Des applis pour prévenir les suicides -Ctxt Madrid
dans Courrier international, no. 1526
TRANSVERSALES., jeudi 30 janvier 2020
TECHNO
-Gabriela Martínez Publié le 28 décembre 2019
Santé. En Espagne, plusieurs applications de prévention du suicide
sont à l'essai auprès de personnes suivies pour des troubles mentaux.
L'objectif : aider les médecins à intervenir avant qu'il ne soit trop
tard.
La technologie peut contribuer à prévenir le suicide.
Tel est du moins l'objectif de trois applications à la conception
desquelles ont participé des experts espagnols. Il faut savoir que dans
ce pays, chaque jour, dix personnes mettent fin à leurs jours : c'est la
première cause de mort non naturelle selon l'Institut national des
statistiques [INE, équivalent de l'Insee]. Dans le monde, 90 % des cas
de suicide sont liés à des troubles mentaux, notamment psychotiques.
Parmi la population à risque, une activité anormale sur les réseaux sociaux pourrait annoncer un passage à l'acte. Searching Help se fonde sur cette hypothèse. Cette appli est destinée à "venir en complément du suivi clinique", assure Roberto Rodríguez-Jiménez, chercheur principal de l'Institut de recherche sanitaire Hôpital 12 Octobre (i + 12) et du Centre de recherche biomédicale en réseau de santé mentale (Cibersam).
Roberto Rodríguez-Jiménez ne doute pas que la technologie puisse aider à prévenir le suicide, car elle permet d'informer le psychiatre ou le psychologue "en temps réel" sur l'activité de leur patient. Ce qui permettra de mener "des actions plus précoces et souvent préventives ", souligne-t-il. En Espagne, 1,4 million d'individus (3 % de la population) sont atteints d'un trouble mental susceptible d'entraîner un suicide, comme la schizophrénie.
L'application, lancée en septembre sous la supervision du comité d'éthique de l'hôpital 12 Octobre, est testée sur 30 patients diagnostiqués schizophrènes ou présentant des troubles similaires, ayant entre 18 et 45 ans. Ce premier essai ne porte que sur un tiers des patients que le comité de l'hôpital espère faire participer à terme.
Le patient "est invité à installer un plugin (extension logicielle) qui nous donnera, à nous les psychiatres ou les psychologues, une information sur son activité sur Internet,
quantitativement et qualitativement", précise le chercheur. Ainsi, le médecin peut suivre les recherches effectuées sur des thèmes liés à des idées délirantes (par exemple, des caméras de surveillance dissimulées) ou à un projet de suicide (comme la pharmacopée pour mourir sans douleur).
L'outil, créé en collaboration avec l'entreprise Yslandia, contrôle l'activité numérique des patients "aussi bien sur les moteurs de recherche que sur les réseaux sociaux, sur des ordinateurs ou des téléphones portables", note Borja Anguita, directeur général de l'innovation et de la technologie chez Yslandia. Les échanges très importants sur les réseaux en peu de temps, la publication de certains commentaires, la multiplication des "j'aime" ou des demandes d'amis sans discernement sont des motifs d'alerte pour les médecins, ajoute Borja Anguita.
Coach d'états d'âme. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans, selon l'OMS. C'est en pensant à cette catégorie d'âge qu'est née G-Moji, une application créée cette année par le centre d'innovation néerlandais Garage2020. Elle est destinée à des jeunes atteints de troubles psychiatriques. L'équipe chargée de sa conception et de sa mise en oeuvre est dirigée par Ana Bernardos, chercheuse à l'Université polytechnique de Madrid.
Cette appli est "une sorte de coach qui aide l'utilisateur à gérer son état mental", commente Ana Bernardos. Les émoticônes ont permis à plus de 500 jeunes de 15 à 24 ans, chez qui l'application a été testée, d'exprimer tous les jours leur humeur. Les médecins peuvent ainsi suivre leur évolution. L'appli permet en outre de mettre en rapport ces états d'âme avec l'activité physique, les relations avec autrui ou la qualité du sommeil. Lorsqu'un jeune se sent mal, l'application notifie cet état à son médecin.
Cela permet "de générer des modèles prédictifs à partir des données recueillies, pour détecter en amont si tel ou tel type de crise peut survenir chez un sujet". Par ailleurs, le psychiatre peut "entamer des conversations spécifiques et mieux comprendre certains comportements", explique la chercheuse.
Lucía Pérez, psychiatre à l'Hôpital régional universitaire de Malaga, a fait partie de l'équipe qui a lancé il y a deux ans l'appli [Plus de chemins], qui s'adresse à des adolescents et à des jeunes atteints de dépression ou d'anxiété et présentant des antécédents d'idées suicidaires ou de tentatives de suicides.
L'application est toujours téléchargeable, mais, faute d'un budget suffisant, les spécialistes n'ont pas pu poursuivre son développement. "Nous n'avons même pas assez d'argent pour assurer la maintenance", regrette la psychiatre. Elle reste toutefois convaincue que la technologie peut être d'une grande aide dans la prévention du suicide. "Les moyens informatiques peuvent nous aider, mais le facteur humain reste essentiel. Une appli ne remplace pas la consultation avec le psychiatre", prévient-elle cependant.
Carles Alastuey, enseignant et psychopédagogue, vice-président de l'association catalane Après le suicide, qui vient en aide aux familles, se montre sceptique quant au potentiel de ces applications. "Je pense qu'elles sont indispensables, mais je crains qu'on n'y voie le principal recours", note-t-il. Pour lui, cela doit rester "un recours complémentaire".
Carles Alastuey, qui a perdu son neveu de 18 ans, regrette le manque de mesures préventives "dotées de moyens économiques et humains. On se contente trop souvent de déclarations de bonnes intentions", fait-il valoir. Le suicide est encore un sujet tabou, et même si l'on en parle davantage aujourd'hui, ces morts-là sont "absolument invisibilisées", à en croire Carles Alastuey. Et ceux qui ont perdu un proche par suicide sont "d'autant plus des invisibles ", regrette-t-il.
Informer, déstigmatiser et surtout proposer une aide accessible, voilà ce qu'il faut faire pour combattre ce problème de santé publique, souligne Roberto Rodríguez-Jiménez. Il faut aussi traiter "de manière efficace" les troubles psychiatriques pouvant conduire certaines personnes à commettre un tel acte. La technologie peut dès lors constituer un outil efficace dans l'arsenal de prévention.
Parmi la population à risque, une activité anormale sur les réseaux sociaux pourrait annoncer un passage à l'acte. Searching Help se fonde sur cette hypothèse. Cette appli est destinée à "venir en complément du suivi clinique", assure Roberto Rodríguez-Jiménez, chercheur principal de l'Institut de recherche sanitaire Hôpital 12 Octobre (i + 12) et du Centre de recherche biomédicale en réseau de santé mentale (Cibersam).
Roberto Rodríguez-Jiménez ne doute pas que la technologie puisse aider à prévenir le suicide, car elle permet d'informer le psychiatre ou le psychologue "en temps réel" sur l'activité de leur patient. Ce qui permettra de mener "des actions plus précoces et souvent préventives ", souligne-t-il. En Espagne, 1,4 million d'individus (3 % de la population) sont atteints d'un trouble mental susceptible d'entraîner un suicide, comme la schizophrénie.
L'application, lancée en septembre sous la supervision du comité d'éthique de l'hôpital 12 Octobre, est testée sur 30 patients diagnostiqués schizophrènes ou présentant des troubles similaires, ayant entre 18 et 45 ans. Ce premier essai ne porte que sur un tiers des patients que le comité de l'hôpital espère faire participer à terme.
Le patient "est invité à installer un plugin (extension logicielle) qui nous donnera, à nous les psychiatres ou les psychologues, une information sur son activité sur Internet,
quantitativement et qualitativement", précise le chercheur. Ainsi, le médecin peut suivre les recherches effectuées sur des thèmes liés à des idées délirantes (par exemple, des caméras de surveillance dissimulées) ou à un projet de suicide (comme la pharmacopée pour mourir sans douleur).
L'outil, créé en collaboration avec l'entreprise Yslandia, contrôle l'activité numérique des patients "aussi bien sur les moteurs de recherche que sur les réseaux sociaux, sur des ordinateurs ou des téléphones portables", note Borja Anguita, directeur général de l'innovation et de la technologie chez Yslandia. Les échanges très importants sur les réseaux en peu de temps, la publication de certains commentaires, la multiplication des "j'aime" ou des demandes d'amis sans discernement sont des motifs d'alerte pour les médecins, ajoute Borja Anguita.
Coach d'états d'âme. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans, selon l'OMS. C'est en pensant à cette catégorie d'âge qu'est née G-Moji, une application créée cette année par le centre d'innovation néerlandais Garage2020. Elle est destinée à des jeunes atteints de troubles psychiatriques. L'équipe chargée de sa conception et de sa mise en oeuvre est dirigée par Ana Bernardos, chercheuse à l'Université polytechnique de Madrid.
Cette appli est "une sorte de coach qui aide l'utilisateur à gérer son état mental", commente Ana Bernardos. Les émoticônes ont permis à plus de 500 jeunes de 15 à 24 ans, chez qui l'application a été testée, d'exprimer tous les jours leur humeur. Les médecins peuvent ainsi suivre leur évolution. L'appli permet en outre de mettre en rapport ces états d'âme avec l'activité physique, les relations avec autrui ou la qualité du sommeil. Lorsqu'un jeune se sent mal, l'application notifie cet état à son médecin.
Cela permet "de générer des modèles prédictifs à partir des données recueillies, pour détecter en amont si tel ou tel type de crise peut survenir chez un sujet". Par ailleurs, le psychiatre peut "entamer des conversations spécifiques et mieux comprendre certains comportements", explique la chercheuse.
Lucía Pérez, psychiatre à l'Hôpital régional universitaire de Malaga, a fait partie de l'équipe qui a lancé il y a deux ans l'appli [Plus de chemins], qui s'adresse à des adolescents et à des jeunes atteints de dépression ou d'anxiété et présentant des antécédents d'idées suicidaires ou de tentatives de suicides.
L'application est toujours téléchargeable, mais, faute d'un budget suffisant, les spécialistes n'ont pas pu poursuivre son développement. "Nous n'avons même pas assez d'argent pour assurer la maintenance", regrette la psychiatre. Elle reste toutefois convaincue que la technologie peut être d'une grande aide dans la prévention du suicide. "Les moyens informatiques peuvent nous aider, mais le facteur humain reste essentiel. Une appli ne remplace pas la consultation avec le psychiatre", prévient-elle cependant.
Carles Alastuey, enseignant et psychopédagogue, vice-président de l'association catalane Après le suicide, qui vient en aide aux familles, se montre sceptique quant au potentiel de ces applications. "Je pense qu'elles sont indispensables, mais je crains qu'on n'y voie le principal recours", note-t-il. Pour lui, cela doit rester "un recours complémentaire".
Carles Alastuey, qui a perdu son neveu de 18 ans, regrette le manque de mesures préventives "dotées de moyens économiques et humains. On se contente trop souvent de déclarations de bonnes intentions", fait-il valoir. Le suicide est encore un sujet tabou, et même si l'on en parle davantage aujourd'hui, ces morts-là sont "absolument invisibilisées", à en croire Carles Alastuey. Et ceux qui ont perdu un proche par suicide sont "d'autant plus des invisibles ", regrette-t-il.
Informer, déstigmatiser et surtout proposer une aide accessible, voilà ce qu'il faut faire pour combattre ce problème de santé publique, souligne Roberto Rodríguez-Jiménez. Il faut aussi traiter "de manière efficace" les troubles psychiatriques pouvant conduire certaines personnes à commettre un tel acte. La technologie peut dès lors constituer un outil efficace dans l'arsenal de prévention.
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Madrid, Espagne ctxt.es Ctxt - Contexto y acción - est un quotidien numérique fondé par quatorze journalistes issus des journaux espagnols El Mundo, El País et du quotidien italien La Repubblica . Sa ligne éditoriale, indépendante et progressiste, offre un contenu gratuit.