Suicides et travail: un débat biaisé
avril 18, 2013
sur http://humeursnumeriques.wordpress.com/2013/04/18/suicides-et-travail-un-debat-biaise/
Le nombre de suicides fait l’objet d’une macabre bataille de
chiffres entre les partisans de l’adaptation de l’entreprise aux
impératifs du marché et les syndicats. Le suicide, acte ultime de la
manifestation du désespoir, est une donnée emblématique reprise par les
médias pour traiter ce sujet douloureux. Pour l’expert en stratégies
managériales, Olivier Babeau, le
suicide est vu sous la froide analyse statistique selon l’âge, le sexe,
la catégorie socio-professionnelle, le secteur d’activité. De son
analyse retenons que France Telecom, critiqué pour un changement
d’organisation de travail mené au pas de charge, devrait connaître un
taux de suicide théorique de 16,9 pour 100.000 à comparer en 2009 au
chiffre réel, légèrement supérieur, qui est de 19 pour 100.000. Selon
notre expert, la marge d’erreur statistique ne permet pas d’incriminer
le travail comme facteur de suicide à France Telecom. Cette explication
biaisée, penche du côté de l’employeur. Elle suggère implicitement que
les arguments des syndicats et les commentaires de la presse reposent
sur l’exposé exclusif du nombre de suicides. Il faut aller plus loin que
cette explication rationnelle, reprise en coeur par les dirigeants et
DRH de France Telecom, de La Poste et autres organisations incriminées.
Un suicide sur le lieu de travail , justifié par un mail de l’employé comme ici, à La poste ou une lettre d’un salarié du technocentre de Renault Guyancourt est une preuve indiscutable du rôle mortifère d’une organisation ou environnement de travail . Vouloir
noyer cette évidence dans une froide statistique participe d’une
entreprise de désinformation institutionnelle ou idéologique.D’autres symptômes passés sous silence Les médias, globalement, ont tendance à n’envisager la souffrance au travail que sous le prisme du suicide ou des TS (tentatives de suicide), plus faciles à "vendre" aux lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Il s’agit là d’une information percutante, facile à comprendre, mesurable. A ce sujet, j’ai pu vérifier lors d’une enquête que les syndicats SUD ou la CGT ne communiquent sur le lien entre un cas de suicide et le travail, qu’après avis du CHSCT (comité d’hygiène et de sécurité et conditions de travail). Ils éliminent ainsi objectivement des causes d’ordre privée. Les médias d’information responsables agissent de même. Pour rendre compte des réelles souffrances de dizaines de milliers de salariés face à des organisations de travail brutales dont ils sont la variable d’ajustement, il existe d’autres indicateurs qui rendent compte du mal-être au travail. Malheureusement, ils sont plus diffus et difficiles à caractériser que le suicide ou les TS, les dépressions et autres troubles psychiques générant des arrêts de travail ou des conséquences sur la santé physique accompagnent la souffrance au travail. L’Institut national de veille sanitaire ( INVS) reconnait aujourd’hui que la conduite suicidaire est un processus multifactoriel dans lequel l’activité professionnelle pourrait jouer un rôle. Si le conditionnel est encore utilisé, l’INVS dresse néanmoins le tableau des professions les plus exposées dans son enquête Risque suicidaire et activité professionnelle . Cette étude repose sur les réponses d’un échantillon de 4128 salariés ayant répondu à un autoquestionnaire puis à un questionnaire proposé par un réseau de 80 médecins du travail dans le cadre de l’enquête Samotrace en Rhône-Alpes. Des secteurs d’activité comme la santé et l’action sociale, les transports et communications présentent des taux de prévalence élevés pour les tendances suicidaires. Cela démontre bien le rôle de certains environnements de travail sur la santé psychique. Certains résultats vont à contre-courant des idées reçues. Ainsi, le personnel de l’administration publique présente la plus forte proportion de personnes à risque suicidaire élevé. Notez que les entreprises de moins de 50 personnes ne font pas l’objet d’études détaillées à ce sujet alors que leurs personnels sont plus isolés face à des contraintes abusives de production. Au lieu de se lancer dans des ruptures organisationnelles de taille et réfléchir ensuite aux conséquences sur les salariés et fonctionnaires sous la pression de la justice ( affaire BPCE Rhône-Alpes) et des médias, les entreprises devraient anticiper les dommages importants causés par des méthodes de travail brutales et inefficaces. Comment ? En questionnant sérieusement leur personnel et ses représentants en lieu et place d’une écoute trop proche des actionnaires, des clients et usagers selon des règles de marché toxiques.
Une pléthore d’organisations, institutions, colloques autour des RPS (risques psychosociaux)
Une multitude d’acteurs, la plupart financés sur fonds publics, se penchent depuis longtemps sur les RPS. Ces organismes et colloques produisent de très nombreuses études, comparatifs, analyses, outils pour lutter contre les risques psychosociaux. Leurs compétences se chevauchent ce qui nuit à leur efficacité globale. D’évidence, ce travail est loin d’être utilisé par les entreprises de toutes tailles. Ce sont pourtant elles qui devraient mettre en oeuvre en priorité des plans de préventions des RPS mais les impératifs économiques dominent tous les autres aspects de manière écrasante.Quelques organismes et institutions travaillant sur les RPS:
- INRS: l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles
- ANACT: Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
- Communication d’Etat sur les RPS
- INVS Institut national de veille sanitaire
- Revue de presse sur ce sujet sur le site Souffrance au travail