Lever le tabou du suicide
Publié le mercredi 19 juin 2013 sur http://www.lnc.nc/article/pays/lever-le-tabou-du-suicide
Le suicide d’un
adolescent agit comme une onde de choc et soulève de multiples
questions, jusqu’à l’impression que le phénomène augmente. Pas
d’explosion, mais ça n’empêche pas politiques, éducateurs et
professionnels de santé de s’en inquiéter sérieusement.
Les suicides sur le Caillou représentent de petits
chiffres (une trentaine par an en moyenne), mais c’est une cause de
mortalité importante, notamment chez les jeunes hommes.
« Le suicide n’augmente pas chez les jeunes, il y en a eu huit en 2011 chez les 15-24 ans, pas plus que les années précédentes », répond d’emblée le Dr Goodfellow, psychiatre coordinateur d’une enquête approfondie qui va démarrer (lire en repères). Ce chiffre stagnant ne signifie pas pour autant que le suicide des plus jeunes n’est pas pris au sérieux.
Et « il y a un phénomène de rajeunissement : avant on considérait que les pré-ados ou jeunes ados ne se suicidaient pas », note le Dr Bruno Calandreau (ci-dessous).
Selon les chiffres de la Direction des affaires sanitaires et sociales-NC, entre 1991 et 2010, près de 66 % des décès par suicide sont survenus entre 15 et 44 ans. Les 15-25 ans ne sont pas les plus touchés, toutefois vingt-cinq décès de mineurs ont été observés dont six décès d’adolescents de moins de 15 ans au cours de cette période.
Lycée. Le lycée Blaise-Pascal, à Nouméa, a été frappé de plein fouet il y a peu. « Nous y avions été confrontés huit mois plus tôt dans la même série de terminale S », ne cache pas Karen Cazeau, directrice de l’enseignement catholique en Calédonie. « Ma priorité, avec le chef d’établissement, c’est de mettre les jeunes en sécurité, de les accompagner, ainsi que l’équipe éducative, pour qu’ils puissent en parler. » Un médecin et un psychologue sont intervenus à Blaise-Pascal, ainsi qu’au lycée La-Pérouse, touché par ricochet. Des espaces d’écoute sont ouverts « jusqu’à la fin de l’année ». Le risque est un phénomène de contagion.
« Les adolescents vivent au jour le jour, beaucoup étaient bouleversés. Je pense qu’il faut pouvoir entendre leur douleur et les aider à rebondir, poursuit la directrice de la Ddec. C’est la présence qui compte. Les jeunes ont besoin de voir des adultes debout. »
Tentatives. Tous âges confondus, les tentatives de suicide sont motivées principalement par « des troubles affectifs ». « Il n’y a plus de communication. La personne ne voit pas d’autre solution. Ce n’est souvent pas prémédité », observe le Dr Jean-Yves Charlot, responsable de l’antenne des urgences psychiatriques au CHT Gaston-Bourret. L’équipe voit passer les tentatives de suicide qui nécessitent une médicalisation : soit 282 en 2010, 240 en 2011, 251 en 2012. Le nombre de tentatives sur le Caillou est estimé entre 300 et 400 par an.
De 2010 à 2012, le Dr Charlot a mené l’enquête. « Sur nos 773 patients, 349 nous ont dit avoir fait plusieurs tentatives de suicide auparavant, rapporte le médecin. On s’est alors rendu compte que 7,37 % de ces patients ont récidivé sur les trois dernières années. Ça veut dire que la récidive baisse. Il nous semble qu’elle intervient dans les sept jours. Il faut qu’on affine encore cela. » Le but de l’équipe des urgences psychiatriques est d’éviter les rechutes suicidaires, en mettant au point une réponse la plus protocolisée possible. « Il faut qu’on travaille beaucoup plus sur la récidive à court terme, estime le Dr Charlot. L’offre de soin en face n’est pas si pléthorique que ça, et parfois on manque de places en hospitalisation. Donc on est un peu équilibriste, mais on essaye toujours de trouver une béquille par rapport à la problématique de la personne. »
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C’est le nombre de suicides en 2011 (des hommes dans 82 % des cas). 45 avaient été recensés en 2010, 35 en 2009, 39 en 2008, 45 en 2007. Entre 1991 et 2010, les chiffres montrent une tendance à la baisse chez les 35-44 ans et une tendance à la hausse chez les 25-34 ans et les 45-54 ans
Repères
Enquête pousséeLe gouvernement a demandé au CHS la mise en place d’une enquête sur le suicide suivant le protocole de l’Organisation mondiale de la santé, qui devrait démarrer en novembre. Le but est à la fois d’analyser les suicides par des enquêtes auprès des proches, et de mieux chiffrer les tentatives tout en testant un outil de prévention. « L’idée simple repose sur le maintien d’un contact humain », indique Benjamin Goodfellow, psychiatre coordinateur de l’enquête.
SOS écoute : 05 30 30
Le numéro SOS écoute a été ouvert en novembre. Gratuite, 7 J/7, de 8 heures à 22 heures, la ligne est anonyme et ouverte à toute personne en situation de détresse qui a besoin de parler et de trouver une écoute. SOS écoute devrait prendre une part active dans la prévention du suicide.
Questions à… Dr Bruno Calandreau, psychiatre responsable de Casa
Les Nouvelles calédoniennes : Pourquoi des jeunes qui ont la vie devant eux en viennent à l’extrémité du suicide ?
Dr Calandreau : Le suicide des jeunes ne traduit pas une volonté de mourir. C’est une volonté de vivre autrement, d’attirer l’attention. C’est ce que disent les jeunes qui en réchappent. La jeunesse est un âge caractérisé par deux choses : une variation fréquente de l’humeur et une impulsivité. Très rarement, les jeunes ont imaginé que le suicide allait aboutir. Malheureusement, en Nouvelle-Calédonie, les moyens utilisés sont assez radicaux : la pendaison et le fusil sont devant l’absorption de médicaments. Et d’un point de vue général, j’ai quand même l’impression que le malaise des jeunes s’amplifie. Je vois arriver des fins de semestre de plus en plus rocambolesques. Bagarres et alcoolisation sont fréquentes et presque autant chez les filles que chez les garçons.
Proches et familles culpabilisent toujours. Y a-t-il des signes avant-coureurs ?
Il faut être très vigilant face à un jeune qui s’isole, fait des ivresses massives, commence à présenter des troubles du comportement, se déscolarise. A défaut de parler, c’est une façon de montrer qu’il est en difficulté. Il ne faut pas banaliser non plus le chagrin d’amour. Pour les jeunes, c’est un véritable tsunami. Et mieux vaut leur éviter les « un de perdu, dix de retrouvés ». Les adolescents n’ont pas besoin de consolation mais de présence. A mon avis, il faut être aussi très vigilants face aux problèmes de racket et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Une jeune fille est montée sur le toit parce que ses camarades mettaient des photos peu avantageuses d’elle sur Facebook.
Faut-il parler du suicide avec un jeune et comment en parler ?
La prévention du suicide chez les jeunes concerne tout le monde. Un des moyens de prévention, c’est de poser la question. Il ne faut pas avoir peur d’en parler avec les enfants. Parler de suicide ne va pas provoquer le suicide. On peut aussi rassurer les jeunes sur le fait qu’avoir des idées suicidaires, penser à la mort, ça fait partie d’un processus de développement normal. Un jeune a besoin de savoir qu’on s’occupe de lui et de sentir qu’il est respecté des adultes et de ses copains.
« Il ne faut pas avoir peur d’en parler »
Les Nouvelles calédoniennes : Pourquoi des jeunes qui ont la vie devant eux en viennent à l’extrémité du suicide ?
Dr Calandreau : Le suicide des jeunes ne traduit pas une volonté de mourir. C’est une volonté de vivre autrement, d’attirer l’attention. C’est ce que disent les jeunes qui en réchappent. La jeunesse est un âge caractérisé par deux choses : une variation fréquente de l’humeur et une impulsivité. Très rarement, les jeunes ont imaginé que le suicide allait aboutir. Malheureusement, en Nouvelle-Calédonie, les moyens utilisés sont assez radicaux : la pendaison et le fusil sont devant l’absorption de médicaments. Et d’un point de vue général, j’ai quand même l’impression que le malaise des jeunes s’amplifie. Je vois arriver des fins de semestre de plus en plus rocambolesques. Bagarres et alcoolisation sont fréquentes et presque autant chez les filles que chez les garçons.
Proches et familles culpabilisent toujours. Y a-t-il des signes avant-coureurs ?
Il faut être très vigilant face à un jeune qui s’isole, fait des ivresses massives, commence à présenter des troubles du comportement, se déscolarise. A défaut de parler, c’est une façon de montrer qu’il est en difficulté. Il ne faut pas banaliser non plus le chagrin d’amour. Pour les jeunes, c’est un véritable tsunami. Et mieux vaut leur éviter les « un de perdu, dix de retrouvés ». Les adolescents n’ont pas besoin de consolation mais de présence. A mon avis, il faut être aussi très vigilants face aux problèmes de racket et de harcèlement sur les réseaux sociaux. Une jeune fille est montée sur le toit parce que ses camarades mettaient des photos peu avantageuses d’elle sur Facebook.
Faut-il parler du suicide avec un jeune et comment en parler ?
La prévention du suicide chez les jeunes concerne tout le monde. Un des moyens de prévention, c’est de poser la question. Il ne faut pas avoir peur d’en parler avec les enfants. Parler de suicide ne va pas provoquer le suicide. On peut aussi rassurer les jeunes sur le fait qu’avoir des idées suicidaires, penser à la mort, ça fait partie d’un processus de développement normal. Un jeune a besoin de savoir qu’on s’occupe de lui et de sentir qu’il est respecté des adultes et de ses copains.
Bérengère Nauleau