Le Figaro
29 Jan 2018
M. L.SGO/BSIP
L’un des moyens pour limiter le risque de récidive est le maintien du lien entre le suicidant et l’équipe médicale qui l’a accueilli lors de sa tentative.
LA RÉCIDIVE après une première tentative de suicide reste forte, de l’ordre de 30 % dans la première année. Or on sait depuis longtemps que l’un des moyens pour limiter le risque de récidive est le maintien du lien entre le suicidant et l’équipe médicale qui l’a accueilli lors de sa tentative. Mais la durée du séjour hospitalier est limitée, et si rien n’est mis en place le risque est grand d’être confronté en sortant aux mêmes problèmes qu’avant. L’efficacité du suivi psychologique mis en place après la tentative se heurte à l’absentéisme des jeunes au-delà des premières semaines.
De ces difficultés est née l’idée d’utiliser le téléphone portable comme outil pour maintenir le contact avec les suicidants au sortir de l’hôpital. Ces dispositifs touchent toutes les tranches d’âges. Le plus développé s’appelle VigilanS, créé en 2014 par des psychiatres du CHU de Lille. Après des résultats préliminaires encourageants sur la réduction des récidives, ce dispositif s’est peu à peu étendu et s’étend aujourd’hui sur trois régions particulièrement touchées par le suicide - les Hauts-de-France, la Normandie et la Bretagne - ainsi que Nîmes et Montpellier.
Des SMS réguliers
Au sortir de l’hôpital, les personnes qui ont fait une tentative de suicide reçoivent une carte sur laquelle figure un numéro d’appel d’urgence gratuit, qu’elles peuvent appeler à tout moment et qui les met en contact avec les membres de l’équipe VigilanS. Cette équipe spécialisée recontacte de son côté par SMS tout suicidant hospitalisé dix à vingt jours après sa sortie, puis lui envoie régulièrement des SMS. En cas de non-réponse, elle lui adresse des cartes postales personnalisées à son domicile. Le suivi dure six mois, voire plus si besoin. L’ensemble du dispositif sera évalué en 2019, mais plusieurs autres régions sont déjà intéressées.
D’autres essais sont en cours, par exemple Mediaconnex, qui vise cette fois-ci exclusivement les adolescents suicidants de la région de Nancy, avec lesquels le contact est maintenu par SMS ou par mail. Les résultats seront connus en septembre 2019. Le même outil va aussi être utilisé pour étudier le devenir de ces adolescents dix ans après leur première tentative de suicide.
Ailleurs, c’est l’intérêt d’applications sur smartphone qui est testé. Ainsi le projet Medical Companion, mené à Nantes, est basé sur l’analyse par algorithme, sans intervention humaine, des réponses du patient à un questionnaire strictement personnel, auquel lui seul peut accéder et qui lui donne en retour des conseils adaptés. Ce projet, conçu comme un complément au suivi, fait l’objet d’une étude de faisabilité. Autre projet, au CHU de Bordeaux : une application pour smartphone dédiée aux professionnels et conçue comme un outil de guidance pour la prévention du suicide.
«L’entourage doit admettre qu’un passage à l’acte ne peut pas rester au sein de la famille, qu’il nécessite une évaluation que seuls des professionnels de santé peuvent mener si on veut récidive...» prévenir la
PR PRISCILLE GÉRARDIN, PÉDOPSYCHIATRE (CHU ROUEN)
***
Santé
Suicide des adolescents : renforcer la prévention
Le Figaro, no. 22850
Le Figaro, lundi 29 janvier 2018, p. 12
Malgré des progrès, on peut encore mieux prendre en compte ce type de souffrance.
PÉDOPSYCHIATRIE Chaque année en France, de 500 à 600 jeunes de moins de 25 ans meurent par suicide
et environ 100 000 tentent de le faire. En moyenne, en un an, dans un
groupe de 30 adolescents, 6 vont avoir des pensées suicidaires et 2 vont
passer à l'acte. Le suicide est la deuxième cause de décès
(16,5 %) chez les 15-24 ans après les accidents de la route. C'est
aussi l'âge où les tentatives sont les plus fréquentes. « C'est
intolérable de penser qu'un adolescent en pleine construction, qui a
tout l'avenir devant lui, puisse attenter à ses jours » , souligne le Pr Priscille Gérardin, pédopsychiatre (CHU Rouen). « Dans
cette période, la qualité de la réponse de l'environnement de
l'adolescent, tant pour prévenir le passage à l'acte que pour éviter la
récidive, est déterminante et conditionne le devenir du jeune. Il ne
faut jamais banaliser un tel acte . » Le taux de récidives est élevé, 30 %, avec un risque maximum dans les six mois à un an.
« Pour l'adolescent, penser au suicide, c'est vouloir se débarrasser d'une souffrance intérieure qu'il considère comme insurmontable. Mais c'est aussi l'expression d'un énorme besoin de reconnaissance. Lui dire qu'on a l'impression qu'il ne va pas bien, lui demander s'il n'a pas des idées de mort, de suicide qui lui trottent dans la tête, c'est reconnaître sa souffrance. Et cette reconnaissance peut suffire à débloquer une situation, à prévenir un passage à l'acte » , explique le Dr Xavier Pommereau, pédopsychiatre (CHU Bordeaux), pour qui « poser cette question, c'est apporter une ouverture bénéfique à l'adolescent qui va s'en saisir. Et pas, comme on le croit à tort, risquer de lui donner des idées... » .
D'où l'importance de reconnaître les signes d'appel : changement de comportement, humeur qui devient triste, irritabilité, isolement, rupture des intérêts et des investissements antérieurs... « Si certains de ces clignotants s'allument et persistent, il ne faut hésiter à interroger le jeune et à voir le généraliste ou le psychologue pour demander un avis, détecter une souffrance en voie de constitution » , conseille le Pr Gérardin. Pour le Dr Pommereau, « il faut aussi être attentif aux conduites de rupture répétées, où l'adolescent cherche avec insistance à se couper de quelque chose : fugues qui récidivent, scarifications, rupture des habitudes alimentaires, ivresses réitérées... » .
Autres signes d'alerte, l'absentéisme scolaire, la baisse des résultats, les passages fréquents à l'infirmerie... « L'infirmière scolaire est souvent un bon observateur de la santé psychique des adolescents. L'école constitue une véritable caisse de résonance des comportements de l'adolescent, qui cache des choses à la maison mais les montre à l'école » , souligne le Dr Pommereau. L'implication du monde scolaire dans le repérage des adolescents à risque s'est clairement accrue. « Il y a encore des marges d'amélioration, mais les choses avancent, en particulier pour orienter les jeunes en souffrance vers les Maisons des adolescents qui sont des lieux ouverts, accessibles . »
L'impulsivité liée à la révolution hormonale et pubertaire de l'adolescence peut favoriser le passage à l'acte. Pour Xavier Pommereau, « quel que soit l'âge, on n'est pas suicidaire sans un sentiment de flou identitaire majeur. Mais chez l'adolescent, ce flou identitaire lié aux changements corporels, à l'évolution du rapport aux autres, peut être majoré par une dépression, fréquente à cet âge - 30 % des suicidants sont aussi déprimés -, par la découverte d'une orientation sexuelle différente, par des troubles de l'attachement... » . Au-delà des circonstances déclenchantes immédiates du geste suicidaire - le conflit avec un proche, la déception sentimentale -, il faut parfois aller explorer les raisons plus profondes de ce mal-être.
C'est encore plus vrai après une tentative de suicide. « Tout jeune accueilli à l'hôpital lors d'une tentative doit faire l'objet d'une triple évaluation, physique, psychique et sociale. Dans la plupart des services, il est gardé au moins 72 heures » , précise le Pr Jean-Philippe Raynaud, pédopsychiatre (CHU Toulouse). C'est important, tant pour identifier une éventuelle maladie sous-jacente - dépression, TOC, trouble des apprentissages - qui demandent une prise en charge spécifique, que parce qu'il faut du temps pour qu'émerge, par exemple, un problème de harcèlement ou de maltraitance.
« C'est aussi important pour montrer à l'adolescent qu'on prend en compte la gravité de son acte. L'entourage doit également admettre qu'un passage à l'acte ne peut pas rester au sein de la famille, qu'il nécessite une évaluation que seuls des professionnels de santé peuvent mener si on veut prévenir la récidive » , insiste le Pr Gérardin.
Éviter cette récidive, c'est aussi permettre à l'adolescent de sortir positivement de cette expérience, rouvrir des perspectives du côté de la vie, des changements qu'il souhaite : « Plus on se donne le temps de travailler avec lui et sa famille, plus l'adolescent sera capable de saisir tout cela pour avancer. » Après une telle tentative, une psychothérapie d'un an est recommandée.
En dix ans, une meilleure prévention a permis de réduire de 16 % les suicides d'adolescents.
« Pour l'adolescent, penser au suicide, c'est vouloir se débarrasser d'une souffrance intérieure qu'il considère comme insurmontable. Mais c'est aussi l'expression d'un énorme besoin de reconnaissance. Lui dire qu'on a l'impression qu'il ne va pas bien, lui demander s'il n'a pas des idées de mort, de suicide qui lui trottent dans la tête, c'est reconnaître sa souffrance. Et cette reconnaissance peut suffire à débloquer une situation, à prévenir un passage à l'acte » , explique le Dr Xavier Pommereau, pédopsychiatre (CHU Bordeaux), pour qui « poser cette question, c'est apporter une ouverture bénéfique à l'adolescent qui va s'en saisir. Et pas, comme on le croit à tort, risquer de lui donner des idées... » .
D'où l'importance de reconnaître les signes d'appel : changement de comportement, humeur qui devient triste, irritabilité, isolement, rupture des intérêts et des investissements antérieurs... « Si certains de ces clignotants s'allument et persistent, il ne faut hésiter à interroger le jeune et à voir le généraliste ou le psychologue pour demander un avis, détecter une souffrance en voie de constitution » , conseille le Pr Gérardin. Pour le Dr Pommereau, « il faut aussi être attentif aux conduites de rupture répétées, où l'adolescent cherche avec insistance à se couper de quelque chose : fugues qui récidivent, scarifications, rupture des habitudes alimentaires, ivresses réitérées... » .
Autres signes d'alerte, l'absentéisme scolaire, la baisse des résultats, les passages fréquents à l'infirmerie... « L'infirmière scolaire est souvent un bon observateur de la santé psychique des adolescents. L'école constitue une véritable caisse de résonance des comportements de l'adolescent, qui cache des choses à la maison mais les montre à l'école » , souligne le Dr Pommereau. L'implication du monde scolaire dans le repérage des adolescents à risque s'est clairement accrue. « Il y a encore des marges d'amélioration, mais les choses avancent, en particulier pour orienter les jeunes en souffrance vers les Maisons des adolescents qui sont des lieux ouverts, accessibles . »
L'impulsivité liée à la révolution hormonale et pubertaire de l'adolescence peut favoriser le passage à l'acte. Pour Xavier Pommereau, « quel que soit l'âge, on n'est pas suicidaire sans un sentiment de flou identitaire majeur. Mais chez l'adolescent, ce flou identitaire lié aux changements corporels, à l'évolution du rapport aux autres, peut être majoré par une dépression, fréquente à cet âge - 30 % des suicidants sont aussi déprimés -, par la découverte d'une orientation sexuelle différente, par des troubles de l'attachement... » . Au-delà des circonstances déclenchantes immédiates du geste suicidaire - le conflit avec un proche, la déception sentimentale -, il faut parfois aller explorer les raisons plus profondes de ce mal-être.
C'est encore plus vrai après une tentative de suicide. « Tout jeune accueilli à l'hôpital lors d'une tentative doit faire l'objet d'une triple évaluation, physique, psychique et sociale. Dans la plupart des services, il est gardé au moins 72 heures » , précise le Pr Jean-Philippe Raynaud, pédopsychiatre (CHU Toulouse). C'est important, tant pour identifier une éventuelle maladie sous-jacente - dépression, TOC, trouble des apprentissages - qui demandent une prise en charge spécifique, que parce qu'il faut du temps pour qu'émerge, par exemple, un problème de harcèlement ou de maltraitance.
« C'est aussi important pour montrer à l'adolescent qu'on prend en compte la gravité de son acte. L'entourage doit également admettre qu'un passage à l'acte ne peut pas rester au sein de la famille, qu'il nécessite une évaluation que seuls des professionnels de santé peuvent mener si on veut prévenir la récidive » , insiste le Pr Gérardin.
Éviter cette récidive, c'est aussi permettre à l'adolescent de sortir positivement de cette expérience, rouvrir des perspectives du côté de la vie, des changements qu'il souhaite : « Plus on se donne le temps de travailler avec lui et sa famille, plus l'adolescent sera capable de saisir tout cela pour avancer. » Après une telle tentative, une psychothérapie d'un an est recommandée.
En dix ans, une meilleure prévention a permis de réduire de 16 % les suicides d'adolescents.
SGO / BSIP/SGO / BSIP
L'un
des moyens pour limiter le risque de récidive est le maintien du lien
entrele suicidant et l'équipe médicale qui l'a accueilli lors de sa
tentative***
Le Figaro, no. 22850
Le Figaro, lundi 29 janvier 2018, p. 12
Santé
David Le Breton : « D'abord une tentative de vivre »
Lochouarn, Martine
POUR LE SOCIOLOGUE et anthropologue David Le Breton (Université de Strasbourg), le geste suicidaire chez l'adolescent exprime moins un désir de mort qu'une volonté de s'extirper de sa souffrance.
« Ainsi s'explique l'écart considérable entre le nombre des tentatives et celui des suicides aboutis » , qu'on ne retrouve pas chez l'adulte suicidaire, dont le désir de mort est beaucoup plus abouti, plus irréversible, et les moyens mis en oeuvre plus radicaux. « En ce sens, le suicide chez l'adolescent est moins une tentative de mourir qu'une tentative de vivre. »
La figure anthropologique majeure de l'ordalie - le jugement de Dieu du Moyen Âge - domine la problématique du suicide à l'adolescence. « Dans cette tentative de suicide du jeune, il y a une demande symbolique adressée à la mort sur la légitimité de l'existence, qu'on retrouve à un moindre degré dans d'autres conduites à risques... Il y a aussi le désir de disparaître à soi-même parce qu'on se sent nul, insignifiant, mal aimé, qu'on a le sentiment de ne pas avoir sa place dans le monde C'est ce qu'exprimait très bien une adolescente : « Je voulais m'endormir et qu'à mon réveil tous mes problèmes soient résolus... » » Comme le lien social n'a pas réussi à convaincre le jeune de la nécessité de son existence, celui-ci va solliciter la mort à travers une mise à l'épreuve délibérée.
« Entendre cette souffrance »
« Le risque , pour David Le Breton, c'est que les parents minimisent l'acte de l'adolescent, disent qu'il ne l'a pas fait exprès, qu'ils ne prennent pas en compte l'immense souffrance que révèle toujours une tentative de suicide. Ce geste, où il n'y a ni jeu ni simulacre, doit absolument rencontrer la reconnaissance des plus proches, qui doivent entendre cette souffrance, admettre qu'il faut désormais davantage considérer le jeune, dialoguer avec lui, trouver avec lui des solutions . » Si les parents n'entendent pas cela, le jeune reçoit comme message qu'il est sans intérêt pour les gens qu'il aime le plus. Il ne s'agit pas de l'enfermer dans son geste mais d'en prendre acte afin d'éviter la récidive. M. L.
« Ainsi s'explique l'écart considérable entre le nombre des tentatives et celui des suicides aboutis » , qu'on ne retrouve pas chez l'adulte suicidaire, dont le désir de mort est beaucoup plus abouti, plus irréversible, et les moyens mis en oeuvre plus radicaux. « En ce sens, le suicide chez l'adolescent est moins une tentative de mourir qu'une tentative de vivre. »
La figure anthropologique majeure de l'ordalie - le jugement de Dieu du Moyen Âge - domine la problématique du suicide à l'adolescence. « Dans cette tentative de suicide du jeune, il y a une demande symbolique adressée à la mort sur la légitimité de l'existence, qu'on retrouve à un moindre degré dans d'autres conduites à risques... Il y a aussi le désir de disparaître à soi-même parce qu'on se sent nul, insignifiant, mal aimé, qu'on a le sentiment de ne pas avoir sa place dans le monde C'est ce qu'exprimait très bien une adolescente : « Je voulais m'endormir et qu'à mon réveil tous mes problèmes soient résolus... » » Comme le lien social n'a pas réussi à convaincre le jeune de la nécessité de son existence, celui-ci va solliciter la mort à travers une mise à l'épreuve délibérée.
« Entendre cette souffrance »
« Le risque , pour David Le Breton, c'est que les parents minimisent l'acte de l'adolescent, disent qu'il ne l'a pas fait exprès, qu'ils ne prennent pas en compte l'immense souffrance que révèle toujours une tentative de suicide. Ce geste, où il n'y a ni jeu ni simulacre, doit absolument rencontrer la reconnaissance des plus proches, qui doivent entendre cette souffrance, admettre qu'il faut désormais davantage considérer le jeune, dialoguer avec lui, trouver avec lui des solutions . » Si les parents n'entendent pas cela, le jeune reçoit comme message qu'il est sans intérêt pour les gens qu'il aime le plus. Il ne s'agit pas de l'enfermer dans son geste mais d'en prendre acte afin d'éviter la récidive. M. L.