Une
fois par mois, à La Roche-sur-Yon, des personnes endeuillées après le
suicide d’un proche se retrouvent dans un groupe de parole animé par
Familles rurales. Entre incompréhension, culpabilité, dépression, le
chemin est long pour retrouver le goût de vivre. Échanges et soutien du
groupe peuvent aider à garder la tête hors de l’eau. Famille rurales a
aussi créer un site, www.vivrelabsence.fr pour accompagner toutes les
personnes endeuillées.
« J’ai perdu mon papa le 18 décembre 2017, il s’est pendu. »
Gorge nouée, regard baissé, Marylou, 26 ans, entame le tour de table du
groupe de parole de personnes endeuillées après un suicide. Il se
réunit une fois par mois, à La Roche-sur-Yon. Marylou et Patricia, sa
maman, habitent près de Loudun, dans la Vienne, et elles font deux
bonnes heures de route pour venir y participer. « C’est moi qui ai trouvé Jean-Jacques, mon mari. Mon fils a essayé de le ranimer » , poursuit Patricia, 54 ans. Silence :
« Pour tenir, il y a les médicaments, le psychologue, mais c’est très
dur. On ne sait pas comment on survit. Je continue pour mes enfants. »Jacques Ripaud, chargé de mission à la fédération Familles rurales de Vendée, anime ce groupe d’échanges. À ses côtés, Marie-Jeanne Roulleau, bénévole et membre de la commission deuil. Parmi l’ensemble des actions menées pour accompagner les familles, la question du deuil est prise en compte depuis quarante ans, en lien avec les travailleurs sociaux et en complémentarité avec d’autres associations.
Culpabilité et questions
Depuis début 2018, Familles rurales a mis en place un groupe spécifique pour les endeuillés après un suicide. Entre pairs, on ose dire ce que l’on endure, chaque fois un peu plus au fil du temps. On s’écoute, on se comprend et s’épaule parce que les paroles de l’un font écho à celles des autres, empruntant les mêmes chemins pavés de questions, de souffrances et, souvent, de grand mal-être. On vient ici parce qu’on ne se sent pas jugé, dit aussi une participante.Ce soir-là, huit femmes sont autour de la table. Marylou, Patricia, Régine, Hélène, Martine, Marie, Claire, Céline (1) ont perdu un mari, un compagnon, un père, un enfant… Les hommes sont trois fois plus nombreux que les femmes à mettre fin à leurs jours. Une mort violente, traumatisante pour les proches. « J’ai trouvé Anthony dans la cave en rentrant dans la nuit du 29 au 30 juillet, j’ai laissé les enfants dans la voiture… J’ai appelé les pompiers » , raconte Claire, 33 ans. Marie, sa belle-mère, enchaîne : « En tant que mère, on souffre dans ses tripes. On se demande pourquoi il n’est pas venu nous parler. »
Derrière le choc, la révolte et l’incompréhension, les questions arrivent, la quête des « pourquoi » un tel geste. « Il avait laissé un mot dans sa poche, mais il ne m’a pas parlé » , soupire Hélène. « Moi aussi, j’avais beaucoup de colère et je m’en voulais : qu’est-ce que je n’ai pas fait, pas vu, pas compris… explique Marie-Jeanne, bénévole-animatrice confrontée au suicide d’un fils. La culpabilité, ça fait partie des étapes normales du deuil. » Parce que le suicide est tabou, le regard des autres en rajoute une couche : « Les gens ne savent pas quoi dire, ils sont maladroits, assure Martine. Quand on me dit « ma pauvre, ma pauvre », c’est encore plus lourd sur mes épaules. »
Aider ceux qui restent
Débit saccadé, tête dans les mains, Céline compte les mois et les jours depuis la mort de son mari, il y aura bientôt deux ans, après plus de vingt ans de vie commune et « deux beaux enfants » . La colère et la tristesse ne la quittent plus : « Je casse tout dans la maison, le béton, la cuisine… Je fais du bois, je fends des bûches. Mes garçons parlent de leur père et ont retenu tout ce qu’il leur a apporté de bon. Il est tout le temps là, c’est moi qui dérape. » Martine, elle, voudrait qu’on parle de son mari, cet homme élu et engagé dans des associations : « Au début, on est portés par l’entourage. Mais plus ça va, plus c’est difficile. L’absence s’installe et personne ne parle plus de lui. »Les « dégâts collatéraux » du suicide, on n’en parle pas ou peu. Et pourtant. Comment faire pour s’en sortir quand dépression et désespoir sont installés, à tel point que, comme le confie Marylou, « les journées sont trop difficiles. Quand je me réveille, c’est le cauchemar, lâche la jeune femme, qui ne peut plus contenir ses larmes. Je tiens pour maman et mon frère, mais j’espère partir jeune pour être près de papa. » Jacques Ripaud s’emploie à mettre des mots sur cette étape du deuil que traverse Marylou, afin d’apaiser un tant soit peu sa douleur : « L’état dépressif, c’est la phase la plus longue, on n’a plus le goût de vivre, jusqu’à cette étincelle qui revient après la traversée du désert. »
Remonter la pente
Le groupe de parole peut aider, justement, à passer un cap, conserver ou sortir la tête de l’eau. Marie, qui trouve des raisons d’espérer dans le spirituel, partage avec le groupe ce qui peut faire remonter la pente : « On a l’impression que c’est la fin du monde, mais je t’assure, Marylou, on y arrive. Je vis la journée qu’il m’est donné de vivre et je n’ai plus peur du lendemain. Depuis qu’il est mort, Anthony a resserré les liens familiaux. »Malgré la fatigue, Claire tient parce que « Anthony n’aimerait pas me voir abattue. Mes deux enfants, ce sont ma force. » Jacques conseille : « Il faut faire appel aux amis, oser demander de l’aide, souffler. »
Pour s’accrocher, rester à la surface, « on a besoin d’ancres » , insiste Marie-Jeanne. Un livre, des animaux, de la musique, des chansons, une passion, un dérivatif. Patricia a repris la plume pour coucher son chagrin sur le papier. « Depuis le suicide de Jean-Jacques, je n’arrivais plus à écrire », dit-elle avant de lire un texte au groupe. Céline s’apaise en restaurant des meubles pour les amis. « Ça prend du temps, car le meuble a déjà une histoire. Il faut enlever toutes les couches qui le recouvrent, mettre à nu pour repartir à zéro. » La symbolique ne lui a pas échappé : la transformation sera longue pour réapprendre à vivre et continuer son chemin.
(1) À la demande de plusieurs participantes, les prénoms ont été modifiés.
Deuil : un site internet au service des familles
Parce que le soutien et l’aide aux familles, le développement local et l’entraide de proximité sont au cœur du projet de Familles rurales, l’accompagnement du deuil figure depuis quarante ans parmi les actions que l’association déploie dans les territoires. Cette prise en compte a démarré avec les hommes et femmes confrontés au veuvage. Comme le rappelle Bérengère Soulard, la directrice de la fédération de Vendée, « notre action est complémentaire de celle des professionnels de santé, des services sociaux et des autres associations » .« Parce qu’il est difficile d’y arriver seul, qu’on a tous été dépourvus face à la demande d’un ami » , rappelle Jacques Ripaud, chargé de mission pour l’accueil des familles en deuil, Familles rurales Vendée propose diverses actions collectives, en lien avec des partenaires comme la MSA, la CAF, des associations comme Jalmav ou Hespéranges : conférences animées par des thérapeutes, service d’accueil et d’écoute ; groupes de parole après le décès d’un enfant, un suicide ; forum et soirées d’échanges… Mission principale : accompagner les personnes endeuillées pour leur permettre de se reconstruire progressivement.
En 2017, la fédération a enregistré une hausse importante des accueils physiques et des écoutes téléphoniques individuels. Pour s’adapter aux nouveaux modes de communication, mieux répondre aux attentes d’un public qui évolue, elle a lancé, au mois d’octobre, un site internet : www.vivrelabsence.fr.
Sobre, pédagogique et ergonomique, il propose des textes de référence sur le deuil, des conférences filmées, des liens pour effectuer diverses démarches, une bibliographie variée et un forum de discussion. Vu sa richesse, www.vivrelabsence.fr n’est pas réservé aux seuls Vendéens et adhérents de l’association.
https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/temoignages-elles-partagent-leur-souffrance-apres-un-suicide-6115646