jeudi 13 novembre 2014

DEBAT FIN DE VIE l'expertise d'un psychiatre


Dépêches du jour 
11/11/2014   Fin de vie: l'expertise d'un psychiatre utile dans les demandes d'arrêt de traitement (françoise chastang)
http://www.sfmu.org/fr/services/depeches/voir/?id=56191
PARIS, 10 novembre 2014 (APM) - L'expertise d'un psychiatre est utile dans les demandes d'arrêt de traitement et de sédation pouvant entraîner la mort afin de pouvoir analyser le sens de la demande et vérifier qu'il n'y a pas une souffrance psychique qu'il serait possible de soulager, a expliqué mercredi Françoise Chastang, psychiatre au CHU de Caen, lors d'une audition devant la mission parlementaire sur la fin de vie.

Les députés Alain Claeys (PS, Vienne) et Jean Leonetti (UMP, Alpes-Maritimes) ont été chargés par le Premier ministre de préparer un nouveau texte de loi sur la fin de vie. Ils prévoient de rendre leur rapport début décembre, rappelle-t-on.

Jean Leonetti a rappelé en introduction qu'ils devaient réfléchir aux modifications de la loi "en essayant de répondre à une meilleure autonomie de la personne en fin de vie, et en particulier dans la phase terminale". "Nous essayons de travailler sur un texte qui serait consensuel et nous espérons qu'il puisse être adopté à une majorité, qui ne soit pas une majorité partisane", a-t-il commenté.

Interrogée sur une éventuelle expertise psychiatrique dans les cas de demande d'arrêt de traitement et de sédation pouvant entraîner la mort, Françoise Chastang a répondu par la positive. Elle a estimé que, lorsqu'une personne demandait instamment une assistance à mourir, il fallait "vérifier le sens de cette demande pour cette personne" et vérifier s'il n'y avait "pas d'autres choses à faire pour aider cette personne". "Cela ne veut pas dire qu'on ne va pas jusqu'au bout de la demande de la personne. Cela ne va pas dire [non plus] qu'un avis psychiatrique va sous-tendre qu'il ne va pas y avoir de sédation [...], cela veut simplement dire qu'il faut explorer le sens de la demande par respect de la personne et de son entourage", a-t-elle nuancé.

Elle a aussi exposé les réflexions du groupe d'études et de prévention du suicide sur la question de l'aide médicale au suicide, dont elle fait partie. Elle a jugé aussi nécessaire l'évaluation du psychiatre pour ces demandes, si la possibilité de suicide assisté était ouverte en France.

La psychiatre a noté qu'au niveau clinique, les demandes d'aide médicale au suicide et les conduites suicidaires avaient des "parentés" et des "points communs": le désespoir, l'ambivalence et la temporalité, "qui peut être variable".

Il faut "reconnaître ce qui peut être curable et soigner ce qui peut l'être", a-t-elle poursuivi. "Lorsqu'on est dans les soins palliatifs, il est important de soulager la douleur physique". La souffrance psychique "doit être reconnue et soulagée au même titre que la douleur physique", a-t-elle renchéri, estimant que les demandes de mort anticipée que cela pouvait induire devaient "donc être cliniquement analysées". Selon le groupe d'études, "l'évaluation d'un psychiatre devrait être systématique, voire même répétée, notamment en raison de la temporalité variable", a-t-elle insisté.

Sur cette temporalité et la possible réversibilité de la demande, elle a expliqué que "poser une demande un jour ne v[oulait] pas dire qu'elle [était] valable le lendemain". "Il en est de même pour la rédaction des directives anticipées", a-t-il expliqué, estimant qu'il ne fallait pas les rendre contraignantes, mais les respecter "sur l'appréciation du médecin".

MECANISMES DE DEFENSE POUR LE PATIENT MAIS AUSSI LE MEDECIN

Elle a jugé important l'expertise d'un psychiatre car elle a signalé que le patient pouvait mettre "en place des mécanismes de défense inconscients qui le conduisent à re-déterminer la valeur de sa vie au point de s'approprier la mort en décidant la méthode, le lieu et l'instant".

Elle a aussi fait remarquer que de tels "mécanismes de défense inconscients" existaient aussi chez les médecins: un "type de rationalisation par rapport à la prise de décision, d'identification, voire de suridentification dans le processus décisionnel, ainsi que d'activitisme dans le sens où on se sent obligé [...] à prendre une décision dans l'action, dans un contexte [...] que l'on souhaite être empathique". Parfois, "par ces mécanismes inconscients", cela devient plutôt une "pseudo-empathie", a-t-elle noté.

Lors du procès en juin du Dr Nicolas Bonnemaison, qui était accusé d'avoir tué sept patients en fin de vie et qui a été finalement acquitté, l'expert psychiatre avait décrit chez lui une tendance à l'"hyper-identification à autrui" excessive mais pas pathologique pour décrire sa personnalité, rappelle-t-on.

"Quels que soient les choix personnels, la position professionnelle du médecin acquiert donc une importance fondamentale dans [ces] demandes"', a souligné la psychiatre. "En ressentant de l'inconfort dans la relation, le médecin peut prendre le risque que le patient se sente seule abandonné rejeté, sans autre réelle solution. En étant capable de parler autour de telle demande, le médecin peut montrer ainsi qu'il peut et sait parler de la mort, qu'il est capable de l'envisager et d'une façon crédible peut alors proposer d'autres alternatives, comme les soins palliatifs", a-t-elle souligné.

Elle a estimé que la liberté de choisir la mort n'était "pas plus importante que la liberté de trouver des solutions au problème et de choisir à continuer de vivre". "Dans l'optique de la prévention, la vraie liberté, l'ultime liberté est sans aucun doute la liberté de modifier son choix", a-t-elle souligné.

Elle a illustré son propos en citant le cas d'une de ces patientes qui souffrait de la maladie de Parkinson, "particulièrement grave, mais qui ne mettait pas en jeu son pronostic vital". "L'autonomie de cette personne-là était encore conservée et les facultés intellectuelles étaient parfaites", a-t-elle rapporté. Elle avait pris contact avec une association suisse et fixé la date de son suicide assisté au printemps 2014. "Quelques semaines avant son départ pour la Suisse, en rapport avec une aggravation notable de sa maladie de Parkinson, très évoluée, elle a mis en acte un geste suicidaire et s'est retrouvée aux urgences", a relaté la psychiatre.

"Cette personne était authentiquement déprimée. [Elle] méritait d'être soulagée par rapport à sa maladie physique, mais elle méritait également d'être aidée par rapport à sa maladie psychique. Cette personne a été prise en charge et n'a pas récidivé depuis", a-t-elle relevé, ne niant pas qu'elle conservait toutefois des idées suicidaires.

"Il faut avoir le choix de faire ou de ne pas faire", a-t-elle relevé. Elle a expliqué que la clinique de la prévention du suicide était la possibilité de donner d'autres choix possibles à la personne. "Après, on peut bien-sûr arriver sur une dimension clinique de psychiatrie, où malgré ces possibilités offertes, les personnes restent sur des demandes [de mort]", a-t-elle relevé.

Interrogée pour savoir si la demande d'un malade en fin de vie qui souhaiterait dormir jusqu'à sa mort pouvait s'apparenter à une attitude suicidaire, la psychiatre a estimé que, "dans un contexte de fin de vie, d'un point de vue médical qu'humain, l'objectif essentiel est de soulager la personne des souffrances telles qu'elle les ressent et non pas tel qu'on pourrait nous-mêmes les ressentir", a-t-elle souligné, estimant ainsi qu'il fallait respecter la demande de la personne.

mh/san/APM polsan