Emma, l'application qui détecte les signes avant-coureurs de suicide / Pr Philippe Courtet
source 23 déc. 2019 M- Soigner
EMMA est une application d’évaluation, de prédiction et d’intervention dans la gestion du risque suicidaire chez les patients à haut risque. Elle est actuellement testée pour une durée de six mois sur 100 patients à risque élevé de suicide. Les patients bénéficient d’une évaluation clinique à 1, 3 et 6 mois après l’inclusion. Parmi les 71 patients déjà recrutés, 14 ont terminé l’étude qualitative. Leurs résultats ont été analysés. Une application « assistant psychiatre » Selon le Pr Courtet, « l’objectif de cette application est de jouer le rôle d’un assistant numérique qui nous aiderait à rétablir et maintenir le contact avec le patient à haut risque suicidaire. » Cette application ne risque pas de déshumaniser la relation thérapeutique dans le sens où elle permet au contraire d’établir un lien entre patients suicidaires et soignants. Toutes les données d’évaluation du patient retraçant les fluctuations de ses idées suicidaires, de ses troubles du sommeil et de son anxiété, vont éviter au médecin de passer du temps à l’interroger sur ces différents symptômes, et de se consacrer entièrement aux réponses à lui apporter pour qu’il aille mieux. Comment ça marche ? Cette application est structurée autour de deux modules : - Le premier dit d’évaluation consigne toutes les données en temps réel entrées par le patient. L’application envoie au patient des notifications tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, pour que le patient puisse s’évaluer psychiquement sur des échelles très simples. Il va dire comment il se sent sur le plan des émotions, de l’humeur et des idées de suicide. - Le second dit d’intervention se déclenche en fonction des données remplies par le patient dans le module d’évaluation. Des seuils d’alerte de fonction émotionnelle ont été fixés, et lorsqu’ils sont franchis, un module de régulation de la tension émotionnelle va apparaître sur l’écran du smartphone du patient (accès à des images, vidéos, musique, module de relaxation etc.). En cas d’idées très suicidaires, un écran d’appel s’affiche avec les numéros de contacts des personnes ressources préalablement renseigné par le patient, ainsi et les numéros des urgences et du Samu. Implémentation d’Emma à un réseau de soins Si aujourd’hui, il n’est pas envisageable de connecter l’application directement au mail ou au téléphone du médecin traitant, un projet de recherche va tester la possibilité d’implémentation de cette application dans le cadre du réseau de soins Vigilance, réseau spécialisé dans le suivi des patients suicidaires. Seconde étude à venir : vers un algorithme prédictif du risque suicidaire ? Lorsque cette première étude sera terminée, les profils d’utilisation de EMMA seront étudiés en fonction des caractéristiques cliniques des patients (diagnostic, tentative de suicide etc.) ainsi que des données d’évaluation rentrées par chacun d’eux. Le but sera de créer un algorithme prédictif de la survenue d’événements suicidaires. L’efficacité de ce dernier sera testée sur une cohorte de 500 patients à haut risque de suicide. Aujourd’hui, rien ne permet de prédire le risque suicidaire. Un module pour le médecin traitant ? Autre piste de développement : un module spécifique au médecin traitant est en cours de construction. Ce module lui permettrait d’être connecté à l’application et de recevoir des informations. Enfin seconde évolution de développement : un module connecté à l’entourage du patient. Des questions restent en suspens L’application Emma sera-t-telle disponible dans les « stores », en accès gratuit ou payant ? Le médecin doit-il jouer un rôle en proposant d’installer cette application sur le smartphone de son patient ? La question du remboursement éventuel se pose aussi : cette application est-elle un dispositif médical pas ?
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Prévenir
le risque de suicide… avec un téléphone portable. C’est le projet porté
par le psychiatre Philippe Courtet qui s’est entouré d’une équipe
d’informaticiens du Lirmm pour développer l’application Emma, destinée à détecter le risque suicidaire.
Avec plus de 9000 décès chaque année, la France présente un des taux de suicide parmi les plus élevés d’Europe. C’est même la première cause de mortalité chez les 25-34 ans. À l’échelle mondiale, toutes les 40 secondes une personne met fin à ses jours. Un véritable problème de santé publique et un défi pour les psychiatres confrontés à ce problème épineux : comment prévenir le risque de suicide ?
« Nous sommes démunis face à la prédiction du risque suicidaire, explique Philippe Courtet. Un patient ne se suicide jamais face à son psychiatre lors d’une consultation. Jusqu’à présent tout ce que nous pouvions faire c’est diagnostiquer le risque de suicide a posteriori, lorsque nous voyons un patient et discutons avec lui des moments qui ont précédé son passage à l’acte », souligne le chef du service d’urgences psychiatriques du CHU de Montpellier.
C’est pour dépasser ce problème que le spécialiste a imaginé l’application Emma, entendez Ecological mental momentary assesment. Une auxiliaire nécessaire « pour suivre le patient à l’instant T, dans sa vie de tous les jours, dans son environnement quotidien, et non pas seulement en consultation une fois par mois ».
En pratique, l’application utilise deux types d’évaluations, passive et active. « L’évaluation passive analyse l’usage que fait le patient de son téléphone : les appels, les messages, les réseaux sociaux… », expliquent Jérôme Azé et Sandra Bringay du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier. Si l’application ignore tout du contenu des échanges, le simple fait de savoir comment une personne utilise son téléphone est un indice précieux. « Si on constate qu’un patient se met à utiliser son téléphone toute la nuit, ou qu’il ne contacte plus ses amis, ou d’une manière générale qu’il change ses habitudes, c’est un indicateur que peut-être il va mal », souligne le psychiatre.
En dernier recours, l’application peut proposer au patient de contacter des proches présélectionnés. « Avec ce dispositif, on recourt aux vertus protectrices de la connexion sociale dans la prévention du suicide », explique le spécialiste. Emma peut enfin lui suggérer d’appeler le 15 ou le centre VigilanS, un « programme de recontact » des personnes ayant fait une tentative de suicide. « L’objectif de ce plan de sécurité est de délayer le moment très court qui peut conduire à une tentative de suicide », explique le psychiatre.
Soutenu par la fondation FondaMental, ce projet a déjà fait preuve de son intérêt. « Les premiers retours sont positifs, explique Philippe Courtet. Des patients rapportent que le fait que l’application suggère d’appeler un proche leur a permis de se rendre compte que des gens se soucient d’eux. Avec Emma, on propose de tendre la main aux gens plutôt que d’attendre qu’ils tendent la leur. »
Avec plus de 9000 décès chaque année, la France présente un des taux de suicide parmi les plus élevés d’Europe. C’est même la première cause de mortalité chez les 25-34 ans. À l’échelle mondiale, toutes les 40 secondes une personne met fin à ses jours. Un véritable problème de santé publique et un défi pour les psychiatres confrontés à ce problème épineux : comment prévenir le risque de suicide ?
« Nous sommes démunis face à la prédiction du risque suicidaire, explique Philippe Courtet. Un patient ne se suicide jamais face à son psychiatre lors d’une consultation. Jusqu’à présent tout ce que nous pouvions faire c’est diagnostiquer le risque de suicide a posteriori, lorsque nous voyons un patient et discutons avec lui des moments qui ont précédé son passage à l’acte », souligne le chef du service d’urgences psychiatriques du CHU de Montpellier.
« Biais de remémoration »
Avec un obstacle majeur : lors de cette consultation le patient se souvient peu ou mal de ces instants. Pour éviter ce « biais de remémoration » et mieux comprendre le contexte de survenue du suicide, les spécialistes manquaient d’un « outil de monitoring constant pour déterminer en temps réel le risque de passage à l’acte », souligne Philippe Courtet.C’est pour dépasser ce problème que le spécialiste a imaginé l’application Emma, entendez Ecological mental momentary assesment. Une auxiliaire nécessaire « pour suivre le patient à l’instant T, dans sa vie de tous les jours, dans son environnement quotidien, et non pas seulement en consultation une fois par mois ».
En pratique, l’application utilise deux types d’évaluations, passive et active. « L’évaluation passive analyse l’usage que fait le patient de son téléphone : les appels, les messages, les réseaux sociaux… », expliquent Jérôme Azé et Sandra Bringay du Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier. Si l’application ignore tout du contenu des échanges, le simple fait de savoir comment une personne utilise son téléphone est un indice précieux. « Si on constate qu’un patient se met à utiliser son téléphone toute la nuit, ou qu’il ne contacte plus ses amis, ou d’une manière générale qu’il change ses habitudes, c’est un indicateur que peut-être il va mal », souligne le psychiatre.
Précieux indices
Pour la partie active de l’évaluation, Emma va directement solliciter l’utilisateur via des « entretiens électroniques ». L’application propose au patient de répondre à des questions telles que « comment allez-vous ? », « êtes-vous anxieux ? » ou encore « avez-vous des idées noires ? ». Si les réponses laissent supposer une détresse, l’application déclenche ce qu’on appelle le module d’intervention. « C’est un plan de sécurité personnalisé qui a été construit en amont avec le patient et son psychiatre, explique Phi-lippe Courtet. L’application
lui propose ainsi d’accéder à un module de relaxation et de gestion du
stress mis au point par un médecin du service. Il peut aussi écouter une
musique, visionner des photos ou des vidéos choisies au préalable ».En dernier recours, l’application peut proposer au patient de contacter des proches présélectionnés. « Avec ce dispositif, on recourt aux vertus protectrices de la connexion sociale dans la prévention du suicide », explique le spécialiste. Emma peut enfin lui suggérer d’appeler le 15 ou le centre VigilanS, un « programme de recontact » des personnes ayant fait une tentative de suicide. « L’objectif de ce plan de sécurité est de délayer le moment très court qui peut conduire à une tentative de suicide », explique le psychiatre.
Tendre la main
Dans
un premier temps, l’application est expérimentée chez 100 patients,
suivis pendant 6 mois. Une phase qui permet de tester l’usage que les
patients font d’Emma, mais qui a également pour objectif de recueillir
un maximum de données qui seront utilisées par l’équipe de Jérôme Azé et
Sandra Bringay pour créer un algorithme permettant d’affiner le
fonctionnement de l’application. « Nous avons recours à
l’intelligence artificielle et plus précisément à ce qu’on appelle le
deep-learning pour tenter de construire un algorithme de prédiction du
risque suicidaire le plus précis possible qui sera utilisé dans une
deuxième version de l’application », expliquent les informaticiens.Soutenu par la fondation FondaMental, ce projet a déjà fait preuve de son intérêt. « Les premiers retours sont positifs, explique Philippe Courtet. Des patients rapportent que le fait que l’application suggère d’appeler un proche leur a permis de se rendre compte que des gens se soucient d’eux. Avec Emma, on propose de tendre la main aux gens plutôt que d’attendre qu’ils tendent la leur. »
https://www.umontpellier.fr/articles/prevention-2-0