« Plus l’acte est violent, plus la réaction est importante » du 26 mais 2013
Entretien avec le professeur Didier Cremniter, psychiatre,
référent de la cellule d’urgences médico-psychologiques de Paris,
professeur associé à la faculté de médecine Paris-Descartes, après un suicide à Notre-Dame de Paris.
Mardi dernier, un homme s’est suicidé dans
Notre-Dame de Paris au moyen d’une arme à feu. Parmi les témoins du
drame, le personnel et les bénévoles de la cathédrale ont été en
première ligne. Comment se portent-ils aujourd’hui ?
Professeur Didier Cremniter : J’ai déjà été très frappé de voir la qualité exceptionnelle et l’humilité de ces personnes, une exemplarité que l’on n’observe généralement que dans les grands services d’État. Sacristains, agents de sécurité ou vendeurs de souvenirs, tous se sont mobilisés pour protéger les visiteurs.
À quel moment votre cellule est-elle intervenue ?
Dès le lendemain. À ce stade, on observe chez 30 % des témoins d’un événement brutal des réactions précoces de stress. Accompagnées dès le début, ces réactions s’atténuent après quelques jours, jusqu’à disparaître presque entièrement. Il est important d’assurer une écoute au moment où les témoins en ont le plus besoin, afin qu’ils puissent exprimer l’ébranlement suscité par cette expérience, ce que nous nommons le « stress traumatique ». Quant aux touristes évacués de la cathédrale, nous avons malheureusement peu de chances de les retrouver.
Que se passe-t-il chez ceux qui assistent à un tel événement ?
Cette scène totalement fortuite et incongrue provoque d’abord l’effet de surprise. Cette rencontre avec l’indicible expose au risque d’« effraction traumatique » chez la personne : dans un haut lieu spirituel, on s’attend à tout sauf à un suicide. D’où l’irruption d’un processus auquel on n’est pas préparé.
Pour les témoins les plus directs, cette expérience se résume au constat d’un corps d’un homme mort dans des conditions extrêmement violentes, auquel s’ajoute un sentiment de malaise et d’incompréhension totale.
Mais au-delà de cette rencontre avec l’imprévu, ce qui est du registre traumatique, c’est l’irruption d’une motion qui va heurter l’âme chrétienne dans ce qui touche au plus haut point ses valeurs, comme si l’acte avait valeur de sacrilège.
D’autant que le lendemain, une « Femen » s’est immiscée dans l’édifice, mettant en scène un simulacre de suicide, devant le même personnel…
C’est justement ce deuxième acte qui a abouti à notre intervention. Cette mise en scène, aboutissant à une nouvelle évacuation de la cathédrale, au moment précis où son personnel commençait tout juste à se remettre d’un fait traumatisant, s’est avérée la pire des solutions au moment où tout devait être fait pour les aider à panser leurs angoisses.
Quelles sont les étapes pour conjurer un tel choc ?
Chaque être réagit à sa manière. Mais plus l’acte est violent, plus les réactions seront importantes. Notre démarche nous permet de suivre les témoins jour après jour. Selon la gravité, nous les voyons une semaine, davantage si nécessaire.
Dans l’affaire du suicide de Notre-Dame, si choquant qu’ait été cet événement, je ne pense pas que cela se traduira par des conséquences durables chez les témoins ; ce type de drame se produit hélas aussi dans la vie de tous les jours. Le suicide d’un homme dans une école maternelle, le 16 mai, et pour lequel j’interviens aussi, me paraît plus lourd de conséquences dans la mesure où il s’est déroulé devant de jeunes enfants.
Ces faits divers traduisent-ils un malaise plus profond au sein de la société ?
Je me suis posé cette question : le suicide de Dominique Venner a-t-il un lien, même ténu, avec celui qui a eu lieu dans la maternelle ? On ne le saura sans doute jamais. En période de crise et de rupture sociale, on observe parfois la répétition de tels actes, au point qu’on a pu parler d’épidémies à certaines époques. En quinze ans d’accompagnement avec le Samu de Paris, j’ai le sentiment que ce genre de drames a tendance à augmenter.
Sans doute est-ce le fruit de l’affaiblissement des valeurs qui permettaient auparavant de prévenir ces débordements. Dans un monde où règnent la technique et le virtuel, les liens auxquels nous avons accès sont souvent dépouillés d’une véritable humanité. En psychologie, nous savons à quel point notre apport réside dans cette écoute, dans cette présence physique, qui est la seule façon de parvenir à « restaurer » les repères essentiels pour la personne.
Recueilli par François-Xavier Maigre
Professeur Didier Cremniter : J’ai déjà été très frappé de voir la qualité exceptionnelle et l’humilité de ces personnes, une exemplarité que l’on n’observe généralement que dans les grands services d’État. Sacristains, agents de sécurité ou vendeurs de souvenirs, tous se sont mobilisés pour protéger les visiteurs.
À quel moment votre cellule est-elle intervenue ?
Dès le lendemain. À ce stade, on observe chez 30 % des témoins d’un événement brutal des réactions précoces de stress. Accompagnées dès le début, ces réactions s’atténuent après quelques jours, jusqu’à disparaître presque entièrement. Il est important d’assurer une écoute au moment où les témoins en ont le plus besoin, afin qu’ils puissent exprimer l’ébranlement suscité par cette expérience, ce que nous nommons le « stress traumatique ». Quant aux touristes évacués de la cathédrale, nous avons malheureusement peu de chances de les retrouver.
Que se passe-t-il chez ceux qui assistent à un tel événement ?
Cette scène totalement fortuite et incongrue provoque d’abord l’effet de surprise. Cette rencontre avec l’indicible expose au risque d’« effraction traumatique » chez la personne : dans un haut lieu spirituel, on s’attend à tout sauf à un suicide. D’où l’irruption d’un processus auquel on n’est pas préparé.
Pour les témoins les plus directs, cette expérience se résume au constat d’un corps d’un homme mort dans des conditions extrêmement violentes, auquel s’ajoute un sentiment de malaise et d’incompréhension totale.
Mais au-delà de cette rencontre avec l’imprévu, ce qui est du registre traumatique, c’est l’irruption d’une motion qui va heurter l’âme chrétienne dans ce qui touche au plus haut point ses valeurs, comme si l’acte avait valeur de sacrilège.
D’autant que le lendemain, une « Femen » s’est immiscée dans l’édifice, mettant en scène un simulacre de suicide, devant le même personnel…
C’est justement ce deuxième acte qui a abouti à notre intervention. Cette mise en scène, aboutissant à une nouvelle évacuation de la cathédrale, au moment précis où son personnel commençait tout juste à se remettre d’un fait traumatisant, s’est avérée la pire des solutions au moment où tout devait être fait pour les aider à panser leurs angoisses.
Quelles sont les étapes pour conjurer un tel choc ?
Chaque être réagit à sa manière. Mais plus l’acte est violent, plus les réactions seront importantes. Notre démarche nous permet de suivre les témoins jour après jour. Selon la gravité, nous les voyons une semaine, davantage si nécessaire.
Dans l’affaire du suicide de Notre-Dame, si choquant qu’ait été cet événement, je ne pense pas que cela se traduira par des conséquences durables chez les témoins ; ce type de drame se produit hélas aussi dans la vie de tous les jours. Le suicide d’un homme dans une école maternelle, le 16 mai, et pour lequel j’interviens aussi, me paraît plus lourd de conséquences dans la mesure où il s’est déroulé devant de jeunes enfants.
Ces faits divers traduisent-ils un malaise plus profond au sein de la société ?
Je me suis posé cette question : le suicide de Dominique Venner a-t-il un lien, même ténu, avec celui qui a eu lieu dans la maternelle ? On ne le saura sans doute jamais. En période de crise et de rupture sociale, on observe parfois la répétition de tels actes, au point qu’on a pu parler d’épidémies à certaines époques. En quinze ans d’accompagnement avec le Samu de Paris, j’ai le sentiment que ce genre de drames a tendance à augmenter.
Sans doute est-ce le fruit de l’affaiblissement des valeurs qui permettaient auparavant de prévenir ces débordements. Dans un monde où règnent la technique et le virtuel, les liens auxquels nous avons accès sont souvent dépouillés d’une véritable humanité. En psychologie, nous savons à quel point notre apport réside dans cette écoute, dans cette présence physique, qui est la seule façon de parvenir à « restaurer » les repères essentiels pour la personne.