lundi 27 novembre 2017

ETUDE RECHERCHE Projet MEDICAL COMPANION, Nantes


Projet MEDICAL COMPANION
Application smartphone de prévention du risque de récidive de suicide chez les adolescents et jeunes adultes
 
source :  u2peanantes.org* ( site des informations concernant les activités du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent situé au CHU de Nantes, site Hôpital Saint Jacques.


"Ce projet a été financé par le PHRC 2017
Le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans, soit 16% des décès et la compliance aux soins post-TS est faible (de 17,5% à 47%.) Les idées suicidaires sont 4 fois plus fréquentes et corrélées au risque de TS (1-3). En nous appuyant sur le rapport particulier des jeunes avec leur portable, nous souhaitons proposer une application associant l’Ecological Momentary Assessment et un processus d’auto-soin (self-care ou encore Ecological Momentary Intervention, EMI). Sous la forme d’un feed-back, elle sera basée sur un algorithme informant pro-activement le patient avec des commentaires et des conseils (Ecological Momentary Intervention). Le programme est un add-on pour le processus de soins habituels et accompagnera le patient durant toute la durée de l’étude (6 mois pour l’étude de faisabilité actuelle et un an à maturation du dispositif et pour l’étude d’efficacité). Notre application ne communique pas directement avec un soignant, c’est un parti pris innovant et original.


Le suicide représente la deuxième cause de mortalité chez les 15-25 ans, soit 16% des décès. Les tentatives de suicide, reconnues pour être très sous-estimées, sont de l’ordre de 190 000 par an.  Ce sont les filles de 15 à 19 ans qui en font le plus (2% de cette sous-population déclare une TS dans les 12 derniers mois, contre 0.6 % des hommes de 20-25 ans)[1]. Les idées suicidaires sont 4 fois plus fréquentes et corrélées au risque de TS (1-3).Le risque principal de la TS est le décès par suicide. Le taux de récidive suicidaire est estimée à 16 % la première année mais le risque augmente par rapport à la population générale jusqu’à 8 ans après une TS (4, 5). Ce chiffre est cependant extrêmement variable selon les études, les populations étudiés, les pays et le mode de recueil de l’information. En France, les données les plus solides reposent sur l’étude des hospitalisations et des données PMSI, elles font l’objet d’un rapport de l’INVS[2]. Il apparaît que lorsqu’il y a récidive celle-ci se passe dans les 6 premiers mois pour la moitié des cas, le taux a 6 mois étant autour de 8%. Ces estimations sont compatibles avec la littératures internationales sur les jeunes patients (6).

Ce sujet est une cause nationale de santé reconnue. L’adhésion effective du sujet aux soins proposés après une tentative de suicide est variable allant de 17,5% à 47%. En conséquence, les programmes de prévention doivent se concentrer sur les individus à haut risque que représente cette population à antécédents de TS.

Les recommandations de l’HAS, en accord avec ce qui se fait internationalement, précisent essentiellement qu’il est nécessaire de proposer une évaluation psychiatrique à chaque patient ayant fait une TS et de proposer une prise en charge au décours (7). Malheureusement ces recommandations sont imprécises et de 40 à 77% des adolescents, population très étudiées, ne suivent pas les orientations données. (8-10). Le taux de non présentation au premier rendez-vous post sortie des urgences est de 17.5 à 41.6% (9, 11-13). Plus grave encore, même lorsque le suivi commence convenablement, la constance, qui est un élément essentiel, est faible avec de 30 à 68% des adolescents abandonnant les soins (8, 14). En pratique quotidienne, on observe que les soins proposés sont rarement suivis. Prévenir la récidive c’est aussi améliorer la compliance aux soins post-TS


Les programmes de soins visant à améliorer la compliance et à diminuer le taux de récidive sont nombreux et impliquent le plus souvent des structures d’accueil sans rendez-vous, voire un rappel téléphonique des patients ou des technologies connectés (programme SIAM (15)) Tous nécessitent une capacité d’écoute, voire d’intervention 24h/24h. Nous souhaitons proposer une prise en charge, complémentaire de la prise en charge existante, qui ne nécessite pas de couteuse intervention humaine sous forme d’astreinte (celle-ci étant assurée naturellement par les services d’urgences préexistant le cas échéant).  Ce point constitue une approche originale et innovante.

Le succès populaire important et récent des applications de santé sur smartphone, qui recueillent des données (poids, exercices …) et permettent au consommateur de voir des graphiques et des diagrammes, nous parait illustrer la force sociologique et psychologique de l’autogestion du soin à l’aide d’un programme développé pour smartphone. Ce phénomène est particulièrement important pour les adolescents et les jeunes adultes, qui sont considérés comme natifs numériques.

Il existe de façon schématique deux axes de réflexion concernant l’utilisation des applications smartphones en psychiatrie, et en médecine en général. Le premier axe est basé sur l’idée que cela pourrait être très utile de demander au patient de remplir des échelles ou des questionnaires sur son téléphone intelligent plutôt que sur un ordinateur ou une feuille de papier. Ceci est appelé Ecological Momentary Assessment (EMA), car c’est une méthode naturaliste pour accéder aux données cliniques. L’EMA n’est pas une méthode interactive et ne constitue pas un processus thérapeutique (direct).
Pour pallier ce manque, le deuxième axe de recherche concerne l’Ecological Momentary Intervention (EMI). Il s’agit d’utiliser des informations issues de l’EMA pour proposer à l’aide d’algorithmes plus ou moins élaborés des informations personnalisées aux patients. Les développements actuels, et à venir, des algorithmes (pouvant à terme inclure une capacité d’apprentissage automatisée) font de l’EMI une approche d’avenir dans laquelle il est important de se positionner.
Concernant l’EMA, des applications ont été utilisés dans les maladies chroniques et pour la psychiatrie dans les schizophrénies, la dépendance à l’alcool et les troubles bipolaires (16-22). Le suicide et la dépression ont été étudiés également avec des résultats intéressants sur le plan des facteurs de risques identifiés (23-36). Cependant, malgré quelques aspects d’auto-soins la plupart de ces applications sont basées essentiellement sur l’EMA et sont donc contrées sur les études cliniques épidémiologiques.

A ce jour l’EMI n’a pas été utilisée en suicidologie, en conséquence, nous souhaitons proposer cette méthode différente incluant l’EMA et EMI dans une application pour smartphone que nous avons appelé MEDICAL COMPANION (MC).

EMI et EMA, une innovation en suicidologie

Nous nous sommes inspirés d’une expérience comparable dans le domaine des schizophrénies. FOCUS est un système d’application « intelligente » pour l’auto-gestion de la schizophrénie conçu pour aider les patients avec des médicaments, la régulation de l’humeur, le sommeil, le fonctionnement social, et faire face aux symptômes de la psychose (37, 38). FOCUS a été conçu en prenant en compte des caractéristiques particulières des personnes atteintes de schizophrénie. Après avoir installé l’application, les individus peuvent accéder au système de deux façons: (i) par le biais d’une notification sur le téléphone de l’utilisateur, ou, à la demande, (ii) en sélectionnant une cible de traitement de l’écran d’accueil de l’application. Une fois que la zone cible est sélectionnée, le programme lance une brève auto-évaluation (par exemple  » comment avez-vous dormi la nuit dernière?  »), avec une série de questions à choix multiples. Puis les interventions d’autogestion sont déployées comme des échanges de questions-réponses, des suggestions et des aides visuelles. Les résultats suggèrent que les personnes atteintes de schizophrénie qui n’ont eu aucune expérience préalable avec les smartphones peuvent apprendre à utiliser le système avec facilité, sentir la valeur dans l’intervention mobile, et exprimer la confiance dans l’utilisation de l’application pour gérer leur maladie (38). L’intervention FOCUS m-health montre même une efficacité thérapeutique comparable à celle d’entretiens non structurés face à face pour des patients schizophrènes (37).  De façon intéressante, l’utilisation seule de l’application est peu efficace mais utilisée dans un dispositif de soin préexistant, elle en augmente l’efficacité (37).
Hors suicidologie, des applications EMI existent et deux articles récents ont retrouvés 33 projets plus ou moins abouti (il s’agit d’un champ récent et en développement rapide)  (39, 40). . Les domaines étaient essentiellement les troubles anxieux, les schizophrénies et la dépression. La dépression n’a bénéficié que de deux études, l’une, ancienne, utilisant des rappels téléphoniques  (41), l’autre proposant un feed-back d’analyse des réponse mais sans « conseils » (42).

Le développement et l’évaluation scientifique d’une telle application nous semble nécessaire  pour 5 raisons principales :
  1. Les résultats préliminaires prometteurs de programmes récents utilisant des technologies modernes, comme le programme SIAM, Suicide Intervention Assisted by Message (15), utilisant des SMS. SIAM est basé sur l’idée que la réception d’un SMS, même automatisée, est rassurante et même thérapeutique au sens propre. Il est cependant à noter que les SMS sont accompagnés d’un numéro dédié au programme accessible H24 rendant cette approche a la fois couteuse et sans véritable interaction homme–machine automatisée.
  2. Les taux de remplissage des questionnaires dans les applications EMA pour le suicide montrent des chiffres élevés supérieurs à 80 %, même si les études sont en générale de durée courte et le fait de poser la question aux patients ne semble pas augmenter leur risque suicidaire… (27)).
  3. Il n’existe pas, dans le domaine du suicide, d’application évaluée scientifiquement et aucune utilisant un algorithme d’EMI.
  4. Le taux d’équipement chez les 13-25 ans en smartphone sera pour fin 2017 autour de 85% et rend désormais possible ce genre d’étude (43)).
  5. Le programme national d’action contre le suicide[3] (2010-2014) recommande d’améliorer la qualité des données concernant le suicide et le suivi des suicidants, cette application pourrait être très utile dans ce cadre.

Nous proposons une approche innovante et originale pour prévenir les tentatives de suicide et le suicide chez les patients sur la base d’une demande de soins de santé mobile avec l’application MEDICAL COMPANION disponible sur Apple Store et Android Market[4]. L’application est personnalisée pour chaque utilisateur, par exemple lors de l’installation avec un code personnel fourni par le praticien (le code contient les informations liées au passage aux urgences lieu et date et médecin ayant proposé l’étude). L’App recueillera des données du patient au sujet de l’anxiété, l’humeur et les troubles du sommeil deux fois par jour essentiellement basé sur des listes déroulantes et des échelles visuelles analogiques.
Un feed-back basé sur un algorithme (codage des réponse déclenchant des analyses contextualisés de la situation du patient) informe pro-activement le patient avec des commentaires et des conseils fondés sur les recommandations de l’OMS et / ou associés à des pratiques d’auto adaptation ou de relaxation / mindfullness.
L’utilisation de l’application sera encouragée par des professionnels de la santé après une sortie de l’hôpital ou des urgences. Le programme est un add-on pour le processus de soins habituels.
Enfin, nous rappelons que le programme MC s’ajoute aux soins habituels, cela pour des raisons évidentes de de sécurité (rien de ce qui se fait n’est modifié, soins usuels) mais aussi parce que les travaux précédemment cités en EMI montrent que les programmes sont d’autant plus efficaces qu’ils sont intégrés à un dispositif de soin existant.

Les bases de l’application MEDICAL COMPANION (MC) (voir également en annexe)

L’application est l’association d’un programme EMA « classique » et d’une analyse des réponses du patient (feed-back) basée sur l’algorithme innovant de l’application permettant d’approcher un fonctionnement EMI. Construit sur la notion d’auto-soins (self-care), notre application n’est pas connectée et les réponses pour le patient sont traitées par notre programme algorithmique: (i) pour fournir un feed-back au sujet de leur état mental (contextualisée, à savoir « vous semblez être moins anxieux qu’hier » ) et, (ii) produire un conseil sur ce qu’ils peuvent faire (par exemple «appeler un ami » « respirer profondément 5 fois de suite », regarder une vidéo de pleine conscience..). Ces conseils sont des suggestions et se veulent une aide, le patient pouvant à tout moment appeler un service d’urgence ce qui lui sera rappelé sur chaque écran.
Les réponses du sujet aux questions posées seront présentées sur 3 écrans simplifiés mais complets que le sujet pourra consulter à sa guise mais aussi montrer à son médecin le cas échéant. Ces graphiques seront présentés au choix sur la dernière évaluation, la semaine précédente, le mois précédent voire plus en fonction de la durée d’utilisation de l’application. Ce dernier point est particulièrement intéressant, car les praticiens qui ne seront pas directement impliqués dans l’étude parce qu’ils sont par nature des professionnels « aléatoires » pourront aussi avoir accès à ces données si le patient le souhaite et directement sur l’écran du smartphone de leur patient. Nous prévoyons d’interroger ces médecins sur leur expérience.

Un développeur d’IVORY-HEALTHCARE, société en cours de signature d’un partenariat de recherche avec le CHU de Nantes et impliquée dans un projet autour de l’autisme (SMARTAUTISME, financement CNSEA et IRESP pour 161 000 euros ; projet PANDA/H pour l’hyperactivité financement 40 000 euros par la société MEDIKINET) fournira le codage et le design pour l’application en travaillant étroitement avec nous.
  • La partie «EMA», à savoir les réponses aux questions sur l’anxiété, l’humeur dépressive, les idées suicidaires et le sommeil, prendront moins de 10 minutes, 5 minutes dans la plupart des cas (certaines réponses pouvant générer une nouvelle série de questions). La fréquence des questions sera préprogrammée dans l’application de deux fois par jour (matin et en fin d’après-midi, avec notification par sonnerie et / ou vibrations) pour les premières semaines, une fois par semaine à la fin de la période de suivi (6 mois). Cependant, les patients peuvent accéder à MC chaque fois qu’ils le veulent et fournir des réponses s’ils le souhaitent, ou non (MC contient également des informations générales sur l’anxiété, humeur dépressive … et des conseils directs pour le traitement des symptômes).
  • La fréquence de la notification pour remplir MC par le patient doit diminuer au cours d’une période de six mois afin d’éviter l’expérience ennuyeuse (figure 1). Il y a une fréquence par défaut (par exemple, deux fois par jour le premier mois, une fois par semaine au deuxième mois, etc …) qui ne peut pas être modifiée, mais les patients peuvent utiliser l’application quand ils le veulent. En général, la notification pour répondre aux questions apparaîtra sur l’écran principal smartphone avec le calendrier tel que programmé. Le sujet peut également utiliser l’application à des moments imprévus, si nécessaire (par exemple l’anxiété, humeur dépressive …).

  • Les réponses des patients sont faites d’échelles visuelles analogiques (EVA) et la plupart des réponses, sinon toutes, sont accessibles sur des listes déroulantes. Les questions sont légèrement modifiées tous les jours (et deux fois par jour pendant les premières semaines) afin d’éviter l’aspect «automatique». Tout est fait pour fluidifier et rendre l’application facile et intuitive.
  • L’évaluation devra:
    • Contextualiser les réponses, par exemple, si un patient prend des antidépresseurs, il peut dire «vous avez pris du Prozac pour seulement quelques jours, donc pas d’amélioration prévue, mais vous devriez commencer à vous sentir mieux dans peu de temps» ou «vous semblez inquiet, vous étiez aussi inquiet que cela il y a quelques semaines et ça n’a pas duré », ou bien « vous avez essayé de respirer lentement et cela vous a aidé la dernière fois … « 
    • Offrir différents niveaux de conseils
      • Simple niveau de bon sens: aller parler à un membre de votre famille, un ami
      • Niveau plus actif: tels que respirer profondément et lentement, penser à des aspects positifs, essayer de se détendre…
      • Niveau spécifique: tel que regarder une vidéo de relaxation/mindfullness fournies par l’App MC.
      • Le niveau d’urgence recommande au patient d’aller aux urgences ou de consulter un médecin rapidement.
    • Fournir une information visuelle avec graphique montrant l’évolution des symptômes avec contextualisation qui aidera l’utilisateur (un autre niveau de feed-back) mais qui peut également être montrée à un médecin ne participant pas à la recherche et lui fournir des informations cliniques supplémentaires (même si ce professionnel n’a pas de connaissance préalable de l’App MC).

Nous proposons donc une étude pilote multicentrique ouverte afin d’évaluer l’intérêt et la faisabilité d’utilisation de l’application Medical Companion dans la prévention de la récidive suicidaire chez les 13-25 ans ayant préalablement fait une tentative de suicide. C’est une étude proof of concept.
[1] Rapport 2014 de l’Observatoire National du Suicide.
[2] Hospitalisations et recours aux urgences pour tentative de suicide 2004-2011 – INSTITUT DE VEILLE SANITAIRE
[4] Selon les opérateurs de téléphonie mobile, le taux d’équipement pour les smartphones dans les 12-18 ans la population est en croissance rapide et devrait atteindre 85% en 2016-2017."