Psychiatrie : pour une charte éthique des outils web destinés aux patients (Dr Debien, CHU Lille) lundi 23 octobre 2017
PARIS, 23 octobre 2017 (APMnews) - Le psychiatre Christophe Debien a
appelé à la rédaction d'une charte éthique, puis à une labélisation des
outils internet axés sur la santé mentale et la psychiatrie, destinés au
grand public, jeudi lors de la journée psychiatrie et santé mentale de
la Fédération hospitalière de France (FHF), organisée à Paris sur le
thème de l'innovation.
Lors de son intervention, Christophe Debien a d'abord listé un
certain nombre de types d'outils web, notamment sur la prévention du
suicide et la prévention de la récidive suicidaire, sa spécialité. Pour
rappel, il est l'un des membres de la cellule de coordination du
dispositif VigilanS, développé au CHU de Lille.
Il a d'abord cité les sites internet, louant Psycom, "une source d'information très importante, à la fois pour les professionnels et pour les usagers".
"Mais nos patients vont sur quel site?", a-t-il interrogé. Sur Doctissimo, où "il y a une partie éditoriale qui est très bien faite". "Mais ce n'est pas cette partie-là que les patients viennent voir", ils consultent les forums. Et "ce qu'il y a sur la santé mentale sur cette partie qui est très peu voire mal modérée, c'est hallucinant", s'est-il exclamé.
"Il y a vraiment une responsabilité sur ce qu'on met sur internet", a-t-il admis, reconnaissant l'absence de psychiatre sur le site. "Est-ce qu'on est dans le comité éditorial de Doctissimo ? Est-ce qu'on a émis des recommandations ? A ma connaissance, non..."
Deuxième type d'outil cité, les blogs, plus "interactifs et dynamiques". Christophe Debien a regretté que le "look" de celui de SOS Amitié ne soit pas adapté aux 15-25 ans et évoqué à l'inverse un blog américain au stylisme plus adéquat, basé sur le design des Anonymous, et derrière lequel se cache un dispositif qu'il a loué. D'abord, un robot fait un premier tri, grâce à différents critères et en temps réel, des messages particulièrement inquiétants, que "80 bénévoles formés" gèrent ensuite, et renvoient les auteurs, si besoin, vers "un dispositif de soins". "C'est gagnant pour tout le monde ; moi en tant que dispositif de soins, cela me permet de n'avoir que des sujets qui ont besoin de soins", a-t-il jugé.
Quant aux réseaux sociaux, ils sont "très ambivalents", a-t-il assuré, "notamment Facebook, qui propose, si vous avez des idées suicidaires, des numéros de téléphone... aux Etats-Unis, ou qui vous conseille d'aller voir les nuages pour vous détendre...".
"Mais surtout", a-t-il prévenu, "les jeunes ne sont ni sur Facebook ni sur Twitter. Ils sont sur Snapchat. Et sur Snapchat, il n'y a rien" en matière de prévention.
Il a expliqué que dans le dispositif VigilanS, "on a une adresse mail sur laquelle les professionnels et les patients peuvent nous écrire. Il y a un message d'alerte automatique qui dit que c'est ouvert de 9h à 18h et qu'en dehors de ça, il faut appeler le 15. Et on s'engage à répondre à ces mails dans les 24h. Evidemment on ne traite pas l'urgence".
Autre outil, les serious games qui sont selon lui "un des enjeux de demain". "Ils ne sont pas développés, pour la plupart, par des équipes de psychiatrie", a-t-il remarqué, expliquant que "ce sont des jeux pour transmettre des informations de type éducation thérapeutique".
Il a notamment évoqué un jeu intitulé "Another day in depression", créé par un programmateur lui-même marqué par la dépression, basé sur le ralentissement psychomoteur provoqué par la maladie, où "sortir du lit demande une heure de jeu".
Puis il a décrit "Sparx", un jeu créé par une équipe néo-zélandaise de thérapie comportementale et cognitive (TCC), qui faisait le constat que les jeunes ne venaient pas à eux. Ce jeu reprend les codes des adolescents (univers fantastique) et est calibré en sept séances de 40 minutes. "Vous avez des objectifs, des quêtes et vous ne tuez pas des gens, vous tuez des pensées négatives" a-t-il détaillé.
"Cette équipe d'emblée a mis en place un programme de recherche. Ils ont évalué 200 sujets et au bout du compte, le jeu est meilleur... que le thérapeute", a-t-il affirmé, d'abord parce que les jeunes viennent aux soins par ce biais, alors qu'ils ne voulaient pas spontanément rencontrer un professionnel.
Le psychiatre a ensuite parlé d'un "autre petit jeu, beaucoup moins cher", réalisé par un programmateur: "C'est la mort qui vous défie de sauver trois patients qui veulent se suicider. C'est un outil très utile pour les soignants, car vous devez choisir quel élément de langage vous allez mettre en place pour essayer de convaincre. Cela donne des éléments de conversation, d'entretien, qui sont très pertinents."
Christian Debien a poursuivi avec les podcasts (chaînes radio) et les vodcasts (chaines vidéo). "En psychiatrie en France, il n'y en a qu'une, Psylab", dont il est l'un des créateurs et animateurs, a-t-il assuré. Cette chaîne a été créée avec "l'idée de destigmatiser, démythifier notre spécialité pour favoriser l'accès aux soins", avec "une forme pas du tout académique, et des références dites 'geek'". Psylab comptabilise 100.000 abonnés.
"Toutes ces vidéos sont gratuites", a-t-il précisé, encourageant ses collègues dans la salle à s'en emparer, et remarquant au passage ne pas avoir "de modèle économique".
Enfin, les applications mobiles sont "un véritable enjeu aujourd'hui et un véritable problème", tant elles sont nombreuses et disparates, et parfois fantaisistes. "On est à 260.000 applications de santé dans le monde, sachant que ce sont les chiffres de 2016. On est à plus de 800 applications santé en France", a-t-il souligné.
Les applications plutôt axées sur la prévention du suicide, visent à "informer/former les sujets en crise, l'entourage, les professionnels" ; "élaborer un plan d'urgence" ; "trouver du soutien dans des réseaux sociaux dédiés" ou encore "disposer d'outils de coping (de l'anglais 'to cope with' qui signifie 'faire face à', NDLR)", qui permettent de baisser le niveau d'angoisse, a-t-il décrit.
Par ailleurs, "le modèle économique se pose. Une appli mobile coûte entre 100.000 et 400.000 euros ; un jeu vidéo entre 100.000 et 4 millions d'euros. Qui va donner l'argent ?", a-t-il interrogé. "Aux Etats-Unis, certaines mutuelles payent, car elles récupèrent les données... Les données valent de l'or", a-t-il remarqué.
"Il nous faut un référentiel éthique et déontologique. On a des recommandations de l'ordre des médecins, de la HAS [Haute autorité de santé], mais nous [psychiatres], qu'est-ce qu'on a fait?", a-t-il interrogé. "Peu d'équipes sont impliquées [sur ces sujets] en France, mais le problème, c'est qu'on ne sait pas ce qui se fait, il n'y a pas de coordination", a-t-il jugé.
Il faut créer "une task force nationale ou territoriale" avec des soignants, des informaticiens -programmeurs-, des graphistes, et des usagers, ainsi que des journalistes pour aller dans les médias, et des community managers qui savent ce qui devient virale et comment gérer les trolls", a-t-il ajouté.
Il faut aussi un "raisonnement intégratif", a-t-il ajouté, prenant l'exemple de travaux en cours sur le suicide. "Vous avez les 3 niveaux de prévention, la prévention universelle, la prévention spécifique et la prévention ciblée, pour lesquels il faut articuler les outils".
"L'esprit, c'est un portail numérique, une porte ouverte sur le web, parce qu'on ne va pas réinventer la roue, on ne va pas refaire Psycom. Par contre, on va le labelliser, à condition qu'on ait une charte, et pour ceux qui sont labellisés, on fait des liens. Rien que ça, cela ouvrirait un énorme portail qui nous permettrait, à nous aussi, d'avoir des outils", a-t-il décrit.
Il faudrait compléter le tout avec "des outils plus professionnels de formation", a-t-il ajouté, via le e-learning ou des Mooc. "On pourrait imaginer un modèle économique autour de la formation des professionnels", a-t-il suggéré.
Source : APM International
Il a d'abord cité les sites internet, louant Psycom, "une source d'information très importante, à la fois pour les professionnels et pour les usagers".
"Mais nos patients vont sur quel site?", a-t-il interrogé. Sur Doctissimo, où "il y a une partie éditoriale qui est très bien faite". "Mais ce n'est pas cette partie-là que les patients viennent voir", ils consultent les forums. Et "ce qu'il y a sur la santé mentale sur cette partie qui est très peu voire mal modérée, c'est hallucinant", s'est-il exclamé.
"Il y a vraiment une responsabilité sur ce qu'on met sur internet", a-t-il admis, reconnaissant l'absence de psychiatre sur le site. "Est-ce qu'on est dans le comité éditorial de Doctissimo ? Est-ce qu'on a émis des recommandations ? A ma connaissance, non..."
Deuxième type d'outil cité, les blogs, plus "interactifs et dynamiques". Christophe Debien a regretté que le "look" de celui de SOS Amitié ne soit pas adapté aux 15-25 ans et évoqué à l'inverse un blog américain au stylisme plus adéquat, basé sur le design des Anonymous, et derrière lequel se cache un dispositif qu'il a loué. D'abord, un robot fait un premier tri, grâce à différents critères et en temps réel, des messages particulièrement inquiétants, que "80 bénévoles formés" gèrent ensuite, et renvoient les auteurs, si besoin, vers "un dispositif de soins". "C'est gagnant pour tout le monde ; moi en tant que dispositif de soins, cela me permet de n'avoir que des sujets qui ont besoin de soins", a-t-il jugé.
Quant aux réseaux sociaux, ils sont "très ambivalents", a-t-il assuré, "notamment Facebook, qui propose, si vous avez des idées suicidaires, des numéros de téléphone... aux Etats-Unis, ou qui vous conseille d'aller voir les nuages pour vous détendre...".
"Mais surtout", a-t-il prévenu, "les jeunes ne sont ni sur Facebook ni sur Twitter. Ils sont sur Snapchat. Et sur Snapchat, il n'y a rien" en matière de prévention.
Les serious games, "enjeu de demain"
Christophe Debien a ensuite parlé du courrier électronique. "Les Samaritans, qui sont à mon avis à l'origine de la prévention du suicide dans le monde et qui ont donné [naissance] historiquement chez nous à SOS Amitié, montrent l'exemple depuis des années", a-t-il assuré. "Ils ont un service d'e-mail, ce qui n'est pas très compliqué [à déployer] dans nos structures, dans nos CMP [centres médico-psychologiques], à condition de se poser les bonnes questions éthiques, déontologiques et réglementaires".Il a expliqué que dans le dispositif VigilanS, "on a une adresse mail sur laquelle les professionnels et les patients peuvent nous écrire. Il y a un message d'alerte automatique qui dit que c'est ouvert de 9h à 18h et qu'en dehors de ça, il faut appeler le 15. Et on s'engage à répondre à ces mails dans les 24h. Evidemment on ne traite pas l'urgence".
Autre outil, les serious games qui sont selon lui "un des enjeux de demain". "Ils ne sont pas développés, pour la plupart, par des équipes de psychiatrie", a-t-il remarqué, expliquant que "ce sont des jeux pour transmettre des informations de type éducation thérapeutique".
Il a notamment évoqué un jeu intitulé "Another day in depression", créé par un programmateur lui-même marqué par la dépression, basé sur le ralentissement psychomoteur provoqué par la maladie, où "sortir du lit demande une heure de jeu".
Puis il a décrit "Sparx", un jeu créé par une équipe néo-zélandaise de thérapie comportementale et cognitive (TCC), qui faisait le constat que les jeunes ne venaient pas à eux. Ce jeu reprend les codes des adolescents (univers fantastique) et est calibré en sept séances de 40 minutes. "Vous avez des objectifs, des quêtes et vous ne tuez pas des gens, vous tuez des pensées négatives" a-t-il détaillé.
"Cette équipe d'emblée a mis en place un programme de recherche. Ils ont évalué 200 sujets et au bout du compte, le jeu est meilleur... que le thérapeute", a-t-il affirmé, d'abord parce que les jeunes viennent aux soins par ce biais, alors qu'ils ne voulaient pas spontanément rencontrer un professionnel.
Le psychiatre a ensuite parlé d'un "autre petit jeu, beaucoup moins cher", réalisé par un programmateur: "C'est la mort qui vous défie de sauver trois patients qui veulent se suicider. C'est un outil très utile pour les soignants, car vous devez choisir quel élément de langage vous allez mettre en place pour essayer de convaincre. Cela donne des éléments de conversation, d'entretien, qui sont très pertinents."
Christian Debien a poursuivi avec les podcasts (chaînes radio) et les vodcasts (chaines vidéo). "En psychiatrie en France, il n'y en a qu'une, Psylab", dont il est l'un des créateurs et animateurs, a-t-il assuré. Cette chaîne a été créée avec "l'idée de destigmatiser, démythifier notre spécialité pour favoriser l'accès aux soins", avec "une forme pas du tout académique, et des références dites 'geek'". Psylab comptabilise 100.000 abonnés.
"Toutes ces vidéos sont gratuites", a-t-il précisé, encourageant ses collègues dans la salle à s'en emparer, et remarquant au passage ne pas avoir "de modèle économique".
Enfin, les applications mobiles sont "un véritable enjeu aujourd'hui et un véritable problème", tant elles sont nombreuses et disparates, et parfois fantaisistes. "On est à 260.000 applications de santé dans le monde, sachant que ce sont les chiffres de 2016. On est à plus de 800 applications santé en France", a-t-il souligné.
Les applications plutôt axées sur la prévention du suicide, visent à "informer/former les sujets en crise, l'entourage, les professionnels" ; "élaborer un plan d'urgence" ; "trouver du soutien dans des réseaux sociaux dédiés" ou encore "disposer d'outils de coping (de l'anglais 'to cope with' qui signifie 'faire face à', NDLR)", qui permettent de baisser le niveau d'angoisse, a-t-il décrit.
La nécessité d'évaluer
Ces outils manquent toutefois, en général, de rigueur scientifique. "Il n'y a aucune étude qui évalue l'impact d'un site internet" ou d'une application. "Or c'est important de savoir si cela sert à quelque chose de donner de l'information", a-t-il souligné. "Et il y a aussi des outils délétères", a-t-il remarqué. Si on veut créer des outils, "il y a une rigueur à avoir pour cibler ses outils et ne pas se perdre", a-t-il insisté.Par ailleurs, "le modèle économique se pose. Une appli mobile coûte entre 100.000 et 400.000 euros ; un jeu vidéo entre 100.000 et 4 millions d'euros. Qui va donner l'argent ?", a-t-il interrogé. "Aux Etats-Unis, certaines mutuelles payent, car elles récupèrent les données... Les données valent de l'or", a-t-il remarqué.
"Il nous faut un référentiel éthique et déontologique. On a des recommandations de l'ordre des médecins, de la HAS [Haute autorité de santé], mais nous [psychiatres], qu'est-ce qu'on a fait?", a-t-il interrogé. "Peu d'équipes sont impliquées [sur ces sujets] en France, mais le problème, c'est qu'on ne sait pas ce qui se fait, il n'y a pas de coordination", a-t-il jugé.
Il faut créer "une task force nationale ou territoriale" avec des soignants, des informaticiens -programmeurs-, des graphistes, et des usagers, ainsi que des journalistes pour aller dans les médias, et des community managers qui savent ce qui devient virale et comment gérer les trolls", a-t-il ajouté.
Il faut aussi un "raisonnement intégratif", a-t-il ajouté, prenant l'exemple de travaux en cours sur le suicide. "Vous avez les 3 niveaux de prévention, la prévention universelle, la prévention spécifique et la prévention ciblée, pour lesquels il faut articuler les outils".
"L'esprit, c'est un portail numérique, une porte ouverte sur le web, parce qu'on ne va pas réinventer la roue, on ne va pas refaire Psycom. Par contre, on va le labelliser, à condition qu'on ait une charte, et pour ceux qui sont labellisés, on fait des liens. Rien que ça, cela ouvrirait un énorme portail qui nous permettrait, à nous aussi, d'avoir des outils", a-t-il décrit.
Il faudrait compléter le tout avec "des outils plus professionnels de formation", a-t-il ajouté, via le e-learning ou des Mooc. "On pourrait imaginer un modèle économique autour de la formation des professionnels", a-t-il suggéré.
Source : APM International