ses
côtés réclament un accès à une éducation publique de qualité pour tous,
sans distinction de classes sociales.
Le système des hagwons a
créé ces dernières années une polarisation entre les riches et les
pauvres. Les mieux nantis fréquentent les meilleurs instituts privés
situés pour la plupart dans le quartier cossu de Gangnam de Séoul. Au
terme de ce parcours élitiste, ils auront plus de chances de réussir.
Si
vous êtes pauvre, vous êtes mis de côté, vous n’êtes même pas dans la
course, avance M. Song. Les parents moins nantis n’ont pas les moyens
d’envoyer leurs enfants dans les hagwons les mieux cotés.
Le
groupe Pour un monde sans hagwon s’est donné l’immense tâche de changer
le système d’éducation en Corée du Sud, de le rendre plus démocratique
en diminuant les frais de scolarité et en changeant la culture d’extrême
compétitivité à laquelle sont soumis les étudiants au cours de leurs
études menant au Suneung.
Mais avant tout, leur grande et ultime
mission est de sauver la vie des jeunes Sud-Coréens et de faire en sorte
qu’un jour ils soient heureux d’aller à l’école.