Posted on 16 Nov 2017 par Programme Papageno
Le taux de mortalité par suicide des policiers, des gendarmes et des forces armées est supérieure à celui de la population générale. L’actualité nous donne une triste illustration de ce sur-risque qui tient à l’intrications de facteurs individuels et sociaux. Mieux comprendre et mieux prévenir le suicide métier impose de ne banaliser ou de ne minimiser ni les uns, ni les autres de ces facteurs.Sans méconnaître les questions sociales et institutionnelles soulevées par les suicide récemment recensés parmi les forces de l’ordre, l’équipe du programme Papageno salue l’annonce du Ministre de l’intérieur voulant réunir « rapidement les représentants des policiers et gendarmes pour évoquer les dispositifs de prévention existants et les moyens d’en renforcer encore l’efficacité ».
Parce qu’il est la figure – pour certains exemplaire – de la sécurité et de la confiance, le suicide d’un agent des forces de l’ordre est susceptible d’être pour le moins impressionnant, si ce n’est fragilisant. Nous y voyons un motif supplémentaire à l’application de précautions par les journalistes pour limiter les risques de contagion[1] chez les plus vulnérables, sans toutefois nuire à la qualité de l’information.
Nous rappelons notamment qu’un geste suicidaire, quel qu’il soit, est toujours la conséquence de facteurs multiples et enchevêtrés, y compris lorsque l’un d’eux apparait avec plus d’évidence que les autres. Rendre compte de cette complexité, c’est dégager les personnes qui seraient exposées à des événements de vie adverses similaires à l’idée d’une fatalité du geste.
Nous vous suggérons également d’éviter d’apporter tout détail quant au moyen (type d’arme, procédé) ou au lieu suicidaire employé. Un ton neutre, dépouillé de sensationnalisme, permettra d’éviter d’apporter une charge émotionnelle superflue et éprouvante. Préférez des mots plus sobres tels que « hausse » ou « supérieur » à des termes tels qu’ « épidémie », « flambée » ou toute autre expression emphatique pour décrire la survenue récente de plusieurs cas de suicide. La mise en évidence et la répétition excessive d’articles traitant du suicide induisent davantage de comportements d’imitation qu’un traitement médiatique plus discret. Dans l’idéal, ces articles devraient se trouver dans les pages intérieures, et figurer en bas de page, plutôt qu’en Une ou sur la partie haute d’une page intérieure. À la télévision tout comme à la radio, l’information sur un suicide ne devrait pas faire la Une de l’actualité mais davantage apparaître en deuxième ou troisième sujet.
La pertinence de répéter ou de réactualiser une histoire originale devrait également être évaluée avec circonspection. Demandez-vous s’il est d’intérêt public de rapporter cette mort et mettez en balance cet intérêt public avec le risque de contagion que constitue la répétition excessive de sa couverture.
Chaque suicide est l’issue tragique d’une trajectoire de souffrance. À chaque étape, cette souffrance peut être apaisée, et le suicide évité. De nombreuses ressources existent. Le rappeler dans vos articles, et faire figurer une ou deux coordonnées d’aide (médecin traitant et/ou Samu en cas d’urgence vitale) pourrait permettre de sauver des vies.
[1] L’actualité en matière de recherche met en évidence que, lorsqu’il est réalisé sans précaution, le traitement médiatique du suicide est l’un des nombreux facteurs pouvant inciter les personnes vulnérables à passer à l’acte. C’est l’effet Werther selon lequel la diffusion médiatique inappropriée d’un suicide serait à l’origine d’un phénomène d’imitation (autrement appelé «contagion») chez des personnes vulnérables. Le cas de l’actrice Marilyn Monroe en est une illustration : le mois suivant son décès, on a assisté à une augmentation de la mortalité par suicide de 12% aux Etats-Unis et de 10% en Grande-Bretagne (soit 363 suicides supplémentaires, rien que pour ces 2 pays). D’autres exemples célèbres en France, Autriche, Allemagne… en témoignent.
À l’inverse, l’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques, pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. Cet effet protecteur est connu sous le nom de Papageno.
https://papageno-suicide.com/2017/11/16/quand-la-surmortalite-suicidaire-des-forces-de-lordre-fait-la-une/
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Café Presse au Club : « Comment parler du suicide dans les médias ?
« Le suicide est un problème majeur de santé publique, qui mérite toute notre attention. » Marie-Christine Lipani, maître de conférences à l’IJBA et chercheuse au MICA de l’université Bordeaux-Montaigne, accueillait le 21 novembre au Club des chercheurs en psychiatrie qui travaillent sur les médias. Après avoir excusé l’absence de Laetitia Langella, présidente du Club retenue par ailleurs, elle rappellera des épisodes récents, dont le drame du policier qui a tué une partie de sa famille et des témoins avant de mettre fin à ses jours. « Est-ce que les journalistes ne sont pas démunis parfois pour aborder de tels sujets ? » s’interroge-t-elle.
« Notre objectif ce soir, répond le docteur Nathalie Pauwels, neuropsychiatre auprès de l’Organisation Mondiale de la Santé, est de répondre à cette problématique. On sait aujourd’hui que le traitement médiatique du suicide est susceptible d’entraîner d’autres tentatives chez des personnes vulnérables. Nous ne voulons pas ici culpabiliser les gens, juste les responsabiliser. Quand un journaliste écrit sur un suicide, il y a un risque de contamination de certaines populations. C’est ce qu’on appelle “l’effet Werther“, et c’est quelque chose de très difficile à entendre par les journalistes. »
Manoubi Marouki, rédacteur en chef du journal tunisien Le Temps, cite un événement qui a touché les médias de son pays : après le suicide de plusieurs enfants de 6 à 12 ans, les médias furent accusés lorsque d’autres décès eurent lieu.
« Sur la cause, lui répond Nathalie Pauwels, cela peut s’expliquer à un âge où les enfants sont particulièrement fragiles, et il peut y avoir aussi un effet d’identification à une personne du même âge qui attente à sa vie. »
Pour Dominique Collin, psychologue clinicienne à Bordeaux et ancienne déléguée aux Droits des Femmes, quand un enfant est dévalorisé il finit parfois par l’intérioriser, « et quelqu’un qui est relativement bon élève présente des phénomènes de phobie scolaire et de désinvestissement. Ce sont des prémisses. »
A quand un numéro unique ?
Les nouveaux médias numériques peuvent favoriser le harcèlement par les réseaux sociaux et mener à des conduites suicidaires.
« Il n’y a pas de nécessité ni de cause unique à passer à l’acte, estime Nicolas Lecat, interne en psychiatrie, mais il existe des facteurs de risque. »
« Nous n’affirmons pas que des gens se suicident parce qu’ils lisent la presse ou voient une émission, ajoute Nathalie Pauwels, mais une enquête montre que 87% des gens qui ont fait une tentative disaient avoir vu ou lu une information sur un suicide avant de passer à l’acte. »
Alors faut-il renforcer les interdictions d’en parler dans les médias ?
« Non, surtout pas, estime Nathalie Pauwels, car ce qui est important est la manière d’en parler. Ne plus en parler du tout serait créer un tabou. »
Fabien Pont, journaliste médiateur de Sud Ouest, indique que « le journal ne parle pas du suicide de quelqu’un chez lui, mais il y a le problème des lieux publics. Et celui des suicides précédés de crimes en famille ou sur d’autres personnes. »
Pour Marie-Christine Lipani, « il y a des drames dont les journalistes ne peuvent pas ne pas parler. »
Elle cite l’affaire de France-Télécom, « avec une forte médiatisation, mais il y a eu aussi des cas de burn-out dans la presse, par exemple et cela a été moins relayé. »
Les psychiatres et les chercheurs estiment que des efforts précis pourraient contribuer à diminuer le nombre de suicides. C’est l’action menée par le programme “Papageno“ de l’Organisation Mondiale de la Santé, que représente Nathalie Pauwels.
« Le phénomène du suicide par imitation est étudié depuis plus de 50 ans, observe-t-elle, mais les médias peuvent aussi exercer une influence positive. » Elle cite une étude autrichienne, menée par le professeur Etzerdorfer, qui a abouti à une réduction de 75% des cas dans le métro de Vienne, et une baisse du nombre général de 20% dans la capitale, après la parution de recommandations aux journalistes, « en réduisant le caractère sensationnel du traitement de ces événements. »
Nathalie Pauwels conclut en conseillant aux journalistes qui en rendent compte « de le faire avec précaution, en restant factuels, et en évitant de développer la méthode employée, sans indiquer le lieu, les gestes, les produits éventuels. »
Et pour elle, le mot (provisoire) de la fin est une demande pressante : « A quand un numéro unique pour accueillir les appels des personnes qui sont au bord de la tentative ? Il n’en existe pas en France, il est urgent d’en créer un. »
Le programme Papageno
L’information, lorsqu’elle répond à certaines caractéristiques, pourrait contribuer à prévenir les conduites suicidaires. Cet effet protecteur est connu sous le nom de Papageno. Le traitement médiatique du suicide requiert donc quelques précautions.
Les responsables du programme Pagageno interviennent régulièrement auprès des journalistes afin de les sensibiliser à ces effets et diffuser les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé. Ces dernières, d’application très simple, se veulent être un soutien au travail journalistique sans entraver l’indépendance des rédacteurs, elles aident à limiter au maximum le risque d’incitation suicidaire.
Site : http://papageno-suicide.com;
Mail : papageno@santementale5962.com ;
Service de presse : @papageno_medias
http://www.club-presse-bordeaux.fr/cafe-presse-club-parler-suicide-medias/